Est-il justié de parler de psychologie positive ? 23
U
1. Petite histoire de la neutralité axiologique
Utiliser l’expression « psychologie positive », c’est sous-entendre qu’il existerait
une psychologie négative. De façon plus générale, c’est, semble-t-il, introduire
un jugement de valeur dans l’univers scientique, univers dans lequel ce type
d’approche est, par principe, exclu. En effet, une règle généralement prônée
dans l’univers scientique est que le chercheur, dans le cadre de son activité
professionnelle, analyse des faits et se refuse à tout jugement de valeur. En d’autres
termes, son travail relève de l’objectivité scientique et non pas des croyances
subjectives personnelles.
Au l du temps, cette posture a été exprimée sous diverses formes et avec de
multiples appellations, reétant certaines nuances : distinction entre est et doit
être, distinction entre jugements de faits et jugements de valeur, distinction entre
le descriptif et le prescriptif, neutralité axiologique, critique du biais naturaliste.
Ce principe trouve son origine première dans un court passage du philosophe David
Hume. Dans son Traité de la nature humaine, il s’étonne de ce que de nombreux
penseurs constatent ce qui est (is) ou n’est pas, puis en tirent des conclusions sur
ce qui doit être (ought) ou non (Hume, 1739, p. 16). Ce glissement lui semble
totalement injustié.
Au vingtième siècle, le sociologue Max Weber applique cette idée de Hume à
l’univers scientique. Selon lui, « chaque fois qu’un homme de science fait
intervenir son propre jugement de valeur, il n’y a plus compréhension intégrale
des faits. » (Weber, 1959, p. 91). Notons au passage que Weber transgresse
fréquemment ce principe qu’il pose. A titre d’exemple, dans une seule page de la
traduction française de son texte majeur sur la neutralité axiologique, se trouvent
des expressions telles que « très fâcheux », « travail modeste, mais positif »,
« meilleurs représentants de notre éloquence parlementaire », « abus déplorable »
et « simulacre déloyal » (Weber, 1965, p. 414).
Mais l’essentiel n’est pas là. En effet, Weber introduit une nuance essentielle dans
son propos, en distinguant le jugement de valeur (Werturteil) et le rapport aux
valeurs (Wertbeziehung), ce dernier étant à ses yeux parfaitement légitime de la
part d’un chercheur. Il fournit un exemple hypothétique à ce sujet : un anarchiste
peut être un bon connaisseur du droit et, en raison même de ses convictions, peut
découvrir dans la théorie courante du droit des problématiques qui échappent à
d’autres. (Weber, 1965, p. 411).
Ceci apporte une première nuance à la distinction entre faits et valeurs en science :
le chercheur peut avoir une philosophie personnelle qui va orienter ses recherches
dans telle ou telle direction, l’essentiel étant qu’au cours de la recherche elle-
même, il soit très scrupuleux dans sa méthodologie et ses interprétations.
En 1903, le philosophe George Edwad Moore élabore et critique le concept de
sophisme naturaliste (naturalistic fallacy), qui consiste à assimiler les concepts
éthiques à des concepts naturels (Moore, 1998).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Maison des sciences de l'homme - - 193.49.18.51 - 11/01/2013 18h44. © Presses universitaires de Liège
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