Le projet durkheimien

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– Fonder la sociologie –
Le projet durkheimien
Pierre FRANCOIS, 10 septembre 2009
Biographie d’un fondateur
Emile Durkheim (1858-1917)
• L’itinéraire d’un apprenti philosophe ;
• Le début de carrière :
du lycée à la thèse en passant par l’Allemagne ;
• Une carrière délicate : de Bordeaux à Paris,
des sciences de l’éducation à la sociologie ;
• Une intense activité :
Les ouvrages fondateurs : De la division du travail social (1893), Les règles de la méthode
sociologique (1895), Le suicide (1897).
L’aventure de l’Année sociologique ;
Le chef d’œuvre de la maturité : Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912)
Société en crise et néo-positivisme
• Un contexte (géo)politique tendu :
La défaite contre la Prusse, ou la France en décadence ;
Les crises à répétition : le boulangisme, l’affaire Dreyfus, la querelle de la laïcité.
• Les savants, entre science et politique :
Des militants républicains ;
L’héritage du scientisme et du positivisme :
• Il n’est pas de réalité dont on ne puisse faire l’analyse pour en dégager des lois
universelles : c’est aussi le cas de la société ;
• Pour comprendre la société, il ne faut pas partir des individus qui composent le
collectif, mais du collectif lui-même : c’est une réalité sui generis.
• Les sociétés connaissent une trajectoire unique et homogène, elles passent du simple au
complexe.
Pour fonder
une nouvelle science,
se donner des règles
• L’ambition explicite de Durkheim
est de fonder une nouvelle science…
• … Il entreprend cette tâche dans un espace saturé par les
disciplines naissantes (économie, psychologie, criminologie…)
ou ancienne (la philosophie et l’histoire).
• Que faut-il pour faire une science ?
Un objet : les faits sociaux ;
Une méthode et ses règles.
Qu’est-ce qu’un fait social ?
• Les faits sociaux sont extérieurs à l’individu ;
• Les faits sociaux s’imposent aux individus ;
« (Les faits sociaux) consistent en des manières d’agir, de penser
et de sentir, extérieures à l’individu, et qui sont douées
d’un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s’imposent à lui. »
(RMS, p. 5).
• L’exemple des « techniques du corps »
(Mauss, 1934).
La méthode sociologique (1)
L’observation des faits sociaux
• Les faits sociaux, comme les choses, exercent indépendamment de la
visée que l’on peut en avoir : ils ont un caractère d’objectivité ;
• Les faits sociaux sont les données premières sur lesquelles on travaille ;
• Il faut considérer de l’extérieur une réalité à laquelle on appartient – ce
qui réclame un effort :
Abandonner des prénotions ;
Travailler sur des données qui éloignent de notre connaissance spontanée
du social : privilégier les données objectives, comme les statistiques.
La méthode sociologique (2)
Le normal et le pathologique
• Un objectif normatif de la sociologie selon Durkheim : construire une
nouvelle morale.
• Il faut pour cela pouvoir distinguer quand la société fonctionne bien et
quand elle ne fonctionne pas ;
• Comment fonder scientifiquement la distinction du normal et du
pathologique ?
• Est normal (moralement) ce qui est normal (statistiquement) : la
normale, pour Durkheim, correspond à la moyenne. Par conséquent, le
crime est normal.
La méthode sociologique (3)
La recherche des causes
• La sociologie doit mettre au jour des chaînes causales :
Une même cause entraîne toujours les mêmes effets ;
On n’explique pas un phénomène par sa fonction.
• Il faut expliquer le social par le social – pourquoi les boxeurs
américains sont-ils souvent noirs ?
• Comment mettre au jour des relations causales ? La démarche
comparative.
Deux objets,
ou pourquoi la sociologie existe bien
• L’infiniment grand :
l’histoire des sociétés humaines –
De la division du travail social, 1893.
• L’infiniment petit :
l’acte intime par excellence
Le suicide, 1897.
Pourquoi travailler
sur la division du travail ?
• Un pont aux ânes des sciences sociales naissantes, mais un sujet de
dissensus :
Pour les économistes, la division du travail est facteur de progrès ;
Pour les penseurs réactionnaires, elle est un facteur de désordre ;
Pour certains sociologues, l’individualisme n’est pas facteur de désordre – le contrat et le
marché sont là pour y remédier.
• La thèse de Durkheim : articuler la division du travail et la contrainte
que la société exerce sur les individus.
Les principales conséquences de l’accroissement de la division du travail ne sont
pas économiques, mais morales ;
La division du travail accroît l’individualisme, mais ne diminue pas
(nécessairement) l’emprise de la société sur l’individu – elle en change simplement
la nature.
Solidarité mécanique,
solidarité organique
• Partir de la contrainte et se fonder sur des indicateurs objectifs – le
droit :
La sanction répressive ;
La sanction restitutive ;
• Deux formes de solidarité :
La solidarité mécanique :
• Faiblesse de la division du travail ;
• Les individus se ressemblent.
La solidarité organique :
• La division du travail est davantage poussée ;
• Les tâches se spécialisent, les individus ne se ressemblent plus ;
Autrement dit : la division du travail n’est pas le problème, c’est la solution –
c’est parce que la division du travail s’est accrue que la solidarité entre les
individus augmente.
La « loi de gravitation
du monde social »
• La « loi » : la solidarité mécanique a tendance à diminuer et à se voir
remplacée par la solidarité organique. Pourquoi ?
• Une proposition fonctionnaliste : la division du travail s’accroît parce
qu’elle permet ainsi de créer davantage de richesses ;
• Les causes de l’accroissement de la division du travail :
La moindre prégnance de la conscience collective ;
La diminution de l’hérédité ;
L’accroissement démographique : lutte pour la vie et « stimulation générale ».
La division du travail :
pathologie et remède
• L’accroissement de la division du travail n’est donc pas
nécessairement pathogène…
• … mais il peut l’être, lorsque les désirs des individus ne sont
plus suffisamment bornés – les situations d’anomie.
• Pour Durkheim, la société de son temps est une société
anomique.
• Comment y remédier ? Recréer des corps intermédiaires.
De l’infiniment grand
à l’infiniment petit
• Le suicide, acte intime par excellence : si la sociologie peut en rendre
compte, elle peut rendre compte de tous les comportements humains.
• Qu’est-ce qu’un suicide ? Ou peut-on rompre si facilement avec des
prénotions :
« On appelle suicide tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d’un acte positif ou négatif,
accompli par la victime elle-même et qu’elle savait devoir produire ce résultat » (Le suicide, p. 5).
• Les explications concurrentes :
La psychopathologie : on se suicide parce qu’on est fou ;
L’hérédité : on se suicide de père en fils ;
L’imitation : je me suicide, tu te suicides ;
Le suicide, fait social
• Un point de départ contre-intuitif : alors que le suicide est l’acte
intime par excellence, les séries statistiques qui en recensent le
nombre sont d’une très grande régularité chaque année.
D’une année sur l’autre, le taux de suicide est constant ;
Les écarts entre les pays sont eux-mêmes constants ;
Le taux de suicide croît avec l’âge ;
Il est plus élevé chez les hommes que chez les femmes ;
Il est plus important à Paris qu’en province ;
Il est plus élevé en début de semaine qu’en fin de semaine ;
Il croît quand augmente la durée du jour ;
Il varie avec l’appartenance religieuse : les protestants se suicident plus que les
catholiques, qui eux-mêmes se suicident plus que les Juifs.
Pourquoi ?
Quatre formes de suicide
INTÉGRATION
RÉGULATION
Excès
Le suicide altruiste :
Les individus sont si fortement
intégrés au sein du groupe qui les
définit qu’ils ne peuvent résister
quand survient un problème.
Ex. : Les militaires, les vieux
Japonais.
Le suicide fataliste :
Les désirs de l’individu sont à ce
point bornés que son existence lui
devient insupportable.
Ex. : Les esclaves, l’homme marié
trop jeune.
Défaut
Le suicide égoïste :
Quand ils ne sont pas assez
intégrés au groupe, les individus
poursuivent leurs intérêts et sont
frustrés.
Ex. : Les célibataires, les
protestants.
Le suicide anomique :
Quand les désirs de l’individu ne
sont plus suffisamment bornés par
la société.
Ex. : les habitants des villes, les
protestants, les laïcs, les hommes,
etc.
Conclusion sur l’œuvre de Durkheim
La fondation délibérée d’une nouvelle science sociale :
La définition d’une méthode rigoureuse d’analyse des faits
sociaux ;
La mise en œuvre de cette méthode ;
La volonté hégémonique ;
L’entreprise collective : L’année sociologique et les durkheimiens.
Epilogue : les durkheimiens, héritage
et redéploiement (1)
Après la mort de Durkheim, les « durkheimiens »
poursuivent son programme scientifique…
Maurice Halbwachs (1877-1945)
Marcel Mauss (1872-1950)
Epilogue : les durkheimiens, héritage
et redéploiement (2)
Une sensibilité accrue à la question sociale :
Des militants socialistes – l’héritage de Lucien Herr et des
normaliens socialistes.
La question sociale sur l’agenda de recherche :
• Segmenter « la société » : l’introduction des classes sociales chez
Maurice Halbwachs ;
• Penser la solidarité sociale en la détachant de l’aumône : le don chez
Marcel Mauss.
Epilogue : les durkheimiens, héritage
et redéploiement (3)
Pour affermir les chaînes causales, épaissir l’individu :
Le détour par les raisons d’agir : le retour sur Les causes du
suicide par Maurice Halbwachs ;
Compléter l’analyse des catégories de pensée collective par une
analyse des pratiques : Mauss, ethnologue des rites.
Epilogue : les durkheimiens, héritage
et redéploiement (4)
L’essaimage disciplinaire
Durkheim
Mauss
Simiand
Halbwachs
Levi-Strauss
Bourdieu
Ethnographie
Sociologie
Bloch,
Braudel
Ecole des annales
Histoire
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