La psychologie cognitive( pdf

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L2 CSD HEP 2007
3. Naissance de la Psychologie Cognitive
3.1 Le contexte scientifique
Histoire de la Psychologie Scientifique
La psychologie cognitive
Pr. Claude Bonnet
Université Louis Pasteur (Strasbourg 1)
Faculté de Psychologie et des
Sciences de l’Education
[email protected]
1
Du côté de la Psychologie : opposition au béhaviorisme
- Réfutations expérimentales des prédictions du modèle de Hull.
- Skinner (1957, Verbal Behavior) le langage comme exemple de
comportement opérant. Chomski (1959) s’oppose fermement à ce point de
vue.
- Résistance à l’abandon d’activités mentales comme la mémoire,
l’attention, la conscience etc. Les concepts mentalistes ont été invoqués
même par des béhavioristes (cf. les « cartes mentales » de Tolman).
- Durant la seconde guerre mondiale des questions pratiques ne pouvaient
être résolues avec une approche purement béhavioriste : problèmes de
décision, d’attention…
- Les nombreux blessés par balle dont il fallait évaluer les fonctions
déficientes et les fonctions préservées stimulèrent les recherches
neuropsychologiques (ex. Alexandre Luria en URSS).
- Une nouvelle révolution scientifique va profondément remodeler la
2
psychologie après la seconde guerre mondiale.
Développements technologiques et conceptuels dans
d’autres sciences :
La machine universelle de Turing
Alan Turing (1912-1954), mathématicien anglais, pose les
bases des calculs logiques effectuables par une machine
(universelle) dont il définit les principes.
On Computable Numbers With an Application to the
Entscheidungsproblem (1936).
Ses idées seront à l’origine de l’invention de l’ordinateur
dont le fonctionnement servira de modèle au premier
cognitivisme
- La guerre et les efforts de guerre réorientèrent beaucoup de
recherches dans de nombreux domaines.
- Turing et la machine universelle (1936).
- Norbert Wiener (1894-1964) et la Cybernétique
- La notion de rétroaction (feedback) contrevient au principe
béhavioriste S→R.
- Claude Shannon (1916-2001) et la Théorie de l’Information.
- Invention de l’ordinateur (von Neumann, 1948).
Toutes les sciences sont tributaires des développements
technologiques et conceptuels d’autres sciences.
La psychologie scientifique va sortir de son ghetto et s’ouvrir à toutes les
disciplines qui peuvent lui fournir de nouveaux outils conceptuels et
techniques.
John von Neumann
devant le premier
ordinateur
3
- Norbert Wiener (1894-1964) Cybernetics, or control and
communication in the animal and machine, (1948)
sollicité d’améliorer la précision des défenses
antiaériennes Wiener généralise ses travaux dans la
Cybernétique qui souligne les idées de plan, de but, de
rétroaction (autocorrection, autorégulation) s’appliquant
aussi bien aux systèmes physiques qu’au
fonctionnement du système nerveux. (Rosenblueth,
Wiener & Bigelow, 1943, Behavior, Purpose and
Teleology).
3.2 Les débuts du cognitivisme
•
- Claude Shannon (1916-2001) A mathematical theory of communication
(1948)
codage
décodage
l’information est une décision entre deux solutions; elle est
indépendante d’un contenu spécifique. Est information ce qui
réduit l’incertitude.
4
En 1948 au Caltech colloque sur le thème Les
mécanismes cérébraux du comportement.
– John von Neumann (1903-1957),
mathématicien, compare le fonctionnement
du cerveau à celui de l'ordinateur qui
venait d'être inventé.
– Warren McCulloch (1898-1968),
physiologiste, propose la notion de
traitement de l'information dans le cerveau.
– Karl Lashley (1890-1958) psychologue : le
béhaviorisme est incapable d'expliquer les
comportements complexes et en particulier
le langage qui implique une organisation
préalable.
5
6
1
Newell & Simon (1972)
Psychologie et Sciences cognitives
La psychologie cognitive et plus généralement les Sciences Cognitives
sont nées grâce au relatif effacement des barrières disciplinaires.
récepteurs
•
Processeur
Chercher les idées communes à plusieurs disciplines pour apporter
des réponses nouvelles à des questions anciennes.
mémoire
effecteurs
Un système de traitement d’information est fonctionnellement
analogue à un ordinateur
•
L’enfermement disciplinaire est cause de dogmatisme et de stérilité.
•
Le béhaviorisme a étudié le comportement, le cognitivisme se propose
d’étudier ce qui génère le comportement. Il tirera profit de la
méthodologie expérimentale “rodée” par le béhaviorisme.
•
La psychologie cognitive redéfinit son objet. Elle se centre sur l’étude
des activités mentales, principalement sur les représentations.
7
8
Premières recherches se réclamant
explicitement du cognitivisme
Les précurseurs
•
Aux USA, Edward C. Tolman (1889-1959) (Purposive
behavior in animal and men, 1932). Voir supra.
•
En Angleterre, Frederick C. Bartlett (1886-1969)
Remembering (1932), Thinking (1958). Notion de
schéma dans l’organisation de la mémoire (structures
cognitives abstraites).
•
En Suisse, Jean Piaget (1896-1980) (encore peu
connu aux USA) : (Le langage et la pensée (1923), La
naissance de l'intelligence chez l'enfant (1936, trad.
Angl. 1953), La construction du réel chez l'enfant
(1937, Trad. Angl. 1954). Théorie générale de
l’intelligence inspirée à la fois de concepts biologiques
(équilibration, assimilation, accommodation,
maturation) et du recours aux concepts de la logique
formelle (logique des classes). L'intelligence résulte
d'une construction.
•
Jerome Bruner (1915- ) J. Goodnow & G. Austin A Study
in Thinking (1956). Théorie constructiviste du
raisonnement dans la résolution de problèmes. A
travaillé avec Piaget au Centre d’Epistémologie
Génétique. Approche fonctionnaliste.
Allan Newell & Herbert A. Simon développent
un programme de résolution de problème (GPS)
General Problem Solver (1963). Le modèle de
l’ordinateur sera prédominant dans la première
psychologie cognitive.
9
10
3.3 Problématique
du Traitement d’Information
Le premier courant du
Cognitivisme en Psychologie
•
Le premier courant, basé sur l’analogie avec un ordinateur séquentiel,
tente de concevoir les processus mentaux comme des manipulations
de symboles. On parlera de modèles computo-symboliques. Cette
approche conduit à dissocier les aspects fonctionnels (logiciels) de
leur substrat biologique (matériel). On peut y voir l’influence de la
pensée rationaliste (Descartes, Kant) et de forts relents dualistes.
11
•
Origine : cybernétique, théories de l’information et de la
communication, ordinateurs.
•
1956 USA George Miller (1920- ). 1958 Donald Broadbent (1926-1993)
en Angleterre Perception and Communication.
•
1966 en Hollande premier symposium Attention & Performance (A.F.
Sanders): la notion de traitement de l’information est largement
exposée.
•
1967 Ulric Neisser (1928- ) Cognitive Psychology.
•
1969 traduction en anglais de l’article fondateur de Donders (1868).
•
1972 formalisation d’un système de traitement d’information.
•
1972 Peter Lindsay & Donald Norman Human Information Processing:
An Introduction to Psychology.
12
2
George Miller (1920- )
Donald Broadbent (1926-1993)
Modèle de traitement de l’information: Donald Broadbent
(1926-1993) en Angleterre Perception and
Communication (1958). L’attention et la conscience
sont plus ou moins synonymes. La notion de
Traitement d’information (re)commence à apparaître.
The magical number seven, plus or minus two:
Some limits on our capacity for processing
information (1956). Psychological Review, 63,
81-97.
S’appuyant sur la théorie de
l’information pour quantifier celle-ci,
Miller démontre les limites de la
capacité à la traiter dans différents
systèmes sensoriels.
registre
sensoriel
filtre
sélectif
mémoire à
court terme
Information transmise (H) en bits
(binary digits):
H = log2 A
(A = nombre d’éventualités)
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Atkinson & Schiffrin (1968)
Modèle de Mémoires multiples
14
Premier bilan
Répétition
•
Dans un premier temps la psychologie cognitive s’est étroitement
conformée au modèle de l’ordinateur (séquentiel).
•
En conséquence, elle a majoritairement adopté une vision
fonctionnaliste (cognitiviste) : rendre compte des règles du
fonctionnement mental (logiciel) comme une manipulation (calcul) de
symboles, d’où le nom de computo-symbolique.
•
Laissant de côté les aspects biologiques, cette psychologie retombait,
de fait, dans un dualisme cartésien.
•
Cette approche ne permet pas de comprendre les dysfonctionnements
de la cognition.
•
L’homme-machine de La Mettrie était devenu une machine logique, un
ordinateur.
•
Les modèles de l’intelligence artificielle étaient dominants (modèles
de systèmes experts).
Stimuli
Encodage
Mémoires
sensorielles Attention
MCT
MLT
récupération
OUBLI
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Principe d’un Système-Expert
expert
interfaces
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Deux influences majeures vont faire évoluer la psychologie cognitive :
- la prise en compte des connaissances sur le fonctionnement du
cerveau.
Base de
connaissances
- la réapparition des conceptions connexionnistes.
Moteur
d’inférences
utilisateur
interfaces
Base de
données
17
18
3
3.4 Cerveau et Esprit
La conception du cerveau comme organe de la pensée remonte à
l’antiquité. On la trouve déjà exprimée par Hippocrate :
La conception dominante depuis l’antiquité (Aristote) attribuait au cœur
une importance majeure dans la détermination biologique des
comportements. Importance des fluides (les humeurs) (Galien, 129199).
Le rôle du cerveau commence à être compris au cours du XIXme siècle
bien que son rôle ait déjà été entrevu dès l’antiquité égyptienne.
La ‘biologisation’ de la psychiatrie déjà annoncée par les conceptions de
Pierre Cabanis (1757-1808) progresse.
La première Psychologie Cognitive s’est centrée sur l’étude des
phénomènes mentaux au travers du comportement sans prendre en
compte la ‘machinerie’ responsable de ces activités : le cerveau. C’est
le fonctionnalisme cognitiviste. En cela, elle est encore héritière du
béhaviorisme.
« Il faut savoir que la source du plaisir, de la joie, du rire, du
divertissement tout comme celle du chagrin, de la douleur, de l’anxiété et
des larmes, n’est nulle part ailleurs que dans le cerveau. C’est cet organe
qui nous permet de penser, d’écouter, de faire la distinction entre la
laideur et la beauté, le mal et le bien, l’agréable et le désagréable…C’est le
cerveau également qui est le siège de la folie et du délire, des peurs et des
frayeurs qui nous assaillent, souvent la nuit, mais aussi le jour ; c’est là
où se trouvent les causes de l’insomnie et du somnambulisme, des
pensées qui fuient, des devoirs oubliés, et des excentricités. »
La « Collection Hippocratique » (environ 425 avant JC, in Marshall, 2003)
Cette conception n’a été acceptée et n’a commencé à être démontrée qu’à
partir de la fin du XIXéme siècle. Elle seule permet une conception
moniste.
Elle permettra l’apparition et le développement de la neuropsychologie.
19
20
Le cerveau et les localisations
Le débat sur la localisation
des fonctions mentales
Franz-Joseph GALL (1758-1828) propose une doctrine
ultra localisationiste : la phrénologie
•
•
le cerveau est l’organe de l’esprit (mind).
l’esprit est composé de facultés différentes,
distinctes et innées.
•
parce qu’elles sont distinctes, chaque faculté a
un siège séparé (un organe) dans le cerveau.
•
la taille de cet organe est une mesure de son
importance, de sa puissance.
•
la forme du cerveau est déterminée par le
développement de ces différents organes.
•
comme les os du crâne prennent leur forme à
partir de celle du cerveau, l’étude de leur forme
fournit un indice précis des aptitudes et des
tendances de l’individu.
Malgré ses erreurs et ses excès, la phrénologie va
ouvrir la voie à des études scientifiques sur le rôle
fonctionnel du cerveau dans les activités mentales.
21
•
1664 Thomas Willis 'Anatomy of the Brain‘
•
Pierre Flourens (1794-1867) lésions chez le
lapin ou le pigeon → suppression de certains
mouvements. Antilocalisationiste.
•
Paul Broca (1824-1880) décrit une aire du
cerveau spécifique de la production du langage
(1865).
•
Carl Wernicke (1848-1904) décrit une aire
spécifique de la compréhension du langage
(1908).
•
Fritsch and Hitzig (1870) stimulations
électriques cerveau de chien.
•
Wilder Penfield (1891 – 1976) identifie les aires
spécifiques de contrôle des commandes
motrices, de traitements des signaux
sensoriels et des mémoires.
•
Roger Sperry (1913 - ) : cerveau dédoublé.
22
Donald Hebb (1904-1985)
3.5 Un second courant du cognitivisme
•Un second courant de l’approche cognitive, le connexionnisme, est apparu
à la même époque que le premier, mais n’a connu son plein essor que plus
tard.
•
•Il assimile (Warren McCulloch et Walter Pitts) le fonctionnement des
réseaux de neurones à des relations logiques {0, 1}. Le canadien Donald
Hebb en fera une première application dans Organisation of Behavior
(1949). Il reprendra vigueur avec l’apparition du calcul parallèle et les
notions d’auto-organisation.
•
•
•
23
Donald Hebb, canadien, Organisation of Behavior (1949)
propose un modèle du fonctionnement mental dans
lesquels les neurones pouvaient modifier leur
connexions en fonction de leurs expériences passées.
La répétition des stimulations facilite les connexions
dans des assemblées de neurones. Ces assemblées sont
à la base des phénomènes d’attention, de perception et
de mémoire. Le patron des connexions dans ces
assemblées devient le support de la mémoire.
Règle de Hebb : les connexions entre les neurones
activés simultanément se renforcent en proportion de
leur niveau d’activité.
Ses idées sont à la base du développement des modèles
connexionistes
A1
B1
A2
B2
B3
A3
24
4
Réseau de Neurones Formels
Principe de fonctionnement
Dans un réseau de neurones formels,
les éléments sont interconnectés. Les
liaisons entre eux sont dynamiques.
Certaines deviennent activatrices,
d’autres inhibitrices avec l’expérience.
D’autres restent neutres. Le réseau
peut apprendre.
couche
d’entrée
couche
cachée
couche
de sortie
carré
disque
cube
cylindre
25
26
Modèles computo-symboliques vs.
Modèles connexionistes
Dans le cerveau, les
neurones sont
interconnectés et forment
des réseaux plus ou
moins étendus à
l’intérieur de structures
(les aires par ex.), mais
aussi entre des
structures parfois
éloignées.
a=1
θi
θr
Position physique
Position perçue
Problème : comment le martinpêcheur fait-il pour attraper un
poisson. En raison de la
réfraction, la position physique
du poisson ne correspond pas à
sa position vue.
Solution computo-symbolique : le
martin pêcheur ‘connaît’ la loi de
Descartes sur la réfraction :
a sin(θi) = b sin(θr)
b = 1,33
Solution connexionniste : le
martin-pêcheur apprend par essai
et erreur à corriger l’erreur de
réfraction sans la conceptualiser.
27
d’après F. Varela
28
Le connexionnisme
•
•
•
•
•
Sous l’influence de Descartes, la démarche scientifique était
analytique : afin de comprendre le fonctionnement d'un système, le
fractionner en éléments fondamentaux.
Cette démarche analytique suivie par le premier cognitivisme ne peut
pas toujours être appliquée.
Maints phénomènes physiques, chimiques, biologiques, écologiques,
sociologiques, météorologiques ou économiques furent découverts
sans pouvoir les comprendre à partir de l'analyse de leurs
constituants. C’est le cas si les interactions entre ces éléments
constitutifs sont non-linéaires, non-additifs.
On observe alors l'émergence de nouveaux comportements non
prévisibles à partir des constituants.
Beaucoup de ces systèmes manifestent ainsi des propriétés d’autoorganisation. C’est le cas des réseaux de neurones artificiels ou
biologiques.
Functional Brain Mapping During Free Viewing of Natural Scenes
Andreas Bartels* and Semir Zeki
Human Brain Mapping 21:75– 85(2004)
29
30
5
Conclusions 2
Conclusions 1
•
La tendance majeure de la psychologie scientifique évolue vers une
position moniste. On ne peut pas comprendre le fonctionnement mental,
dans quelque domaine que ce soit, sans prendre en compte ses bases
biologiques.
•
La notion de traitements d’information reste en vigueur dans le second
cognitivisme et dans le connexionnisme.
•
Cependant, les modèles prennent en compte le fait qu’il y a non seulement
des étapes sérielles de traitement, mais aussi des traitements parallèles.
•
Les barrières disciplinaires s’atténuent. Aucune science ne peut se
développer en vase clos.
•
Les hypothèses de stricte modularité (et de localisation) sont élargies à
celles de réseaux fonctionnels.
•
L’opposition inné-acquis est dépassée. Les deux aspects interviennent.
•
Le fonctionnement cérébral-et-mental combine les actions de traitements
spécialisés et localisés et la mise en œuvre de réseaux de neurones plus
ou moins étendus. Toute activité mentale a nécessairement un corrélat
neurologique.
•
On peut suggérer que les traitements précoces sont modulaires, tandis que
les traitements plus complexes (cognitifs) font appel à des réseaux de
neurones plus étendus.
•
Les modèles de réseaux de neurones reprennent certaines des propriétés
de l’associationnisme, mais sont dynamiques.
•
Importance croissante des données de la neuropsychologie : étude des
dysfonctionnements cognitifs reliés à leurs soubassements cérébraux.
•
La psychologie cognitive n’utilise plus seulement des méthodes
comportementales. La neuroimagerie fait maintenant partie des méthodes
indispensables à la compréhension du fonctionnement normal comme du
fonctionnement pathologique.
31
• De nouveaux thèmes de recherche émergent en psychologie cognitive : la
conscience, les émotions, la communication non verbale...
• La psychologie cognitive ne prétend pas au statut de théorie unitaire. Elle est
scientifique en cherchant à valider par des faits observables, répétables et
communicables les hypothèses qu’elle avance.
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« change your mind and you
change your brain »
Avant traitement
Après traitement
Modifications des
activations cérébrales
à la présentation
d’une image
d’araignée avant et
après une
psychothérapie
cognitive de cette
phobie.
FIN
33
NeuroImage 2003
34
6
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