La Présidence des Conseillers

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Sciences Po Toulouse
Mémoire de fin d’études
La Présidence des Conseillers
Analyse sociologique de l’entourage de François Hollande
Président de la République
Mémoire préparé sous la direction de Jean-Michel EYMERI-DOUZANS
Présenté par Romain LAGARDE
★
Master 2 Conseil, Expertise de l’action publique
Année universitaire 2013-2014
1
Remerciements
à François Hollande
à Isabelle Sima et son équipe
à l’entourage du Président
à mon entourage
2
Sommaire
Introduction ............................................................................................................................................................................. 4
Partie 1 : Les conseillers du Président ................................................................................................ 10
Chapitre 1 : Une distribution des rôles héritée et adaptée............................................................................. 11
Chapitre 2 : Trajectoires, socialisations et professions des conseillers............................................... 23
Chapitre 3 : Un « métier » au service du Président ........................................................................................... 30
Partie 2 : La « politique » au cœur du palais – Une politisation
multiple...................................................................................................... .................................................................................. 37
Chapitre 4 : De la défiance à la complémentarité entre divers types de compétences…….....38
Chapitre 5 : « On est tous politique » - Polysémies de la notion de politisation…………….......45
Partie 3 : L’exercice au concret de l’influence........................................................................... 53
Chapitre 6 : Des conseillers d’abord influents sur … le Président…………………………………......54
Chapitre 7 : Une influence recadrée envers l’extérieur................................................................................... 61
Conclusion .............................................................................................................................................................................. 69
Sources ............................................................................................................................................................................................ 72
Bibliographie .............................................................................................................................................................................. 73
Annexe n°1 ....................................................................................................................................................................................
Annexe n°2 ....................................................................................................................................................................................
Annexe n°3 ....................................................................................................................................................................................
Annexe n°4 ....................................................................................................................................................................................
Annexe n°5 ....................................................................................................................................................................................
75
76
81
83
91
3
Introduction
La France est depuis un long temps attachée à ses institutions au sommet desquelles
trône le Président de la République qui « veille au respect de la Constitution (et) assure, par
son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de
l'État. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect
des traités. » Ce célèbre article 5 de la Constitution de 1958 énonce la prédominance et
l’assise juridique du Chef de l’État. Pour reprendre les mots du Général de Gaulle dans son
célèbre discours de Bayeux le 16 juin 1946, « c’est donc du Chef de l’État, placé au dessus
des parti, élu par un collège qui englobe le Parlement mais beaucoup plus large et composé
de manière à faire de lui le Président de l’Union Française en même temps que celui de la
République, que doit procéder le pouvoir exécutif. » Depuis ce changement institutionnel
et constitutionnel de 1958, le Président de la République jouit de pouvoirs qu’aucun autre
avant lui n’eût dans l’histoire de la République.
Ces pouvoirs sont liés aux textes constitutionnels d’une part mais ils trouvent
également leur fondement dans la formation de cabinets politiques autour des gouvernants.
Ce phénomène d’entourage est ancien. Déjà les Rois de France disposaient de conseillers
pour les accompagner dans leur choix stratégiques. L’empereur Napoléon a formé en son
temps une équipe de proches collaborateurs pour l’aider sur les questions militaires.
L’avènement de la Cinquième République qui va de concert avec une personnification du
pouvoir, un lien inébranlable entre le Chef de l’État et les citoyens issu du suffrage
universel direct, ont influencé et accéléré ce processus avec l’apparition de cabinets
pléthoriques dans lesquels de nombreux conseillers croissent au centre d’interactions et de
jeux de pouvoir. Ce phénomène influe de manière inévitable sur la légitimité, le statut et
l’activité du dirigeant.
L’élection de François Hollande à la Présidence le 6 mai 2012 a quelque peu
modifié les relations entre les institutions et le rôle du Cabinet. Il était coutume depuis les
débuts de la Cinquième République que l’entourage du Président ait un rôle de conseil
auprès de lui ainsi qu’auprès des ministères et des services du Premier Ministre à
Matignon. En aucun cas, un conseiller du Chef de l’État ne pouvait agir et outrepasser les
prérogatives d’arbitrage et de gestion de Matignon ainsi que de proposition et de mise en
4
œuvre des ministères. Il est le collaborateur de l’ombre du Président, n’a pas de vie
publique à faire prévaloir et ne peut donc se substituer à d’autres fonctions. Ces règles ont
plus ou moins été respectées au cours de l’histoire. En effet, la République donne au
Président un poids politique considérable et une légitimité de pouvoir qui exige du
conseiller d’être au fait de tout mais sans pour autant prendre la main sur l’ensemble des
dossiers du gouvernement. François Hollande, de par sa socialisation au sein des
administrations et du Cabinet de François Mitterrand à l’Elysée connait parfaitement les
pratiques institutionnelles de la Présidence et le fonctionnement de son cabinet est hérité
des règles coutumières que nous avons évoquées. Le respect des missions de chacun, la
collégialité et la circulation de l’information entre les centres de pouvoir, sont devenues
une règle à part entière de l’activité gouvernante et de l’entourage du Président. Cette
conception de rôle du conseiller est d’autant plus manifeste que son prédécesseur a engagé
une rupture avec cette tradition dans l’art de gouverner. L’encre de la presse a coulé durant
tout le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Il fut présenté comme un « omni Président »,
s’occupant de tous les dossiers gouvernementaux en violation de toutes les règles
constitutionnelles et coutumières de la Vème République. Cette présidence centralisée
n’est pas du seul fait de l’homme. A son image, et en accord avec les règles – plutôt les
« non règles » - qu’il avait fixées, l’entourage du Président agit promptement sur les
conseillers du Premier Ministre et des ministères et sur les Ministres eux-mêmes. Alors
que l’entourage du Président ne doit être tentaculaire et autoritaire pour respecter le
gouvernement et l’administration, les proches conseillers de Nicolas Sarkozy n’hésitent
pas à se substituer à certains ministres dans la prise de décision et dans l’annonce et
l’explication publique des réformes. Ils créent une organisation de travail dans laquelle ils
décident, au nom du Président, de l’arbitrage des réformes. La collégialité n’est pas
respectée et le pouvoir est centralisé à l’Elysée. Ces deux manières de gouverner réunissent
des représentations différentes, des pratiques et des croyances opposées, des interactions
antagoniques au sein d’une même Institution en apparence régie par la norme
constitutionnelle. C’est pourquoi il nous est apparu l’intérêt d’une étude sociologique sur
l’entourage singulier du Président et les représentations qu’il se fait de son rôle au regard
de cette institution normée qui traversent le temps et dont les fondations demeurent
intactes.
5
Les chercheurs en sciences sociales ont longtemps privilégié une analyse
institutionnelle du Président de la République1 ou l’étude des élites gouvernantes2 et des
cabinets ministériels 3 . De nombreux juristes ont à l’évidence étudié le Président de la
République au regard du droit constitutionnel. L’entreprise succincte que nous décidons de
développer porte sur l’entourage du Président de la République actuel, François Hollande.
Il ne s’agira point de rendre compte de rivalités internes qui ne seraient salutaires dans une
analyse scientifique sur l’organisation du cabinet du Président de la République. Il
conviendra de mettre à distance ces interactions relatives au champ social que constitue le
cabinet. En effet, la presse nationale fournit déjà de nombreux écrits insipides sur des actes
futiles au sein de manœuvres davantage personnelles que collectivement intéressantes. Il
ne s’agira pas non plus d’intégrer à l’analyse l’ensemble des services de la Présidence.
L’intérêt d’une étude sous le prisme des services de l’Elysée qu’ils soient militaires ou
civils est net. Nonobstant, le cadre de la présente analyse est fixé à l’entourage politique du
Président, par conséquent la quarantaine de conseillers arrivés avec le Président au
lendemain de sa victoire à l’élection présidentielle. Nous ne ferons pas acte des
changements opérés au sein de l’équipe entre le moment des entretiens et la parution de
cette étude qui prend comme objet la première équipe du Président Hollande formée en
mai 2012. L’actualité récente et l’évolution de l’organigramme ne représentent pas un
intérêt majeur. Par ailleurs, cette étude ne prétend pas à l’objectivité et encore moins à la
généralité de ses conclusions, plutôt de ses propositions car comme l’énonce Jacques
Lagroye dans son avant-propos de l’ouvrage sur la politisation 4 « conclut-on jamais en
sciences sociales ? » En effet, nous explorons des voies de recherche et il serait aventureux
de penser présenter un modèle scientifique objectif et unique et des clés d’analyse adaptées
à des structures ou des groupes sociaux divers. L’ambition n’est autre que de rendre
compte d’un épiphénomène social à un moment donné au sein d’un espace social restreint,
susceptible néanmoins d’influer sur d’autres structures sociales.
Ce n’est finalement pas sur le terrain du droit que l’analyse se situe. Certains objets
d’étude nécessitent une prise en compte de la « force contraignante du droit » et de l’effet
normatif sur les acteurs du champ étudié. Cependant, aucun texte juridique ne régit, ne
1
Bernard LACROIX et Jacques LAGROYE dir., Le Président de la République de la République. Usages et
genèses d’une institution, Presse de la FNSO, 1992
2 Pierre BIRNBAUM, Les sommets de l'État. Essai sur l'élite du pouvoir en France, Paris, Seuil, 1977
3 Jean-Michel EYMERI-DOUZANS, La fabrique des énarques, Paris, Economica, coll.
Études politiques »,
2001
4 Jacques Lagroye dir., La politisation, Belin, 2003.
6
définit le rôle et le métier des conseillers du Président de la République. Par conséquent, la
norme juridique n’est pas une entrée convenable pour rendre compte de leur socialisation,
de leur rôle social au sein de l’Institution de la Présidence. Même si la constitution, et donc
le droit constitutionnel, sont essentiels dans l’examen des prérogatives et de l’action du
Président, le processus d’institutionnalisation de la Présidence, au sens où Lacroix et
Lagroye l’entendent dans leur ouvrage consacré à cette fonction5, c’est à dire un processus
de normalisation des comportements, de « codification », de représentation par les acteurs
de leur action, ne trouve pas son fondement dans le droit mais bel et bien dans les relations
sociales entre les acteurs, ainsi que leurs origines sociales et professionnelles. Maurice
Hauriou6 énonce que « les institutions naissent, vivent et meurent juridiquement ». Certes,
elles naissent et meurent par le droit mais nous pensons qu’elles vivent par une
combinaison de plusieurs facteurs dont le droit n’est qu’un élément parmi d’autres. En
outre, le Cabinet du Président, administré par aucune règle de droit, vit des relations
sociales et des ressources des acteurs qui l’habitent. Le normativisme est dangereux et
comme le mentionne Bernard Lacroix « même si l'auteur d'un acte doit parfois compter
avec l'existence de règles de droit, surtout s'il existe des tiers intéressés à se prévaloir d'un
manquement à leur injonction, le respect de la règle pourrait bien n'être qu'une modalité
parmi bien d'autres dans l'ensemble de ses usages éventuels. »7 Dans une des seules études
consacrées à l’entourage du Président de la République au début de la Vème République,
Samy Cohen ajoute que « les services de la Présidence sont des institutions coutumières
qui ne se laissent pas aisément disséquer. Aucun texte ne définit l’étendue de leurs
pouvoirs et ils sont d’ailleurs officiellement censés ne pas en avoir. Ils n’ont pas de sphère
d’autorité préalablement définie ».8
La présente étude sur le Cabinet du Président de la République est avant tout une
analyse sociologique des conseillers du Chef de l’État dans la singularité de leurs
ressources personnelles mais aussi dans leurs relations sociales au sein de la Présidence et
avec le monde extérieur. L’entourage représente avant tout l’expression du gouvernant. Il
est à son image. Le conseiller peut avoir plusieurs rôles, divers visages, il peut être un
5
Bernard LACROIX et Jacques LAGROYE dir., Le Président de la République de la République. Usages et
genèses d’une institution, op. cit.
6 Juriste et sociologue français
7 Bernard LACROIX et Jacques LAGROYE dir., Le Président de la République de la République. Usages et
genèses d’une institution, op. cit., p.14
8 Samy COHEN, Les conseillers du Président, PUF, 1980.
7
proche
tapis
dans
l’ombre,
un
ministre-bis
se
substituant
aux
prérogatives
gouvernementales, un inventeur d’une politique prodigieuse. Qu’ils soient uniques ou
conventionnels, si le Président leur donne sa confiance, ils deviennent influents. C’est
pourquoi, il est intéressant, à l’heure où de multiples théories apparaissent sur le
présidentialisme, l’État stratège, la nouvelle République, la fin du politique, d’étudier le
quotidien de ses conseillers de l’ombre, leurs origines sociales et professionnelles,
l’organisation théorique et réelle de l’équipe dans laquelle ils sont membres, le métier de
conseiller et les représentations qu’ils s’en font en fonction de leurs pratiques et de leurs
croyances. Il est primordial de montrer les interactions et les rapports sociaux dans lesquels
ils évoluent et le rapport différent qu’ils entretiennent avec la notion même de
« politique », l’influence qu’ils exercent sur eux-mêmes, sur le Président et sur leurs
interlocuteurs quotidiens. Il convient enfin de briser la glace de cet iceberg de pouvoir, de
rompre avec les préjugés et de juger ce « fait social comme une chose », pour reprendre les
mots de Durkheim, de le positionner en dehors de nous afin d’en extraire le substrat de
l’évidence.
La rupture nécessaire avec les aspects apparents de La Présidence de la République
exige une rigueur scientifique et une méthodologie inscrite dans l’héritage de la recherche
en sciences sociales. Cette institution majuscule dont les portes ne s’ouvrent qu’aux
proches conseillers du Président ne livre pas facilement ses secrets. En effet, la première
difficulté de cette analyse réside dans l’intense discrétion dont est tenu l’entourage du
Président. C’est essentiellement la raison pour laquelle la recherche sociologique ne s’y est
que peu intéressée. Le faible accès à l’information et aux ressources nécessaires à l’étude
scientifique de cet objet a longtemps découragé les chercheurs qui ont privilégié, faute de
pouvoir y entrer, la critique extérieure de l’institution dont la limite scientifique et positive
demeure. Nous avons eu la chance et l’honneur de pouvoir accéder au cœur de l’entourage
du Président qui nous a livré, par le biais d’entretiens semi-directifs et de l’observation
participante, des informations capitales pour appréhender au mieux les pratiques et les
croyances des conseillers. Nous leur adressons ici nos sincères remerciements pour le
temps consacré malgré un agenda souvent surchargé. Par ailleurs, le choix de l’entretien
semi-directif est assumé. Nous pensons que des questions précises auraient guidé
l’interviewée sur des réponses que nous aurions nous même effleurées et faussé par
conséquent l’objectivité de l’analyse. Outre les seize entretiens réalisés auprès des
conseillers du Président Hollande, un long travail de documentation et de recherche
8
personnelle dans les domaines des sciences politique, de l’histoire, de la philosophie, de la
littérature, du droit constitutionnel, a permis d’agrémenter les connaissances scientifiques
sur le sujet pour saisir au mieux l’étendue de l’objet qui nous concerne.
Pour répondre au mieux aux questions que nous avons évoquées, trois axes de
réflexion sont apparus de la recherche. Les conseillers du Président sont au centre du
premier. Il convient d’étudier les fondements de l’organisation singulière du Cabinet du
Président Hollande en prenant soin d’observer par un travail statistique les origines
sociales de ces agents. Nous approfondirons en outre la notion de « métier » qui regroupe
les rôles des conseillers et les représentations qu’ils se font de leurs pratiques. En raison de
leurs origines diverses et d’une socialisation différente, l’entourage du Président est le
théâtre d’incompréhensions et de conflits que les conseillers doivent surmonter afin de
jouir d’une complémentarité voulue par le chef de l’État. Ces interactions sont en sus le
fruit du processus de « politisation » théorisé par Jacques Lagroye et le terme « politique »
est polysémique dans l’esprit des conseillers. L’ultime voie de recherche dans laquelle
nous avons décidé d’entrer est l’influence. L’équipe présidentielle est un microcosme
social au sein duquel les acteurs influencent le gouvernant d’une part et leurs interlocuteurs
extérieurs d’autre part. Seulement, il conviendra de nuancer cette notion au regard de la
personnalité et des représentations du Président qui, de manière directe ou indirecte, fixe le
cadre et les limites de l’action de ses collaborateurs. Finalement, au cours de cette analyse,
nous tenterons avant tout de rendre compte de cet objet social qu’est le Cabinet du
Président de la manière la plus objective qu’il soit. Il ne conviendra pas de choir dans les
méandres d’une vision simpliste mais de poser les questions pertinentes auxquelles, nous le
savons par avance, nous ne pourrons apporter les réponses complètes attendues. Comme
tout citoyen qui cherche à comprendre le monde qui l’entoure, peut-être ajouterons-nous
une pierre, même infime, à l’édifice passionnant des sciences sociales.
9
Partie 1
Les conseillers du Président
10
Chapitre 1
Une distribution des rôles héritée et adaptée
« L'intelligence, c'est la faculté d'adaptation. »
André Gide
L’organisation du Cabinet du Président de la République n’a pas connu d’importantes
modifications au cours des cinquante dernières années. Ce lègue de l’histoire, avec sa
singularité et sa rigueur, influence encore aujourd’hui la hiérarchie des entourages des
gouvernants. Néanmoins, nous allons voir que l’entourage du Président contourne parfois
la dureté de la tradition pour s’adapter à la personnalité et aux désirs du Chef de l’État.
I-
Une tradition de Cabinet héritée
La formation des entourages des dirigeants politiques remonte à plusieurs siècles en
France mais reste un phénomène peu étudié pour plusieurs raisons. Que cela soit dans la
Constitution ou dans les autres textes juridiques relevant des prérogatives présidentielles,
rien ne fait acte d’une obligation de constituer un entourage tel que nous le connaissons
aujourd’hui sous le terme de
cabinet ». Cet élément coutumier constitue pour autant un
aspect essentiel des pouvoirs présidentiels dans leur sens théorique mais aussi de la
pratique du travail exécutif dans ce qu’il représente de plus concret. Une étude du Cabinet
du Président de la République ne peut s’effectuer sous le prisme du droit mais trouve son
fondement dans la tradition historique et dans un processus sociologique de long terme
dans lequel les dirigeants ont joué un rôle primordial.
Qu’ils soient chefs d’une armée, chef d’un État, Roi, Empereur, les gouvernants ont
toujours constitué une proche équipe censée les entourer, les seconder, les assister dans
leurs tâches quotidiennes. Ces équipes s’organisaient en deux entités : les assistants et les
conseillers. Alors que le rôle des assistants n’a que peu évolué au gré des régimes et des
hommes de pouvoir, celui des conseillers est lié de manière profonde à la personnalité du
11
dirigeant et à sa capacité à s’entourer de personnes de confiance et à les écouter. Un
homme tel que Napoléon qui jouissait d’une haute estime de lui-même et de sa pensée, liée
à un régime d’empire ultra centralisé, investissait son entourage d’un rôle d’exécution de
ses décisions et en aucun cas de conseil politique et stratégique. Ce n’est que sur les
questions militaires que Napoléon s’entourait à proprement parler d’un entourage de
conseil. En effet, les conseillers du Prince ont longtemps été sélectionnés pour leur
expertise militaire, sur des sujets précis et à des périodes sensibles dans ce domaine. Il a
fallu attendre la IIIème République et particulièrement la Vème République pour que les
cabinets jouissent d’une part d’un aspect politique et stratégique et d’autre part d’une
organisation conséquente.
Quand bien même il est très difficile d’établir une histoire des entourages de pouvoir,
de déceler un commencement au phénomène de cabinet, le Conseil d’État sous l’ère
napoléonienne constitue un déclencheur, non pas de création du Cabinet tel que nous le
connaissons à notre époque, mais de modification de son rôle passant d’un organe militaire
à une configuration politique pouvant assurer un contrôle de l’administration pour le
compte du gouvernant. Quand Napoléon Bonaparte créa le Conseil d’État en 1799, celuici avait un rôle politique de contrôle de l’administration avec en outre le traditionnel aspect
juridique et le règlement des contentieux administratifs. (Cf. Annexe n°3) Au fur et à
mesure, le caractère politique du Conseil d’État a disparu ce qui entraîna l’apparition
d’organes liés et intégrés au pouvoir susceptibles d’assister le gouvernant dans les choix
politiques et de contrôler l’administration.
Comme nous l’avons, vu le phénomène de cabinet ne trouve pas sa source dans le droit
bien qu’il figure au cœur de l’action présidentielle. Le grand juriste français Guy
Carcassonne explique que « le cabinet n’est nullement un protagoniste à part entière, ayant
en propre sa légitimité, sa compétence, sa fonction »9. Il est un héritage de l’histoire et sa
composition trouve son fondement dans la personnalité du gouvernant. De nombreuses
études juridiques et sociologiques ont cherché à décrire et expliquer le fonctionnement des
cabinets ministériels. Bien que ces études puissent être rapprochées de celle-ci dans la
méthode et dans certains aspects d’organisation, le Cabinet du président n’a pas vocation à
jouer une interface entre le politique et l’administratif puisque la Présidence ne possède pas
9
G. Carcassonne, « Typologie des cabinets », Pouvoirs, n°36, 1986, p. 85
12
de services administratifs tels qu’ils existent dans les ministères. La fameuse circulaire de
Michel Rocard en 1988 expliquait que « la vocation du cabinet ministériel, tel que la
comprend une tradition administrative française trop souvent méconnue, est d'assurer une
liaison entre le ministre, d'une part, ses services et les autres départements ministériels,
d'autre part. Le cabinet ne doit en aucun cas « faire écran » entre le ministre et les
services ». En s’adressant aux Ministres, il affirme qu’ « il est donc indispensable que vous
établissiez des relations de collaboration suivies avec les directeurs de vos administrations
centrales. Dans cet esprit, j'ai limité le nombre des membres de vos cabinets, poursuivant
les efforts antérieurs dans ce sens. » (Cf. Annexe n°4)
Etant donné qu’il n’existe pas de textes juridiques pour organiser l’entourage des
dirigeants, ces déclarations font office de règle en matière de fonctionnement. En effet, le
droit constitutionnel confère, dans la théorie, aux gouvernants leurs pouvoirs et leurs
prérogatives. Seulement, « on sait, pour ce qui concerne leur entourage (membres du
cabinet, conseillers, experts, officiels ou officieux, en communication, en opinion, etc.),
que celui-ci les domine au moins autant qu'ils le dominent, quelle que soit l'énergie qu'ils
dépensent à accréditer la fiction du caractère solitaire de la décision. » 10 . Et nous
constatons que ces règles sont subjectives et relèvent de la personne qui les stipule. C’est
pourquoi il convient de montrer les régularités de la composition du Cabinet du Président
de la République, notamment sous la Vème République, pour ensuite proposer une analyse
singulière de l’organisation et du fonctionnement de celui du Président Hollande.
 Une forme admise du Cabinet du Président
Force est de constater que le Cabinet du Président de la République, quel qu’il soit, est
un organe de pouvoir. Il est un lieu où « se concentrent toutes les affaires », une « courroie
de transmission » et assure une « impulsion de toute la machine. »11 Cet organe de pouvoir
n’a que peu évolué dans son organisation officielle depuis 1958 et nous pouvons relever
certaines régularités.
Bernard LACROIX dir., Le Président de la République de la République. Usages et genèses d’une
institution, op. cit., p.30
11 Le Comte de Maugny, « Cinquante ans de souvenirs (1859-1909) », Plon, 3e édition, 1914, p.117
10
13
L’entourage du Président est une organisation hiérarchique qui fait cohabiter les
« confidents » qui s’entretiennent avec le Président fréquemment avec des conseillers
thématiques de base bien plus éloignés du cœur du pouvoir.
-
Le Secrétaire Général de la Présidence de la République est celui qui orchestre et
coordonne l’action du Cabinet à l’image du Directeur de Cabinet dans les
ministères. En effet, il ne faut pas confondre les Secrétaires Généraux des
ministères qui sont l’autorité administrative et le Secrétaire Général de la
Présidence qui est la véritable autorité politique du cabinet du Président. Le
Général de Gaulle disait que : « Le Secrétaire Général est au centre de tout et au
courant de tout ». Il est le relais entre le Président de la République et son cabinet
mais il assure également la liaison avec le Secrétaire Général du Gouvernement et
le Cabinet du Premier Ministre. Il prépare les décisions du Président, reçoit de
nombreux acteurs du monde politique et administratif pour le compte du président.
A quelques exceptions d’organisation près, les secrétaires généraux sous la Vème
République visent l’ensemble des documents destinés au Président. Il est le premier
conseiller, le plus proche collaborateur du Président et par conséquent le second de
la Présidence. Son rôle et son pouvoir ont parfois fluctué en fonction du poids
politique que lui conférait le Président. En 1966, Pierre Viansson-Ponté12 lançait la
thèse du « super-exécutif » qui fait du Secrétaire Général de l’Elysée le
chef, plus
important que le Premier Ministre, dans la hiérarchie non écrite de l’État
gaulliste ».13 Il est souvent assisté d’un ou plusieurs adjoints.
-
Le Directeur de Cabinet est l’autorité administrative et juridique de la Présidence
de la République. Il dirige les services civils et militaires de la Présidence et établit
et gère le budget de la Présidence. Il est souvent assisté d’un adjoint.
-
Le Conseiller spécial n’a pas de rôle prédéfini par l’histoire. Nonobstant, il est
souvent un des plus proches conseillers et assure la rédaction des discours du
Président ou une liaison avec les médias
12
Journaliste français ; cofondateur et rédacteur en chef de L'Express, puis responsable politique et
éditorialiste du Monde.
13 Samy COHEN, Les conseillers du Président, op. cit., p.61
14
-
Le Conseiller diplomatique, Sherpa du Président, anime et dirige la cellule
diplomatique.
-
Le Chef de Cabinet gère l’emploi du temps du Président et organise l’ensemble des
déplacements nationaux, à l’étranger en collaboration avec la cellule diplomatique
et le protocole, et les réunions et évènements qui ont lieu au Palais de l’Elysée. Il
est souvent assister d’un adjoint.
-
Un Chef d’État-major qui anime et dirige l’État-major du Président et assure la
gestion des aspects militaires et diplomatiques en lien avec la cellule diplomatique.
-
Les conseillers techniques sont spécialisés dans un domaine précis, souvent lié à un
ministère, et assurent le suivi de leurs compétences, en collaboration avec
Matignon et le ou les ministères concernés. En outre, ils assurent la rédaction des
notes pour le Président. Certaines sont purement informatives mais la plupart sont
des propositions de réformes, de déclarations, de déplacements. La note d’un
conseiller est d’abord visée et/ou annotée par le Chef de pôle, puis par le Secrétaire
Général, puis par le Président et la note redescend au conseiller. Les conseillers
techniques assistent également le Président dans la rédaction des discours, des
déclarations et des éléments de langage. L’interlocuteur privilégié des conseillers
est le Secrétaire Général et la plupart ne voit que très peu le Président.
-
Les Chargés de mission sont investis de missions très précises, souvent en
assistance d’un conseiller technique
-
Le rôle du service de presse dirigé par le Conseiller communication du Président a
bien plus évolué que les précédents en raison de l’importance de plus en plus
grande de la communication politique.
Cet agencement officiel n’a que peu évolué au cours de la Cinquième République.
Cependant, l’organisation interne du Cabinet est entièrement liée à la personne du
Président et sa vision de son équipe de collaborateurs en qui il doit avoir une entière et
pure confiance. « Au Moyen Âge déjà le Prince disposait d’un
organe de réflexion,
15
d’enquête, de discussion » qui jouait « le rôle d’un cabinet » dont le pouvoir résultait de la
« confiance du prince et de sa familiarité ». 14
II-
Un Cabinet adapté à la singularité du Président
Dans son livre sur les Conseillers du Président, Samy Cohen explique que Georges
Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing ont maintenu « l’institution » des « hommes de
l’Elysée » mais en prenant soin d’écarter la quasi totalité des conseillers de leur
prédécesseur pour installer des hommes complétement dévoués à leur personne ». Ce fut le
cas de François Hollande lorsqu’il est arrivé à l’Elysée le 15 mai 2012.
Il ressort tant de l’observation participante directe que nous avons pu faire, durant les
mois de campagne présidentielle puis durant les semaines cruciales d’installation à
l’Elysée en mai 2012, que de la campagne d’interviews avec les conseillers réalisée depuis
lors, que les deux acteurs décisifs du recrutement de l’équipe sont le Président lui-même et
celui qu’il s’est choisi comme Secrétaire Général à son arrivée à la Présidence, le Préfet
Pierre-René Lemas. Comme cela est observé maintes fois au niveau des ministres et de
leurs directeurs de cabinet, le dirigeant politique ne constitue pas lui-même l’entièreté de
son équipe, mais s’en remet pour bonne part au chef de celle-ci. Tous les conseillers n’ont
donc à l’évidence pas le même degré de proximité avec le Président.
A cela s’ajoute, sans que les deux phénomènes se recouvrent et s’équivalent
pleinement, que la composition de l’équipe élyséenne de François Hollande est la
résultante d’une combinatoire entre deux logiques de recrutement. Une première logique a
consisté à puiser dans le groupe de celles et ceux qui ont travaillé directement auprès du
candidat durant une campagne dont il ne partait pas favori et qui ont concouru à son
élection : il est tout naturel qu’une partie d’entre eux voient leur dévouement et leurs
compétences à la fois récompensés et encore mis à profit par le Président, qui a envers eux
une relation de confiance forgée dans l’épreuve. La seconde logique de recrutement,
fondée plus exclusivement sur le critère de la compétence thématique des intéressés, sans
que cela exclut bien sûr la relation de confiance, a conduit le Président, et le Préfet Lemas
14
Samy COHEN, Ibid, p.10
16
pour le compte du Président, à s’entourer des
meilleurs experts » de chaque domaine
précis.
Pour plus de commodité, et aussi parce que cette présentation officielle correspond en
fin de compte assez bien à la structuration effective de « l’équipe présidentielle » telle que
l’on a pu l’observer de l’intérieur, il fait sens de présenter successivement chaque grand
« pôle » et les logiques de recrutement qui le caractérisent. (Cf. Annexe n°5)
 Le Cabinet
Comme on a pu le voir, la grande particularité de la Présidence de la République au
regard d’un cabinet ministériel est qu’à l’Elysée le sommet de la structure est occupé par
un secrétaire général, flanqué parfois d’adjoints, qui
chapeaute » le directeur de cabinet,
le chef de cabinet, leurs adjoints et le ou les conseillers politiques ou spéciaux « auprès
du » Président. Pour occuper ce rôle nodal dans son dispositif de pouvoir, le Président a
choisi le Préfet Pierre-René Lemas. Anciens condisciples à l’ENA dans la fameuse
promotion « Voltaire », le Président et son secrétaire général sont donc de vieilles
connaissances, sans être pour autant des intimes. Facteur non-négligeable, le Préfet Lemas
dirigeait le cabinet du Président socialiste du Sénat, Jean-Pierre Bel, et se trouvait donc
déjà au cœur des rouages du pouvoir central depuis deux ans. La promotion « Voltaire »
est encore à l’honneur avec l’arrivée dans l’équipe, le jour de la cérémonie d’investiture,
de Sylvie Hubac, membre du Conseil d’État qui n’avait pas participé à la campagne
électorale, et à qui échoient les éminentes responsabilités de Directrice du Cabinet et de
cheffe du « pôle régalien ». Le Président Hollande a donc choisi comme ses deux
interlocuteurs directs les plus constants des condisciples, qui partagent avec lui les mêmes
codes.
Pierre-René Lemas est secondé par deux secrétaires généraux adjoints, eux aussi
énarques, mais plus jeunes et aux profils des plus flamboyants. Tel est Emmanuel Macron,
chef du pôle économique, qui a été choisi pour sa maestria en économie et en finance, et
dont la multipositionnalité, au sens de Luc Boltanski15, est remarquable (cf. encadré ciaprès). Le second secrétaire général adjoint, Nicolas Revel, est tout aussi brillant et bien
Luc Boltanski, « L'espace positionnel : multiplicité des positions institutionnelle et habitus de
classe », Revue française de sociologie, 1973, 14 (1), pp. 3-26.
15
17
introduit. Fils de l'académicien et essayiste Jean-François Revel et de la journaliste Claude
Sarraute, petit-fils de l’égérie du Nouveau Roman Nathalie Sarraute, Nicolas Revel a fait
l’ENA, d’où il est sorti à la Cour des Comptes, comme le Président. Il a passé dix années
comme directeur de cabinet de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris, ce qui en fait un
professionnel de l’entourage à très haut niveau. A 45 ans, il entre à l’Elysée comme chef
de pôle des politiques sectorielles.
A l’extrémité gauche du corps central de bâtiment se trouve le bureau du Conseiller
politique auprès du Président, Aquilino Morelle. Ancienne « plume » de Lionel Jospin
Premier ministre, ce haut fonctionnaire improbable et surdiplômé, licencié de philosophie,
médecin, puis énarque, a plus récemment dirigé la campagne d’Arnaud Montebourg pour
la primaire socialiste, puis a été chargé des discours du candidat Hollande à partir de
janvier 2013, et s’est montré fort présent pendant la campagne. Sa nomination au Palais
trouve ses fondements dans le contexte de l’élection présidentielle : il représente un autre
aspect de la machinerie de pouvoir de François Hollande.
Il n’en demeure pas moins très remarquable qu’à ce niveau suprême de la hiérarchie du
Palais, au contact direct du Chef de l’État, l’hégémonie des énarques – même s’ils ont
d’autres cordes à leur arc que d’être tous passés par cette école de pouvoir – est totale.
Pour ce qui est de sa chefferie de cabinet, en revanche, François Hollande a fort
logiquement choisi de continuer à faire confiance à sa proche collaboratrice Isabelle Sima.
Celle qui a organisé l’ensemble des déplacements et des meetings du candidat lors des
primaires et pendant la campagne présidentielle, connaît parfaitement les habitudes d’un
Président qu’elle comprend à demi-mot, et sait « faire tourner » une équipe. A la différence
des autres dirigeants du Cabinet, Isabelle Sima n’est pas haut fonctionnaire : ses
compétences et sa légitimité ont été acquises sur le terrain. Il est peu de dire que sa vision
des dossiers et des enjeux n’est pas celle qu’en ont les énarques. Elle représente un centre
de nodalité essentiel au cœur des mondes politiques et administratifs.
18
 Les Conseillers
Le Conseiller à l’égalité et à la diversité, Faouzi Lamdaoui, est au service de François
Hollande depuis un certain temps. Chef de son cabinet pendant la campagne présidentielle,
il était auparavant secrétaire national à l’égalité du Parti Socialiste sous l’ère Hollande. Ni
énarque, ni polytechnicien, Faouzi Lamdaoui incarne la diversité dans l’équipe élyséenne
et y apporte une vision « de terrain ».
La Conseillère « Institutions, société, libertés publiques », Constance Rivière, est une
brillante normalienne, qui a enchaîné avec Sciences Po Paris et l’ENA pour sortir au
Conseil d’État. Arrivée pendant les primaires socialistes, elle chapote tout le pôle des
experts qui se rallient en nombre grandissant au long de la campagne présidentielle. Elle
organise la préparation des dossiers thématiques et des éléments de langage pour les
déplacements et les interviews. Peu médiatique et révélée pendant la campagne par son
énergie et son expertise rigoureuse, elle entre à la Présidence à 32 ans à peine.
L’équipe corrézienne (moins importante que sous Jacques Chirac) se retrouve à
l’Elysée en la personne de Bernard Combes, ancien attaché parlementaire de François
Hollande au Palais-Bourbon, devenu Maire de sa bonne ville de Tulle, à qui le Président
confie le poste sensible de Conseiller chargé des relations avec les élus. Cette nomination
correspond à l’évidence à une
logique de terrain ».
Quelques conseillers encore, tels Christian Gravel à la communication ou MarieHélène Aubert aux Négociations internationales, climat et environnement, sont aussi issus
du vivier de la campagne et avaient donc une proximité directe avec François Hollande.
19
Emmanuel Macron : Un archétype de multipositionnalité
Emmanuel Macron, à 35 ans à peine, cumule diplômes, titres d’excellence et expériences
enrichissantes. Pianiste dans son adolescence (3ème prix de piano de conservatoire
d’Amiens), ayant pris le temps de suivre des études de philosophie jusqu’en DEA et de
devenir « assistant » du célèbre philosophe Paul Ricoeur de 1999 à 2001, ce n’est
qu’ensuite qu’il entre à Sciences Po Paris, puis enchaîner par l’ENA dont il sort « dans la
botte », à l’Inspection générale des finances. Après quelques emplois de début, il quitte
Bercy pour devenir banquier d’affaires (2008 à 2011) puis Associé-gérant à la Banque
Rothschild et Compagnie. En parallèle, il continue de cultiver son goût pour les arts
comme administrateur du Théâtre de la ville de Paris.
Cette succession de poste permet de « prendre la mesure de la surface sociale » dont
dispose l’intéressé, pour « évaluer l'étendue et la nature de son capital social » 16 .
Emmanuel Macron connaît les codes des différentes élites sociales et professionnelles, et
peut en jouer en passant d’un registre à l’autre sans difficulté. Son passage par Sciences
Po, l’ENA et un grand corps l’ont placé dans les allées du pouvoir politico-administratif et
l’ont bien préparé à son exercice. Sa formation en philosophie et en musique, son
investissement dans le théâtre parisien lui donnent aussi accès au monde des arts et de la
culture, comme à l’intelligentsia. Son passage chez Rothschild assure à ce haut
fonctionnaire de gauche la connaissance des grands acteurs du secteur privé et des
ressorts financiers du capitalisme français. Il n’est pas jusqu’à son milieu familial (son
père est professeur agrégé de médecine) qui ne lui donne une certaine connaissance du
milieu universitaire, et des enjeux de la santé et de l’hôpital public.
Le Président de la République peut ainsi faire confiance à ce « garçon plein d’élégance »
(selon Jean-Pierre Jouyet)… et de ressources diverses et variées.
16
Ibid.
20
En revanche, la majeure part des autres conseillers, qui n’ont pas participé en personne à
la campagne présidentielle, au Quartier Général, relève d’une logique de sélection fondée
sur leur profil de compétences (sans exclure une dimension de connivence politique, bien
entendu). Ces hauts fonctionnaires ont chacune et chacun des parcours qui en font des
experts reconnus du portefeuille qui leur est confié. Prenons, par exemple, le cas de David
Kessler. Ce normalien, agrégé de philosophie, énarque, conseiller d’État, a été directeur de
cabinet du directeur général de France 2, directeur général du Conseil supérieur de
l'audiovisuel (CSA), conseiller culture et communication de Lionel Jospin Premier
ministre, directeur général du Centre national de la cinématographie (CNC), directeur de
France Culture, Directeur général délégué de Radio France chargé de la stratégie et des
contenus, conseiller chargé de la culture, de l'éducation, de l'enseignement supérieur et de
la recherche auprès de Bertrand Delanoë, Maire de Paris, Directeur des Inrockuptibles. Il
devient, fort logiquement, le Conseiller culture du Président. Son cas est tout à fait typique
du profil d’expertise très affirmé de la plupart des conseillers de François Hollande,
qu’atteste tel autre exemple.
Dans un autre style mais représentant tout autant le profil expertisé des conseillers
du Président Hollande, le conseiller sport, jeunesse et vie associative, Thierry Rey a un
profil d’une originalité rare. Il entre en Sport Étude en terminal à l’INSEP, et à 18 ans
devient champion de France senior de judo. Il s’ensuit une carrière de sportif de haut
niveau pendant 7 ans lors desquelles il est champion du monde en 1979 et champion
olympique lors des JO de Moscou en 1980. Il est par la suite chroniqueur, principalement
sportif, à Canal + pendant 15 ans. En 2008, il devient Directeur du Sport de haut niveau au
sein du Groupe Lagardère. Ce profil atypique lui donne une expertise de terrain des
prérogatives sportives et associatives. Cette spécialisation des conseillers n’est pas propre
au Président Hollande. En effet, au début de la Vème République, « dans le cas des
conseillers techniques, la profession d’origine a davantage compté. On s’est davantage
soucié de faire correspondre la fonction exercée au type de connaissances acquises. On
demande souvent aux candidats d’avoir des compétences techniques dans le principal
domaine qu’ils suivent. »17
17
Samy COHEN, Les conseillers du Président, op. cit., p.55
21
En ce qui concerne la cellule diplomatique le souhait a là-aussi été de faire une
équipe à l’image du Président et du paysage diplomatique français. Comme le note un
conseiller diplomatique : « L’équipe s’est faite en accord avec lui. Il souhaitait une équipe
plus resserrée à l’Elysée mais à l’image de la diversité des diplomates français. »18 Un
autre a ajouté : « Le souhait était de représenter les différents services du Quai. C’est une
équipe hybride entre diplomates et politiques marqués à gauche. Nous avons été amenés à
réfléchir à une autre organisation, une autre vision de l’activité diplomatique. »19
En créant ces quatre pôles (économique, politiques sociales, régalien et
diplomatique), François Hollande a souhaité également qu’il y ait de la cohésion au sein
des pôles mais aussi une transversalité entre les pôles pour que l’information circule et
pour « que les gens parlent. Ceux qui sont dans leur domaine de compétence présentent les
choses mais il faut que les autres conseillers aient leur mot à dire. »20 Cela prend forme
lors de la réunion de cabinet tous les vendredis matins à laquelle tous les conseillers sont
conviés et à des réunions régulières entre les groupes.
Le Cabinet du Président est un lieu de pouvoir où se côtoient des conseillers
brillants et spécialistes dans leur domaine. Nous avons vu que l’organisation de cet
entourage était d’une part singulière par rapport aux autres administrations et
régulièrement modifiée au gré des alternances. Après avoir convenu de l’agencement de
l’entourage du Président, nous devons désormais nous pencher sur les origines sociales et
professionnelles de ses membres pour rendre compte de l’organisation de l’espace social
qu’est la Présidence de la République.
H. (50-60 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
H. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
20 H. (50-60 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
18
19
22
Chapitre 2
Trajectoires, socialisations et professions des conseillers
« Le sociologue rompt le cercle enchanté en essayant de faire savoir ce que l'univers du
savoir ne veut pas savoir, notamment sur lui-même. »
Pierre Bourdieu
Pour rendre compte du fait social, et en particulier d’un groupe social, il est primordial
de s’intéresser aux origines des agents du champ observé. Grâce à une série d’entretiens
avec les conseillers du Président ainsi qu’un travail de recherche dans les manuels adaptés,
nous avons pu établir une ébauche de sociographie pour appréhender au mieux la
socialisation des membres de l’entourage du Président.
I-
Eléments sociographiques
Il est toujours délicat d’obtenir des informations sur les origines sociales d’une
population d’enquêtés. Nonobstant, la bonne volonté de certains interviewés et les
informations mentionnées par les autres dans leurs notices au Who’s Who in France ont
permis de renseigner l’item
profession du père » pour un peu plus de la moitié des cas
(23 sur 40), tandis que les informations concernant les mères, trop parcellaires, sont
inexploitables. Pour autant que la profession auto-déclarée du père (toujours mentionnée à
son niveau terminal le plus élevé et pas forcément au niveau qui était le sien quand
l’enquêté était enfant) soit une approximation acceptable et assez robuste des origines
sociales, il appert du tableau n° 1 ci-dessous que les conseillers de François Hollande, à
l’instar du Président lui-même, fils de médecin, sont issus de milieux sociaux urbains et
favorisés : ils ont surtout des pères « cadres et professions intellectuelles supérieures » au
sens de la nomenclature INSEE (14 cas sur 23), tandis que l’on ne compte que six enfants
de pères exerçant des professions intermédiaires et trois fils d’employés et d’ouvriers (dont
le cas souvent publicisé du conseiller politique Aquilino Morelle, issu d’une famille
d’immigrés espagnols).
Ces données, qui ne portent que sur la moitié toutefois des
23
conseillers de l’Elysée, sont toutefois congruentes avec les enquêtes quantitatives déjà
menées sur les entourages des exécutifs socialistes qui concluent que l’enracinement
populaire fait défaut à la gauche de gouvernement française. Elles illustrent également les
thèses de Pierre Bourdieu sur la reproduction des élites.
Tableau n° 1 : Profession du père
Agriculteurs exploitants
0
0
Artisans, commerçants et chefs d’entreprise
0
0
Cadres et professions intellectuelles supérieures
14
60,90%
Juge/Avocat/Magistrat
2
8,70%
Universitaire/Chercheur
5
21,70%
Professeur/Médecin
2
8,70%
Professions intellectuelles/Journaliste
1
4,30%
Cadres privés
5
21,70%
Professions Intermédiaires
6
26,10%
Employés
1
4,30%
Ouvriers
2
8,70%
Retraités
0
0
Autres personnes sans activité professionnelle
0
0
Total
N=23 100,0%
Le tableau n° 2, qui établit qu’aucun des conseillers de l’Elysée n’avait moins de 30
ans à son entrée dans l’équipe, qu’un tiers des conseillers sont des quadragénaires, et que 4
conseillers sur 10 ont plus de 50 ans indique, au rebours de la tendance à un « jeunisme »
parfois extrême observée dans maints cabinets ministériels, de gauche comme de droite,
que le Président et son Secrétaire Général ont préféré s’entourer d’une équipe de personnes
expérimentées. Nous constatons que l’âge des conseillers est plus avancé à notre époque
que sous les trois premiers Présidents de la Vème République. En effet, Samy Cohen
explique que « sous les trois Présidents, a dominé cette idée que pour appartenir à
24
l’entourage du Président, il convient d’être dans les tranches d’âges, avoir entre 30 et 40
ans pour les conseillers techniques, entre 45 et 50 ans pour le secrétaire général. »21
Tableau n° 2 : Age d’entrée au cabinet
II-
25-29 ans
0
30-34 ans
3
7,9 %
35-39 ans
6
15,8 %
40-44 ans
5
13,2 %
45-49 ans
9
23,7 %
50-54 ans
5
13,2 %
55-59 ans
8
21,1 %
60-64 ans
1
2,6 %
65-70 ans
1
2,6 %
Total
N = 38
100,0 %
« Je connais le fonctionnement de l’État » 22
A personnes bien nées brillantes études. Le tableau n° 3 ci-après confirme que
l’étudiant d’Université lambda titulaire d’une simple licence a bien peu de chances
d’accéder
au Palais », et que la bipartition fondamentale de l’enseignement supérieur
français entre universités pour tous et grandes (ou moins grandes) écoles sélectives fait là
encore sentir ses puissants effets.
Tableau n° 3 : profils d’études
21
22
Licence
1
2,5 %
Master, DEA ou DESS
7
17,5 %
Doctorat
1
2,5 %
Diplôme de grande école
30
75 %
Autres
1
2,5 %
Total
N = 40
100,0 %
Samy COHEN, Les conseillers du Président, op. cit., pp. 49-50
F. (50-60 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
25
L’on relève qu’un quart seulement des conseillers de François Hollande sont des
produits de l’Université, alors que les trois quarts sont passés par la filière des grandes
écoles, parfois même plusieurs, à l’instar du Président lui-même (HEC-IEP de Paris-ENA).
Ce n’est pas là une surprise, non plus que la prévalence du profil classique IEP de Paris +
ENA pour un quart d’entre eux, et la présence au total de près d’une moitié d’énarques.
Les interviewés ont montré les conséquences de ce passage par l’ENA « très utile pour
connaître l’appareil d’état et administratif. » 23 Un autre conseiller explique que « cela
donne des bases académiques. Ça donne une connaissance du fonctionnement de l’État,
les chainons de l’État. Connaître la machinerie administrative est inévitablement utile.
Aussi, sur une promotion de l’ENA, on a toujours des copains dans une administration ou
dans un cabinet. Ça permet de passer un coup de fil très rapidement. » 24 Un ancien
Secrétaire Général de Georges Pompidou disait : « Pour dialoguer avec un inspecteur des
Finances à Matignon ou ailleurs, il faut placer à l’Elysée un autre inspecteur des
finances. »
Il faut toutefois relever que cette proportion très importante n’est pas constitutive
d’une hégémonie, et que l’entourage élyséen de François Hollande est ainsi plus
ouvert »
et divers que ne l’est, par exemple, le cénacle des directeurs de cabinet de ministres, dont il
n’a pas été rare dans les vingt années passées qu’ils fussent en totalité énarques. C’est ce
que révèle la considération attentive du tableau n° 4 :
Tableau n° 4 : Profils d’études. Analyse détaillée
23
24
IEP région seul
3
7,50%
IEP Paris Seul
3
7,50%
IEP Paris + ENA
9
22,50%
IEP Paris + ENA + Autre grande école
3
7,50%
- Polytechnique
0
- HEC
0
- ESSEC
0
F. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
Idem
26
- Normale
1
2,50%
- Doctorat
2
5%
ENA seul
6
15%
Grande école hors ENA
6
15%
Faculté de droit
2
5%
Autre
8
20%
Total
N=40 100,0%
Ainsi, aux côtés des énarques, l’on relève la présence de trois personnes qui ne sont
diplômées que d’un IEP de région, plus deux autres issues des seules Facultés de Droit.
Surtout, six conseillers ont été formés dans une autre grande école que l’ENA 25, et huit
autres ont des profils plus atypiques encore 26 . Au total, les profils de formation des
conseillers élyséens actuels sont plutôt diversifiés.
Pour ce qui est maintenant des fonctions de ceux-ci avant leur entrée « au Palais », le
tableau n° 5 est sans appel : hormis une exception, les conseillers étaient tous des cadres
et professions intellectuelles supérieures.
Tableau n° 5 : Profession avant l’entrée à l’Elysée
Agriculteurs exploitants
0
0
Artisans, commerçants et chefs d’entreprise
0
0
Cadres et professions intellectuelles supérieures
39
97,5%
8
20%
Grands corps d’ingénieurs (Ponts, Mines, IGREF, etc.)
2
5%
Corps préfectoral
2
5%
Corps diplomatique
7
17,5%
Professionnels de l’entourage politique
4
10%
Élus
2
5%
Grands corps d'État (Conseil d'État, Cour des comptes,
inspection des finances)
Ecole Polytechnique ; Ecole Normale Supérieure ; HEC ;
Ecole d’ingénieur ; Faculté de Médecine ; DEA de sociologie et de sciences politique ; DEA de
relations internationales ; IUFM ; Sportif ; CAPES
25
26
27
2
5%
7
17,5%
Cadres supérieurs du privé (Banques, assurances)
3
7,5%
Universitaires
1
2,5%
Professions Intermédiaires
1
2,5%
Employés
0
0
Ouvriers
0
0
Retraités
0
0
Autres personnes sans activité professionnelle
0
0
Total
N=40 100,0%
Médecins
Administrateurs civils et autres corps d’administration
générale
L’observation des grandes masses révèle immédiatement la surreprésentation une
fois encore attestée des hauts fonctionnaires issus des grands corps de l’État et des corps
ENA, avec toutefois assez peu d’ingénieurs d’État issus de Polytechnique. C’est ce que
Pierre Bourdieu développe en 1989 27 en montrant la représentation excessive de hauts
fonctionnaires issus des mêmes écoles et donc de la même socialisation. Ce n’est pas
nouveau. Déjà au début de la Cinquième République, « les fonctionnaires représentent
90% de l’entourage du Général de Gaulle, 89% de celui de l’actuel Président (Giscard
d’Estaing au moment du livre), mais 73% de celui de Pompidou. La part des hommes issus
de la haute administration est respectivement de 83%, 80% et 66%. »28 Samy Cohen ajoute
qu’ il faut surtout retenir que s’est constituée à chaque fois une sorte d’ « oligarchie »
comprenant les membres des trois grands corps. »29
On observe un second bloc, moins important mais significatif, composé de gens qui
sont, à un titre ou à un autre (élus eux-mêmes ou collaborateurs d’élus) des
« professionnels de la politique ». En revanche, les intellectuels (un universitaire
seulement) d’une part, et d’autre part les cadres de l’entreprise privée (trois à peine)
n’occupent qu’une place marginale dans l’entourage du Chef de l’État.
27
Pierre BOURDIEU, La noblesse d'État : grandes écoles et esprit de corps, Paris, Les Éditions de Minuit,
coll. Le sens commun », 1989
28 Samy COHEN, Les conseillers du Président, op. cit., p.43
29 Ibid
28
Avant de développer et de réfléchir à la socialisation des conseillers et aux grands
schèmes sociaux qui concourent à la formation de l’entourage du Président, nous pouvons
noté, parmi ces profils exposés, certaines lignes directrices qu’il convient de ne pas laisser
croitre vers une généralisation aventureuse non conforme à la rigueur que nécessite la
présente analyse. Les conseillers du Président Hollande sont pour la plupart des hauts
fonctionnaires. Au sein de ce vivier, certains sont des généralistes, d’autres sont
spécialistes d’un domaine. Il est important de noter que les conseillers influents car placés
au sommet de la hiérarchie sont davantage des généralistes et que les conseillers
thématiques sont des spécialistes de leurs sujets. Dans son étude précédemment citée,
Samy Cohen évoque le phénomène « des meilleurs » quand il s’agit de définir les
conseillers du Président dans leur domaine. Or, il est illusoire de constater que chaque
conseiller a le monopole de la compétence dans son domaine. Au sein des autres cabinets,
à Matignon et dans les ministères, mais également dans les services du ministère concerné,
d’autres hauts fonctionnaires sont tout aussi spécialistes du sujet et proviennent pour la
plupart des mêmes centres de formation. C’est pourquoi, il est nécessaire d’ajouter à ce
critère de la compétence, deux aspects qui sont la fidélité et le parrainage. Au sein du
même vivier de hauts fonctionnaires compétents sur un sujet précis, le Président va devoir
et pouvoir choisir grâce à ces deux critères. Certains vont être appelés pour leur fidélité et
la confiance que la Président leur confère. D’autres vont être parrainés par les proches du
Président. Comme nous l’avons vu dans le Chapitre 1, ce phénomène a participé à la
formation de l’entourage du Président Hollande et influe sur la représentation même du
métier de conseiller.
29
Chapitre 3
Un « métier » au service du Président
« Une valeur ajoutée dans le fonctionnement des institutions.
Un regard un peu différent pour enrichir le regard des autres »
Un conseiller
Les conseillers du Président de la République sont issus, nous l’avons vu, de
groupes sociaux et professionnels disparates même si une majorité d’entre eux étaient des
hauts fonctionnaires avant d’entrer au Cabinet. Ces parcours et ces origines diverses vont
se réunir pour former, le temps du quinquennat, un « métier » singulier de conseiller du
Président. Les singularités de chacun ne s’effacent pas mais le « rôle » de conseiller du
Président va être intériorisé et la représentation que se fait le conseiller de ce rôle a des
conséquences lorsqu’il entre en interaction avec l’équipe.
L’institution de la Présidence impose des codes et des attitudes que certains membres
du groupe ont déjà intégrées auparavant. Ces habitus, au sens de Pierre Bourdieu30, leur
permettent d’entrer rapidement dans la peau du conseiller sans qu’il ne réalise cette
intégration. Pour d’autres, cette socialisation est plus lente mais tout aussi réelle. Cette
étude sur le « métier » tel qu’il est entendu ici nécessite une observation des conseillers
dans les situations d’interactions et une série d’entretiens sur leur travail quotidien et la
représentation qu’ils en ont. Pour reprendre les mots de Jacques Lagroye,
la
compréhension de l’usage des rôles décelables dans l’exercice du métier politique est donc
inséparable d’une interrogation sur les conceptions qu’ont les élus de leur position, de leur
« vocation », des motifs de leur action, et de leurs intérêts. »31. Il convient ici d’étudier
d’une part comment les conseillers du Président voient leur rôle au sein du Cabinet de
manière consciente et réfléchie et d’autre part dans quelle mesure l’institution crée un
phénomène de socialisation et d’intériorisation de ce rôle. Nous avons privilégié les
30
« L'habitus est le produit du travail d'inculcation et d'appropriation nécessaire pour que ces produits de
l'histoire collective que sont les structures objectives (e. g. de la langue, de l'économie, etc.) parviennent à se
reproduire, sous la forme de dispositions durables, dans tous les organismes (que l'on peut, si l'on veut,
appeler individus) durablement soumis aux mêmes conditionnements, donc placés dans les mêmes conditions
matérielles d'existences. » Pierre BOURDIEU, Esquisse d'une théorie de la pratique, 1972, p. 282.
31 Jacques LAGROYE, « Être du métier », Politix, 1994, 7(28), p.14
30
entretiens pour donner le plus possible la parole aux acteurs du champ car « s’il avaient le
temps et s’ils ne craignaient pas de vendre la mèche32, ils produiraient souvent une théorie
de leur pratique capable de calmer la prétention des politistes à un surplomb analytique
indiscutable ».33
I-
Le métier de conseiller du Président : un rôle intériorisé
Bien qu’ils aient chacun une vision plus ou moins personnelle de leur présence et de
leur rôle au sein du Cabinet, les conseillers de François Hollande ont tous une ligne de
conduite commune fixée par le Président lui-même en début de mandat. A la suite de son
élection et après avoir constitué son équipe, François Hollande a exigé de ses conseillers
plusieurs usages de leur poste. Outre les missions traditionnelles de conseil et d’expertise
sur les dossiers, il a souhaité que les acteurs de son entourage informent et s’informent,
écoutent et s’écoutent, rencontrent et sortent le plus possible de l’Elysée pour ne pas
tomber dans le piège de l’enfermement. En raison de leur agenda chargé, les sorties sont
difficiles mais la plupart des conseillers interviewés participent pleinement à cette feuille
de route présidentielle.
Leur métier est au service du Président que cela soit dans leur travail quotidien ou dans
la représentation qu’ils s’en font. Leur travail concret prend la forme d’un
« accompagnement du Président pour lui donner les meilleurs analyses et propositions »,
une réflexion « sur les sujets pour lesquels on saisit le Président, sur ceux qu’on peut
débroussailler » et une « planification pour élaborer une stratégie cohérente. Information
et mise en cohérence. Que tout ça soit lisible. »34 Une autre conseillère nous indique que
son métier consiste en un « rôle de mise en œuvre des orientions présidentielles, de
redéfinition, de préparation des déplacements, de capteur en essayant d’être au courant de
ce qui se dit, se fait dans le secteur, d’avoir rôle d’interface. »35 En effet, nous avons pu
constater que le travail du conseiller consistait en grande partie à l’élaboration de notes
diverses pour le Président, à des rencontres avec les acteurs du secteur, à l’interministériel
et à la mise en œuvre des décisions présidentielles. Seulement, il est intéressant de
Pierre BOURDIEU
Jacques LAGROYE dir., La politisation, op. cit., p.112
34 H. (50-60 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
35 F. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
32
33
31
constater la représentation qu’ils se font de leur métier. Plusieurs ont employé le terme
« rôle » qui renvoie à une présentation inconsciente du métier qu’ils exercent. Ce terme
montre également le poids de l’institution dans le sens où elle donne à l’acteur un champ
d’action dans lequel il peut évoluer et entrer en interaction avec les autres membres du
champ tout en gardant ce rôle prescrit. Il est intéressant de constater que sur la majorité des
interviewés, la représentation de leurs missions était à quelques détails près la même pour
chaque conseiller. La notion de métier comme « catégorie de la pratique quotidienne, à
savoir l’ensemble des pratiques concrètes que recouvre l’exercice d’une activité
professionnalisée, ainsi que les représentations spontanées que les professionnels en
produisent. » 36 , trouve son sens dans le caractère institutionnel de la Présidence de la
République.
« Le rapport au temps n’est pas du tout le même qu’à Matignon. Nous sommes sur une
vision de plus long terme, sur le quinquennat. On intègre le rapport au temps du président,
plus long terme », note une interviewée 37. En effet, les conseillers du Président, à part
certains qui sont davantage sur le terrain, se pensent investis d’une mission liée au
Président puisqu’ils en sont les collaborateurs et les représentants à l’extérieur du Palais.
Ils représentent une « valeur ajoutée dans le fonctionnement des institutions : un regard un
peu différent pour enrichir le regard des autres. »38 Ils sont acteurs agissant au sein du
Cabinet mais également à l’extérieur ce qui leur confère une position de pouvoir
importante. Ils agissent en interaction avec les autres acteurs du champ et ont une
« maitrise pratique des interactions régies par le champ. » 39 Ils sont dans un processus
d’autocontrôle parce qu’ils ont intégrés les codes et les attitudes relatifs à l’institution.
Celle-ci joue un rôle primordial dans la socialisation des conseillers et dans leur conception
de leur métier. En effet, l’absence de norme juridique qui dicterait leur fonction et le rôle
n’empêche en rien l’apparition de normes subjectives. Il est important dans ce sens de
parler d’interaction car c’est au contact des autres conseillers que l’acteur va adapter son
attitude et modeler un rôle non écrit qui trouve sa légitimité au sein de l’institution
productrice de normes. C’est ce que Bourdieu nomme les
rites d’institution ». L’acte
36
Jean-Louis BRIQUET, « Communiquer en actes - Prescriptions de rôle et exercice quotidien du métier
politique », Politix, 1994, 7(28), p.18
37 F. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
38 Idem
39 Erik NEVEU, Chapitre 5, in Jacques LAGROYE dir., La politisation, op. cit., p.109
32
d’institution
signifie à quelqu’un son identité, au sens où il la lui exprime et la lui
impose, en lui notifiant avec autorité ce qu’il est et ce qu’il a à être ».40
La Présidence de la République est une institution ancienne à l’image du Président dont
les prérogatives sont inscrites dans la Constitution. C’est pourquoi, le conseiller découvre
sa légitimité au sein même de l’institution et en contact avec le Président et son équipe.
Son rôle n’est pas écrit à l’avance et le conseiller ne peut le connaître auparavant.
Cette affirmation est à nuancer par le phénomène d’ancienneté relatif à de nombreux
conseillers. La plupart d’entre eux proviennent des institutions d’État où les codes
ressemblent à ceux de la Présidence et ont travaillé également au sein de cabinets
antérieurs. Cette ancienneté leur confère une rapide intégration et une légitimité sociale au
sein même du cabinet. Le passage, nous l’avons vu, par Sciences Po, l’ENA et les grands
corps représente un degré supplémentaire de socialisation pour intégrer le cabinet. Quand
les interviewés évoquent la parfaite connaissance de l’État et de l’administration, il
symbolise non seulement les aspects techniques et théoriques de travail administratif mais
en sus les codes sociaux de cet espace social. Ces codes peuvent paraître abstraits mais ils
prennent plusieurs formes. Premièrement, un nombre important de conseillers se
connaissent depuis longtemps et ont des habitudes de travail en commun, que cela soit au
sein du Cabinet ou avec les différents ministères et corps d’État. Il s’en suit des usages
mimétiques du langage propres à l’institution et à la manière de la faire vivre. Les éléments
théoriques liés à l’administration, à l’économie, à la juridiction, aux institutions d’État sont
intégrés et naturellement employés. Cette socialisation des codes prend enfin une forme
concrète dans les écrits et les notes qui sont adressés au Président.
Tous ces éléments sont liés au caractère institutionnel de la Présidence. Il convient ici
de montrer que les missions et le travail quotidien du conseiller du Président n’est pas
totalement libre et répond à une codification du rôle qui, même si elle est totalement
intériorisée, a une conséquence sur l’action présidentielle. Dans La distinction, Pierre
Bourdieu écrit « Les agents ont une appréhension active du monde, ils construisent leur
vision du monde. Mais cette construction est opérée sous contraintes structurelles. »41 Et il
Pierre BOURDIEU, « Les rites comme actes d’institution », Actes de la recherche en sciences sociales,
Vol.43, juin 1982, p.60
41 Pierre BOURDIEU, La Distinction. Critique sociale du jugement, Les Éditions de Minuit, 1979
40
33
serait candide de croire que les conseillers ont une « existence qui précède l’essence »42
pour reprendre les mots de Jean-Paul Sartre. En effet, si nous prenons cette direction
analytique, l’acteur « n’est rien. Il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait ».43
Seulement, cette subjectivité si importante dans la définition de la nature humaine n’est pas
conforme à l’entourage du Président. Le rôle du conseiller est déterminé par son origine
sociale et en particulier professionnelle avant d’entrer en cabinet. Ce déterminisme est à
nuancer puisque les conseillers du président sont pleinement acteur de leur travail concret
et quotidien mais la représentation qu’ils se font de ce travail et le rôle qui en découle
procèdent d’une socialisation institutionnelle extérieure à leur subjectivité. Il ne s’agit
nullement ici d’un déterminisme structurel froid qui dicterait la conduite et le métier des
conseillers.
II-
Une représentation du métier en fonction du registre
Le métier de conseiller du Président est plongé dans une socialisation au sein même du
Cabinet et trouve son fondement dans un processus interactionnel où chaque acteur joue un
rôle singulier. Nous avons vu que ce rôle était le fruit d’une longue intériorisation sociale
liée à l’institution. Nonobstant, il convient d’ajouter à cette analyse un aspect personnel et
modulable dans la conception de ce rôle pour chaque conseiller. En effet, il serait illusoire
de conclure en un rôle univoque et immuable. Chaque conseiller a une manière d’endosser
ce rôle en fonction, d’une part, de sa position sociale et, d’autre part, de son interlocuteur.
On retrouve ici l’idée de Norbert Elias sur la société de cour.44
La légitimité est une croyance partagée par l’ensemble des conseillers. Seulement, ils
ne fondent pas cette légitimité dans les mêmes processus de socialisation et n’ont par
conséquent la même interprétation de leur rôle. Les hauts fonctionnaires tirent leur
légitimité de leur passage dans les grandes écoles et au sein des grands corps d’État. En
outre, ils peuvent se prévaloir de connaître les rouages et le fonctionnement de l’appareil
étatique ce qui leur confère une légitimité et constitue « les représentations dominantes de
l’efficacité. »45 Une intériorisation des normes relatives au champ présidentiel s’en suit.
Jean-Paul SARTRE, L’existentialisme est un humanisme, Nagel, 1946, p.21
Ibid, p.22
44 Norbert ELIAS, La Société de cour, Flammarion, 1985
45 Jacques LAGROYE, « Être du métier », op. cit., p.5
42
43
34
C’est ce qu’explique Eric Neveu dans l’ouvrage collectif précité en énonçant que
Le flux
des mémoires permet aussi de constater que la montée des professionnels issus de l’ENA
s’accompagne dès les années soixante d’une lutte pour la valorisation d’un savoir faire
gestionnaire scolairement acquis, contre un apprentissage de terrain, dévalué en
amateurisme périlleux. »46 Ce savoir faire, certes réel, mais dont la source de légitimité se
trouve dans les diplômes et les codes de la « Noblesse d’État », représente parfaitement
cette croyance en un bien-fondé concluant sur une présence inéluctable des hauts
fonctionnaires au sein du Cabinet du Président. Les autres conseillers trouvent leur
légitimité dans l’action concrète qu’ils ont menée sur le terrain avant d’entrer au sein du
Cabinet. Il en découle une conception différente du rôle et du métier de conseiller. Une
interviewée nous énonce que « vous ne faites rien vous mêmes. Vous ne dirigez pas un
ministère. Vous êtes un peu plus en surplomb, on regarde les petites bêtes qui courent »47
alors qu’un autre affirme que « nous ne sommes pas des théoriciens, pas des
planificateurs, nous agissons. Le but est de bâtir un chemin. » 48 Il est inévitable que
certains conseillers, de par leur origine sociale et professionnelle et leur socialisation
considère que la Présidence n’est pas un lieu pour faire mais pour faire faire sur le long
terme. A l’inverse, un nombre conséquent de conseillers sont arrivés à l’Elysée dans un but
d’action en lien avec l’activité du Président.
Ces différentes conceptions du rôle du conseiller s’animent dans la pratique et au sein
des interactions modulables. En effet, les conseillers adaptent, de manière consciente ou
inconsciente, leur rôle en fonction des registres. En étudiant les élus, J.L. Briquet explique
que « la nécessité de mobiliser une multitude de registres oblige l’élu à jouer des rôles
contradictoires. »49 C’est le cas pour les conseillers du Président dont le métier se définit
par « une croyance en la nécessité de concilier, simplement de juxtaposer ces rôles ».50
Penser le métier du conseiller en termes de registre est une nécessité pour embrasser
l’ensemble des représentations qu’ils se font de leur action. En effet, un grand nombre de
conseillers jouissent d’une multipositionnalité au sens de Boltanski et doivent adapter leurs
pratiques en fonction du champ dans lequel ils jouent un rôle. « Le président veut qu’on
Erik NEVEU, Chapitre 5, in Jacques LAGROYE dir., La politisation, op. cit., p.105
F. (50-60 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
48 H. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
49 Jean-Louis BRIQUET, « Communiquer en actes - Prescriptions de rôle et exercice quotidien du métier
politique », op. cit., p.21
50 Ibid
46
47
35
résolve le problème au Mali et notre rôle est de jouer sur tous les aspects pour que cela
fonctionne » note un conseiller.51 Il doit alors adapter ses modèles cognitifs au registre,
qu’il soit économique, diplomatique, politique, stratégique. D’un registre à l’autre, les
acteurs, les codes, les pratiques vont évoluer et changer. Le conseiller doit également
adapter son langage qui est, comme l’explique Michel Foucault dans ses travaux 52, une
source importante de pouvoir que cela soit dans la construction des phrases, les symboles
véhiculés et dans le fait que ce langage produit et crée un ordre social.
Cette analyse du métier par le prisme des représentations sociales, des pratiques et des
croyances nous invite à poursuivre sur la notion d’influence. Ce concept, comme souvent
en sociologie, illustre une évidence pour le monde politico-administratif, mais nous allons
voir qu’une fois les préjugés repoussés, le processus d’influence est loin d’être limpide.
H. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
Michel FOUCAULT, Les Mots et les Choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard,
coll. Bibliothèque des sciences humaines », 1966
51
52
36
Partie 2
La « politique » au cœur du palais
Une politisation multiple
37
Chapitre 4
De la défiance à la complémentarité entre divers types
de compétences
« Comment peut-on faire cohabiter dans le même
individu la passion ardente et le froid coup d’œil ? »
Max Weber
Comme dans la plupart des gros cabinets de ministres placés à la tête d’importantes
administrations centrales, les voies de recrutement de l’équipe élyséenne de François
Hollande font apparaître deux profils : d’un côté
les technos » (comprendre « les
technocrates »), hauts fonctionnaires des grands corps et des administrations centrales dont
la légitimité est celle, doublement wébérienne en somme, de la compétence garantie par de
prestigieux « titres de noblesse » scolaires et du « savoir du Service » ; de l’autre côté,
« les politiques » qui proviennent pour l’essentiel d’un contexte de campagne électorale et
sont dans l’ensemble plus proches du Président. La presse, comme à son habitude, fait son
miel de ce genre de dichotomies, dans des articles souvent manichéens qui forcent les faits,
allant jusqu’à accréditer l’idée d’une sourde
confrontation entre ces deux types de
conseillers du Président. Comme toujours en pareil cas, l’observation participante au sein
même du Palais, et les propos recueillis auprès des uns et des autres en entretiens, donnent
à connaître une réalité empirique bien plus nuancée.
I-
« Il y a beaucoup de marin sur un bateau »53
Certains frottements ont bel et bien eu lieu dans les premiers mois d’installation de la
nouvelle équipe à la Présidence. Les intéressés ne le nient d’ailleurs pas : « Au début, de
manière inévitable, il y a eu une méfiance réciproque. Est-ce que des politiques peuvent
gérer le pays ? Qui sont ces fonctionnaires qui viennent nous voler la victoire ? Cette
incompréhension s’est dissipée pour devenir une vraie force. » 54 De fait, une certaine
53
54
H. (50-60 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
F. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
38
incompréhension était perceptible au démarrage entre des conseillers qui n’avaient ni les
mêmes cultures, professionnelles et institutionnelles ni les mêmes parcours jusque là, non
plus que les mêmes compétences à faire valoir. Alors que certains ont dévoué leur carrière
à François Hollande et ont le sentiment de lui avoir permis d’accéder à la magistrature
suprême, d’autres ne sont apparus dans le paysage qu’au lendemain du 6 mai au seul motif
de leur expertise d’un domaine et non de leur attachement à l’homme. En effet, « il n’y a
pas une diversité des statuts mais une diversité des parcours. »55
 Le poids de la campagne présidentielle
Une campagne présidentielle est un temps court où se forge une équipe soudée autour
du chef et où la confiance s’ancre dans le terreau d’un objectif commun. Un conseiller
indique qu’ « il y a un effet campagne. C’est comme un film. Tout un temps d’adaptation
qui consiste à ce que tout le monde commence à travailler ensemble, il y a aussi la
nostalgie de la campagne, des réflexes. »56 Lors de la campagne présidentielle, la proche
équipe de François Hollande est constituée de fidèles, collaborant avec lui depuis des
années, qui connaissent parfaitement le parcours et l’origine politique du chef, d’une part,
et ses méthodes de travail, d’autre part. Cette équipe s’est séparée au lendemain de
l’élection pour peupler certains ministères pour certains d’entre eux et continuer à servir
François Hollande à la Présidence pour d’autres. Ces conseillers qui arrivent le 15 mai ont
une légitimité et une représentation ferme de cette légitimité liée à leur fidélité (nous
revenons au deux principes de fidélité et de parrainage précédemment évoqués) et à leur
histoire commune avec le Président. Ils font partie du parcours de François Hollande
depuis le début de son ascension jusqu’au Palais suprême. Les intéressés l’évoquent : « On
n’est pas arrivés là par hasard, c’est un engagement et une connaissance des dossiers. »57
Ils représentent les « anciens, ceux qui sont là depuis longtemps » à la différence de
« nouveaux, qui arrivent dans l’écosystème sur un plan de carrière ».58
Cette singularité de parcours leur confère une conception différente des habituels
occupants des cabinets notamment de leur rôle et de la maitrise des dossiers. En effet leur
rôle est celui de servir le Président et ses intérêts non dans le sens administratif et
H. (50-60 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
Idem
57 H. (40-50 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
58 H. (50-60 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
55
56
39
coutumier du terme mais sous un angle personnel. Quand bien même il respecte les
contraintes liés à la fonction présidentielle, leur service est dévoué davantage à François
Hollande comme Chef d’État qu’à un Président de la République de gauche, quelque soit
son nom. Leur conception politique des dossiers est par conséquent différente et se veut
concrète et enracinée dans le réel. A la différence de celle des hauts fonctionnaires, qui
certes, « n’est pas une difficulté, mais peut-être un handicap à terme. A force de rester
dans le systémique, dans le budgétaire, ça reste parfois en lévitation par rapport à la
réalité. »59 Un autre conseiller ajoute « J’arrive avec mes qualités, d’un homme de terrain,
d’organisationnel. C’est important de n’être pas toujours dans le concept. » 60 Cette
apparente différence tient également à leur diversité d’origine sociale et professionnelle.
Alors qu’un nombre important de conseillers est issu du haut-fonctionnariat post-ENA, ces
conseillers sont des « professionnels de la politique » au sens où ils tirent leur légitimé de
leur connaissance parfaite du territoire et du sens politique. Pour reprendre la métaphore
d’un conseiller : « Il y en a qui arrivent en hélicoptère et d’autres sont là pour que
l’atterrissage se passe bien. »61
 Les fonctionnaires compétents
L’autre partie du Cabinet est composée de hauts fonctionnaires qui viennent pour la
plupart des grands corps et directions d’État. Ces conseillers ont une légitimité liée à leurs
passages au sein des institutions de pouvoir qu’elles soient administratives à certains
moments de leur carrière ou politiques lorsqu’ils entrent dans les cabinets. En effet, il est
nécessaire de s’arrêter sur la notion de
carrière ». Un chargé de mission note que leur
présence est liée à la « carrière de haut-fonctionnaire. L’Élysée, c’est une case à un
moment donné, ça permet d’aller ailleurs ». 62 Celle-ci se déroule, pour la plupart, de
manière uniforme. À la sortie de l’ENA, ou d’autres écoles prestigieuses telle que
Polytechnique, l’acteur entre dans une institution qui deviendra son corps d’origine et
constitue la face administrative de sa carrière de haut-fonctionnaire. Les corps les plus
représentés à la Présidence sont le Conseil d’État et la Cour des comptes, mais également
d’autres directions de ministère telle que l’IGAS (Inspection Générale des Affaires
Sociales) ou le corps préfectoral. La particularité de ses conseillers réside dans leur
H. (40-50 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
Idem
61 Idem
62 H. (30-40 ans), Chargé de mission, Juillet 2013.
59
60
40
mouvance entre leur corps d’origine et les cabinets ministériels, du Premier Ministre et du
Président de la République mais également de Maires de grande ville ou de Présidents
d’importantes collectivités territoriales. En effet, lorsque le Parti socialiste arrive au
pouvoir, ces hauts fonctionnaires sont mis à disposition par leur corps administratif
d’origine pour peupler les entourages de gouvernants. En cas d’alternance, ils reviennent à
leur ancien poste. C’est la grande différence entre les deux types de conseillers. Leur
carrière n’est pas entièrement liée à l’élection et ils ont la sécurité de l’emploi à la suite
d’une défaite politique. Alors que les « professionnels de la politique » sont pour la plupart
des contractuels.
Afin d’affiner l’analyse, il convient de distinguer au sein de ce groupe de conseillers
hauts fonctionnaires deux profils : les « anciens » proches du pouvoir et des dirigeants
politiques et les « parrainés » qui n’ont jamais rencontré le Président de la République. Un
nombre considérable de conseillers sont des habitués des cabinets socialistes et
appartiennent à la même génération que le Président. Ils ont connu l’époque de Lionel
Jospin à Matignon pour en avoir été les conseillers quand le Président était premier
Secrétaire du Parti socialiste. Pour d’autres, ils sont même issus de la promotion Voltaire et
connaissent le Président et certains ministres depuis des décennies. Même s’ils ne sont pas,
à proprement parler, des proches de François Hollande durant la campagne, ils constituent
un groupe maîtrisant, d’une part, tous les codes sociaux de l’institution et, d’autre part, la
vision politique nécessaire au métier de conseiller. La représentation qu’ils se font de leur
légitimité est par conséquent extrêmement forte. En effet, un proche conseiller du
Président nous explique que « Certains considèrent qu’on n’a pas de légitimité pour être
là, sur les dossiers, et qu’eux en ont. »63 L’autre partie de ce groupe est constituée par des
hauts fonctionnaires appelés pour leur expertise dans un domaine précis. Ceux-ci ne
connaissent pas le Président de la République, n’ont pas participé à la campagne
présidentielle, au sens de l’entourage du candidat, et ont été conseillés au Président et au
Secrétaire général par des acteurs plus expérimentés rencontrés dans leurs corps d’origine.
Ce parrainage leur permet d’entrer au cabinet. Il convient de nuancer cet essai de typologie
par la singularité de nombreux conseillers qui peuvent apparaître dans plusieurs groupes et
trouver les fondements de leur arrivée à la Présidence au sein de plusieurs canaux d’accès,
notamment en raison de la multipositionnalité d’un nombre important de conseillers.
63
H. (40-50 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
41
La diversité du cabinet a engendré, au lendemain de la prise de pouvoir du Président et
de l’installation de l’équipe dans les bureaux du 55 rue du Faubourg Saint-Honoré, une
méfiance, si ce n’est une incompréhension, réciproque. Il est naturel que la formation
d’une équipe aux profils distincts et variés engendre une concurrence. « Il peut y avoir des
inimitiés. C’est naturel qu’il y ait des frottements (…) des petits chocs de légitimité », note
un interviewé.64 « Parfois, on ne les comprend pas, parfois ils ne nous comprennent pas. »
ajoute un autre.65 Seulement, nous allons voir que cette incompréhension va évoluer et une
acclimatation va s’opérer au sein des différents groupes qui constituent le Cabinet. En
effet, « il faut du temps pour que la machine s’accoutume ».66
II-
L’opposition des « technos » et des « politiques » : une
caricature
Cette méfiance initiale s’est dissipée au fur et à mesure qu’un esprit d’équipe s’est
structuré, autour de l’objectif partagé de servir au mieux le Président et de lui permettre de
réussir son mandat si bien que, déclare telle conseillère, « on a tous appris au contact des
uns et des autres. »67, et tel autre : « On est là pour se compléter à la base. On n’a pas la
même expérience. Il n’y en a pas un qui domine l’autre. Même but, servir la même cause.68
Cet objectif commun de servir le Président, et par sa personne la France, interdit aux
conseillers d’entrer dans une « vieille guéguerre entre techno et politique »69 et permet une
complémentarité nécessaire au bon déroulement de l’activité présidentielle, car « un bon
cabinet c’est celui qui mélange les deux parcours. Il faut la culture du politique mais
également la culture administrative pour ne pas partir hors sol, dans l’effet d’annonce »,
note un conseiller.70 En effet, Léon Blum disait que « gouverner c’est, en dernière analyse,
administrer dans le sens d’une politique ». Cette complémentarité passe par le dialogue
voulu par le Président lui-même et par une organisation telle que chaque conseiller peut
Idem
Idem
66 H. (50-60 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
67 F. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
68 H. (40-50 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
69 F. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
70 H. (40-50 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
64
65
42
être informer du travail des autres et de la représentation que chacun se fait de l’activité
présidentielle et du travail concret au sein du Cabinet, que cela soit en réunion
hebdomadaire de cabinet ou lors des réunions restreintes et thématiques. Quand bien
même, dans les faits, certains habitus liés à la socialisation de chaque conseiller prévalent,
nous pouvons noter une recherche de compréhension et d’entraide mutuelle entre chaque
acteur. Un conseiller nous a confiés que « chaque fois qu’on demande de l’aide à un
conseiller, il y a une réponse. Il y a une véritable capacité d’information. »71 En effet, nous
avons pu remarqué, que cela soit lors des réunions, et dans les missions quotidiennes, une
capacité d’entraide et d’information tout à fait exceptionnelle entre les conseillers. Il n’est
pas rare que certains frottements aient lieu en raison d’incompréhension et de différence de
méthode, mais l’unité de l’équipe prévaut à chaque étape de l’activité présidentielle. Il
nous apparaît intéressant de mettre en exergue la comparaison ci-après, évoquée par un
conseiller du Président est qui reflète parfaitement une complémentarité nécessaire entre
différents profils de conseillers.
« L’importance de la biodiversité du Cabinet est un fait réel, il faut une complémentarité. C’est
comme en agriculture, l’hyper productivité engendre de meilleures variétés hyper fragiles que
l’on protège avec des engrais, toujours les mêmes pour des rendements exceptionnels.
Cependant, ces variétés ne sont pas robustes aux changements, dans ce cas, au réchauffement
climatique. Il faut trouver un juste milieu en robustesse et productivité. »72
Nous avons pu constaté une véritable évolution entre la période post-victoire de
l’élection présidentielle caractérisée par une découverte de l’institution, de ses normes
sociales et des acteurs qui l’occupaient, et la période à laquelle s’est effectuée les
entretiens, un an plus tard. « Le cabinet aujourd’hui n’a rien à voir avec le cabinet il y a un
an. » note une conseillère.73 Mais s’il apparaît comme une évidence qu’une équipe est plus
soudée et complète un an après sa formation, il n’en est pas moins intéressant de le noter
pour plusieurs raisons.
C’est ainsi, notamment, que les conseillers
technos » tendent à devenir de plus en
plus « politiques » dans leur appréhension des dossiers dont ils ont la charge : il y a là un
Idem
F. (40-50 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
73 F (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
71
72
43
effet d’apprentissage manifeste. Celui-ci ne part pas d’une tabula rasa : tous les conseillers
de François Hollande sont de sensibilité de gauche, comme le parcours de nombre d’entre
eux assez âgés pour avoir participé aux équipes de Lionel Jospin le démontre. Mais au-delà
de ce fond d’opinions partagées, celui qui veut faire bien son travail de conseiller
« technique » du principal dirigeant politique du pays ne peut à l’évidence y parvenir qu’au
prix de l’acquisition, du développement et de l’épanouissement de ce que les intéressés
appellent communément le « sens politique ». Certains interviewés m’ont confié que cet
apprentissage d’un savoir-faire proprement politique dans le traitement des dossiers avait
été leur plus gros défi au début du quinquennat. Et tous s’accordent à dire qu’ il faut être
très attentif. Le conseiller n’est pas élu. Mais cela ne veut pas dire que le conseiller n’a pas
de sens politique ! Ici, le pur techno ne peut pas faire convenablement son travail ! »74
Réciproquement, les membres plus « politiques » de l’équipe, par ailleurs moins
nombreux, apprennent peu à peu de leurs collègues hauts fonctionnaires les grandeurs et
les servitudes de l’art de gouverner, qui se distingue largement du « métier politique » de
faire campagne et d’emporter des élections, bien que les échéances du mandat ramènent à
terme ces considérations au premier plan.
Ne pourrait-on d’ailleurs avancer l’hypothèse que l’équipe de conseillers du
Président Hollande serait au fond à son image ? François Hollande, par son propre
parcours et ses propres dispositions, est à la fois un haut fonctionnaire, gros travailleur que
ne rebute pas la technicité administrative et financière des dossiers, et un homme politique
au sens plein du terme, qui s’est hissé au sommet de la carrière politique sur le fondement
d’un énorme investissement dans la vie partisane et électorale. « Les gens respectent le
côté atypique du choix du Président »75 et ses proches collaborateurs ont d’ailleurs claire
conscience de cette dualité du personnage du Chef de l’État, tel ce conseiller qui remarque
en entretien : « Techno et politique, le PR est les deux ! Et il lui faut les deux ! »76 Dès lors,
quoi d’étonnant à ce que tel autre fasse remarquer : « Le rôle d’un bon directeur de cabinet
est de faire vivre ces deux cultures ensemble pour qu’elles se complètent plutôt qu’elles ne
s’affrontent. Un cabinet bien tenu, c’est un cabinet qui a les deux cultures. »77
Idem
H. (40-50 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
76 Idem
77 F (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
74
75
44
Chapitre 5
« On est tous politique » - Polysémies de la notion de politisation
« La politique n’est pas une science exacte »
Otto Von Bismarck
Au sein du cabinet du Président, les deux mondes, administratifs et politiques, se
compénètrent et s’imbriquent. Nous avons vu la diversité de parcours, de rôle et de
représentation de ces rôles, des conseillers du Président. Les frottements qui se sont opérés
inéluctablement au début du quinquennat sont en lien direct avec la notion de politique et
le processus de « politisation » qui prend forme au sein même de l’entourage du Président.
Seulement, nous verrons que la notion même de « politique » n’est pas interprétée de la
même manière parmi les conseillers en fonction de leur parcours et de leur origine sociale.
I-
La politisation des conseillers du Président
La notion de « politisation » apparaît telle une évidence lorsque nous abordons une
étude sur les conseillers du Président de la République, personnalité hautement politique en
raison de l’élection au suffrage universel direct et des prérogatives que lui confère la
Constitution. Mais en sociologie, l’évidence est un concept qui n’est pas invité à l’analyse.
En effet, nous allons voir que la politisation est un processus social long et complexe que
Jacques Lagroye définit dans l’avant-propos de l’éminent ouvrage consacré à cette notion
de « Politisation » :
« Il s’agit là des formes et des voies d’une conversion, celle de toutes sortes de pratiques en
activités politiques. C’est cette conversion qu’on appelle ici politisation. (…) On s’intéresse plus
largement ici aux pratiques et aux croyances des acteurs qui, consciemment ou non, de bon ou
de mauvais gré, épisodiquement ou de façon continue, contribuent à « produire de la politique »
En ce sens, la politisation n’est rien d’autre que la production sociale de la politique, de ses
enjeux, de ses règles et de ses représentations ».78
78
Jacques LAGROYE dir. La politisation, op. cit, Avant-propos
45
Jacques Lagroye introduit cette notion dans une étude approfondie sur les acteurs
de la vie politique. Les élus en sont un groupe éminent mais cette « production de la
politique », je dirais même « du politique » à entendre comme production de sens,
concerne également en premier lieu l’entourage des élus et dans le cas précis les
conseillers du Président de la République. Il appert en outre de l’étude de Lagroye que ce
processus n’est pas lié à un déterminisme normé, ou à un texte juridique transcendant, mais
demeure immergé dans le social, ancré dans l’espace social, lieu d’interactions diverses et
de socialisation. Les acteurs qui en font partie, comme nous l’avons vu dans le Chapitre 3
sur le « métier », entrent au sein d’un microcosme social producteur de norme et la
politisation en est la principale composante, au sens où chaque conseiller du Président,
qu’il soit issu du monde politique ou du haut fonctionnariat, doit, à un moment, convertir
ses missions en « activités politiques ». Nous allons voir que la notion d’ « activité
politique », et par conséquent de « politique », n’est pas uniforme et peut être comprise
sous différents aspects en fonction de la socialisation de l’agent.
A la suite d’une carrière administrative et une socialisation dans les corps d’État,
certains conseillers n’ont pas acquis ce que les acteurs impliqués nomment le « sens
politique ». Nous allons voir, d’une part, que cette caractéristique n’est pas habituelle dans
la tradition sociologique de l’administration et, d’autre part, que cette « conversion », au
sens de Lagroye, s’effectue au centre d’interactions et par un phénomène d’adaptation.
 « Notre rôle c’est d’essayer de franchir certaines contraintes »79
Les fonctionnaires nommés au sein du Cabinet du Président de la République n’ont pas
été formés, mis à part certains, à la chose politique. Leur carrière est consacrée depuis leur
sortie du supérieur, pour la plupart l’ENA, aux missions administratives relatives à leur
corps de sortie. Quand bien même ces hauts fonctionnaires puissent avoir des convictions
politiques, leur rôle est de n’en faire point mention selon la tradition du fonctionnaire
dévoué à l’intérêt général. Selon Weber, le fonctionnaire doit en effet évoluer dans ses
missions sine ira et studio - « sans ressentiment et sans parti pris » pour reprendre les mots
79
F. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
46
de Jean Michel Eymeri-Douzans80 et ne doit s’occuper d’aucune considération partisane et
politique. Dans la tradition administrative française, « le véritable fonctionnaire ne doit pas
faire de politique …, il doit administrer. Cet impératif vaut également pour les soi-disant
fonctionnaires politiques ».81
Seulement, le haut fonctionnaire collabore de manière inévitable avec les élus et les
hommes politiques de pouvoir étant donné que les directions dans lesquelles ils sont mutés
sont celles des ministères et que les grands corps d’État sont des organismes de contrôle du
pouvoir étatique et politique – en particulier la Cour des Comptes et le Conseil d’État. Et
bien que, pour Weber, le fonctionnaire doit être « positif » et « neutre » et ne doit pas
« prendre de responsabilités », M. Eymeri-Douzans explique que « seuls les fonctionnaires
qui peuplent la sphère administrative partagent avec les élus politiques la caractéristique
d’être professionnellement spécialisés dans l’exercice des activités gouvernantes et de
participer à ce que Weber appelait la « direction administrative » de la société. »82 Le rôle
du haut fonctionnaire, conseiller du politique, est de surmonter cette idéaltype, tel
l’explique une interviewée : « Par nature, l’administration, elle filtre les problèmes. Là il y
a un problème juridique, là il y a un problème budgétaire. On dépend de l’administration
mais il faut essayer parfois de ne pas en dépendre pour surmonter certains problèmes et
prendre des risques. L’administration a raison de nous alerter mais notre rôle c’est
d’essayer de franchir certaines contraintes. »83
Cette adaptation au métier de conseiller du Président de la République pour les hauts
fonctionnaires se caractérise par une mise à distance de leurs présupposés et de leurs
habitus liés à leur socialisation professionnelle afin de pouvoir établir un conseil efficace et
crédible à destination du gouvernant. C’est ce
dépassement des limites », cette « prise de
conscience », évoqués par Jacques Lagroye84, qui constituent le processus de politisation.
Et il n’est pas aisé. En effet, un conseiller du Président note qu’il y a « une grosse marche
à franchir dans le secteur politique, pour avoir un point de vue politique rapide sur un
sujet. »85 Cette difficulté réside dans le fait que la logique administrative ne rejoint pas
toujours la logique politique. C’est le politique, dans ce cas le Président de la République,
Jean-Michel EYMERI-DOUZANS, Chapitre 3, in. Jacques LAGROYE dir., La politisation, op. cit., p.70
Max Weber, 1990
82 Jean-Michel EYMERI-DOUZANS, Chapitre 3, in. Jacques LAGROYE dir., La politisation, op. cit., p.47
83 F. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
84 Jacques LAGROYE, Chapitre 15, in. Jacques LAGROYE dir., La politisation, op. cit., p.365
85 F. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
80
81
47
démocratiquement élu qui prend la décision. Le conseiller n’est pas élu. Mais tel le note un
interviewé, « cela ne veut pas dire que le conseiller n’a pas de sens politique. Ici, le pur
techno ne peut pas faire bien son travail. »86
 La politisation en interaction
Ce processus social ne se produit pas sous une forme isolée. Les pratiques et les
croyances des conseillers issus du haut fonctionnariat n’évoluent que par les interactions
dans lesquelles leurs missions se confondent. En effet, un jeune conseiller d’État qui
accède à l’entourage d’un homme politique n’intériorise pas cette conception
politique, solitaire dans son bureau. Le rôle des proches conseillers du Président, issus du
monde politique, eux-mêmes professionnels de la politique, est primordial pour « éveiller
la conscience politique des acteurs dans l’interprétation qu’ils proposent des évènements et
des expériences. »87 Ce cheminement ne se fait pas de manière formelle à l’image d’une
formation, mais bel et bien dans un cadre d’interactions propre à tout champ social dans
lequel les agents intériorisent, de manière consciente ou inconsciente, les pratiques
relatives à ce champ.
Les hauts fonctionnaires en question apprennent des conseillers politiques une vision
concrète des dossiers, tel que nous l’explique cet interviewé : « Ils n’ont pas d’approches
technos. La manière de lire un sujet, de l’analyser et de faire une préconisation au
Président ne doit pas être dictée par des considérations juridico-budgétaires. L’impact des
décisions, dans les rapports de force politiques, dans la vie des gens, est trop fort. »88 A
l’inverse, les conseillers du Président issus de la campagne présidentielle, qui n’ont pas les
réflexes administratifs propres aux énarques, sont dans le même cheminement
d’appropriation des pratiques et des croyances liées à l’institution. Car nous rappelons que
la Présidence représente un microcosme politique et administratif. Ces interactions et cette
mutation des représentations s’animent sur un temps long et représentent la
transgression
des règles du champ » tel que l’explique Jacques Lagroye dans l’extrait ci-contre.
F. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
Jacques LAGROYE, Chapitre 15, in. Jacques LAGROYE dir., La politisation, op. cit., p.369
88 H. (40-50 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
86
87
48
« Transgresser les règles qui résultent de ce processus général et contribuent à l’entretenir, en
d’autres termes « mélanger les genres », confondre les domaines, contester en pratique la
pertinence et la légitimité des séparations instituées et constamment consolidées, ce que font les
entreprises de politisation d’activités de « nature » différente, c’est – d’un même mouvement –
dire la vérité des relations sociales qui ne se laissent jamais enfermer dans les dispositifs et les
logiques d’un seul champ constitué, et remettre en cause une architecture des rapports sociaux à
laquelle les êtres humains sont attachés et dans laquelle ils ont appris à se repérer et à vivre. »89
Ces rapports sociaux entre des individus pourtant différents par leurs origines
professionnelles et la conception même de leur présence au sein du Cabinet ne font pas
l’économie de frictions et de frottements, nous l’avons vu. Mais le succès du processus
interactionnel de politisation et dans une autre mesure d’« expertisation » en ce qui
concerne les conseillers politiques, procède de cette complémentarité indispensable à la
réussite de l’activité présidentielle. Ce
bien commun » dont parle Jacques Lagroye90 est
la raison d’être de la politisation. Néanmoins, appréhender ce processus complexe
nécessite en outre une analyse des différentes conceptions de la notion même de politique
par les acteurs.
II-
Une représentation différente de la notion de
« politique »
La notion de « politique » est au cœur de la pensée scientifique depuis des siècles,
depuis Aristote à Michel Foucault, en passant par un grand nombre de chercheurs en
sciences humaines et sociales. Nous ne nous aventurerons pas ici à un exposé de la pensée
politique mais il est important de noter les usages différents de ce mot selon la nature des
agents sociaux qui l’emploient.
En sociologie, il est d’usage d’emprunter à la langue anglaise les trois termes différents
qu’elle met en musique pour désigner trois dimensions du « politique » (contrairement au
français, où la variation se fait avec l'usage de l'article). Polity correspond à la cité, à la
respublica latine, c’est à dire l’ensemble des institutions politiques liées à la démocratie.
89
90
Jacques LAGROYE, Chapitre 15, in. Jacques LAGROYE dir., La politisation, op. cit., p.362
Ibid, p.372
49
Politics représente « la » politique, au sens de la vie politique et partisane, la lutte pour le
pouvoir, la mobilisation politique. Cet aspect de la notion a longtemps présidé la recherche
sociologique sur le politique. Et enfin Policy (Policies au pluriel) réunit l’ensemble des
politiques publiques, des programmes d'action publique, de leur conception à leur effective
mise en œuvre. Ces significations concourent toutes trois aux représentations qu’ont les
conseillers du Président de la « politique » et du « sens politique ». En effet, les conseillers
plus politiques vont davantage analyser un dossier sous l’angle des notions « Politics » et
« Policy » alors que les hauts fonctionnaires n’ont pas un réflexe du « Politics », même
s’ils l’adoptent au fur et à mesure des interactions dans le processus de politisation, et vont
préférer « Polity » dans leurs représentations sociales de leur métier et missions.
 La « politique des airs » et la « politique de la terre »
La typologie est une habitude des chercheurs en sciences sociales qui inventent des
classifications, souvent brillantes, mais qui se superposent le plus souvent. Néanmoins,
sans prétendre doctement établir une typologie généraliste, il est nécessaire, dans l’analyse
de l’entourage du Président sous l’angle de la politique, de distinguer deux significations,
pour ne pas dire représentations, de la notion de « politique ». Elles sont repérables avant
toute chose dans le langage des agents. C’est en menant les entretiens auprès des
conseillers, que nous nous sommes aperçus de cette particularité. Et la représentation de
cette notion même de politique influe sur la politisation puisque tous les conseillers
énoncent à l’unisson : « Je suis politique ». Seulement, ils ne sont pas tous « politique » de
la même manière. C’est pourquoi nous tenons à distinguer la « politique des airs » et la
« politique de la terre ». Il ne faut pas présenter une vision manichéenne dans laquelle
cohabiteraient, d’une part, des conseillers uniquement intéressés par le jeu politique et,
d’autre part, des hauts fonctionnaires qui ne seraient en rien intéressés par la réalité
concrète. Il convient ici d’évoquer et de travailler cette dichotomie réelle, en évitant toute
analyse caricaturale suffisamment développée par la presse. En effet, ces deux styles de
politique sont en apparence contradictoires, mais les rapports sociaux et le processus de
politisation, dans lesquels évoluent ces deux notions, rendent bien plus complexe leur
analyse. L’activité présidentielle requiert les deux tel l’homme a besoin de la terre et de
l’air pour vivre.
50
« Le Président de la République ne conçoit pas son cabinet pour négocier des accords. Il
faut être fier d’être techno et les gens qui sont ici ont tous une expérience politique. Ne
serait-ce que la vie de cabinet est une vie politique. » 91 Cette phrase énoncée par une
interviewée issue du haut fonctionnariat résume de manière précise la notion de « politique
des airs ». Elle représente une interprétation de la politique « dans le sens le plus noble »92,
quoi qu’il en soit, plus noble que la
politique politicienne ». A la suite d’une carrière et
donc d’une socialisation à l’ENA, puis dans la haute administration, il n’est pas anormal de
considérer la politique sous un angle un peu abstrait, si ce n’est par le haut. La politique
des airs se caractérise d’abord par un rapport aux idées, dans le cas présent aux idéaux de
gauche. Un conseiller du Président, dont le parcours brillant correspond à la norme des
hauts fonctionnaires de cabinet, nous dit : « Je suis de gauche. Issu d’une vieille famille de
gauche SFIO, socialiste, j’ai un intérêt pour la chose politique mais je n’ai jamais été un
militant actif. »93 Cette politique est celle des idées et des valeurs intellectuelles liées à un
courant historique dans lequel l’acteur se représente, tel un héritier. Le second caractère de
la politique des airs est la vie de cabinet, d’entourage du politique élu. Le conseiller serait
un acteur politique et aurait du sens politique puisqu’il a déjà goûté à l’exercice de conseil
du gouvernant. Seulement, ce n’est pas le seul fait d’avoir un bureau dans un cabinet qui
donne un sens politique à un agent, mais bel et bien le processus de politisation que nous
avons évoqué précédemment, en contact avec les autres conseillers, dont les
représentations sont celles de la « politique de la terre ».
La « politique de la terre » n’est pas la forme inversée de la
politique des airs »
mais une représentation différente du sens politique et du métier politique. Elle puise sa
légitimité sur le terrain politique dans ses deux composantes : le terrain de la lutte partisane
et électorale et le territoire politique et administratif composé d’élus et de citoyens. Telle
est la vision d’un conseiller qui nous évoque les sens politique comme « une connaissance
des élus et des territoires français en lien avec un programme politique établi, une
compréhension des enjeux électoraux liés au calendrier politique et enfin des valeurs
politiques personnelles ». En effet, en plus d’avoir des valeurs politiques profondes et une
connaissance des dossiers, il y a une importance accordée au « Politics » et notamment à la
campagne présidentielle dont les proches conseillers ont été des acteurs centraux et à la vie
F. (50-60 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013.
Jacques LAGROYE, Chapitre 15, in. Jacques LAGROYE dir., La politisation, op. cit., p.363
93 H. (40-50 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013
91
92
51
politique et gouvernementale. A cela s’ajoute une profonde expérience, dans le domaine
partisan, antérieure à l’arrivée à la Présidence. Pour finir, l’attache territoriale, en lien avec
les élus de la majorité, est une composante essentielle de la « politique de la terre ». Elle
influe profondément dans l’organisation de l’entourage, dans les interactions qui ont lieu,
et participe pleinement au processus de politisation.
La dichotomie « politique politicienne » et « politique noble » n’est pas adéquate à
l’analyse sociologique de l’entourage du président. Et il serait illusoire et dangereux
scientifiquement de ne pas voir les finesses de la notion de politique au sein de l’entourage,
dont nous avons tenté ici une infime analyse. Il est évident que les croyances et les
pratiques des conseillers de François Hollande trouvent leur fondement dans les deux
notions évoquées du terme politique. Certains sont davantage dans les airs et d’autres plus
proches de la terre, mais quoiqu’il en soit, le processus de politisation rompt ces barrières
théoriques pour « mixer » et transgresser ces normes afin de trouver une complémentarité
pour atteindre au mieux l’objectif de servir les intérêts du Président et de la France.
52
Partie 3
L’exercice au concret de
l’influence
53
Chapitre 6
Des conseillers d’abord influents sur … le Président
« Un prince qui manque de sagesse
ne sera jamais sagement conseillé… »
Machiavel
Au sein du cabinet du Président de la République, comme dans tout espace de
pouvoir, ont lieu des luttes internes dans lesquelles l’influence joue un rôle important. En
effet, il serait illusoire de penser que le gouvernant décide seul de manière rationnelle et
que son entourage n’agit pas sur la décision finale. Le modèle du rationnal choice
développé en sociologie ne peut s’appliquer dans le cas du Président de la République qui
doit prendre un nombre considérable de décisions importantes par jour et par conséquent
s’appuie sur l’expertise de ses conseillers. Cela ne veut pas dire que le Président n’est pas
maitre de ses décisions et n’arbitre pas en dernier ressort.
Seulement, dans le concret et au regard de l’histoire politique, l'acteur rationnel
individuel décideur n'existe pas. Aucun gouvernant ne décide seul. Même l'autocrate le plus
absolu a besoin des autres autour de lui afin de répondre de la manière la plus complète à
un problème posé. De plus, les autorités publiques n'ont pas toutes les informations et un
gouvernant a besoin de plusieurs conseillers, aux origines et aux représentations diverses,
pour analyser finement un dossier et prendre la décision qui en découle. Une interviewée
note que « paradoxalement, on en sait trop pour juger correctement. On est tellement au
courant de tout le processus de prise de décision, on n’est pas capable de percevoir
sereinement comment la décision est prise. » 94 C’est pourquoi une complémentarité est
inévitable au sein même des entourages.
Le concept d’influence signifie donc que la décision est un processus social complexe
dans lequel s’animent plusieurs interactions entre les conseillers, dont l’influence varie en
fonction de leurs capitaux sociaux, culturels économiques et politiques. Par conséquent, il
94
F. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013
54
est difficile « d’appréhender le concept d’influence ».95 Et comme l’explique le sociologue
François Chazel, l’influence
se reconnaît à une certaine régularité dans les effets. Elle est
d’autant mieux assise qu’elle est susceptible d’applications plus nombreuses : une occasion
unique ne saurait en tout cas suffire à la fonder ou à l’établir ». Il appert de l’observation
et des entretiens réalisés plusieurs formes du concept d’influence qu’elle soit directe ou
indirecte.
I-
L’influence directe et l’influence indirecte
L’influence des conseillers exercée sur le Président revêt des formes diverses. Que cela
soit par note directe ou indirecte, par texto ou directement par la voie orale, les proches du
Président tentent d’influer sur l’action et les décisions du Président. Mais cette influence
est d’abord formelle et hiérarchique.
 La hiérarchie de l’influence
Le processus d’influence est issu en premier lieu de l’organigramme officiel du
Cabinet du Président de la République. En effet, les conseillers les plus influents seraient
ceux du sommet de la hiérarchie élyséenne telle que nous l’avons décrite dans le chapitre
1. Le Secrétaire Général et ses adjoints, le Directeur et le Chef de Cabinet, le conseiller
diplomatique, le conseiller spécial et le conseiller en communication sont les personnalités
les plus influentes dans l’espace élyséen. Le Secrétaire Général de la Présidence, chef de
l’équipe du Président et conseiller le plus proche physiquement – son bureau jouxtant celui
du Président au premier étage de l’aile centrale – représente le cœur de cette influence pour
plusieurs raisons. D’une part, l’ensemble des documents adressés au Président passent par
son bureau, ce qui lui donne un regard mais également une possibilité de refuser d’adresser
au Président certaines informations qu’il juge inutiles ou pas assez approfondies. D’autre
part, il est en capacité de s’adresse oralement au Président lorsqu’il le souhaite plusieurs
fois par jour. Aucun conseiller, ni même Ministre, pourtant très proche de François
Hollande, n’a la chance de jouir de cette proximité géographique. L’influence émane de
cette proximité. En effet, certains conseillers dont les bureaux sont à l’Hôtel de Marigny –
juste en face de l’Hôtel d’Evreux, il n’y a qu’une rue à traverser – nous ont confiés qu’ils
95
Samy COHEN, Les conseillers du Président, op.cit., p.13
55
se sentaient « éloignés par rapport aux autres »96 et par conséquent moins influents sur le
Président qu’ils ne peuvent croiser au détour d’un couloir. Il convient de nuancer cette
représentation puisque la plupart des conseillers qui résident au « Palais » ne croisent
jamais le Président et certains sont bien moins influents que le conseiller diplomatique,
Sherpa du Président, pour ne prendre que cet exemple, dont le bureau se trouve dans la rue
de l’Elysée longeant l’Hôtel d’Evreux.
Par ailleurs, l’influence ne procède pas uniquement de l’organigramme officiel et ne
peut être représenté dans un processus pyramidal dans lequel les conseillers du haut de la
hiérarchie auraient une influence plus forte que le conseiller de base. Comme nous l’avons
dit, l’influence est un cheminement social complexe dont l’évidence n’est pas certifiée.
Elle trouve d’abord son fondement dans les sujets et les domaines d’expertise des
conseillers. Le Président de la République fixe des directives et de grandes priorités
relatives au cap qu’il entend donner à la politique gouvernementale. Ainsi, certains
conseillers dont les thèmes sont développés par le Président et le gouvernement de manière
effective, auront une influence directe par rapport à ceux dont les sujets sont secondaires. Il
y a néanmoins quatre constantes depuis un certain nombre d’années : la diplomatie dont les
sujets sont éminemment liés à l’activité présidentielle, l’économie qui est une discipline
transversale à tous les pôles, la communication et enfin l’activité politique.
Les ressources de chaque conseiller sont une autre composante de l’influence. Certains
acteurs ont acquis par l’expérience un fort capital social que cela soit dans l’espace
politique, administratif, territorial, et peuvent donc peser sur les décisions présidentielles,
la ligne politique de la Présidence. C’est par exemple le cas de la Chef de cabinet du
Président Hollande qui, par sa socialisation et son expérience dans le domaine politique,
constitue un centre d’influence directe par sa proximité avec le Président de la République
et indirecte en raison de son capital social au sein du gouvernement et du microcosme
politique national comme au niveau territorial. Par ailleurs et en complément, certains
hauts fonctionnaires dans l’entourage du Président entretiennent un capital social relatif à
leur passage dans l’administration et dans les grands corps d’État. Une interviewée insiste
sur ce point en déclarant que « sur une promotion de l’ENA, on a toujours des copains
dans une administration ou dans un cabinet. Ça permet de passer un coup de fil très
96
F. (40-50 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013
56
rapidement. »97 Nous constatons ici la facilité pour un certain nombre de conseillers de
contourner les canaux d’informations officiels. Le conseiller qui n’est pas certain de la
fiabilité d’une information sur un projet de loi donnée par le cabinet d’un ministre, peut
très vite contacter un « copain » dans l’administration affiliée pour lui demander des
précisions. L’influence est liée à ces interactions.
L’ancienneté politique est également un concept structurant de la production
d’influence dans le sens où elle contribue à la proximité de certains conseillers auprès du
Président. Un conseiller corrézien de la Présidence insiste sur le fait qu’il « bénéficie de
cette proximité liée à la Corrèze. Mais pas besoin de la connaître personnellement, il suffit
de connaître la méthode.»98 Cette méthode du gouvernant ne s’apprécie pas rapidement et
l’ancienneté politique de certains conseillers est une des clés de l’influence directe sur le
Président mais également indirecte sur les autres conseillers en raison d’une légitimité
supposée naturelle représentée par la phrase suivante : « Que penses-tu que le PR
pense ? »99
Il est enfin primordial, pour qu’un conseiller soit influent au sein de l’entourage, que
les relations entre le Ministre et son cabinet et le conseiller du Président en charge du
portefeuille soient en bon terme puisque les ministres qui n’ont pas de proximité
personnelle avec le Président ont conscience du rôle influent du conseiller.
 L’influence écrite
L’entourage du Président n’influe pas uniquement par une voie directe liée à la
proximité morale et géographique de certains. En effet, le rôle des conseillers du Chef de
l’État est de « l’informer, le prévenir, l’alerter, l’éclairer. L’assister dans une vision à
long terme sur un quinquennat, sans oublier l’hebdomadaire. »100 Pour ce faire, plusieurs
voies sont préférées par les conseillers et sont devenues des formes intégrées de
l’influence.
F. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013
H. (40-50 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013
99 Idem
100 F. (50-60 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013
97
98
57
Les notes représentent une institution à la Présidence de la République. Elles sont
diverses et prennent la forme de notes de pure information « qui nous vient d’une source
extérieure »101, de notes d’instruction, de notes de préparation aux entretiens téléphoniques
ou en personne, de notes de proposition de déplacement et de dossiers conséquents lors des
déplacements en France et à l’étranger. Les conseillers s’appuient la plupart du temps sur
les ministères relatifs aux thèmes du déplacement ou de l’entretien et retravaillent les écrits
reçus. « On fait de la mise en cohérence ». 102En effet, l'une des grandes caractéristiques
mise en avant par les études sociologiques des sphères dirigeantes c'est ce règne de la
simplification (avec des notes de trois pages au ministre, transmis en note d'une page au
Président). Dans leurs notes, les conseillers peuvent mettre en œuvre une influence
indirecte en installant leurs analyses sur un sujet et en réécrivant les notes issues des
ministères. En dernier ressort, c’est encore l’influence du Secrétaire Général qui prévaut
puisque, tel le note un interviewé, « toutes nos notes sont validées par le SG avant
d’aboutir chez le PR ».103 Dans son ouvrage précédemment cité sur les entourages des trois
premiers Présidents de la Vème République, Samy Cohen fait le constat du « même
rapport à l’influence que sous Giscard avec les relations bilatérales sous forme de notes »
104
L’influence des conseillers sur le Président, qu’elle soit directe ou indirecte, est
néanmoins et en outre le fruit de la confiance du Président en ses conseillers. Le processus
d’influence n’induit pas des interactions à sens unique mais bel et bien des relations
réciproques entre le Chef de l’État et son entourage.
II-
Le Président lui-même acteur de l’influence de ses
conseillers
L’entourage du Président de la République exerce une influence sur les décisions du
Chef de l’État et par conséquent sur l’action présidentielle que cela concerne ses
déplacements et ses déclarations ou les réformes de fond pensées et préconisées.
H. (30-40 ans), Chargé de mission, Juillet 2013
Idem
103 Idem
104 Samy COHEN, Les conseillers du Président, op.cit., p.38
101
102
58
Seulement, cette influence n’est pas du seul fait de la volonté et des chances de puissance
des conseillers mais en outre de la place et de l’importance que donne le Président à ses
proches.
Le sociologue et économiste américain, Herbert Simon est le premier à avoir remis en
cause la théorie du « rational choice », précédemment évoquée. Dans l’ouvrage
Administrative behavior, il théorise le modèle de
l'acteur décisionnel agissant sous
contraintes (« bounded rationality ») ou rationalité entravée. En effet, le décideur ne peut
prendre une décision seul en toute rationalité pour plusieurs raisons. La première est liée à ce
que l’on nomme la « dissonance cognitive ». C'est une tendance de l'esprit humain qui se
traduit par une préférence pour le savoir et nos croyances acquises au détriment des
nouveautés. Lorsque le gouvernant se trouve en situation de choix, avec une multitude
d’options qui s’offrent à lui, il a tendance à écarter l'information nouvelle, même si elle est
vraie. Samy Cohen insiste sur ce point concernant le Président de la République. « Il est une
règle rarement démentie : un prince qui a des idées accepte plus volontiers les avis qui
rejoignent ses idées plutôt que ceux qui s’y opposent. (…) Ce n’est pas étonnant si les
conseillers les plus écoutés sont ceux qui ont le mieux réussi à s’imprégner de la pensée du
leader (…) être influent en l’occurrence, implique qu’on soit d’abord soi-même
influencé. »105 Cette réflexion ne signifie aucunement que le conseiller ne conserve pas son
indépendance face au leader mais que le style et la pensée de ce leader influe sur
l’influence du conseiller.
Ce phénomène doit s’analyser avec prudence puisqu’il est profondément lié à la
personnalité, aux ressources et à l’idéologie du gouvernant. C’est pourquoi le Président est
lui-même acteur de l’influence ici étudiée. « On existe que par le chef » note une
conseillère. 106 Cette existence vaut pour l’extérieur du Palais mais également pour
l’intérieur. Le Président influence son entourage dans le sens où il décide du rôle qu’il veut
faire jouer à ses collaborateurs. Les ressources et les pratiques des conseillers dépendent
avant tout de la singularité du Président. Dans ses Mémoires, Henry Kissinger, Secrétaire
d’État du Président Nixon décrit parfaitement ce processus :
105
106
Ibid, p.176
F. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013
59
« En dernière analyse (…) l’influence dont jouit un collaborateur du Président lui vaut presque
exclusivement de la confiance que ce dernier met en lui, et non de l’organisation administrative.
Mon rôle aurait très probablement été le même, à peu de chose près, si le système Johnson était
resté en vigueur. La proximité y est pour beaucoup : la possibilité de s’entretenir avec le
Président plusieurs fois par jour a souvent une importance décisive, bien plus que le fait de
présider des commissions ou le droit de présenter des options ».107
L’ultime illustration du rôle du Président dans le processus d’influence est le choix
personnel qu’il fait de contacter et d’écouter tel ou tel conseiller interne mais également
des personnes externes. Celles-ci peuvent être issues de divers milieux professionnels
allant du monde médiatique aux acteurs économiques en passant par les intellectuels. Le
gouvernant décide alors d’aller au-delà de la simple et formelle influence de son cabinet et
laisser entrer dans le processus de décision des acteurs externes au champ initial. Tout
Président a entretenu des entretiens, des contacts, avec des proches, des anciens camarades
ou collègues, des personnalités de la société civile, qui l’informent, le conseillent, le font
réfléchir dans l’ombre. François Mitterrand avait l’habitude de déjeuner régulièrement
avec Françoise Sagan et il serait candide de croire que ces rencontres n’ont joué aucun rôle
dans sa conception du pouvoir et de l’activité publique. Cette influence de l’ombre revêt
plusieurs formes : déjeuners, diners, entretiens informels en personne ou par téléphone,
mais la particularité de notre époque est l’utilisation soutenue des
textos » qui jouent un
rôle essentiel dans l’influence des gouvernants et permettent une opacité totale, un secret
entier sur le contenu de ces relations de pouvoir.
L’influence des conseillers sur le Président est certes primordiale dans l’analyse
sociale du rôle de l’entourage des gouvernants. Néanmoins, cette influence s’anime aussi
sur les institutions extérieures à la Présidence et nous allons voir que, là encore, la
personnalité et le style du Président sont au cœur du processus.
107
Henry KISSINGER, À la Maison-Blanche, 1968-1973, 2 vol. Fayard, Paris, 1979
60
Chapitre 7
Une influence recadrée envers l’extérieur
"On a le droit de juger un homme à
l'influence qu'il exerce sur ses amis."
Oscar Wilde
Les conseillers du Président de la République ne sont pas enfermés dans le Palais de
l’Elysée duquel ils organiseraient de loin la politique de la France et l’activité
présidentielle. Quand bien même l’Hôtel d’Evreux et ses dorures peuvent donner une
image de forteresse imprenable, l’entourage du Président, à son image, est en lien constant
avec le gouvernement et tente dans la mesure du possible de « sortir », de rencontrer
l’ensemble des français. L’influence de l’entourage correspond à la personnalité du
gouvernant et au pouvoir qu’il met entre les mains de ses conseillers. Nous verrons que
l’organisation de l’influence de l’équipe de François Hollande rompt de manière ferme
avec le style du précédent Président.
I-
Les relations extérieures de l’entourage du Président
L’agenda des conseillers du Président ne leur permet pas d’apporter une réponse
positive à chaque demande d’entretien et de rencontrer tous les secteurs. En revanche, afin
de conseiller au mieux le Chef de l’État et de communiquer, de gérer la mise en œuvre des
orientations présidentielles, ils sont des acteurs à part entière du pouvoir organisationnel et
administratif de la France et s’efforcent de ne pas se laisser enfermés par une institution
dont les normes et les pratiques ont tendance à séparer les agents du monde social.
 L’Elysée : une institution centrale de long terme
Il convient de rappeler ici une évidence souvent décriée et mal analysée par la presse ;
le Président de la République et par conséquent son entourage sont des acteurs essentiels
du travail gouvernement
al. Cette affirmation réside dans la constitution française. Le
droit constitutionnel français donne au Président des pouvoirs qui sont encore vifs et
fermes aujourd’hui. Chaque Chef d’État a adapté le droit à sa vision de la France mais les
61
règles d’arbitrage en dernier ressort, de signature des décrets, de nominations diverses, sont
communes à tous les gouvernants de la Vème République. En ce qui concerne le Cabinet
du Président, nous avons vu qu’il n’était régi par aucune règle de droit mais conforme aux
représentations du Chef de l’État. C’est pourquoi, outre les pouvoirs traditionnels de la
Présidence, les prérogatives de l’entourage présidentiel ont évolué au gré des élections et
des circonstances mais connaissent cependant certaines constantes.
L’élection du Chef de l’État au suffrage universel direct, le régime présidentiel de la
Vème République, le lien qui unit les français à leur Président, sont autant de raisons à un
phénomène commun à tous les Président depuis 1958 de « prendre le ballon » sur certains
sujets éminemment politiques et sensibles qu’ils soient nationaux ou internationaux. La
conséquence directe est de conduire les conseillers vers des processus décisionnels
auxquels ils ne devraient pas participer ordinairement. En effet, un conseiller évoque que le
« Président cède parfois
à une forme de pulsion assez naturelle, surtout depuis le
quinquennat, à dire « c’est nous les patrons » car c’est vers lui que vont se retourner les
français. »108 C’est pourquoi, le Président de la République actuel s’efforce de suivre la
règle générale qui stipulerait que le gouvernement gouverne et que le Président préside. En
dehors des sujets qui sont strictement présidentiels, les domaines d’expertise des
conseillers du Président sont dans l’intersection entre le gouvernement et l’intensité
politique du sujet. Leur rôle est celui d’interface avec le ministère et Matignon, pour
s’assurer que les orientations du Président soient mises en œuvre.
Le principe de subsidiarité a toujours été une règle constituante de la Présidence de la
République pour ne pas influer outre mesure dans l’activité gouvernementale et respecter
les missions et les prérogatives de l’administration française. Certains sujets nécessitent en
revanche l’intervention directe du Président, notamment l’activité diplomatique, tel le note
ce conseiller : « le principe de subsidiarité, notamment pour l’activité diplo, parfois n’est
pas respecté. C’est lié à l’influence que nous devons avoir sur le Président. Nous sommes
des conseillers du Prince mais nous sommes aussi, du fait qu’on doit être au courant de
tout, des pilotes de l’État, des acteurs à part entière de l’État stratège. »109
108
109
H. (50-60 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013
H. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013
62
Cette spécificité du conseiller présidentiel d’être
au courant de tout » n’est pas nouvelle
et structure l’influence de l’entourage du Président. Georges Pompidou exigeait dès le
début de son septennat de son entourage « de la vigilance sur les affaires ». Cette vigilance
est très importante et ne doit pas être confondue avec une mainmise des conseillers de
l’Elysée sur les cabinets ministériels et sur Matignon. Seulement, le métier de conseiller
inclut ce rôle de capteur d’idées, d’ambiance pour faire remonter des alertes. En effet
l’entourage du Président, à la différence de celui du Premier Ministre, a la chance à
l’Elysée de ne pas avoir « les mains dans le cambouis » sur les dossiers de court terme jour
et nuit. « On n’est pas accaparés par le quotidien. On a un rôle qui est plus en
apesanteur » note une conseillère.110 Cette vision plus transversale permet au conseiller de
choisir les sujets qui relèvent du Président de la République même si la conseillère ajoute
que « certains nous choisissent. »
Pour jouer ce rôle de « capteur » et être un conseiller influent, il convient d’être en
relation constante et confiante avec les ministères et Matignon. C’est ce que certains
conseillers de Nicolas Sarkozy n’ont jamais compris, nous le verrons. Car la particularité
de la Présidence « c’est qu’il n’y a pas d’administration. Il n’y a pas de services » note un
conseiller111 - au sens de l’administration centrale des ministères puisque l’Elysée a un
petit nombre de services techniques. « Si on n’est pas capable de travailler correctement
avec les ministères qu’on suit, on n’a pas les informations et on ne peut avoir les
documents nécessaires par une voie agréable. On repose sur leur expertise. » Lors des
entretiens, tous les conseillers nous ont dit qu’ils entretenaient des rapports réguliers, si ce
n’est quotidiens, avec les
dir cabs » et leurs adjoints dans leur secteur par téléphone et
organisaient une rencontre hebdomadaire avec leur interlocuteur ministériel et à Matignon.
« Ça permet que ce soit relativement fluide ». 112 Dans le cas des déplacements du
Président, la Chef de cabinet est également en contact avec Matignon et l’ensemble des
ministères. En effet, pour chaque déplacement thématique, le Président de la République
est accompagné du ou des ministres dont les portefeuilles correspondent au thème du
déplacement. Par conséquent, la Chef de Cabinet organise les déplacements dans une
relation fluide avec les cabinets gouvernementaux, d’une part, et les services déconcentrés
de l’État, d’autre part. L’influence est liée à ces contacts.
F. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013
H. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013
112 F. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013
110
111
63
 L’isolement du palais
Malgré cette influence précieuse dont jouissent les conseillers du Président, il existe un
risque d’enfermement de l’entourage au sein du palais mais particulièrement au sein des
représentations présidentielles liées aux normes sociales de l’institution. Et cet
enfermement est perçu par le Président et ses conseillers. « L’inconvénient, c’est le risque
d’isolement, alors qu’à Matignon il y a plus de monde. »113 Un autre conseiller ajoute :
« On est coupé du pays réel. Il faut essayer de le compenser en étant conscient et très
attentif à tout ce qu’on peut capter. »114 Ainsi, ils s’efforcent de
sortir » le plus possible
et quand le quotidien les en empêche, ils organisent des rencontres à la Présidence. Et ce
n’est pas difficile pour eux puisque « tout le monde vient vous voir. Vous n’avez pas besoin
de remplir votre agenda » 115 note un conseiller. En effet, le poste de collaborateur du
Président renvoie une représentation de l’influence dont nous avons parlée précédemment,
et les acteurs de la société civile, qu’ils soient des associations, des entreprises, des élus,
des syndicats, des collectifs, des particuliers, connaissent cette force d’influence du
Président et des conseillers. Seulement, il faut faire des choix, que cela soit pour le
Président ou pour ses conseillers qui rencontrent parfois des personnes qui n’ont pu obtenir
un entretien avec le Président. Ce choix effectué par le Chef de l’tat lui-même et par ses
plus proches conseillers est un risque puisque « le Président est sociologiquement en
contact avec des gens de son monde. On peut ne pas voir des fractures silencieuses et
profondes qui s’opèrent », selon un proche conseiller.116
Ce risque est en partie lié à une capacité de résistance du terrain que tente de surmonter
le Président en se déplaçant autant qu’il lui est possible. Les conseillers font de même pour
ne pas devenir « des gens décontextualisés » pour reprendre l’expression d’une
conseillère.117 Elle ajoute qu’il est primordial de s’entretenir de manière informelle, que
cela soit « dans sa section ou sur un marché, pour écouter comment les gens perçoivent les
choses sans être autant informés que nous le sommes. » Une autre insiste sur cette priorité :
« Il faut avoir des relais dans nos connaissances. Certes des relais de la société civile, plus
institutionnels, des sociologues, des chercheurs. Mais il faut sortir, il faut prendre le
H. (40-50 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013
Idem
115 Idem
116 Idem
117 F. (30-40 ans), Conseiller du Président, Juillet 2013
113
114
64
temps. On ne fait pas son boulot si on ne sort pas. »118 Quand bien même, ils ne peuvent
faire aboutir pleinement leurs souhaits de rencontre avec différents acteurs, de sortie afin
de palper le sentiment de la société, de dialogue avec l’ensemble de leur secteur, cette prise
de conscience du risque d’être enfermé représente une influence saine et modérée qui n’a
pas toujours été d’actualité à la Présidence et qui est due en grande partie aux directives et
au style du Président de la République.
II-
« On est les conseillers normaux d’un Président
normal » : le changement de pratiques
Comme le montre Samy Cohen, à propos des années 1970, ou divers ouvrages non
universitaires mais bien informés à propos des deux septennats mitterrandiens, les
conseillers de tous nos Présidents successifs ont joui d’une très réelle mais fort discrète
influence à chaque époque. Or, rompant avec l’esprit et la pratique de ses prédécesseurs,
l’on se souvient que Nicolas Sarkozy a tout au long de sa présidence incité les dirigeants
de son équipe élyséenne, en particulier le Secrétaire général Claude Guéant, et le conseiller
spécial Henri Guaino, à intervenir sur la scène médiatique pour commenter et expliciter la
politique du Gouvernement, et pour « compléter » les propos des ministres. Quant aux très
nombreux conseillers dont s’était entouré le Président Sarkozy, leur interventionnisme sur
les cabinets ministériels et les directions d’administration centrale a été maintes fois attesté
sur tant et tant de dossiers.
 La rupture Nicolas Sarkozy
Pour reprendre les mots de Samy Cohen,
cette pression de l’appareil élyséen ne s’est
pas exercée avec la même intensité tout au long de la Vème. Elle varie d’abord en fonction
de la conception que le conseiller de l’Elysée se fait de son rôle, de l’intérêt manifesté par
le Président à l’affaire et du degré d’entente entre le ministre et le chef de l’État. »119 Au
cours de la Vème République, le Secrétaire Général de l’Elysée a toujours eu un pouvoir
conséquent qui tient, nous l’avons vu, à sa proximité avec le Président et le plus souvent
son influence liée à ses ressources et ses capitaux sociaux. Même si le Général de Gaulle
dit que « le Secrétaire Général est au centre et au courant de tout », cela ne signifie pas
118
119
Idem
Samy COHEN, Les conseillers du Président, op.cit., p.69
65
qu’il commente tout, qu’il décide de tout et qu’il se substitue au Premier Ministre et à
certains ministres. C’est cela qui s’est déroulé au cour du quinquennat Sarkozy, même si le
Général avait une conception large de l’influence de son Secrétaire Général.
Les Présidents qui ont succédé à De Gaulle ont, la plupart du temps, suivi la règle
coutumière qui dicte que les seules déclarations du Secrétaire Général doivent être
l’annonce de la composition du Gouvernement ou des décisions de grande ampleur,
quoique le Président ou le Premier Ministre les annoncent le plus souvent. En effet, « la
seule lumière qui jaillit de l’Elysée est celle qui émane du chef de l’État ». 120 Sous la
Présidence de Nicolas Sarkozy, l’influence de son entourage était telle que certains y
voyaient « un mépris de l’État, de l’appareil d’état et des institutions. » 121 En effet, il
existait une suprématie totale du Président par rapport au Premier Ministre et par
conséquent du Cabinet de la Présidence par rapport à celui de Matignon. A tel point, que
« les conseillers de l’Elysée allaient aux RIM et les présidaient, ce qui est contraire à la
constitution puisque le pouvoir d’arbitrage est dévolu au Premier Ministre. Cela allait à
l’encontre de l’article 5 de la Constitution et du rôle du Président ».122 « Les conseillers
étaient l’incarnation de ce pouvoir omnicentré » ajoute un interviewé.123 Nous voyons là
encore que l’influence de l’entourage est fortement liée à la vision du gouvernant.
Cette influence démesurée prenait aussi forme dans les interactions avec
l’administration, et plus précisément les directions d’administrations centrales dans les
ministères qui n’étaient pas, ou trop peu, associées aux décisions prises par le
gouvernement, et souvent par le Président. Cette absence des services dans la conduite des
réformes est une des principales causes de l’échec de la politique de Nicolas Sarkozy
puisque pour mettre en œuvre une réforme précédemment mis à l’agenda, il est inévitable
d’associer l’administration. Par exemple, un conseiller diplomatique du Président Hollande
nous explique que « pour la préparation d’un entretien avec un Chef d’État étranger, et
l’entretien, l’ambassadeur de France participe obligatoirement ainsi que le directeur du
service concerné au Quai d’Orsay. Deux fonctionnaires alors que sous Sarkozy c’était un
ou zéro. C’est avant tout un instrument d’information pour le Quai et un instrument de
Ibid
F. (30-40), Conseiller du Président, Juillet 2013.
122 H. (50-60), Conseiller du Président, Juillet 2013.
123 Idem
120
121
66
motivation pour les services. »124 En effet, sous la Présidence de Nicolas Sarkozy, il y avait
des sujets qui étaient uniquement gérés par les politiques et d’autres, uniquement travaillés
par les fonctionnaires. En sus, l’équipe restreinte de Nicolas Sarkozy (SG et conseiller
spécial) omettait parfois, à dessein, de convier le conseiller en charge du dossier à la
décision. Par exemple, en ce qui concerne la diplomatie, « certains sujets échappaient
totalement à la cellule diplomatique de l’Elysée. »125
Dans une des conclusions de son étude sur l’entourage présidentiel, Samy Cohen
explique que « ce qui est en cause, ce n’est pas la
toute puissance de conseillers occultes
et sans responsabilité devant le Parlement », c’est l’abdication pure et simple de certains
ministres devant le pouvoir du Chef de l’État ».126 Il nous semble opportun d’infirmer en
partie cette idée. Sous la Présidence de Nicolas Sarkozy, il n’existait pas d’abdication pure
et simple de certains ministres mais une centralisation de l’information et donc du pouvoir
– puisque le pouvoir est indissociable d’une information complète et saine – entre les
mains du Cabinet du Président de la République. Ce dernier ne considérait pas les
ministres dans leur rôle public de chef d’orchestre de la politique gouvernementale et de
commentateur de cette politique. C’est pourquoi Claude Guéant, Secrétaire Général de
l’Elysée, et Henri Guaino, conseiller spécial, peuplaient les plateaux de télévision se
substituant aux ministres dans leurs missions traditionnelles.
Pour reprendre l’expression du Conseiller d’État et spécialiste du Président de la
République, Jean Massot, les conseillers du Président sont des collaborateurs et « ne sont
pas les dépositaires de la pensée présidentielle et n’ont pas à formuler en son nom des
oracles ou des décisions ».127
 Le respect des institutions
Dès son installation à l’Elysée, François Hollande a donné des consignes très strictes
aux fins qu’il soit mis un terme à ces pratiques et que l’on en revienne aux traditions de
discrétion et de réserve qui avaient prévalu auparavant. Le nouveau secrétaire général de la
Présidence, Pierre-René Lemas, dans le seul entretien télévisé qu’il ait accordé jusqu’à
Idem
Idem
126 Samy COHEN, Les conseillers du Président, op.cit., p.173
127 Jean MASSOT, La Présidence de la République en France, Paris, La documentation française, 1986, p.68
124
125
67
présent, sur TF1, quelques jours à peine après la passation de pouvoir, s’en expliquait en
ces termes : « Les décisions sont les décisions du Président. C’est normal que le Président
soit le seul à exprimer les décisions du Président. (…) On n’a pas d’existence publique.
Nous ne sommes que des collaborateurs ». De fait, les occupants des deux bureaux qui
entourent celui du Président demeurent, une année après le début du mandat, inconnus du
grand public et ne s’expriment jamais dans les médias.
Quant aux conseillers techniques, ils ont été explicitement cadrés par un Président
soucieux d’un retour aux pratiques antérieures à Nicolas Sarkozy : « L’Elysée n’est pas là
pour donner des ordres. C’est une question de degrés »128, remarque tel interviewé. Tel
autre explique qu’il leur a été demandé de se tenir au courant de tout mais de ne pas
décider eux-mêmes et encore moins de s’immiscer dans le fonctionnement des ministères
ou de perturber le travail des conseillers de Matignon. « La stratégie qu’on a arrêtée, c’est
que (les conseillers) se mettent dans un fonctionnement très fluide avec leur correspondant
à Matignon et les dir’cab’ des ministères. Ils se voient toutes les semaines. Il y a une sorte
de flux permanent. Et il n’y a plus de RIM faite par des conseillers à l’Elysée ».129 Dès
lors, toutes les réunions interministérielles se déroulent exclusivement à Matignon, sous la
présidence des conseillers du Premier ministre. « L’Elysée y est présent mais il ne décide
pas. Si on n’est pas d’accord, on le remonte sous forme de note commune vers le Premier
Ministre et le Président qui décideront de cela lors de leurs déjeuners réguliers ».130
Les intéressés semblent s’être bien fait à ce mode de fonctionnement – et ce d’autant
plus facilement qu’ils n’avaient pas pratiqué l’autre –, comme l’attestent les propos de telle
autre conseillère interviewée : « On n’existe que par le chef, on n’incarne pas la parole du
chef. On est là pour la défendre, mais il faut savoir doser. (….). De toute façon, l’État,
c’est une administration, et on ne peut pas gérer la France à douze personnes ! ».131
L’influence de l’entourage du gouvernant est une composante essentielle dans
l’analyse des classes dirigeantes. En effet, qu’elle soit directe ou indirecte, sur le décideur
ou sur le monde externe à l’espace de référence, elle est le ciment du processus social qui
contribue à la formation et l’apparition d’une institution.
H. (40-50), Conseiller du Président, Juillet 2013.
H. (50-60), Conseiller du Président, Juillet 2013.
130 Idem
131 F. (30-40), Conseiller du Président, Juillet 2013.
128
129
68
Conclusion
Dans son 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Karl Marx esquisse une représentation
singulière du Président de la République. « Tandis que l’Assemblée reste constamment sur
la scène exposée à la critique de l’opinion publique, il mène une vie cachée, aux Champs
Elysées, ayant sous les yeux et dans son cœur l’article 45 de la Constitution qui lui crie
tous les jours : « Frère, il faut mourir ! Ton pouvoir cesse le second dimanche du joli mois
de mai, dans la quatrième année de ton élection ! Alors, c’en sera fini de la splendeur ! »132
Cette déclaration s’adresse à Napoléon et les institutions françaises ont évolué, mais la
réalité n’est autre que le pouvoir du Chef de l’État cesse au « joli mois de mai » de la
cinquième année, ce qui lui donne peu de temps pour mettre en œuvre une politique
singulière et efficace. En revanche, le Président de la Vème République, à la différence des
régimes antérieurs, est le premier « exposé à la critique de l’opinion publique » et cette
« vie cachée » dont parle Marx correspond davantage à l’entourage qu’au Président luimême.
Il serait hasardeux de prétendre à des conclusions au terme de cette courte étude sur
le Cabinet du Président de la République. En effet, la complexité des notions et des
phénomènes sociaux évoqués ici nécessiterait plusieurs points de vue, des critiques
constructives, des observations comparatives pour tendre vers leur aspect positif.
L’observation de terrain que nous avons entreprise, agrémentée d’entretiens, nous autorise
en revanche à mettre en exergue certaines continuités dans les pratiques et les
représentations, des spécificités au sein des relations sociales qui s’animent à l’intérieur du
champ étudié, des propositions de définition des concepts. L’entourage du Président de la
République constitue un groupe social, tel qu’il en existe d’autres au sein de notre société,
qui se définit par un attachement des agents à ce groupe. Seulement, la particularité du
Cabinet du Chef de l’État réside dans la personnalité même du Président dont les pouvoirs
sont extérieurs au monde social. En effet, sa fonction est définie par un texte
constitutionnel, et même s’il tire sa légitimité du suffrage universel, ses prérogatives sont
132
Karl MARX, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Edition sociales, 1976, pp.32-33
69
stipulées par la Constitution. Néanmoins, nous avons vu que les fondements de l’entourage
dudit Président n’étaient point issus d’une norme extérieure mais bel et bien du social, des
interactions entre les individus et du choix personnel du gouvernant. Que cela soit dans
l’organisation réelle du Cabinet, dans la création de l’organigramme et de l’équipe, dans la
représentation du rôle et du poids des conseillers, dans l’influence de l’entourage, le
Président est, de manière réfléchie ou inconsciente, un acteur à part entière. L’équipe du
Président est à son image.
Nous pouvons aussi évoquer plusieurs faits sociaux qui contribuent à l’étude de
l’entourage. À défaut de s’intéresser toujours aux particularismes, il est essentiel
d’observer certains paquebots naviguant dans l’ombre, tellement plus représentatifs d’un
environnement. Les anciens élèves des grandes écoles françaises et de l’ENA sont toujours
majoritairement présents. Ils sont filles et fils de Cadres et professions intellectuelles
supérieures. Mais il est important de noter que la Cabinet est plus hétérogène qu’il n’y
parait. S’il est peuplé d’une grande majorité de hauts fonctionnaires issus de l’ENA et des
grands corps, un certain nombre de profils atypiques et singuliers apparaissent dans le
théâtre élyséen traditionnel. Ils représentent une diversité qui peut engendrer des
incompréhensions mais créer une complémentarité nécessaire et bénéfique au Président.
Les interactions qui précèdent cette complémentarité, communes à tous les groupes
sociaux, s’expliquent par plusieurs phénomènes dont le plus percutant et relatif au Cabinet
demeure la politisation. Outre une socialisation différente pour chaque conseiller, des
pratiques et des croyances diverses, des capitaux différents, qui jouent un rôle primordial,
la notion de politique et ses représentations complexes sont au cœur de l’analyse. En effet,
le métier de conseiller se caractérise, entre autres, par le processus de politisation, la mise à
distance par les agents des contraintes liés au champ pour adapter leurs pratiques et leurs
croyances aux différents registres auxquels ils sont obligés de faire face.
Nous souhaiterions par cet écrit, sans renoncer aux aspects plus évidents cités et
expliqués précédemment au cours de cette étude, s’attarder sur la politisation à différents
degrés des membres du Cabinet du Président de la République. Telle est notre critique
d’une dichotomie absurde entre des
technocrates » et des « politiques ». Nous avons vu
qu’il existât, certes, une méfiance réciproque aux premières heures de la présidence
Hollande entre des personnes provenant de mondes différents. En revanche, cette
différence qui devint une complémentarité au fil des réunions, présente une finesse
70
exceptionnelle qui réside dans le sens donné au terme « politique » par les conseillers du
Président. Chacun se dit « politique ». Et même le plus technocrate des « technos »
œuvrant pour le Président fait en quelques sortes de la politique. Pourtant, il y aurait cette
opposition innée entre ces deux mondes qui n’en forment qu’un au sommet de l’État.
Il convient enfin de notifier l’influence de l’entourage du Président. Par différents
processus, les conseillers influent sur la décision du gouvernant mais aussi sur les
institutions extérieures à la Présidence. Nous avons pu rompre avec l’évidence du choix
rationnel et solitaire du Président en montrant les processus sociaux qui concourent au
pouvoir de l’entourage. Néanmoins, le Président est, là encore, acteur et producteur de
normes puisqu’à lui seul revient la tâche de définir une attitude et un style dont les
conseillers doivent hériter dans leurs tâches quotidiennes.
Bien que plusieurs préjugés furent éliminés et certaines réponse esquissées, cette
analyse de l’entourage du gouvernant ouvre la porte à d’autres questionnements et à
d’autres études scientifiques. En effet, l’intrication de la complexité et du poids social et
politique du Président de la République invite à réfléchir, sans craindre l’innovation et la
transversalité entre les disciplines, sur le Président dans sa complexité, dans son rapport au
monde social, dans ses représentations, et sur son rôle dans la France contemporaine. Car,
tel que l’énonce Philippe Braud,
à travers le Président, c’est en effet l’appareil d’État tout
entier qui bénéficie du suffrage universel comme substitut moderne de l’onction des
rois. »133 En unissant les méthodes scientifiques, une réflexion sérieuse doit émerger sur le
paradoxe inhérent à notre temps entre un Président théoriquement puissant - en raison du
lien personnel qui unit sa personne aux concitoyens, d’un entourage qui exerce une
influence certaine, des textes constitutionnels qui le hissent au sommet de la hiérarchie des
normes – et ses marges de manœuvre concrètes sur les espaces de pouvoir. La Vème
République de 2014 n’est plus celle de 1958. Pour autant, l’institution présidentielle n’a
que peu évoluée au cours des cinquante dernières années et les entourages élitistes
constituent une entrée scientifique pertinente.
133
Philippe BRAUD, « Elire un Président ou honorer les Dieux », Pouvoirs, n°14, 1980, pp.26-27
71
Sources
Cairn : www.cairn.info
Persee : www.persee.fr
Conseil Constitutionnel : www.conseil-constitutionnel.fr
Conseil d’État : www.conseil-etat.fr
La Présidence de la République : www.elysee.fr
Aspects juridiques : www.legifrance.gouv.fr
72
Bibliographie
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Seuil, 1977
Pierre BIRNBAUM, Les élites socialistes au pouvoir, PUF, 1985
Pierre BOURDIEU, La Distinction. Critique sociale du jugement, Les Éditions de Minuit,
1979
Pierre BOURDIEU, La noblesse d'État : grandes écoles et esprit de corps, Paris, Les
Éditions de Minuit, coll. Le sens commun », 1989
Samy COHEN, Les conseillers du Président, PUF, 1980
Norbert ELIAS, La Société de cour, Flammarion, 1985
Jean-Michel EYMERI-DOUZANS, La fabrique des énarques, Paris, Economica,
coll. Études politiques », 2001
Michel FOUCAULT, Les Mots et les Choses. Une archéologie des sciences humaines,
Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des sciences humaines », 1966
Henry KISSINGER, À la Maison-Blanche, 1968-1973, 2 vol. Fayard, Paris, 1979
Bernard LACROIX et Jacques LAGROYE dir., Le Président de la République de la
République. Usages et genèses d’une institution, Presse de la FNSO, 1992
Jacques LAGROYE dir., La politisation, Belin, 2003
Jean MASSOT, La Présidence de la République en France, Paris, La documentation
française, 1986
Le Comte de Maugny, « Cinquante ans de souvenirs (1859-1909) », Plon, 3e édition, 1914
Jean-Paul SARTRE, L’existentialisme est un humanisme, Nagel, 1946
Articles dans des revues spécialisées
Philippe BRAUD, « Elire un Président ou honorer les Dieux », Pouvoirs, n°14, 1980
Pierre BOURDIEU, « Les rites comme actes d’institution », Actes de la recherche en
sciences sociales, Vol.43, juin 1982
73
Jean-Louis BRIQUET, « Communiquer en actes - Prescriptions de rôle et exercice
quotidien du métier politique », Politix, 1994, 7(28)
Guy CARCASSONNE, « Typologie des cabinets », Pouvoirs, n°36, 1986
Jacques LAGROYE, « Être du métier », Politix, 1994, 7(28)
74
Annexe n°1 : Liste des entretiens auprès des conseillers du
Président en juillet 2013
Bernard Combes – Conseiller en charge de relations avec les élus
Anne Courrèges – Conseillère Education
Sylvie Hubac : Directrice de Cabinet
Paul Jean-Ortiz : Conseiller diplomatique et Sherpa du Président
David Kessler – Conseiller Culture
Faouzi Lamdaoui - Egalité et diversité
Thomas Melonio : Chargé de mission Afrique
Valérie Metrich-Hecquet : Conseillère agriculture
Aquilino Morelle – Conseiller politique
Fabien Penone – Conseiller Russie, Balkans, ex-CEI, Amériques, politiques
extérieure de l’Union européenne
Fabien Peyraud : Conseiller G8-G20
Nicolas Revel : Secrétaire Général adjoint
Thierry Rey : Conseiller sport
Constance Rivière – Conseillère Institutions, société, libertés publiques
Isabelle Sima : Chef de Cabinet
Michel Yahiel : Conseiller Travail, emploi et protection sociale
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Annexe n°2 : Titre II de la Constitution de 1958
LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
ARTICLE 5.
Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son
arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de
l'État. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du
respect des traités.
ARTICLE 6.
Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. Les modalités
d'application du présent article sont fixées par une loi organique
ARTICLE 7.
Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés.
Si celle-ci n'est pas obtenue au premier tour de scrutin, il est procédé, le
quatorzième jour suivant, à un second tour. Seuls peuvent s'y présenter les deux
candidats qui, le cas échéant après retrait de candidats plus favorisés, se trouvent
avoir recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour. Le scrutin est
ouvert sur convocation du Gouvernement. L'élection du nouveau Président a lieu
vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus avant l'expiration des pouvoirs du
président en exercice. En cas de vacance de la Présidence de la République pour
quelque cause que ce soit, ou d'empêchement constaté par le Conseil constitutionnel
saisi par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, les
fonctions du Président de la République, à l'exception de celles prévues aux articles
11 et 12 ci-dessous, sont provisoirement exercées par le président du Sénat et, si
celui-ci est à son tour empêché d'exercer ces fonctions, par le Gouvernement. En
cas de vacance ou lorsque l'empêchement est déclaré définitif par le Conseil
constitutionnel, le scrutin pour l'élection du nouveau Président a lieu, sauf cas de
force majeure constaté par le Conseil constitutionnel, vingt jours au moins et trentecinq jours au plus après l'ouverture de la vacance ou la déclaration du caractère
définitif de l'empêchement. Si, dans les sept jours précédant la date limite du
dépôt des présentations de candidatures, une des personnes ayant, moins de trente
jours avant cette date, annoncé publiquement sa décision d'être candidate décède ou
se trouve empêchée, le Conseil constitutionnel peut décider de reporter l'élection. Si, avant le premier tour, un des candidats décède ou se trouve empêché, le Conseil
constitutionnel prononce le report de l'élection. En cas de décès ou
d'empêchement de l'un des deux candidats les plus favorisés au premier tour avant
les retraits éventuels, le Conseil constitutionnel déclare qu'il doit être procédé de
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nouveau à l'ensemble des opérations électorales ; il en est de même en cas de décès
ou d'empêchement de l'un des deux candidats restés en présence en vue du second
tour. Dans tous les cas, le Conseil constitutionnel est saisi dans les conditions
fixées au deuxième alinéa de l'article 61 ci-dessous ou dans celles déterminées pour
la présentation d'un candidat par la loi organique prévue à l'article 6 ci-dessus.
Le Conseil constitutionnel peut proroger les délais prévus aux troisième et
cinquième alinéas sans que le scrutin puisse avoir lieu plus de trente-cinq jours
après la date de la décision du Conseil constitutionnel. Si l'application des
dispositions du présent alinéa a eu pour effet de reporter l'élection à une date
postérieure à l'expiration des pouvoirs du Président en exercice, celui-ci demeure en
fonction jusqu'à la proclamation de son successeur. Il ne peut être fait application
ni des articles 49 et 50 ni de l'article 89 de la Constitution durant la vacance de la
Présidence de la République ou durant la période qui s'écoule entre la déclaration du
caractère définitif de l'empêchement du Président de la République et l'élection de
son successeur.
ARTICLE 8.
Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions
sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Sur la
proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et
met fin à leurs fonctions.
ARTICLE 9.
Le Président de la République préside le conseil des ministres.
ARTICLE 10.
Le Président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent
la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée. Il peut, avant
l'expiration de ce délai, demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi
ou de certains de ses articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée.
ARTICLE 11.
[dispositions en vigueur] Le Président de la République, sur proposition du
Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux
Assemblées, publiées au Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet
de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la
politique économique, sociale ou environnementale1 de la nation et aux services
publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans
être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des
institutions. Lorsque le référendum est organisé sur proposition du
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Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est
suivie d'un débat. Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet de loi, le
Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la
proclamation des résultats de la consultation.
ARTICLE 11.
[Entrée en vigueur2 dans les conditions fixées par les lois et lois organiques
nécessaires à leur application (article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724
du 23 juillet 2008)] Le Président de la République, sur proposition du
Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux
Assemblées, publiées au Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet
de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à
la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services
publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans
être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des
institutions. Lorsque le référendum est organisé sur proposition du
Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est
suivie d'un débat. Un référendum portant sur un objet mentionné au premier
alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement,
soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette
initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet
l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an. Les
conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel
contrôle le respect des dispositions de l'alinéa précédent sont déterminées par une
loi organique. Si la proposition de loi n'a pas été examinée par les deux
assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la
soumet au référendum. Lorsque la proposition de loi n'est pas adoptée par le
peuple français, aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même
sujet ne peut être présentée avant l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date
du scrutin. Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet ou de la
proposition de loi, le Président de la République promulgue la loi dans les quinze
jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation.
ARTICLE 12.
Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des
présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale. Les
élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la
dissolution. L'Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui
suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors de la période prévue pour la
session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours. Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit ces
élections.
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ARTICLE 13.
Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en
conseil des ministres. Il nomme aux emplois civils et militaires de l'État. Les
conseillers d'État, le grand chancelier de la Légion d'honneur, les ambassadeurs et
envoyés extraordinaires, les conseillers maîtres à la Cour des comptes, les préfets,
les représentants de l'État dans les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 et
en Nouvelle-Calédonie, les officiers généraux, les recteurs des académies, les
directeurs des administrations centrales sont nommés en conseil des ministres. Une loi organique détermine les autres emplois auxquels il est pourvu en conseil
des ministres ainsi que les conditions dans lesquelles le pouvoir de nomination du
Président de la République peut être par lui délégué pour être exercé en son nom. Une loi organique détermine les emplois ou fonctions, autres que ceux mentionnés
au troisième alinéa, pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des
droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de
nomination du Président de la République s'exerce après avis public de la
commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la
République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs
dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages
exprimés au sein des deux commissions. La loi détermine les commissions
permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés.
ARTICLE 14.
Le Président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés
extraordinaires auprès des puissances étrangères ; les ambassadeurs et les envoyés
extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de lui.
ARTICLE 15.
Le Président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et les
comités supérieurs de la défense nationale.
ARTICLE 16.
Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de
son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une
manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics
constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures
exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des
présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. Il en informe la
nation par un message. Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d'assurer
aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens
d'accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet. Le
Parlement se réunit de plein droit. L'Assemblée nationale ne peut être dissoute
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pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels. Après trente jours d'exercice des
pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de
l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante
sénateurs, aux fins d'examiner si les conditions énoncées au premier alinéa
demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il
procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au
terme de soixante jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment audelà de cette durée.
ARTICLE 17.
Le Président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel.
ARTICLE 18.
Le Président de la République communique avec les deux assemblées du Parlement
par des messages qu'il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat. Il peut
prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. Sa déclaration
peut donner lieu, hors sa présence, à un débat qui ne fait l'objet d'aucun vote. Hors session, les assemblées parlementaires sont réunies spécialement à cet effet.
ARTICLE 19.
Les actes du Président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er
alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier ministre et, le
cas échéant, par les ministres responsables.
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Annexe n°3 : Arrêt du Conseil d’État sur sa compétence
pour un mobile politique
19 février 1875 -Prince Napoléon
Abandon du mobile politique pour définir l'acte de gouvernement
Source : http://www.conseil-etat.fr/
Analyse
L’arrêt Prince Napoléon marque une date importante dans l’affirmation de la justice
administrative : avant cette décision, le Conseil d’État s’estimait incompétent pour se
prononcer sur un acte ayant été pris essentiellement pour un mobile politique. Cette notion
de “mobile politique” est abandonnée par l’arrêt Prince Napoléon : désormais, ce n’est pas
parce qu’un acte a été pris pour des raisons politiques que le juge administratif n’est pas
compétent pour se prononcer sur sa légalité.
Le prince Napoléon-Joseph Bonaparte avait été nommé au grade de général par son cousin
l’Empereur Napoléon III. Après la chute du IInd Empire, le gouvernement républicain radia
le prince de la liste des officiers généraux. Le ministre de la guerre justifia cette décision
en indiquant à Napoléon-Joseph que sa nomination “se rattach(ait) aux conditions
particulières d’un régime politique aujourd’hui disparu et dont elle subit nécessairement la
caducité”. Le prince demanda alors au Conseil d’État d’annuler cette décision, au motif
qu’elle aurait porté atteinte aux droits qu’il tirait de la décision par laquelle l’Empereur
l’avait nommé général. Le Conseil d’État se reconnu compétent pour se prononcer sur la
légalité de l’acte par lequel le gouvernement avait retiré au prince Napoléon son grade
d’officier général. Il rejeta toutefois la requête du prince en se fondant sur l’article 6 du
sénatus-consulte du 7 novembre 1852 qui prévoyait que les gratifications accordées par
l’Empereur aux membres de sa famille étaient toujours révocables.
L’arrêt Prince Napoléon marque l’abandon de cette théorie dite du “mobile politique” qui
prévalait jusqu’alors (CE, 1er mai 1822, Laffitte n°5363 p.371 (Tome1) ; CE, 9 mai
1867, Duc d’Aumale n°39621) : désormais, le juge administratif se reconnaît compétent
pour se prononcer sur la légalité d’un acte, même si cet acte n’a été pris qu’au regard de
considérations purement politiques.
Toutefois, la notion d’acte de gouvernement n’a pas été complètement abandonnée par
cette décision, même si son champ d’application en a été fortement réduit. Le juge
administratif continue de considérer qu’il n’est pas compétent pour se prononcer sur la
légalité de tels actes. Mais aujourd’hui les actes de gouvernement n’ont plus qu’un
caractère résiduel. On en compte deux catégories : les actes relatifs aux rapports du
pouvoir exécutif avec le pouvoir législatif et les actes mettant en cause la conduite des
relations extérieures de la France.
Pour la première catégorie, le Conseil d’État considère que constituent des actes de
gouvernement :
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- la décision du Premier ministre de déposer ou, au contraire, de refuser de déposer un
projet de loi (CE, 29 novembre 1968, n°69938, T… p. 607) ou encore le retrait d’un tel
projet ;
- le refus du Premier ministre de proposer au Président de la République de saisir le
Parlement d’une révision de la Constitution (CE, 26 février 1992, n°109795 , A…, p. 659) ;
- le décret de promulgation d’une loi (CE, 3 novembre 1933, Desreumeaux, n°25040, p.
993)
;
- le décret soumettant un projet de loi au référendum (CE, 19 octobre 1962, B…, n°5925
/59253,
p.
553) ;
- le décret de dissolution de l’Assemblée nationale (CE, 20 février 1989, A…, n°98538, p.
60) ;
- la décision de recourir aux pouvoirs exceptionnels prévus à l’article 16 de la
Constitution ; en revanche, les décisions prises par le Président de la République sur le
fondement de l’article 16 peuvent être déférées au Conseil d’État dès lors qu’elles ne
relèvent pas du domaine de la loi au sens de l’article 34 de la Constitution (CE, 2 mars
1962, Rubin de Servens, p. 143).
S’agissant de la seconde catégorie, la jurisprudence regarde comme acte de gouvernement
les actes qui ne peuvent être détachés de la conduite des relations extérieures de la France
tels que l’élaboration, la signature et la ratification (CE, 23 juillet 1961, Sté indochinoise
d’électricité, p. 519) ou la suspension (CE, 18 décembre 1992, Préfet de la Gironde c/
M…, n°120461 p. 446) de traités ou d’accords internationaux, ou encore la décision de
reprendre provisoirement les essais nucléaires dès lors que cette décision s’analysait
comme la suspension du moratoire unilatéral que la France s’était imposée en 1992 dans la
perspective de la négociation d’un engagement international interdisant de tels essais (CE,
29 septembre 1995, Association Greenpeace France , p. 347). De même, ne peuvent être
détachés de la conduite des relations extérieures de la France la décision de voter dans tel
ou tel sens dans les différentes instances internationales (CE, 23 novembre
1984, Association “Les Verts” , p. 382) ou la suspension de toute coopération scientifique
et technique avec l’Irak lors de la guerre du Golfe, y compris l’interdiction d’inscription
des étudiants irakiens dans les universités (CE, 23 septembre 1992, GISTI , p. 346). Enfin,
constituent également des actes de gouvernement : le refus de soumettre un litige à la Cour
internationale de Justice (CE, 9 janvier 1952, G…, n°92255, p. 19), la protection des
personnes et des biens français à l’étranger (CE, 2 mars 1966, Dame C…, n°65180 p. 157),
la création d’une zone de sécurité dans les eaux internationales lors d’essais nucléaires
(CE, 11 juillet 1975, P… de la B…, N°92381p. 423), la décision par laquelle le ministre
des affaires étrangères refuse à un ressortissant étranger le droit de séjourner en France en
qualité de membre du personnel d’une mission diplomatique (CE, 16 novembre 1998, L…,
n° 161188 à publier au rec. Lebon).
19 février 1875 - Prince Napoléon - Rec. Lebon p. 155
82
Annexe n°4 : Circulaire de Michel Rocard – 25 mai 1988
Gouverner autrement
Circulaire du 25 mai 1988
(Texte introductif)
Il n'est pas d'usage qu'un premier ministre s'adresse aux membres de son
gouvernement sous la forme que j'ai choisie ici.
Sa gamme d'expression habituelle ne connaît guère, en effet, de formules
intermédiaires entre la déclaration politique et la classique circulaire.
Mais notre pays se trouve assailli de trop de difficultés, notre appareil d'État devenu
trop distant de la société civile, pour dédaigner, ici comme ailleurs, les démarches
nouvelles.
Donner aux multiples aspirations émanant des différents secteurs de la société
l'occasion de s'exprimer, de se confronter et, si possible, de s'harmoniser est notre
commune ambition. Mais cela impose au gouvernement une organisation, une démarche et
des méthodes permettant de concilier le souci du dialogue et le maintien de l'autorité de
l'État.
Le programme du gouvernement présentera, le moment venu, les voies et moyens
d'une telle action.
La présente circulaire comporte d'ores et déjà des instructions sur la manière d'agir
qui devra être la nôtre.
Celles-ci ont été regroupées sous cinq têtes de chapitre : respect de l'État de droit ;
respect du législateur ; respect de la société civile ; respect de la cohérence de l'action
gouvernementale ; respect de l'administration.
Cette liste n'épuise pas un sujet dont les aspects multiples se révéleront à chaque
instant de votre action ministérielle. Certains de ces aspects ont d'ailleurs fait l'objet de
circulaires de mes prédécesseurs, dont la liste figure en annexe et auxquelles vous voudrez
bien vous reporter.
Je vous demande cependant de voir dans les instructions qui suivent, au-delà du
simple rappel de règles de bonne administration dont l'énoncé rend souvent le son de
l'évidence, un code de déontologie de l'action gouvernementale.
J'ai souhaité y rendre perceptibles l'esprit et la méthode qui doivent désormais inspirer
vos travaux.
83
Aussi ai-je voulu que cette circulaire soit un des premiers actes du premier ministre
désigné le 10 mai 1988 et qu'elle soit publiée au Journal officiel de la République
française.
Je compte sur chacune et chacun d'entre vous pour la mettre en œuvre, tout comme
vous pourrez compter sur moi pour y être attentif.
1. Respect de l'État de droit
Il convient de tout faire pour déceler et éliminer les risques d'inconstitutionnalité
susceptibles d'entacher les projets de loi, les amendements et les propositions de loi
inscrites à l'ordre du jour. Cette préoccupation doit être la nôtre même dans les hypothèses
où une saisine du Conseil constitutionnel est peu vraisemblable.
Je considère, en effet, comme de l'honneur du gouvernement de ne porter aucune
atteinte, fût-elle mineure et sans sanction, à l'État de droit.
Je vous demande à cette fin :
- De faire étudier attentivement par vos services les questions de constitutionnalité
que pourrait soulever un texte en cours d'élaboration et de saisir le secrétariat
général du gouvernement suffisamment à l'avance pour lui permettre de se livrer
également à cette étude ;
- De prévoir un calendrier des travaux préparatoires laissant au Conseil d'État le
temps de procéder à un examen approfondi du projet. Sauf urgence, la transmission
du projet au Conseil d'État par les soins du secrétariat général du gouvernement
devra précéder d'au moins quatre semaines sa présentation au conseil des ministres.
Vous ne devrez pas hésiter à exposer au Conseil d'État les questions de
constitutionnalité que vous avez rencontrées au cours de l'élaboration du projet qui
lui est soumis ;
- De tenir informé le secrétariat général du gouvernement des amendements
susceptibles de poser des questions de constitutionnalité, afin d'organiser en tant
que de besoin des réunions interministérielles de mise au point pour conjurer tout
risque. Cette précaution vaut tant pour les amendements adoptés en commission
que pour les amendements déposés et adoptés en séance.
2. Respect du législateur
Le vote de la loi est l'acte fondamental de la vie de la démocratie.
Aussi attacherai-je le plus grand prix à ce que vous suiviez les instructions suivantes
dans vos relations avec le Parlement.
a) Vous consacrerez tout le soin qui s'impose à votre participation au débat
parlementaire.
Présenter un projet de loi au Parlement constitue, en effet, pour un membre du
gouvernement, un honneur beaucoup plus qu'une charge.
En outre, l'expérience montre que le débat parlementaire, contrairement à une idée
encore trop répandue, contribue de façon décisive à la maturation d'un texte.
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b) Vous veillerez, dans l'accomplissement de cette fonction, à prendre la position qui,
eu égard à l'évolution du débat, est la plus conforme à l'esprit des délibérations
interministérielles préalables au dépôt du texte.
Je vous demande, en particulier, de ne vous écarter d'une position que j'aurai arrêtée
au cours des travaux interministériels préparatoires que si une raison sérieuse le justifie et
après avoir recueilli mon accord.
c) La durée de vie des lois est en constant raccourcissement, soit qu'adoptées dans des
conditions inutilement conflictuelles elles sont remises en cause politiquement, soit que
débattues avec une hâte excessive les malfaçons dont elles sont porteuses imposent des
rectifications. Vous vous efforcerez donc, ce point est capital et je me permets d'y insister,
de laisser au Parlement le temps de débattre et de faire adopter les textes par la majorité la
plus large.
Sauf urgence avérée, vous devrez prévoir des délais d'examen par le Parlement
sensiblement plus importants que ceux qui ont été observés au cours des années passées. À
cet égard, il ne doit plus être considéré comme a priori normal qu'un texte soit déposé et
adopté au cours de la même session.
De même, en vue d'aboutir au vote d'un texte par une majorité plus mportante que
celle qui se réclame habituellement de l'action du gouvernement, vous ne négligerez
d'utiliser aucune procédure de concertation, vous ne refuserez d'explorer aucune voie de
compromis acceptable, c'est-à-dire aucune solution techniquement réaliste et compatible
avec les engagements fondamentaux du gouvernement. Tout infléchissement de la position
du gouvernement qui pourrait utilement y contribuer recueillera mon accord.
Vous pourrez demander au ministre chargé des relations avec le Parlement tout
réaménagement de l'ordre du jour permettant au débat parlementaire d'évoluer dans le sens
d'une plus grande adhésion.
3. Respect de la société civile
Si la finalité de notre action est l'amélioration des conditions de vie de nos
concitoyens, elle n'est certainement pas de leur façonner un mode de vie dont ils ne
voudraient pas. Aussi devons-nous être constamment à l'écoute des aspirations et
contribuer, si faire se peut, à leur réalisation.
a) La société civile admettra d'autant mieux l'autorité de l'État que celui-ci se
montrera capable de la comprendre.
Il vous faudra pour cela pousser les administrations placées sous votre autorité à se
rendre plus disponibles aux citoyens, qu'il s'agisse de faciliter aux usagers l'accès des
services publics (heures d'ouverture, accueil aux guichets, personnalisation de contact
administratif, etc.) ou, de façon plus ambitieuse, d'identifier, d'analyser et de prévenir le
mécontentement social. Il conviendra à cet effet de combattre la tendance qui est celle de
toute institution, lorsqu'elle a pris les dimensions de notre appareil d'État, à perdre la
conscience des intérêts en vue desquels elle a été créée, pour y substituer ses intérêts
propres.
85
b) Il vous faudra également dissiper l'illusion qui voit dans l'intervention de l'État la
solution de tous les maux, en vous efforçant de modeler, dans chaque domaine, sans parti
pris ni dans un sens ni dans l'autre, ce que doit être « le juste État ». Il faut pour cela
assigner à l'action de l'État un début et une fin, de sorte que l'on sache quand son
intervention n'est plus nécessaire dans un domaine et doit en revanche se redéployer dans
un autre.
c) Il conviendra, en outre,de tirer parti, dans la formation de vos projets, des
initiatives, des bonnes volontés et des idées dont est riche la société civile. Au fur et à
mesure que les acteurs sociaux, économiques et culturels se révèlent aptes à se saisir de
tâches d'intérêt général, l'action de l'État doit passer de la gestion directe au « faire faire »,
du « faire faire » à l'incitation et de l'incitation à la définition des règles du jeu.
d) Nous devrons préférer, toutes les fois que c'est possible, aux arguments d'autorité
des négociations réelles, loyales, méthodiques et, s'il y a lieu, formalisées par des
conventions. À cet égard, il vous reviendra en propre de conduire, avec les organisations
représentatives relevant de votre secteur de compétences, les concertations qui s'imposent.
Je ne devrai intervenir dans ces contacts qu'à titre exceptionnel.
e) La société civile peut être justement irritée par l'excès et la complexité des règles
que l'État lui impose, ainsi que par la difficulté d'y avoir accès.
Le volume des textes normatifs composant notre ordonnancement juridique connaît,
en effet, un accroissement continu dont l'étude détaillée révèle le caractère excessif.
Je combattrai, dans son principe même, l'excès de législation ou de réglementation,
tout particulièrement lorsqu'il apparaîtra qu'un allègement des contraintes de droit écrit
permettrait, grâce à la négociation sociale et à la responsabilité individuelle, d'obtenir des
résultats au total plus satisfaisants pour la collectivité.
En outre, là même où l'intérêt général justifie l'édiction de nouvelles règles ou la
modification des règles existantes, la production de normes juridiques peut revêtir des
formes néfastes dont il convient de corriger les effets : dispositions nouvelles se
superposant, sans s'y insérer de façon claire, aux dispositions existantes ; textes obscurs
suscitant toutes sortes de difficultés d'interprétation et d'application ; procédures
inutilement complexes portant en germe des développements contentieux ; dispositions
sans contenu normatif n'ayant leur place que dans l'exposé des motifs ou les débats ;
recours à un langage codé connu des seuls initiés, donnant à l'administration et à quelques
spécialistes un monopole d'interprétation.
Je vous demande en conséquence :
- De vérifier, avant de préparer une nouvelle norme juridique, que le problème ne
peut pas être résolu par d'autres voies : actions d'information ou de persuasion,
négociation avec les partenaires sociaux, conventions, meilleure organisation de
vos services. Une interrogation, à cet égard, doit rester présente en permanence à
nos esprits : les dispositions existantes ne constituent-elles pas un cadre juridique
suffisant ?
- S'agissant plus particulièrement des projets de loi, de ne proposer de faire figurer
au programme de travail du gouvernement que les texte dont le contenu est
86
intégralement législatif et dont l'intervention est absolument nécessaire soit à la
mise en œuvre des priorités gouvernemntales, soit au traitement de questions
techniques qui ne pourraient trouver autrement leur solution. Je n'accepterai
d'inscrire à l'ordre du jour prioritaire du Parlement que les projets de loi répondant à
ces exigences ;
- De vous efforcer de débarrasser notre ordonnancement juridique de règles
devenues désuètes ou inutilement contraignantes, tout en favorisant la connaissance
et la lisibilité d'un droit que nul n'est censé ignorer. La codification offre à cet égard
un cadre privilégié pour rassembler un corps de règles jusque-là éclaté, tout en
modernisant et en simplifiant le fond du droit. Je vous invite en conséquence à
mettre en œuvre les instructions contenues dans la circulaire de mon prédécesseur
relative à la codification en date du 15 juin 1987.
- Enfin, la société civile peut à bon droit exiger de l'État un meilleur « bilan coûtefficacité ».
Le coût des services publics a tendance à s'élever plus vite que la production
nationale. Il n'est ni acceptable que leutr qualité baisse, ni prévisible que leur demande
diminue.
Qui plus est, le poids des prélèvements obligatoires a atteint, dans notre pays comme
chez nos voisins et partenaires européens, un seuil préoccupant.
En conséquence, la légitimité comme l'efficacité de l'intervention de l'État exigent
désormais de façon urgente d'améliorer la productivité et la qualité des services publics. Je
vous demande donc de poursuivre les efforts faits dans ce sens par mes prédécesseurs et
d'engager de nouvelles actions dans le même but.
4. Respect de la cohérence de l'action gouvernementale
L'unité de l'action gouvernementale est une exigence constitutionnelle.
Compte tenu des interférences entre attributions ministérielles, inévitables dans une
société aussi complexe que la nôtre, elle est également une condition première de
l'efficacité du travail interministériel.
Enfin, la solidarité gouvernementale est un impératif politique : c'est collectivement
que les membres du gouvernement sont responsables devant l'Assemblée nationale ; quant
à l'opinion publique, elle ne saurait admettre que le gouvernement ne soit pas un.
En acceptant de faire partie de mon gouvernement, vous vous êtes engagés sur cett
solidarité pour toute la durée de vos fonctions.
Encore faut-il en tirer les conséquences pratiques, qu'il s'agisse de vos déclaratios
publiques ou de l'organisation interne du travail gouvernemental.
A cet égard, je crois devoir attirer spécialement votre attention sur des règles dont
l'observation paraît aller de soi, mais qui, l'expérience le montre, sont parfois méconnues
sans que la pression des circonstances puisse toujours le rendre explicable ou acceptable.
a) Les propos publics tenus par un membre du gouvernement ne devront être de
nature à gêner aucun de ses collègues.
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Ils ne devront comporter aucune espèce d'engagement sur les modalités, ni même sur
le principe, de mesures dont l'intervention est encore à l'étude. Dans le même esprit, je
vous invite à ne pas faire de déclaration publique sur les sujets inscrit à l'ordre du jour du
conseil des ministres avant celui-ci.
S'agissant des mesures déjà prises, la solidarité gouvernementale appelle non
seulement, cela va de soi, l'absence de toute manifestation publique de désaccord ou de
réserve de la part d'un membre du gouvernement, mais encore l'attribution au seul membre
du gouvernement dont la mesure relève directement de la responsabilité d'en exposer au
public le sens et l'économie. Lorsqu'une mesure relève de plusieurs membres du
gouvernement, sa présentation devra faire l'objet d'une concertation préalable.
Dans tous les cas, je vous demande d'apporter aux questions inévitablement
imprécises ou simplificatrices qui vous seront posées les réponses restituant au problème
sa dimension réelle et de préférer à la facilité d'une répartie les exigences de la pédagogie.
J'ajoute que les « effets d'annonce » se révèlent souvent être des annonces non suivies
d'effets. Aussi doit-on toujours préférer le constat de l'action à l'annonce de l'intention.
b) La Constitution dispose que le premier ministre « dirige l'action du
gouvernement », lequel « détermine et conduit la politique de la nation ».
Il en résulte que, dans l'exercice de mes fonctions constitutionnelles, je serai amené
non pas, comme le donne à penser une expression usitée mais impropre, à « rendre des
arbitrages », mais bien à prendre des décisions.
Je souhaite cependant que mon intervention reste exceptionnelle et que vous exerciez
la plénitude de vos responsabilités.
Je vous rappelle à cet égard que, pour qu'une affaire soit évoquée à Matignon, une au
moins des deux conditions suivantes doit être remplie :
- Nécessité juridique de la saisine du premier ministre (par exemple lorsque la
mesure à prendre revêt la forme d'une loi) ;
- Désaccord persistant entre deux membres du gouvernement aux compétences
desquels ressortit également la mesure. Je mets à dessein l'accent sur la persistance
du désaccord : vous devez d'abord chercher effectivement à le résoudre, et non
recourir à moi dès le premier obstacle rencontré. Mon cabinet y veillera.
c) Un formalisme minimal est nécessaire pour enregistrer de façon incontestable les
accords obtenus et les décisions rendues dans le cadre des réunions et comités
interministériels. J'insiste tout particulièrement sur la nécessité de remettre à mon cabinet,
ainsi qu'au secrétariat général du gouvernement, préalablement à toute réunion, un dossier
leur permettant de prendre une vue d'ensemble des objectifs poursuivis, des solutions
envisageables et des diverses implications de ces dernières, ainsi que de l'objet et de la
portée des désaccords éventuels.
A défaut de disposer d'une telle information, les membres de mon cabinet et le
secrétariat général du gouvernement pourront différer la date de la réunion.
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Lorsque le projet aura des conséquences financières, celles-ci devront être exposées
dans une fiche spéciale faisant ressortir le coût global de l'opération, les moyens déjà
engagés, les modalités de financement et l'incidence sur le budget de l'année en cours, ainsi
que sur ceux des deux années suivantes. Cette fiche devra être également adressée au
ministre de l'économie, des finances et du budget qui la fera étudier par ses services et la
retournera dans les plus brefs délais, accompagnée de ses observations, au secrétariat
général du gouvernement. Il appartient à mon cabinet de ne décider d'une réunion qu'en
possession de l'avis formel du ministre chargé du budget.
d) L'histoire a bâti notre administration selon un axe vertical. Mais la majeure partie
des problèmes à régler se pose de manière horizontale et appelle des concertation
sinterministérielles et souvent la coopération de services relevant de plusieurs ministères.
Aussi vous demanderai-je de veiller à éviter les querelles de bureaux ou de départements
par une véritable collaboration à l'intérieur même de l'administration. Les batailles de
territoire n'ont pas toujours un vainqueur administratif, mais elles trouvent toujours un
vaincu en la personne de l'usager.
5. Respect de l'administration
Vous disposez, sur l'organisation des services relevant de votre autorité, d'un pouvoir
de direction et d'organisation qui vous appartient en propre.
Je crois toutefois utile de rappeler quelques-unes des règles dans le respect desquelles
ce pouvoir doit s'exercer.
a) Pour reprendre les termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen de 1789 (laquelle, comme vous le savez, a pleine valeur constitutionnelle), la
désignaion des titulaires des emplois publics doit se faire « sans autre distinction que celle
de leurs vertus et de leurs talents ».
La prise en compte d'autres considérations, et en particulier le remplacement, contre
la volonté des intéressés, d'agents loyaux et compétents, relève donc de ces « mauvaises
mœurs » qu'à la suite du président de la République, dans sa Lettre à tous les Français, je
vous demande d'éliminer.
b) La vocation du cabinet ministériel, tel que la comprend une tradition administrative
française trop souveent méconnue, est d'assurer une liaison entre le ministre, d'une part, ses
services et les autres départements ministériels, d'autre part. Le cabinet ne doit en aucun
cas « faire écran » entre le ministre et les services. Il est donc indispensable que vous
établissiez des relations de collaboration suivies avec les directeurs de vos administrations
centrales. Dans cet esprit, j'ai limité le nombre des membres de vos cabinets, poursuivant
les efforts antérieurs dans ce sens.
c) Il est indispensable de faire de ce mode traditionnel d'exercice du pouvoir
hiérarchique que constituent les circulaires ministérielles un usage plus réfléchi et plus
modéré, de manière à en faire un véritable instrument de communication. Je vous demande
à cet égard de vous conformer aux instructions contenues dans la circulaire de mon
prédécesseur en date du 15 juin 1987.
89
(Conclusion)
La brièveté des délais que je me suis imposés pour élaborer les présentes instructions
témoigne de l'importance que j'y attache. Je compte sur chacun d'entre vous pour en
appliquer les termes et en respecter l'esprit.
Je vous remercie de l'attention personnelle que vous y porterez. Elle contribuera à
notre efficacité et à l'accomplissemet des missions qui sont les nôtres.
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Annexe n°5 : Cabinet du Président de la République en
Août 2014
(Des remplacements ont été effectués depuis le moment des entretiens en juillet 2013 et de la
présente étude. Néanmoins, l’organisation du Cabinet, dont l’intérêt est grand pour l’analyse, n’a
pas changé)
Source : http://www.elysee.fr
Le Cabinet du président de la République
Secrétaire général : M. Jean-Pierre JOUYET
Chef de l'État-major particulier : Général Benoît PUGA
Directrice de cabinet : Mme Sylvie HUBAC
Sherpa G7-G8, conseiller diplomatique : M. Jacques AUDIBERT
Secrétaire général adjoint : M. Nicolas REVEL, chef du pôle « politiques publiques »
Conseillère : Mme Laurence BOONE, chef du pôle « économies et finances »
Conseiller : M. Gaspard GANTZER, chef du pôle « communication »
Conseiller : M. Vincent FELTESSE
Chef de cabinet : Mme Isabelle SIMA
Chef adjoint de cabinet : M. Axel CAVALERI
Conseillers Pôle Diplomatique :
· Affaires européennes, adjoint au conseiller diplomatique : M. Philippe LÉGLISECOSTA
· Négociations internationales climat et environnement : Mme Marie-Hélène AUBERT
· Afrique du Nord, Moyen-Orient, Nations unies : M. Emmanuel BONNE
· Affaires stratégiques : M. François REVARDEAUX
· Affaires communautaires : Mme Sophie MARTIN-LANG
· Afrique : Mme Hélène LE GAL
· Adjoint Afrique : M. Thomas MELONIO
· Russie, Balkans, ex-CEI, Amériques, politiques extérieure de l'Union européenne : M.
Fabien PENONE
· Europe, enjeux globaux : M. Cyril PIQUEMAL
· Sommets internationaux et Asie : Mme Alice RUFO
· Affaires bilatérales et européennes : M. Adrien ABECASSIS
· Communication, international : Mme Claudine RIPERT-LANDLER
Conseillers Pôle Économie et Finances :
· Conjoncture, financement de l'économie et commerce extérieur : M. Jean-Jacques
BARBERIS
· Industrie et énergie : M. Olivier LLUANSI
· Politiques fiscales et sectorielles : M. Hervé NAERHUYSEN
· Adjoint énergie et logement : M. Julien MARCHAL
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Conseillers Pôle Politiques Publiques :
· Education, enseignement supérieur et recherche : M. Vincent BERGER
· Vie associative et organisations non gouvernementales : M. Patrice BIANCONE
· Sport et jeunesse : Mme Nathalie IANNETTA
· Culture et communication : M. David KESSLER
· Santé et recherche médicale : Pr Olivier LYON-CAEN
· Environnement, transports et territoires : M. Xavier PIECHACZYK
· Agriculture, développement rural et pêche : M. Philipe VINÇON
· Outre-Mer : M. Marc VIZY
· Travail, emploi et protection sociale : M. Michel YAHIEL
Conseillers Pôle Cabinet :
· Interventions et études : M. Pierre-Yves BOCQUET
· Affaires intérieures : M. Gilles CLAVREUL
· Relations avec les élus : M. Bernard COMBES
· Egalité et diversité : M. Faouzi LAMDAOUI
· Institutions, société, libertés publiques : Mme Constance RIVIÈRE
· Relations avec le Parlement : M. Bernard RULLIER
· Justice : M. Pierre VALLEIX
État-Major Particulier du Président de la République :
· M. le colonel de l'armée de terre : Pierre SCHILL
· M. le colonel de l'armée de l'air : Frédéric PARISOT
· M. le capitaine de vaisseau : François-Xavier BLIN
· M. le commissaire en chef de 1ère classe : Bernard ABBO
· M. le médecin en chef : Sergio ALBARELLO
Aides de Camp :
· M. le capitaine de frégate : Éric LAVAULT
· M. le lieutenant-colonel de l'armée de terre : Yann LATIL
· M. le lieutenant-colonel de l'armée de l'air : Patrice HUGRET
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