le contrle de gestion - Dauphine Recherches en Management

CAHIER DE RECHERCHE DE DRM
N° 2010-11
LE CONTROLE DE GESTION :
REPERES PERDUS, ESPACES A RETROUVER
Henri BOUQUIN
Université Paris-Dauphine – DRM-UMR 7088
F - 75775 Paris Cedex 16
Tél : (33) 1 44 05 43 42 - Fax : (33) 1 44 05 40 31
E-mail : bouquin@crefige.dauphine.fr
Michel FIOL
HEC Paris
F-78351 Jouy-en-Josas Cedex
Tel: (33) 1 39 67 72 81 - Fax: (33) 1 39 67 70 86
Résumé
Face aux évolutions des périodes récentes, qu’adviendra-t-il du contrôle de gestion. Alors que, dans ses fondements, la
discipline fait le lien entre une approche financière et opérationnelle et une orientation organisationnelle et managériale, elle
devient de plus en plus technique dans la pratique et se fait marginaliser dans le champ de la recherche. Plusieurs réponses
sont apportées par les théoriciens du contrôle de gestion pour faire face à cette problématique. Ces contributions sont, à notre
avis, de fausses réponses. Cinq scénarios de redéploiement sont ensuite proposés. Ne s’excluant pas mutuellement, ils se
fondent sur l’hypothèse que le contrôle de gestion n’est pas seulement fait pour accompagner l’action, il l’est aussi pour
stimuler la réflexion. Il nous semble urgent que la discipline recrée des espaces pour que les managers puissent penser.
Mots-clés
Contrôle de gestion, management, constats, fausses réponses, scénarios possibles
Abstract
In the face of recent developments, what is the future of management control? Although this discipline is fundamentally
meant for linking an operational and financial approach to an organizational and managerial orientation, it is increasingly
technical in practice and isolated in the research field. Theoreticians in management control have several suggestions about
how to handle this problem. However, we think that those contributions are misleading. We propose five redeployment
scenarios. They are not mutually exclusive and are built around the assumption that management control is designed to
support not only action, but also thought. We believe that the discipline urgently needs to create new spaces, in order to allow
managers to think.
Key-words
Management control, management, statements, misleading answers, possible scenarios
1
2
Eu égard aux évolutions des vingt dernières années, on peut se demander ce qu’il advient de
la discipline de contrôle de gestion dans les organisations. 1
Appréhendée comme la courroie de transmission de la stratégie, elle s’est dévalorisée en
accentuant son rôle de reporting financier. Face à une focalisation excessive de l’attention des
Directions Générales sur le positionnement de leur entreprise dans leur environnement, sur
leur marché, elle a souffert du moindre intérêt porté au management interne de l’organisation.
Trop orientée vers la division des décisions le long des lignes hiérarchiques, elle a laissé
échapper la gestion des processus transversaux au niveau opérationnel au bénéfice de la
démarche qualité. Au moment où elle s’interrogeait sur la pertinence de résultats
exclusivement financiers et sur la nécessité de recourir à des indicateurs plus qualitatifs et
plus opérationnels, des ERP sont apparus pour organiser la collecte la transmission et
l’analyse des données ; loin de libérer les contrôleurs, ils les ont souvent asservis à leur
maintenance. Portant une attention excessive à la réduction des coûts, cette évolution a
transformé les managers en simples responsables de ressources consommables.
On peut aussi s’interroger sur l’avenir de la discipline dans nos universités et écoles de
gestion. Aux Etats Unis, de nombreuses universités ont déprogrammé la matière ou ont réduit
son périmètre au calcul et à la gestion des coûts (Management Accounting). Alors que la
discipline présente cette fantastique vertu de faire le lien entre une approche financière et
opérationnelle et une orientation organisationnelle et humaine, elle se fait marginaliser dans le
champ de la recherche car insuffisamment sous-tendue par des modèles statistiques. Et le
nombre de doctorants qui s’orientent vers le contrôle de gestion décroît régulièrement.
Les réflexions développées dans ce papier se fondent sur nos expériences de professeur-
chercheur et de conseiller dans de nombreuses entreprises françaises et étrangères, en contrôle
de gestion ou en management entendu comme partie interne du processus de gouvernance de
l’entreprise. Elles entrent en résonance avec nos différents travaux d’observation, de
formation-action et de recherche-action menés pendant des années dans ces mêmes
entreprises. Elles sont renforcées par les conclusions des thèses de doctorat que nous avons
dirigées.
Notre thèse sera la suivante. Le concept de gouvernance de l’entreprise s’est exclusivement
focalisé sur la relation entre actionnaire et direction générale, ce que l’on pourrait qualifier de
« gouvernance externe ». Il a ignoré les interrelations entre la direction générale et les autres
membres internes de l’organisation, ce que nous appellerons par la suite « gouvernance
interne »2. Quatre facteurs ont contribué à dégrader le modèle de gouvernance interne hérité
de Sloan et conceptualisé par Anthony, qui était fragile par construction. L’émergence de la
gouvernance d’entreprise a concentré l’attention sur le contrôle interne en le réduisant à un
ensemble de dispositifs mécaniques et en occultant la dimension comportementale du
management. En outre, le développement des ERP a donné l’illusion aux dirigeants d’un
contrôle complet de la gestion des opérations qui rendait superflu le talent du manager. Par
ailleurs, la montée en puissance d’un leadership élitiste et créatif, en grande partie inné, a
contribué à limiter la pratique du management à une activité administrative et impersonnelle,
reposant sur des dispositifs instrumentaux et relevant d’un apprentissage technique.
Finalement, la complexité croissante des aspects légaux de la gestion des ressources humaines
1 On entend par contrôle de gestion ce que Anthony appelle « management control », qui désigne l’art de faire
en sorte que dirigeants et cadres travaillent dans le même sens.
2 C’est cette idée qu’exprime une définition classique ; « l’art de faire faire les choses par d’autres » (getting
things done through people). Celle-ci s’applique aussi bien aux relations entre actionnaires et direction générale,
qu’aux interrelations entre direction générale et membres de l’organisation.
3
a focalisé l’attention de cette fonction sur les enjeux administratifs au détriment du
développement personnel des managers. Cette quadruple évolution a eu pour effet de dépecer
la discipline de management, et en conséquence de vider le contrôle de gestion de sa
composante managériale, pour le réduire à sa dimension de calcul et de réduction des coûts.
La situation ainsi créée engendre une dynamique négative : la réduction du contrôle de
gestion à une fonction reporting contribue à renforcer la perte de substance du management
lui même.
Notre discipline a-t-elle encore un avenir ? Face à la crise de la gouvernance interne, au
malaise des managers qui se sentent de plus en plus seuls et abandonnés, à la perte de prestige
de la finance d’entreprise, à la course sans fin à la réduction des coûts, nous soutiendrons
qu’un vide entier s’est créé dans les organisations et qu’il ne demande qu’à se remplir.
Ce papier tente tout d’abord de rappeler le modèle de gouvernance interne promu par Sloan
chez General Motors et de dresser quelques constats sur l’état actuel de la discipline de
contrôle de gestion. Il s’interroge ensuite sur quelques propositions soi-disant salvatrices,
mais qui conduisent, selon nous, à de fausses réponses. Enfin, il suggère quelques pistes de
réorientation possible qui nous semblent gratifiantes.
1. Le modèle fondateur de gouvernance interne de Sloan
Pour mieux situer ces différentes évolutions, nous considérons utile de partir du modèle de
base de gouvernance interne proposé par Sloan. Celui-ci constitue un difficile équilibre
conflictuel et évolutif entre centralisation et décentralisation, un compromis toujours en
tension entre la direction centrale et les directions de divisions.
Les deux entreprises pionnières que furent General Motors (GM) et Du Pont, firent du
contrôle de gestion la clé de la gouvernance interne par la simulation d’un marché interne de
la création de valeur. De ce fait, ils l’ont financiarisé. Les mémoires de Sloan (1963, chap. 8)
ne mentionnent pas le « management control » mais les « financial controls ». Cet auteur ne
cache pas l’enjeu de gouvernance interne derrière l’instrument de management : on connaît
son expression récurrente de « decentralization of responsabilities with co-ordinated
control » (chap.23). Un paradoxe dont lui-même s’amuse (ibid. p. 53) en soulignant que c’est
là « le nœud du problème ». C’est bien une contribution à la maîtrise financière du
gouvernement des entreprises que construisent Sloan et son directeur financier Brown,
laissant les managers intermédiaires libres de leur style de management (Drucker, 1978, p.
266, à propos du management de Chevrolet). Sloan, il est vrai, a cru à l’invariance à l’échelle
des systèmes d’organisation, à leur mimétisme potentiel. La vision de la comptabilité de
gestion, dont il a fait, vraisemblablement par généalogie taylorienne, plus un instrument de
surveillance que de réduction des coûts, y encourageait aussi. Le controller, responsable de la
comptabilité, présent bien avant l’invention du contrôle de gestion (Bouquin, 2005), fut un
acteur de l’enracinement du modèle de contrôle financier de délégation verticale.
La tradition française, comme, probablement, la tradition allemande (Bouquin et Schwarz,
2006), voire européenne, la Grande-Bretagne mise à part, semble différente : absence de corps
social de contrôleurs voire même de comptables de gestion, alors que 1919 voit leurs
organisations se fonder aux États-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada (Loft, 1986). Le
contrôleur de gestion à la française, responsable fonctionnel (staff) à la différence du
4
controller, s’est parfois construit contre le comptable, appuyé par les « tableaux de bord » des
ingénieurs, doté d’une comptabilité de gestion sans doute plus tournée vers les coûts des
produits que vers la surveillance des personnes. L’existence de deux modèles qui en résulte ne
doit pas être oubliée pour juger les évolutions. Les controllers nord-américains et britanniques
ont su institutionnaliser très tôt leur profession, mais ils ont construit leur légitimité autour du
management accounting. Les contrôleurs de gestion français n’ont pas créé d’institution
reconnue, mais ils ont cherché à se démarquer du métier comptable. Très tôt, leur ambition a
été d’être les business partners généralistes, des experts en modélisation économique. Mais,
faute d’une reconnaissance claire de leurs compétences, l’institutionnalisation du modèle
Sloan-Brown semble bien ne pas leur avoir profité.
Le modèle divisionnel construit dans les années 1920 à la General Motors (GM) s’est diffusé
au point de constituer désormais une quasi-norme dans les grandes entreprises et les groupes.
Initialement conçu comme le complément organisationnel d’une stratégie de différenciation,
subordonné à elle (Sloan, 1963 ; Fligstein, 1990), ce modèle s’est institutionnalisé avec les
succès de GM. Il a alors été appréhendé comme une source de croissance externe, un levier de
croissance du bénéfice par action, donc un dispositif permettant un pilotage par les financiers,
dont il a permis la montée en puissance (Zorn, 2003 ; Fligstein, 1990). Relu par eux, le
modèle divisionnel de GM et DuPont a été le support de la croissance externe dont les
conglomérats des années 50 et 60 furent l’exemple extrême. Il fut présenté comme le
dispositif permettant de tout diriger – donc libérant la direction générale du besoin de
connaître les business dans lesquels elle investissait. L’idéologie associée à cette épopée fut
cependant battue en brèche par des échecs retentissants, et les vagues de « recentrages »
auraient dû provoquer un retour à d’autres pratiques. Mais la financiarisation des années 80,
puis la globalisation sauva le pouvoir des dirigeants financiers et éloigna encore plus les
dirigeants de la pratique des activités sur le terrain.
L’institutionnalisation de ce modèle de management n’est pas surprenante. Son examen
montre qu’il s’agit d’un véritable système global de gouvernance interne d’entreprise dans
lequel chaque composante permet aux autres d’être efficaces. Mais on y constate aussi que
l’architecture d’ensemble est conçue pour que les effets pervers potentiels, c’est-à-dire les
risques inhérents aux dispositifs qui constituent ce système, soient « maîtrisés »3. Ce système
de gouvernance cache une architecture de risk management (fig. 2). Il suffit de modifier un de
ses éléments pour détruire la cohérence de l’ensemble. C’est précisément ce qui s’est produit
quand le modèle GM-DuPont ne fut plus subordonné à la stratégie marketing, qui avait assuré
le succès de General Motors.
1.1. Des dispositifs de gouvernance interne en synergie (fig. 1)
Pour mener à bien une stratégie de croissance par différenciation, que doit faire une direction
générale ? Sa ressource rare étant le temps de dirigeant, elle doit l’allouer aux décisions qui ne
peuvent pas être mieux prises aux échelons inférieurs. La finalité du système Sloan-Brown
3 Le concept de « maîtrise » de la gestion est une illusion occidentale. Que maîtrise-t-on vraiment ?
(Sloan, 1963) est de permettre à la direction générale de se concentrer sur la définition de
politiques (policies) orientant les comportements des managers et d’arbitrer entre les projets
en instaurant un véritable marché financier interne. La première de ces politiques consiste à
orchestrer la stratégie de croissance par différenciation et innovation (face à Ford, champion
du « low cost »). La Direction Générale doit donc déléguer la mise en œuvre des politiques au
management intermédiaire et alléger les tâches de coordination et d’arbitrage. La modalité la
moins coûteuse de coordination, comme l’a noté Thompson (1967), c’est la mise en
cohérence par les plans que permet l’interdépendance « de communauté », réduite à une
concurrence pour les ressources communes. C’est l’organisation par produit-marché qui
respecte ces critères (flèches 1 et 2 fig. 1). L’épargne du temps des dirigeants se paie
cependant par le besoin d’un staff important de fonctionnels et d’experts (flèche 3).
5
Facturations
internes
FIG. 1
LA GOUVERNANCE INTERNE INDUITE PAR SLOAN
L’évaluation des performances est doublement centrale : il faut comparer les divisions entre
elles pour exercer l’arbitrage de l’allocation des ressources ; il faut aussi exiger des managers
Multiplication
des
fonctionnels
Stratégie de
croissance par
différenciation
et innovation
ROI Besoin de
coordination :
plans et
budgets Jugement sur
les résultats
Négociation du
couple risque-
rendement (slack)
Que doit faire la DG ?
Intéressement aux
résultats de
l’entité
A B
signifie que A permet ou
renforce B
8
86
5
3
4
2Organisation cloisonnée en
divisions de produits-marchés
(business units)
7
1
Allouer les
ressources Définir les
« policies »
1 / 39 100%

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