scientifique montre que la manière dont le parent parle de
l’enfant, particulièrement en utilisant des termes négatifs,
inappropriés pour l’âge, avec indifférence, peut constituer
un indice de risque important pour la maltraitance.10-12 Lors
de la deuxième consultation, les symptômes présentés par
R. vont plutôt dans le sens d’un accroissement des risques.
De plus, Mme Q. raconte sur un ton détaché qu’elle n’a pas
suivi l’avis du pédiatre lui recommandant de consulter un
pédopsychiatre pour R.
En reprenant les éléments anamnestiques, lors de la
première consultation, le pédiatre a sous-estimé la gravité
de la détresse maternelle («Je n’en peux plus...») ainsi que
la sévérité de sa psychopathologie. Lors de la deuxième
consultation, il a été surpris de l’incapacité de Mme Q. de
se mettre à la place de son enfant dans les moments où il
a besoin d’être réconforté. Le comportement de Mme Q.
avec R., à la fois imprévisible et brusque, dans une alter-
nance abrupte entre intrusivité et mise à distance alors
que l’enfant cherche la proximité, suggère une relation mère-
enfant troublée et à haut risque. Au moment où Mme Q.
demande un somnifère pour son fils, la stupéfaction du pé-
diatre est telle qu’elle bloque sa disponibilité émotion-
nelle à l’égard de la mère. Mme Q. voit alors dans l’expres-
sion faciale du pédiatre un regard critique qui la perçoit
comme folle et mauvaise mère. Bien qu’elle n’ait pas com-
plètement tort dans son évaluation de la réaction du mé-
decin, elle n’est cependant pas capable de comprendre en
quoi elle contribue à cette impression. En cela, elle ressem-
ble au 59% des mères référées avec leurs jeunes enfants à
un centre ambulatoire de santé mentale infantile à New
York.5 Ces mères ne situaient le problème motivant la con-
sultation que chez l’enfant et non chez elle, ni dans la rela-
tion mère-enfant.
A la fin de la première consultation, on relève que le pé-
diatre était bien avisé de référer Mme Q. à un pédopsy-
chiatre. Toutefois, il ne lui a pas demandé de revenir le voir
entre-temps (ce qui pourrait être le signe d’un évitement)
et n’a pas non plus appelé son collègue à qui il avait référé
Mme Q. pour s’assurer qu’elle était bien allée le voir. A la
fin de la deuxième consultation, le pédiatre aurait égale-
ment pu penser signaler cette situation auprès des instan-
ces de protection de la jeunesse. Il faut alors se poser la
question sur la manière dont aurait pu procéder le pédia tre
sans briser le lien fragile établi avec cette patiente.
qu’aurait pu faire le dr. t ?
Le Dr T. aurait pu voir plus régulièrement Mme Q. pour
mieux comprendre son vécu et celui de R. Il aurait pu égale-
ment travailler avec Mme Q. pour qu’elle accepte progres-
sivement que R. soit socialisé dans une crèche ou un jardin
d’enfants. Il est très important que le pédiatre ne se sente
pas seul dans la situation, vu qu’il est fort possible que la mère
continue à éviter les soins psychiatriques dont elle a besoin,
et ceci pour plusieurs raisons. La méfiance de Mme Q., voire
son sentiment de persécution, le manque de réseau, son
sentiment d’être débordée, laissent penser qu’elle a très
probablement un trouble de la personnalité grave associé à
d’autres formes de psychopathologie (par exemple : dépres-
sion, état de stress post-traumatique, symp tômes psychoti-
ques). R., qui parle peu, montre également déjà des si gnes
de psychopathologie sous forme d’un trouble d’attachement
particulier, fréquemment associé à une dys régulation des
émotions chez la figure principale d’attachement, et qui
nécessite une intervention pédopsychiatrique.5,13-15
404 Revue Médicale Suisse
–
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–
20 février 2013
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt en relation avec
cet article.
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* à lire
** à lire absolument
Bibliographie
Implications pratiques
Le pédiatre doit penser à la manière dont son comporte-
ment peut contribuer à améliorer les échanges avec les pa-
rents dits «difficiles» et/ou inadéquats
Le succès des références de parents «difficiles» et leur enfant
chez le pédopsychiatre est associé à une collaboration active
entre pédiatre et pédopsychiatre
Le pédiatre doit être attentif dès la première consultation à
la manière dont le parent parle de son enfant et à la manière
dont lui-même réagit en réponse à ce que dit le parent
Le pédiatre doit être attentif aux interactions parent-enfant,
parent-pédiatre et enfant-pédiatre
Prendre le temps d’évaluer la parentalité dès le début mène
à un gain de temps et moins d’angoisse pour plus tard
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