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Populations et individus
De la difficulté du dialogue entre les disciplines
Claudine Schwartz
L’analyse des jeux de hasard a permis de dégager la notion de probabilité pour des résultats
d’expériences reproductibles (roulettes, dés en sont les représentants emblématiques). La
théorie des probabilités est aussi source de modèles féconds dans des situations concernant
non plus une même expérience qu’on reproduit, mais des mesures prises sur des individus
différents d’une même population. On cherche alors à analyser et expliquer les variations de
certains pourcentages, à faire des prévisions : c’est à ce niveau que la théorie des probabilités
offre des modèles efficaces. Nous allons nous intéresser à ces situations.
Que signifie « dans une certaine population, à une époque donnée, la probabilité d’être
immunisé contre une maladie M est p » ? La probabilité p ci-dessus serait-elle un caractère
propre à chaque individu, partagé à l’identique par tous : on aurait une probabilité p d’être
immunisé comme on a tous 10 doigts ? Quand on parle de probabilités, on cherche
mentalement à se ramener à une situation aléatoire et on dira alors que si on tire au hasard un
individu dans la population de référence, la probabilité qu’il soit immunisé (nous noterons
IM) est p. Cet individu tiré au sort est un être aussi abstrait que le point matériel des
physiciens, le triangle quelconque des mathématiciens, la ménagère de 50 ans du marketing,
le consommateur des économistes. C’est quelqu’un qu’on arriverait à isoler en n’ayant
strictement aucune information sur lui. Pour réaliser cette performance, il faudrait numéroter
les individus et choisir un numéro au hasard avec un simulateur. Car il n’y a ici bien sûr pas
identité devant l’immunisation et le dire reviendrait de fait à considérer les individus comme
indiscernables (telles des boules dans des urnes), sauf en ce qui concerne leur immunisation.
Une probabilité est un macro-paramètre disent les physiciens, un paramètre macro-
social disent les économistes. Parler de la « probabilité d’être immunisé est p » est ainsi
trompeur si on n’a pas réfléchi au sens que cela a : cette probabilité reste un paramètre de
population et ne permet pas de retourner à l’individu. Dans notre exemple d’immunisation,
qu’en est-il de Thomas par exemple ? On a des informations sur lui : supposons connaître son
âge exact et quelques antécédents médicaux. Sous réserve d’avoir un modèle et des données
qui permettent ce calcul, la probabilité qu’il soit immunisé sera celle de tous ceux qui
partagent les mêmes caractéristiques que lui (même âge, mêmes antécédents). On peut
enrichir l’information, le modèle sera plus précis : la probabilité traduit l’information dont on
dispose au niveau d’une population ou d’un sous-groupe, et non plus la fréquence limite d’une
expérience infiniment reproductible et qui ne concernerait que Thomas. Dans le cas de ce
dernier, de nouvelles informations peuvent changer la probabilité qu’il soit immunisé et si on
disposait de « toute » l’information, c'est-à-dire si on savait s’il est ou non immunisé, cette
probabilité deviendrait alors égale à 0 ou à 1.