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Fiche n°12
LE TRAVAIL EN COORDINATION
En comparaison avec l’exercice hospitalier, qui se fait le plus souvent en équipe, il est
habituel de considérer l’exercice du médecin généraliste comme assez solitaire, isolé dans le
huis clos d'une relation duelle avec son patient.
Il est pourtant de plus en plus amené, pour prendre en charge ses patients, à être en relation
avec d’autres professionnels, médicaux ou paramédicaux, que ce soit pour un avis
diagnostique ou thérapeutique, des soins à réaliser…
Les sociologues ont décrit plusieurs modes de travail en coordination [27] :
-
La collaboration : il existe dans ce cas une forte implication personnelle, une relation de
confiance de personne à personne et en la compétence professionnelle de l’autre, une
négociation centrale, une rencontre réelle, et une proximité.
-
La coopération : le travail avec un autre est fait dans "l’acceptation temporaire et
provisoire d’une certaine interdépendance" entre les acteurs, la confiance est limitée à la
compétence professionnelle, le respect des pratiques de l’autre est réel mais il y a refus
de se laisser influencer par elles.
-
L’instrumentalisation : le partenaire n’est
identifié
qu’à
son
rôle
professionnel
(radiographie, pansement… ), l’autonomie est totale, et la négociation absente.
-
La négation : il y a une absence de relation (non reconnaissance de la spécificité du
travail de l’autre (ex : médecin conseil, orthophoniste), ou une logique de concurrence
(ex : médecin généraliste/pédiatre).
Le travail de collaboration avec les médecins spécialistes d'organe est nécessaire dans les
questionnements au sujet du diagnostic. Mais il peut être problématique "là où plusieurs
niveaux de diagnostic sont en jeu (par exemple le niveau morphologique, le niveau
étiologique et le niveau fonctionnel) et ce, tout particulièrement quand, au cours des
examens "on ne peut rien trouver". C’est ici que les malades risquent alors le plus d’être non
pas traités pour ce qui a motivé leur envoi chez le spécialiste ou à l’hôpital, mais pour
quelque autre anomalie perceptible et qui n’a rien à voir avec le motif de consultation." [22]
En revanche, la collaboration s’avère plus bénéfique dans les cas où l’élucidation doit
évoluer "à un seul niveau" (par exemple : fracture ou non) et particulièrement quand le motif
de consultation domine l’avant plan du tableau.
Pour Braun, la collaboration nécessaire du médecin généraliste avec le médecin spécialiste
dans le cas d’élucidation de diagnostic ne signifie en rien que le médecin généraliste ne
serait qu’un "concierge dans la maison de la médecine". Contrairement aux idées reçues, le
médecin généraliste recourt à un avis spécialisé ou une hospitalisation dans une faible
proportion de ses actes (7%). Ce recours est rare jusqu’à 25 ans (inférieur à 3 %), pour
atteindre 8,8% entre 45 et 65 ans et redescendre à 8% après 66 ans. Pour les patients en
ALD, le recours spécialisé est de 10,4% [60].
De même, la collaboration entre généraliste et spécialiste ne consiste pas dans le fait que le
praticien adresse pour l’établissement du diagnostic au spécialiste "compétent". Selon
Braun, dans 20% des cas envoyés au spécialiste le diagnostic est fait. Et, "quand le
problème diagnostique se situe à plusieurs niveaux et qu’un élément déterminant est
découvert pendant les examens complémentaires, la réponse de la médecine hospitalière et
spécialisée sollicitée se révèle à l’analyse critique satisfaisante seulement dans un cas sur
deux."
Une étude non publiée, réalisée par le Collège des enseignants du Poitou-Charentes en
1994, s’est penchée sur la question des recours des médecins généralistes aux spécialités.
Le recours au radiologue est le plus fréquent (37,5%), suivi du cardiologue (9,6%). Les
raisons de ces recours sont la réalisation d’un diagnostic technique (par exemple
radiologique) (37,5%), d’un diagnostic intellectuel (10,8%), la demande d’un avis à la fois
diagnostique et thérapeutique (21,5%), la réalisation d’un traitement médicamenteux ou
chirurgical (11,6%) ou encore un suivi programmé (8%).
Discussion
Le thème du travail en coordination est quelque chose d’essentiel dans l’exercice de la
médecine générale, car le médecin généraliste aura forcément recours, à un moment ou un
autre, pour ses patients, à d’autres professionnels de santé. S’interroger sur sa façon d’être
en relation professionnelle avec ces "partenaires de soins" permet d’améliorer la prise de
charge du patient.
La description que les sociologues font des formes de travail en coordination est de ce fait
forte intéressante et chaque médecin peut reconnaître dans l’une ou l’autre sa façon de
travailler avec tel ou tel partenaire.
Notons que, par exemple, il semblerait plus bénéfique que le travail de coordination avec les
spécialistes radiologues soit plutôt de nature collaborative ou coopérative, alors qu’elle est
essentiellement à ce jour de type "instrumentalisation". Une façon de travailler en
coopération avec eux serait de solliciter leur avis pour répondre à un questionnement
diagnostique, le médecin radiologue utilisant alors toutes ses compétences pour choisir la
meilleure technique radiologique pour y répondre. Si une véritable collaboration avait lieu,
cela éviterait la succession d'examens redondants déroutant le patient et irritant parfois le
médecin.
Les sociologues font remarquer qu’il arrive parfois que le patient soit le principal organisateur
en choisissant voire imposant les soignants avec lesquels il veut poursuivre les soins, parfois
même à l’insu du médecin traitant [2].
Le thème de la collaboration vient questionner le rapport entre médecin généraliste et
spécialiste, avec notamment les questions d’autorité scientifique, de hiérarchie de
compétence, de critique de l’avis d’un confrère, de relation de type "professeur-élève" (voir
fiche n°14 : La soumission à l’autorité).
Un autre point intéressant est le fait que la réponse apportée par le spécialiste consulté n’est
pas toujours satisfaisante. Ainsi il est du devoir du généraliste de garder tout son esprit
critique et son raisonnement, afin de faire la meilleure utilisation possible de l’avis sollicité. Et
ce d'autant plus qu'il est en définitive responsable de ses prescriptions, même si celles si ont
été proposées ou initiées par un confrère.
Enfin, il semble toujours plus bénéfique que les intervenants de la santé travaillent en
collaboration ou coopération plutôt que sur le mode "instrumentalisation" ou "négation". Ceci
permet la prise en compte des avis des différents partenaires qui, du fait de leur exercice
différent (relation différente avec le patient, exercice dans un autre lieu, compétences
différentes) peuvent apporter au médecin un éclairage pertinent sur la situation du patient.
C’est par exemple le cas de l’infirmière qui passe au domicile chaque jour pour des soins.
L'exercice est délicat, le médecin généraliste doit établir, avec ses partenaires
professionnels, un mode de relation le plus adapté à l'intérêt du patient tout en assumant son
rôle de médecin traitant, "chef d’orchestre" des décisions à prendre pour soigner au mieux le
patient (voir fiche n°13 : La collusion de l’anonymat).
Illustration
Madame F. âgée de 73 ans présente, entre autre, depuis plusieurs années un diabète de
type II. Le passage à l'insuline est maintenant incontournable. Elle vit seule, un peu repliée
sur elle, et ne consulte qu'occasionnellement. Elle est déconcertée par l'annonce de cette
modification thérapeutique qu'on lui avait souvent évoquée. En fin de consultation la
nécessité d'une surveillance plus régulière et d'une constance dans l'observance du
traitement est soulignée. Il est décidé de faire un point dans 10 jours et de recourir à une
infirmière pour la mise en place de l'insuline et des contrôles biologiques à domicile. Quel
sera alors le type de coordination le plus adapté dans l'assistance de cette patiente ?
Pour aller plus loin
Lutsman M, Bourgeois I, Vega A. Sociologie et Anthropologie : quels apports pour la
médecine générale ? Doc Rech Med Gen, nov 2007, n°64. (p 28-29).
Sarradon-Eck A. ?Qui mieux que nous ?? Les ambivalences du ?généraliste-pivot? du
système de soins. In Bloy G, Schweyer FX. Singuliers généralistes : sociologie de la
médecine générale. Rennes : Presses de l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique,
2010 : 424 p. (p. 253-70).
Concepts en médecine générale, tentative de rédaction d’un corpus théorique propre à la discipline. Thèse de médecine - 2013
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