EFFETS INDÉSIRABLES SURVENANT APRÈS LA SORTIE DE L’HÔPITAL Yves Auroy, Eric Wable, Jane Despatin Bureau Politique Hospitalière, Direction Centrale du Service de Santé des Armées, Vincennes Kasaure HS et al. ont étudié à partir des bases de données médicales collectées par 250 hôpitaux US participant à un programme « ACS-NSQIP » (American College of Surgeons National Surgical Quality Improvement Program) le taux et les facteurs de risque de complications survenant après la sortie de l’hôpital [1]. L’étude a été menée à partir de l’analyse des données issues du suivi de patients, incluant notamment le devenir de ces patients à 30 jours quel que soit le mode de prise en charge du patient sur une période allant de 2005 à 2010. Seuls les patients adultes ayant bénéficié d’une intervention chirurgicale (regroupée en 21 types de chirurgie) ont été inclus dans l’étude. Sur l’ensemble de la période, 551510 patients (moyenne d’âge = 54,6 ans, sexe féminin = 61 %) ont pu être analysés. Les actes chirurgicaux les plus fréquents ont été la colectomie (17,1 %), la chirurgie bariatrique (11,3 %) puis l’appendicectomie (10,8 %). Le taux global de complications survenues dans les 30 jours postopératoires est de 16,1 %. Le taux de complications survenues après la sortie du patient est de 6,9 %, ce qui signifie que 42 % des complications postopératoires sont survenues après la sortie du patient. Sur l’ensemble des complications survenues après la sortie du patient, respectivement 25 %, 50 % et 75 % sont survenues dans les 5, 9 et 14 jours après la sortie. Les 10 complications les plus fréquentes sont une infection superficielle du site (31 %), une infection de la paroi opératoire (14 %), un sepsis sévère (11 %), une infection urinaire (10 %), une infection profonde du site chirurgical (7 %), une déhiscence de la paroi (5 %), une thrombose veineuse profonde (4 %), une infection pulmonaire (4 %), un choc septique (3 %) et une embolie pulmonaire (2 %). Ce travail confirme les délais variables de la survenue des complications postopératoires. Ainsi, dans un travail s’intéressant à la survenue de complications postopératoires sévères, Thompson et al. ont rapporté la distribution chronologique du délai de survenue suivante : moins de 1 jour (17 %), de 1 à 3 jours (43 %), de 4 à 7 jours (17 %), de 8 à 30 jours (24 %) [2] . La survenue de complications postopératoires fait écho au risque péri-opératoire. Les marqueurs de risque sont bien connus dans la littérature et 402 MAPAR 2014 sont représentés essentiellement par le type d’intervention et par la présence de comorbidités (ASA) (plus que l’âge seul), la dénutrition, la présence d’une insuffisance rénale, le caractère urgent de l’acte ou une admission non programmée en soins intensifs [3]. D’autre part, le niveau de risque de décès opératoire varie beaucoup et si l’on prend en compte le risque de décès lié à l’anesthésie par exemple, celui-ci varie d’un facteur de 100 à 1000 selon la classe ASA 1 comparée à la classe ASA 3 et 4. Les variabilités du délai et du risque de survenue des complications doivent nous interroger à l’aune de deux facteurs de changement qui vont être à l’origine de profondes modifications dans nos pratiques et modes de prise en charge : le vieillissement de la population et le développement de la chirurgie ambulatoire. Ces transformations vont par ailleurs se faire sous lourdes contraintes médicoéconomiques, nous obligeant à réviser le poids que représente la partie de l’hospitalisation conventionnelle dans le système de santé. Les perspectives démographiques en France montrent que l’âge moyen de la population française va continuer de s’élever en raison, d’une part d’une plus grande longévité, d’autre part et surtout (pour les 40 prochaines années) de l’arrivée aux grands âges des générations issues du « baby-boom » de l’après-guerre. Le vieillissement de la population française va se traduire par une augmentation du nombre de patients plus âgés présentant un nombre de plus en plus élevé de comorbidités. En prenant en compte les dépenses de soins, il apparaît que la dépense moyenne annuelle de soins d’une personne âgée d’une cinquantaine d’années était en 2008 d’environ 2000 euros alors que cette même dépense annuelle de soins pour une personne de trente ans plus âgée (autour de 80 ans) était d’environ 6000 euros. Ainsi, en raison du poids de ces comorbidités, il est probable (à technique chirurgicale équivalente) que le risque opératoire s’accroisse et que les acteurs de santé aient à prendre en charge un nombre de complications (ou plutôt de patients présentant dans la période postopératoire une complication) en augmentation [4]. Devant ce phénomène, il serait tentant de « recopier » ou d’amplifier le modèle classique de l’hospitalisation conventionnelle pour encadrer cette période postopératoire à risque. Cette stratégie pose question. La question est liée dans un premier temps au délai de survenue des complications qui, comme on l’a vu précédemment, signifierait de devoir « garder » le patient suffisamment longtemps à l’hôpital, ce qui ne pourrait se concevoir que pour les patients à très haut risque de complication, à condition toutefois de leur proposer un suivi postopératoire permettant la détection précoce et la prise en charge rapide des complications [5]. Par ailleurs, cette attitude visant à maîtriser le risque péri-opératoire est discutable puisque, dans certaines études, la diminution de la durée de séjour ne semble pas augmenter le risque de survenue de complications après la sortie du patient [6]. La conjonction de délai relativement tardif de survenue de certaines complications et du nécessaire développement du mode ambulatoire nous oblige à revisiter la notion de continuité des soins [7]. En effet, la période péri-opératoire ne peut donc être synonyme de séjours à l’hôpital et s’étend donc bien au-delà de l’hospitalisation, l’intervention chirurgicale ne devenant alors qu’un épisode de soins dans un parcours de soins. Le concept de « médecine de parcours » a été mis en avant par le « Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance-maladie » Risque et qualité 403 dans un avis rendu en mars 2012. La médecine de parcours vise à proposer une prise en charge globale du patient : elle permet ainsi de prendre en compte les volets médicaux, psychologiques et sociaux des maladies chroniques et polypathologiques. Elle se base sur une meilleure coordination des professionnels, en particulier entre ceux du secteur médical et ceux du secteur sanitaire et social (Guide Méthodologique : Elaboration du guide et des outils parcours de soins pour une maladie chronique, www.has-sante.fr). Les questions de la coordination et de la continuité des soins au sein du parcours sont cruciales pour une prise en charge optimale des patients. En effet, en prenant comme exemple l’hôpital, la solution de continuité qui existe à la sortie de l’hôpital est une source majeure de dysfonctionnements souvent liée à des défauts dans la transmission de l’information. Or, d’après une enquête réalisée dans plusieurs pays, le pourcentage de médecins traitant ayant reçu une information 48 heures après la sortie de l’hôpital de leur patient n’est que de 10 % pour la France alors qu’il est de 67 % pour l’Allemagne (Source : 2012 Commonwealth Fund International Health Policy Survey of Primary Care Physicians http://www. commonwealthfund.org/Surveys/2012/Nov/2012-International-Survey.aspx). De nombreux obstacles persistent encore pour générer des parcours de santé fluides et coordonnés [8] mais il est certain que ces évolutions nécessaires au regard des modifications démographiques attendues et des contraintes médico-économiques imposeront à l’hôpital de revoir son organisation interne, son positionnement dans le territoire de santé et ses modes d’interaction, y compris avec le domicile des patients qui représente déjà un lieu de la période postopératoire de nombreux patients, y compris « âgés ». Le concept de « médecine péri-opératoire », qui représente pour certains une opportunité pour l’anesthésie [9], doit, dès à présent, intégrer le concept de médecine de parcours. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Kazaure HS, Roman SA, Sosa JA. Association of postdischarge complications with reoperation and mortality in general surgery. Arch Surg. Nov 2012;147-6:1000-7. [2] Thompson JS, et al. Temporal patterns of postoperative complications. Arch Surg . 2003;1386:596-602. [3] Story DA, et al. Complications and mortality in older surgical patients in Australia and New Zealand (the REASON study): a multicentre, prospective, observational study. Anaesthesia. 2010;6510:1022-30. [4] Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie. Vieillissement, longévité et assurance maladie. Paris : s.n., 2010;126. [5] Kehlet H et Mythen M. Why is the surgical high-risk patient still at risk? Br J Anaesth. 2011;1063:289-91. [6] Oyetunji TA, et al. Predictors of postdischarge complications: role of in-hospital length of stay. Am J Surg. 2013;205-1;71-6. [7] Uijen AA, et al. How unique is continuity of care? A review of continuity and related concepts. Fam Pract. 2012;29-3:264-71. [8] Gardner K, et al. From coordinated care trials to medicare locals: what difference does changing the policy driver from efficiency to quality make for coordinating care? Int J Qual Health Care. 2013;25-1:50-7. [9] Grocott MP et Pearse RM. Perioperative medicine: the future of anaesthesia? Br J Anaesth. 2012;108-5:723-6.