La médecine péri-opératoire : Les anesthésistes ne peuvent pas s

La médecine péri-opératoire:
Les anesthésistes ne peuvent
pas s’en occuper
Emmanuel Samain, Emilie Merle, Amélie Jurine
Pôle d’Anesthésie-Réanimation chirurgicale, CHU de Besançon, Univer-
side Franche-Comté, 3boulevard Alexander Fleming, 25000 Besançon,
France. E-mail : e1samain@chu-besancon.fr
INTRODUCTION
L’amélioration de la prise en charge péri-opératoire des patients s’est traduite
par une réduction marquée de la mortalité et de l’incidence des complications
postopératoires au cours des 30dernières années. Les efforts pour réduire ces
risques se sont portés dans un premier temps sur la période peropératoire,
puis avec la meilleure compréhension du rôle des co-morbidités dans le risque
péri-opératoire, sur l’évaluation et la gestion préopératoire des patients. Plus
récemment, de nombreux travaux ont montré que les complications qui grèvent
le pronostic des patients sont très liées aux événements qui surviennent dans
la période postopératoire. Certains d’entre eux pourraient être prévenus par
une prise en charge mieux adaptée, ou leurs conséquences réduites par une
détection plus précoce et un traitement plus rapide. D’autre part, la sortie de
l’Hôpital sans complication n’est plus un but sufsant, et c’est vers un objectif
de retour à la santé au sens OMS du terme du patient qu’il faudra tendre: ceci
suppose de prendre en compte des dimensions d’autonomie, de réadaptation et
de kinésithérapie, des aspects nutritionnels mais aussi de bien dénir l’orientation
postopératoire du patient entre retour précoce au domicile et admission dans
une structure adaptée.
La marge de progression dans cette prise en charge globale du patient
est très probablement conditionnée par l’implication plus forte de médecins
dans cette activité. L’exposé de C. Baillard dans cette même session rappelle
avec beaucoup de justesse les arguments en faveur du rôle de l’Anesthésiste-
Réanimateur dans la médecine péri-opératoire. En effet, dès la consultation
d’anesthésie, celui-ci effectue l’évaluation des risques, participe à l’optimisation
des pathologies associées, à la gestion des traitements et à l’information, dénit
la technique anesthésique, mais aussi prépare la prise en charge postopératoire
du patient. Bien que mal évalué, ce rôle des Anesthésistes-Réanimateurs
reste probablement très variable d’un établissement à l’autre et au sein d’une
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même structure, d’un secteur de soins à l’autre. L’objectif de cette conférence
est d’analyser un certain nombre de problèmes pouvant constituer un frein à
l’implication des anesthésistes dans la pratique de la médecine.
1. LA MOGRAPHIE DES ANESTHÉSISTES-RÉANIMATEURS REND
DIFFICILE LA PRATIQUE DE LA MÉDECINE PÉRI-OPÉRATOIRE
Les problèmes de démographie constituent à l’heure actuelle, le premier
obstacle mis en avant à l’implication des Anesthésistes-Réanimateurs dans la
médecine péri-opératoire. Le nombre de médecins en activité a globalement
augmenté de manière importante ces 30dernières années, passant de moins
de 3000 dans les années 80 à plus de 9500 en 2010[1]. Cependant, les besoins
en temps d’anesthésie ont aussi considérablement augmenté, majorés par le
développement de nombreuses activités interventionnelles(imagerie, endos-
copie digestive et pulmonaire, cardiologie). D’autre part, d’autres paramètres
favorisant l’inadéquation entre l’offre et les besoins sont apparus, tels que la
moindre augmentation du nombre d’Anesthésistes-Réanimateurs comparée à
celle des autres spécialistes sur la même période, le développement d’autres
centres d’intérêt pour les anesthésistes (douleur, médecine d’urgence), la réduc-
tion du temps de travail des médecins et les comptes épargne temps abondés
devant être honorés ou certains changements sociologiques perceptibles chez
l’ensemble du corps médical. Les perspectives dans les années à venir ne sont
pas satisfaisantes : fruit d’une politique de réduction du numerus clausus des
étudiants admis à entrer en 2ème année de médecine et d’un nombre de postes
de diplôme d’études spécialisées d’anesthésie-réanimation (DES-AR) ouverts
chaque année trop faible, le nombre de MAR formés en France est insufsant.
En dépit des signaux d’alerte relayés auprès des instances gouvernementales
par la SFAR et les études de l’Institut National des Etudes Démographiques
(INED), le bilan prévisionnel entre le nombre de MAR qui arrêteront leur activité
en anesthésie et nombre de jeunes diplômés du DES-AR sera négatif pendant
plusieurs années encore [2]. Ce problème démographique conduit certains
établissements à exercer une forte pression sur les équipes d’anesthésie pour
«recentrer» l’activité clinique des anesthésistes sur la consultation d’anesthésie
et le bloc opératoire, deux activités très spéciques ne pouvant être réalisées que
par eux. Ceci est une façon de préserver la capacité opératoire, rémunératrice et
permettant de maintenir le plateau technique chirurgical, vecteur d’image pour
l’Etablissement. La situation est de plus hétérogène d’une région à l’autre et
d’un Etablissement à l’autre, bien qu’une certaine réduction des écarts ait été
observée ces dernières années.
Les solutions pour remédier à cette situation existent. Une correction du
décit de nombre de jeunes à former puis un retour à l’équilibre entre l’entrée et
les sorties dans la profession sont programmés. Une action forte des instances
de la spécialité auprès des Ministères a permis, en parallèle avec la ré-augmen-
tation du numerus clausus sur les 15dernières années d’éviter la catastrophe
démographique qui pouvait être attendue si rien n’avait été fait[1]. Parallèlement,
une enquête récente diligentée par la Collégiale des Anesthésistes-Réanimateurs
en 2011 a montré que la majorité des jeunes diplômés d’anesthésie s’orientaient
vers un exercice exclusif ou préférentiel en anesthésie ou en réanimation et de
façon plus marginale vers d’autres activités. Une 2ème piste pour retrouver du
temps médical disponible pour la médecine péri-opératoire est l’optimisation de
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l’organisation du travail au bloc opératoire. La description de cette optimisation
dépasse le cadre de cet exposé, mais repose sur une meilleure programmation
et une mutualisation des moyens. La réforme du DES-AR, envisagée par la
Commission Nationale de l’Internat et du Post-Internat (CNIPI) qui viserait a
créer une période d’autonomisation des étudiants après la n d’un internat de
4 à 5ans, et avant l’obtention du diplôme nal pourrait également permettre de
mettre à disposition du temps médical «séniorisé». Si la tendance est amorcée,
l’équilibre ne pourra toutefois être retrouvé que dans les 4 à 6ans qui viennent.
2. LA FORMATION INITIALE EST MAL ADAPTÉE À LA PRATIQUE
DE LA MÉDECINE PÉRI-OPÉRATOIRE
La médecine péri-opératoire nécessite une compétence médicale très
spécique. Dans cette période encore difcile sur le plan de la démographie, il ne
s’agit pas de favoriser des glissements de tâches vers d’autres professions, ou
de permettre le recrutement de médecins insufsamment formés à la pratique
de la médecine péri-opératoire.
Les compétences de base nécessaires à cette pratique sont classiquement
centrées sur la gestion des situations critiques de détresse vitale, sur la douleur
postopératoire, le maintien de l’homéostasie cardio-respiratoire, la prévention
de la maladie thrombo-embolique, la gestion des traitements habituels et de
l’antibiothérapie prophylactique ou curative. Elles sont acquises au cours de
la formation initiale des internes et ont été dénies dans les objectifs pédago-
giques actualisés du DES-AR (disponibles sur www.cfar.org). Cet enseignement
est clairement bien structuré pour l’apprentissage de la réanimation et de la
gestion des situations de détresse vitale. En effet, la moitié du programme de
l’enseignement théorique et un minimum de 2années de stage sont consacrés
à la réanimation. En revanche, l’enseignement théorique de la prise en charge
des points spéciques, moins aigus de la médecine péri-opératoire est moins
précisément déni: ils sont abordés soit lors de cours traitant des pathologies
chroniques (par ex : anesthésie du coronarien, anesthésie de l’insufsant
respiratoire), soit lors d’exposés spéciques (par ex: prévention de la maladie
thrombo-embolique), mais peut-être pas sufsamment intégrés dans une prise en
charge globale du patient. D’autre part, la mise en application pratique au cours
des stages d’internat d’anesthésie de ces connaissances reste probablement
limitée, car l’activité des internes est principalement centrée sur la consultation
et la visite pré-anesthésiques et l’anesthésie au bloc opératoire. D’autre part,
cette formation pratique se heurte aux difcultés actuelles des enseignants à
faire du compagnonnage avec les internes dans les services de chirurgie ou de
soins postopératoires. Les jeunes diplômés du DES-AR risquent de découvrir
une part importante de cette activité postopératoire lors de leur prise de fonction
en post-internat.
Une réexion devra probablement être menée par les enseignants de la
spécialité pour mieux intégrer cette activité dans le programme du DES-AR.
La réforme annoncée des DES (cf. supra) avec un allongement d’une année et
une séniorisation en n de cursus (une ou plus probablement deux années) sera
l’occasion de revoir les objectifs et la maquette de formation.
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3. LA FORMATION CONTINUE DES MÉDECINS EST INSUFFISANTE
La pratique de la médecine péri-opératoire ne se limite bien entendu pas
aux quelques points décrits ci-dessus. La prise en charge globale du patient,
prenant en compte les conséquences du vieillissement, les aspects nutritionnels,
la reprise de l’ambulation et de l’autonomie, le retour précoce au domicile ou le
transfert dans une structure adaptée, la reprise de la vie sociale antérieure ne
peuvent se comprendre que dans une démarche globale, souvent multidiscipli-
naire. Ceci a été veloppé ces dernières années dans le concept de réhabilitation
postopératoire, initialement décrit par H. Kehlet, et qui a fait depuis l’objet de
nombreux travaux d’évaluation[3]. L’anesthésiste y apparaît clairement placé
au centre de cette démarche et la discipline contribue largement à alimenter la
réexion[4-7]. Cependant, là aussi une compétence théorique et pratique doit
être développée. Si un certain nombre de référentiels ont été mis à disposition
ces dernières années et veloppés dans les congrès et enseignements post-
universitaires, ces connaissances ne sont pas encore parfaitement partagées
par les anesthésistes réanimateurs.
4. UN TRAVAIL D’ÉQUIPE DIFFICILE À METTRE EN ŒUVRE
La médecine péri-opératoire est une activité dont les résultats en termes
d’amélioration du devenir du patient sont rapidement perceptibles et qui ne
devrait pas souffrir d’un décit d’attractivité ou d’intérêt. Ce n’est pas toujours
le cas, car les conditions d’exercice peuvent aisément la rendre inintéressante
pour un Anesthésiste-Réanimateur. Plusieurs écueils sont à éviter :
Réduire cette activité à une visite faite en «coup de vent», entre 2 inductions
anesthésiques.
La limiter au suivi des constantes vitales et de la lecture des examens com-
plémentaires.
Induire la perception qu’il s’agit de la partie «ancillaire» du suivi postopératoire
du patient, les chirurgiens se déchargeant sur l’anesthésiste de tout ce qui
n’est pas directement lié au geste chirurgical.
Enn et peut être le plus important, transformer la pratique de cette médecine
un parcours du combattant pour celui qui la réalise, à la recherche de corres-
pondants indispensables mais non mobilisés.
Les solutions existent, et nécessitent un travail préparatoire effectué en
commun avec les chirurgiens et avec les différents partenaires impliqués dans
la prise en charge des patients. Les relations avec les chirurgiens dans la période
postopératoire (après la sortie de la SSPI) ont été succinctement abordées dans
des recommandations du Conseil National de l’Ordre des Médecins, actualisées
en 2001 [8]. Le document évoque également la nécessaire coordination et
formalisation écrite des relations avec les autres intervenants: «La multiplicité
des intervenants est source de confusions, d’erreurs de transmission parfois
préjudiciables à l’état des patients. Plutôt que des accords tacites, même admis
par tous, il est recommandé d’établir des règles de fonctionnement dénies
après concertation entre tous les intervenants»[8]. Ceci impose aussi que le
partage des tâches soit déni a priori selon les compétences et le temps de travail
disponible. D’autre part, la formation des médecins et personnels paramédicaux
de ces autres disciplines potentiellement impliquées dans ce suivi des patients
doit probablement être aussi adaptée.
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CONCLUSION
En conclusion, un certain nombre de problèmes liés à la démographie
médicale, à la formation initiale et continue et à la formalisation des relations
avec les autres intervenants, chirurgien et autres professionnels de santé
doivent progresser pour que les Anesthésistes-Réanimateurs puissent trouver
pleinement la place qui leur revient dans la pratique des soins péri-opératoires.
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[8] Conseil National de l’Ordre des Médecins. Recommandations concernant les relations entre
Anesthésistes-Réanimateurs et chirurgiens, autres spécialistes ou professionnels de santé. Bulletin
de l’Ordre des Médecins:Edition Décembre 2001.
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