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Beaucoup a déjà été écrit autour du pamphlet de Pierre Cahuc et André Zylberberg
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. Cette
note n’entend pas entrer de front dans la querelle des méthodes en économie – et encore
moins dans l’invective. Elle a un objectif modeste, qui concerne très précisément le bilan des
35 heures et les leçons à tirer des évaluations. Elle reviendra dans un premier temps sur le
bilan des 35 heures tel qu’il s’est construit au milieu des années 2000. Elle analysera ensuite
le montage de la contestation de ce bilan sur la base d’une « expérimentation » (le nom est
trompeur) aux conclusions fragiles, mais procédant d’une méthode supposée constituer le one
best way de la démonstration en économie.
1. Apprendre des évaluations des 35 heures
D’abord, lorsqu’on étudie les 35 heures, on ne peut qu’être frappé du nombre et de la diversité
des évaluations auxquelles cette politique a donné lieu. Tout comme le revenu minimum
d’insertion (RMI) en 1989, on avait affaire à un dispositif innovant. Le RMI instaurait pour
les ménages pauvres un revenu minimum garanti faiblement conditionné à des démarches
d’insertion, les 35 heures combinaient une réduction de la durée légale du travail d’une
ampleur non négligeable (réduction de 4 heures de la durée hebdomadaire du travail à temps
complet) à des réaménagements du travail et à des allègements de cotisation (dans la lignée de
dispositifs incitatifs précédents comme la Loi de Robien de 1996). Et comme le RMI, les 35
heures ont été un dispositif controversé. Alors qu’on craignait que le RMI soit « donné » sans
contrepartie à des personnes qui n’entreprendraient pas de démarche d’insertion, les 35 heures
étaient jugées risquées pour les entreprises qui auraient à en supporter une partie du coût. Le
dispositif avait notamment suscité l’ire du patronat français, le CNPF, qui s’était aussitôt
rebaptisé Medef en nommant à sa tête un de ses plus fermes opposants, Ernest-Antoine
Seillière. Les 35 heures, dispositif innovant et controversé, étaient donc promises à des
évaluations nombreuses et diverses, comme le RMI un peu moins de dix ans auparavant.
Avant la réforme : des scénarios divers de création d’emploi
Les évaluations des 35 heures ont commencé avant la mise en place du dispositif (Gubian et
al. 2005). Dans le contexte de la préparation des lois Aubry, les débats des évaluateurs
portaient sur les conditions de « réussite de la loi » et l’idée était qu’il fallait éviter d’en faire
porter le coût aux entreprises : la modération salariale, les exonérations de cotisations, la
réorganisation du travail et l’obtention de gains de productivité étaient donc à l’ordre du jour.
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Voir par exemple Coutrot (2016) et Husson (2016).