La musique, le cerveau et l`éducation Par Matthieu Paré, M.A.

La musique, le cerveau et l’éducation
Par Matthieu Paré, M.A. sciences de l’éducation
Depuis les quinze dernières années, les études en neurosciences sont plus nombreuses et
permettent d’aller plus loin dans la compréhension des mécanismes en jeu dans le cerveau
entrainés par la musique. Les récents travaux du psychiatre Normand Doidge du centre d’écoute
de Toronto montrent, par des cas à l’étude, que l’utilisation de la musique favorise une
neurostimulation lorsqu’écoutée de manière intensive, d’où découle un développement
neurologique autour des aires du cerveau traitant la musique et la langage. De fait, les connexions
synaptiques entres les hémisphères du cerveau et entre les structures postérieures et frontales sont
densifiées (Doidge, 2015). Le résultat final est que l’enfant, une fois «re-câblé» au plan
neurologique, est capable de neurodifférentiation. Cette amélioration semble pouvoir l’aider à
suivre le rythme de la classe, des discussions, mais aussi, de discriminer la voix de l’enseignant à
travers les bruits avoisinants des camarades. Pour les enfants tout venants, c’est une chose qui
peut être utile, mais chez l’enfant dyslexique ou ayant un TDAH, c’est autrement plus
fondamental.
L’importance des troubles neurodéveloppementaux
Rappelons à juste titre que la dyslexie toucherait jusqu’à 10% de la population et se
manifesterait par une mauvaise association entre graphèmes (signes écrits) et phonèmes (sons),
ainsi que par une incapacité à saisir rapidement un mot dans sa globalité (INSERM1, 2007;
Habib, 2000). La dyslexie est dite développementale, on entend par qu’elle est un trouble
spécifique de l’apprentissage de la lecture même si les capacités intellectuelles sont normales
chez l’enfant, qu’il n’a pas de troubles psychiatriques ou neurologiques, qu’il provient d’un
milieu socio-culturel normalement stimulant et est scolarisé adéquatement (Chobert et al., 2012).
La dyslexie est considérée comme un trouble spécifique d’apprentissage faisant partie des
troubles neurodéveloppementaux, ceux-ci touchant près d’un enfant sur six dans les pays
industrialisés (Organisation mondiale de la Santé, 2001). Cette catégorie particulière de troubles
implique une diminution de la croissance et du développement normal du cerveau en provoquant
des retards sur tous les plans dont l’apprentissage, le comportement, l’aspect moteur ou la
mémoire, l’autisme ou encore la paralysie cérébrale (Institut Douglas, 2012). C’est dans cette
optique que le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) est également
considéré comme un trouble neurodéveloppemental, tout comme l’Alzheimer (APA, 2013).
D’ailleurs, la dyslexie et le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité sont deux
troubles en forte comorbidité, la prévalence dans la population des enfants augmentant jusqu’à
près de 30 % selon les études (Froehlich et al., 2007, INSERM, 2007 ; Akinbami et al., 2011). Ce
qu’implique le TDAH est l’inattention et l’hyperactivité/impulsivité comprenant des
comportements comme l’incapacité à focaliser sur les détails, des difficultés à organiser les
tâches et activités personnelles, parler et bouger excessivement jusqu’à ne plus être capable de
rester assis sur un siège (Ibid., 2013). Les enfants présentant des symptômes en bas âge, soit
autour de 3 à 4 ans (par exemple, un tempérament agité, de l’impulsivité et de l’hyperactivité, de
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1 Nous utilisons l’abréviation INSERM pour rendre compte des travaux du comité compo, pour ce numéro, des
auteurs : Barrouillet, P., Billard, C., de Agostini, M., Démonet, J. F., Fayol, M., Gombert, J. E., Rondet-Grellier, C.
et autres collaborateurs.
l’opposition) ont plus de chances de développer le trouble tôt, qui se formalisera ensuite dès
l’entrée à l’école (Dumas, 2007). Alors que bon nombre d’enfants devenus adolescents
connaissent une diminution des symptômes, plus de la moitié continue à avoir le trouble et parmi
eux, entre 50 et 65% l’ont encore à l’âge adulte selon les études (Ibid., 2007). Les enfants garçons
consistent en la population la plus à risque de développer le trouble, dans une proportion de deux
à neuf fois plus élevée que les filles (Ibid., 2003).!Les difficultés vécues sont nombreuses et se
complexifient avec le temps : alors que l’enfant désobéit, est négatif, est facilement contrarié et
réagit mal à l’autorité, une fois au primaire, s’ajoute au tableau la désorganisation dans les tâches
et les comportements et les difficultés d’attention à la tâche (Ibid., 2007). S’ensuit alors des
risques importants au plan relationnel, que ce soit le rejet social ou le développement de
l’incapacité à être en relation avec les autres, par la présence d’agressivité (Barkley et Murphy,
2010). Il est intéressant de constater, à travers l’histoire du diagnostic de TDAH, qu’on l’a
associé à un autre diagnostic, à savoir le désordre des processus centraux de l’audition (CAPD).
Ce diagnostic comportait comme caractéristique des difficultés d’hyperactivité, d’inattention et
d’attention de courte durée, tout en impliquant, comme son nom l’indique, une difficulté à diriger
son attention auditive.
Les approches explicatives du TDAH
Dans les années 2000, les approches neurocognitives (Restrepo parle aussi de
neuroéducation alors que Schulkin parle plutôt de neuroscience sociale) témoignent en faveur de
l’entraînement des fonctions cognitives chez les enfants TDAH en se basant sur l’hypothèse de la
plasticité du cerveau (Halperin et Healey, 2011). Les recherches scientifiques dans ce champ
pointent du doigt l’inhibition comportementale parmi les fonctions exécutives. L’enfant inattentif
serait possiblement un enfant à lent tempo cognitif, sluggish cognitive tempo (Barkley, 2012), qui
toucherait non seulement à la cognition, mais aussi à l’émotion vécue2 (Restrepo, 2014). Il est
donc question du syndrome des fonctions exécutives3 du cortex frontal dans le TDAH (Ibid.,
2012 ; Barkley, 2012). Dans une étude réalisée auprès de 25 adultes atteint d’un TDAH ayant eu
une histoire d’enfance empreinte de la maladie et ayant des enfants TDAH, l’utilisation de la
tomographie à émission de positrons (PET)4 a permis de montrer que ces individus avaient une
activité cérébrale frontale et striale significativement plus faible (Ibid., 2006). Pour sa part,
l’imagerie par résonance magnétique (MRI) a permis de localiser plus spécifiquement le niveau
anormal d’activité dans la partie pré-frontale du cerveau et de constater plusieurs différences
structurelles des cerveaux des TDAH par rapport aux cerveaux considérés normaux (Idem).
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2 L’émotion est imbriquée directement dans les ressources cognitives, elle est un levier qui mène vers l’action,
faisant partie même de la biologie individuelle (Schulkin, 2013). Pour la présente recherche, nous incluons l’émotion
dans l’ensemble du fonctionnement cognitif car elle est intrinsèquement reliée tel que nous venons de le mentionner.
3 Réfèrent à un ensemble hétérogène de processus cognitifs qui permettent de contrôler le comportement. Le contrôle
exécutif s’avère crucial pour les comportements orientés vers un but. Se retrouvent dans cette catégorie : la
flexibilité, l’inhibition (autocontrôle et autorégulation), la mémoire de travail, la planification et le contrôle des
interférences.
4 La tomographie par émission de positons (TEP) est une modalité d'imagerie médicale qui mesure la distribution
tridimensionnelle d'une molécule marquée par un émetteur de positons. L'acquisition est réalisée par un ensemble de
détecteurs répartis autour du patient. Une nouvelle génération d'appareils TEP/tomodensitomètre (TDM) offre des
informations complémentaires qui permettent de corriger l'atténuation, de localiser les lésions et d'optimiser les
procédures thérapeutiques (De Dreuille, Maszelin, Foehrenbach, Bonardel, et Gaillard, 2004, p.2).
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Semrud-Clikeman et R. Pliszka (2005), dans leur revue de littérature, arrivent à la conclusion que
des changements dans les structures du cerveau et particulièrement via l’activation de la zone
pré-frontale peuvent être constatées avec la prise de médication.
En focalisant notre attention sur les fonctions exécutives, il s’avère que le
dysfonctionnement des circuits neuronaux chez le TDAH impliquent l’inhibition, l’attention, la
temporalité, la régulation de la motivation et des affects (Barkley, 2012; Rubia, 2011). À la
manière de Barkley et Rubia, plusieurs autres auteurs ont nommé une série de fonctions touchées,
tel que le modèle de Brown (1994 dans Barkley, 1997) témoignant d’un groupe de six fonctions
altérées telles que la discipline, l’activation, le focus, l’effort, la régulation des émotions, la
mémoire et l’action, le tout en interaction non-hiérarchique (Goupil, 2014). Ce qui retient notre
attention est la classification de Miyake (2000) des trois fonctions exécutives de base : la
flexibilité, la mise-à-jour et l’inhibition. Celles-ci se décrivent ainsi :
La première permet l’adaptation aux situations changeantes du contexte, la deuxième la
mise à jour des informations dans la mémoire de travail et la troisième l’inhibition des
réponses automatiques ou routinières, mais non pertinentes pour la tâche en cours. Bref,
nous devons dans toutes les activités et contextes de la vie quotidienne prendre des
décisions, sélectionner les réponses appropriées au contexte et choisir entre plusieurs
options (Restrepo, 2014, p.11 soumis).
Derrière ces trois fonctions exécutives, il semble qu’un neurotransmetteur joue un rôle central. En
effet, certaines études montrent clairement que chez les enfants TDAH, il y a présence d’un faible
taux de dopamine dans leur cerveau lié potentiellement à une faible motivation intrinsèque,
lesquelles sont inter-reliées (Schulkin, 2013) et nécessaires à haut niveau dans la mise-en-œuvre
de l’attention et la concentration, d’où découle l’inhibition de comportements inadéquats
(Restrepo, 2014 ; Ibid., 2013). La dopamine serait essentielle également dans le langage,
l’organisation des pensées et du mouvement, le calcul, l’effort lié à la récompense, le contrôle
moteur des systèmes nerveux de toutes les vertèbres, la motivation et le comportement général et
musical (performance, perception, syntaxe et connexions affectives) (Ibid., 2013, p. 68). Chez les
TDAH spécifiquement, la dopamine influencerait leur niveau d’attention à l’information
provenant de l’environnement, c’est-à-dire la capacité qu’ils ont à diriger leur attention vers
l’extérieur (Idem). Toutefois, la dopamine ne serait pas en cause chez tous les individus TDAH,
mais bien chez certains types qui se distinguent au plan morphologique (ce qui pourrait expliquer
que la médication ne fonctionne pas pour tous les enfants) : un cortex frontal droit et un noyau
caudé gauche plus petits (Filipek et al., 1997 ; Semrud-Clikeman et Pliszka, 2005). Le noyau
caudé est une structure «intimement connectée au neurotransmetteur dopamine» (Ibid., 2005,
p.176) et plus cette structure est petite, moins elle permet à l’hémisphère droit d’inhiber les
réponses inappropriées (Idem). Enfin, la dopamine pourrait potentiellement être augmentée par
certains stimuli externes tel que la musique (Zatorre et Salimpoor, 2013), la nourriture, les
médicaments et les récompenses (Schulkin, 2013).
Une autre structure du cerveau pourrait également être en cause, à savoir la région
postérieure du corps calleux (impliquant une activité moindre dans les régions pariétales et
occipitales du cerveau) où l’on retrouvait chez certains TDAH moins de matière blanche. Cette
différence pourrait potentiellement diminuer la communication entre les parties du cerveau, ainsi
ne pas permettre à l’enfant d’accéder à ses expériences et connaissances antérieures (Parties
postérieures du cerveau) pour les utiliser concrètement devant les situations et défis du présent
(Parties frontales) (Semrud-Clikeman et Pliszka, 2005). C’est ce que révèle également le modèle
de l’attention de Posner (1994). Cette information pourrait potentiellement justifier l’utilisation
de la musique comme traitement, nous le verrons plus loin, car il semble que la musique est
traitée dans l’ensemble du cerveau, permettant ainsi une communication entre ses diverses
structures, selon que l’on parle du rythme, de la hauteur ou tout autres composantes de cette
musique (Hébert et Cuddy, 2006).
La dyslexie : compréhension et intervention
Du côté de la dyslexie, on pense qu’un problème précis se situe au niveau de la
conscience phonologique, de l’attention et de la discrimination sonore (Habib et Besson, 2008).
Grâce au potentiel de plasticité cérébrale, on peut penser reconfigurer certaines zones du cerveau
de l’enfant en intégrant de la nouveauté dans l’environnement immédiat, comme par exemple, en
lui fournissant un enseignement d’un instrument de musique. De fait, l’apprentissage de la
musique aurait des effets sur plusieurs plans, autant au niveau du traitement auditif, linguistique,
du langage parlé et écrit :
Relations supposées entre entrainement musical, traitement auditif
et aptitudes en langage oral et écrit
Tiré de Habib et Besson, 2008
L’entrainement musical se démarquerait des autres stimulations environnementales car il
stimulerait en temps réel trois sens précis : l’audition, la capacité visuelle et l’aspect
sensorimoteur (Habib, 2014). Dans cette intégration dite sensorielle, nous serions en mesure de
fournir une intervention multimodale dont les traces neurologiques seraient significativement
mesurables avec les imageries par résonance magnétique, mais aussi observable dans les
capacités améliorées d’apprentissage en classe. En ce sens, notre récente revue des programmes
expérimentaux et méta-analyses conduites à l’international concernant la remédiation de la
dyslexie témoigne en faveur des programmes visant les capacités visuelles (Fiset et al., 2006 ; De
luca et al., 2009 ; Savill et Thierry, 2012) ou auditives (Merzenich et al., 1996, Connolly et al.,
2000 ; Tallal, 2004; Lachmann et al., 2005 ; Galaburda, 2005 ; Bonte et al., 2006 ; Giraud et al.,
Langage, musique et plasticité cérébrale 117
Tableau I : relations supposées entre entraînement musical, traitement auditif et aptitudes en langage oral et
écrit (daprès Overy, 2003, et Tallal & Gaab, 2006).
Table I : supposed relationship between musical training, auditory processing and oral and written language skills
2008) alors que d’autres suggérent de se centrer sur l’intégration multimodale des stimuli (Ernst
et Banks, 2002 ; Recanzone, 2003 ; Spence et Squire, 2003 ; Knill et Pouget, 2004 ; Ghazanfar et
Schroeder, 2006 ; Fetsch et al., 2013 ; Habib, 2014, Doidge, 2014; Van Atteveldt et al., 2014). La
morphologie différenciée de certaines structures du cerveau chez les musiciens, telles que le
planum temporal gauche (Schlaug, 2015 ; Zatorre et al., 2001) et le corps calleux, permettent de
penser que le fait de pratiquer la musique de manière régulière modifie foncièrement les
structures du cerveau, en particulier dans des zones qui influencent directement l’apprentissage
du langage (Habib et Besson, 2008) ou encore, la latéralisation corticale, cette dernière
demeurant toutefois à confirmer expérimentalement (Bryden et al., 1994). Quand nous parlons ici
de modification, on doit entendre que les structures corticales sont amplifiées en volume, mieux
et plus connectées entre elles : ni plus ni moins, le cerveau des musiciens est plus développé
précisément dans des structures-clés liées à l’apprentissage (Perception, traitement, production du
langage), mais aussi en globalité via la densification des réseaux de fibres neurales entre ces
structures des deux hémisphères cérébrales (Idem, 2008 ; Keller et Just, 2009).
Dans le cas de la dyslexie, il faut savoir que les mutations de gènes fabriquant des
protéines mettent en cause primaire particulièrement les gènes provenant du chromosome 6
(conscience phonologique) et 15 (lecture d’un mot) (Habib, 2000). Des anomalies migratoires
neuronales pourraient être le fruit de diverses conditions intra-utérines inappropriées, lésions
intra-utérines, infections, exposition toxique ou défaillance génétique, en particulier entre la
16ième et la 24ième semaines de gestation, la dyslexie prenant toujours sa source avant l’arrivée du
nourrisson dans le monde (Galaburda, 2005). Les recherches en imagerie fonctionnelle
permettent de montrer que le cortex auditif des enfants dyslexiques est différent de ceux des
lecteurs normaux dans une zone précise du langage : le faisceau arqué. Le faisceau arqué sous
forme de conduit est constitué de connexions axonales situées entre le centre de Wernicke
permettant de comprendre les mots entendus et le centre de Broca qui permet le langage. Une
toute récente étude expérimentale a su montrer, via les imageries de diffusion à tenseur, qu’une
intervention intensive auprès des enfants en difficulté de lecture permet d’augmenter la
connectivité, c’est-à-dire la densité, la directivité et la vitesse de traitement des informations
circulant dans les fibres neurales du faisceau arqué (Keller et Just, 2009) :
Connectivité du faisceau arqué lors d’une tâche de lecture
Tiré de Just et Keller, 2009
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