Chapitre II
A propos de l’´equation de
Schr¨odinger
La moindre des contraintes ph´enom´enologiques que doit satisfaire une ´eventuelle
th´eorie quantique du rayonnement est de reproduire les r´esultats des th´eories ant´e-
rieures lorsqu’ils sont satisfaisants. Je vais donc commencer par rappeler l’expression
de l’hamiltonien d’un quanton charg´e, aussi vieux que la th´eorie quantique elle-
eme, puisque ses premiers succ`es remontent `a la description des niveaux de l’atome
d’hydrog`ene.
Cet hamiltonien s’obtient de fa¸con particuli`erement ´economique `a partir d’un
principe d’invariance de jauge. Un tel choix n’est pas seulement dict´e par la mode
ecente dont jouit une propri´et´ed´ej`a bien ancienne. Le proc´ed´e orthodoxe, peut-
ˆetre le seul connu de la lectrice, reposait sur l’analogie formelle entre hamiltoniens
quantique et classique, ´erig´ee en “principe de correspondance”. Or ce principe est
autant affect´e d’insuffisances techniques (quelle grandeur quantique va correspondre
par exemple `a la grandeur classique xp: l’op´erateur XP,ouPX, ou une quelconque
moyenne? quelle grandeur classique peut revendiquer la paternit´e directe du spin
quantique?), que de faiblesse logique (la nature est, pour l’instant, quantique et il
serait vain d’esp´erer en bˆatir une th´eorie coh´erente en se contentant de s’appuyer sur
des manifestations classiques qui, pour abondantes qu’elles soient, ne constituent
qu’une vue partielle des choses).
Faites l’effort — fondamental dans le processus d’apprentissage — d’´eliminer
les scemas acquis et imaginez Sophie, brillante physicienne qui connaˆıt bien son
´equation de Schr¨odinger pour un quanton,
i¯h
∂tψ(r,t)=P2
2m+V(r,t)ψ(r,t),(II.1)
11
12 Aproposdel´equation de Schr¨odinger II
encore qu’elle soit assez ing´enue pour tout ignorer de l’interaction ´electromagn´e-
tique. L’op´erateur du membre de droite, l’hamiltonien, a pour rˆole, comme l’in-
dique le premier membre, de g´en´erer l’´evolution temporelle de la fonction-d’onde.
L’expression de l’hamiltonien d´epend:
de l’environnement du quanton par la fonction potentiel V(r,t);
de l’op´erateur impulsion, P=(¯h/i)
en repr´esentation de position qui, de
la mˆeme fa¸con que i¯h(∂/∂t), g´en`ere l’´evolution spatiale de la fonction-d’onde
lors d’une translation.
Depuis ses premiers pas dans l’univers quantique, Sophie a not´e que rien n’y
epend d’un changement de phase global de la fonction-d’onde. Ainsi, non seule-
ment la fonction
ψ(r,t)df
=eψ(r,t) (II.2)
satisfait-elle la mˆeme ´equation d’´evolution (II.1), mais de plus les grandeurs physi-
ques du quanton ont les mˆemes distributions (valeurs moyennes et divers moments),
que sa fonction-d’onde soit ψou ψ. Les fonctions-d’onde de la classe (II.2) sont
physiquement ´equivalentes; elles repr´esentent le eme ´etat. Une transformation
telle que (II.2) est qualifi´ee d’interne car elle n’implique aucun d´eplacement spatio-
temporel. On parle ici de transformation de jauge globale du groupe U(1), le groupe
des matrices unitaires de rang 1, qui ne d´esigne rien d’autre — dans un style ampoul´e
— que les nombres complexes de module 1. Un coll`egue de Sophie qui utiliserait
la fonction ψpour d´ecrire la mˆeme situation n’y verrait aucune diff´erence, et l’une
comme l’autre n’ont nul besoin de se mettre d’accord sur un choix de phase absolu;
fort heureusement d’ailleurs puisque aucun n’est privil´egi´e par la nature.
Vous avez d´ej`a rencontr´elamˆeme ambigu¨ıt´e`a propos de deux observateurs en
mouvement relatif uniforme; les ´equations du mouvement d’un ph´enom`ene revˆetent
pour eux la mˆeme forme, mˆeme si les valeurs qu’ils attribuent respectivement aux
grandeurs physiques peuvent ˆetre diff´erentes. Le fait, ´erig´e en principe, que rien
dans les ´equations d’une th´eorie ne doive, jusqu’`apr´esent, permettre de distinguer
l’un d’entre eux est connu sous le nom d’invariance galil´eenne; les ´equations du
mouvement d’un pendule dans le T.G.V. sont les mˆemes pour la voyageuse et pour
le chef de gare.
Bien sˆur, selon les conditions initiales (qui n’ont rien `a voir avec les ´equations
du mouvement), un point de vue peut se r´ev´eler techniquement plus commode que
l’autre; la trajectoire du pendule a une expression plus simple pour la voyageuse.
Il en ira de mˆeme pour le choix de phase — le choix de la jauge — beaucoup plus
tard, selon que l’on souhaitera mettre plus particuli`erement en ´evidence l’invariance
de jauge ou l’invariance de Lorentz de l’´electrodynamique quantique, discuter du
ecanisme de Higgs ou s’interroger sur la renormalisabilit´e d’une th´eorie de jauge.
II.1 L’invariance de jauge locale 13
II.1 L’invariance de jauge locale
Enhardie par la prise de conscience de cette invariance de la th´eorie quantique,
Sophie essaye un autre type de transformation interne du mˆeme groupe,
ψ(r,t)df
=eiq
¯hω(r,t)ψ(r,t).(II.3)
Le param`etre de la transformation d´epend maintenant du lieu et de l’instant; on
parle de transformation de jauge locale U(1). La licence d’extraire de la d´efinition de
ωles facteurs q(une constante r´eelle) et ¯h, n’a d’autre but que le confort ult´erieur.
Se pourrait-il que la th´eorie quantique affiche encore la mˆeme indiff´erence `ace
type de transformation? Pour cela, il n’est que de d´eterminer l’´equation d’´evolution
satisfaite par ψ, sachant que ψest r´egie par (II.1). De la relation inverse
ψ(r,t)=eiq
¯hω(r,t)ψ(r,t),
on d´eduit imm´ediatement (Exercice 1)
i¯h
∂tψ=eiq
¯hωi¯h
∂t +q∂ω
∂t ψ,
Pψ=eiq
¯hωPq(
ω)ψ.
L’action de P2sur ψs’obtient en calculant d’abord la divergence du produit d’un
champ scalaire exponentiel par un champ vectoriel u(r,t) (Exercice 2):
P·eiq
¯hωu=eiq
¯hωPq(
ω)·u.
Appliquant cette relation `a Pψ, on trouve finalement que ψa pour ´equation
d’´evolution
i¯h
∂tψ=1
2mPq(
ω)2+Vq∂ω
∂t ψ,
dont la forme semble irr´em´ediablement diff´erente de l’´equation (II.1). Sophie doit-
elle alors abandonner tout espoir de voir ψet ψoffrir des descriptions du quanton
´equivalentes?
Les malheurs de Sophie viennent apparemment des op´erations de d´erivation `a
travers lesquelles l’exponentielle passe, certes, mais en laissant quelques plumes,
ω/∂t ou
ω, lorsque ωest variable, plumes qui se retrouvent dans l’´equation
d’´evolution de ψ. Surmontant sa d´eception, Sophie d´ecide d’examiner ces op´era-
tions et commence par adopter les notations plus commodes, et tout aussi populaires
que modernes:
t
df
=
∂t,
14 Aproposdel´equation de Schr¨odinger II.1
et, de mˆeme, pour les composantes du nabla,
x
df
=
∂x,∂
y
df
=
∂y,∂
z
df
=
∂z.
Ces d´eriv´ees sont dites covariantes. Mais covariantes par rapport `a quoi au juste?
Les coordonn´ees x, y, z d’un point repr´esentent les composantes du vecteur position
de ce point, par rapport `a un point origine, sur trois vecteurs ind´ependants, dits de
base:
r=xex+yey+zez,
tandis que sur une autre base,
r=xe
x+ye
y+ze
z.
Prenons par exemple le plus simple des changements de base: e
x
df
=2ex,eyet ez
restant in´ebranlables. Alors, x=x/2, et
x=∂x
∂xx=2x.
La d´eriv´ee xse transforme comme le vecteur de base correspondant; elle co-varie
avec ex. De fa¸con g´en´erale, les d´eriv´ees x,y,zsont covariantes avec les vecteurs
de base ex,ey,ezdans toute transformation lin´eaire de ceux-ci.
Dans le cas des transformations de jauge globales, Sophie n’avait aucun probl`eme
parce que les d´eriv´ees partielles de ψse transformaient exactement comme ψelle-
eme, par un simple facteur, c’est-`a-dire de mani`ere covariante. Imaginative, elle
ecide de chercher une nouvelle mani`ere de mesurer les variations de ψd’un instant
`a l’autre, d’un point `a un autre, qui soit covariante par rapport aux transformations
de jauge locales. Il lui faut des d´eriv´ees covariantes Dt,Dx,Dy,Dz, telles qu’au
cours de la transformation (II.3) elles deviennent:
DtψD
tψ=eiq
¯hωDtψ,
DψDψ=eiq
¯hωDψ.
Prenons d’abord la d´eriv´ee par rapport au temps. Sophie sait d´ej`a que
tψ=eiq
¯hωt+iq
¯h(tω)ψ,
qu’elle peut r´ecrire:
tiq
¯h(tω)ψ=eiq
¯hωiq
¯htψ.
Cette expression a presque la forme cherch´ee. Elle sugg`ere d’introduire un “poten-
tiel” φ(r,t) et d’ajouter membre `a membre l’identit´e
iq
¯hφψeiq
¯hωiq
¯hφψ,
II.1 L’invariance de jauge locale 15
pour donner
t+iq
¯hφ(tω)ψ=eiq
¯hωt+iq
¯hφψ.
C’est gagn´e! La “d´eriv´ee”
Dt
df
=t+iq
¯hφ(r,t)
est bien covariante par rapport aux transformations de jauges locales (II.3) de la
fonction-d’onde dans la mesure o`u conjointement le potentiel se transforme en:
φ(r,t)φ(r,t)df
=φ(r,t)tω(r,t).
Sophie n’a plus maintenant qu’`a proeder de mani`ere analogue pour les d´eriv´ees
spatiales. Elle a d’abord
iq
¯h(
ω)ψ=eiq
¯h
ψ,
relation qu’elle ´ecrit plus g´en´eralement en introduisant un autre “potentiel”, A(r,t),
et en retranchant1membre `a membre l’identit´e
iq
¯hAψ=eiq
¯hωiq
¯hAψ,
pour obtenir:
iq
¯hA+(
ω)ψ=eiq
¯hω
iq
¯hAψ.
Sophie trouve ainsi sa “d´eriv´ee”
Ddf
=
iq
¯hA(r,t),
covariante `a condition que le potentiel Aselon la prescription:
A(r,t)A(r,t)df
=A(r,t)+
ω(r,t).
Partant de l’´equation de Schr¨odinger libre, elle ´ecrit celle-ci en termes de d´eriv´ees
covariantes, soit:
i¯hDtψ=1
2m¯h
iD2ψ,
1Pourquoi, cette fois, retrancher plutˆot qu’ajouter? On a le choix, le facteur iq/¯h´etant par
contre essentiel. Disons, pour la lectrice curieuse, qu’avec ce choix Sophie obtient des d´eriv´ees Dt,
Dx,Dy,Dzqui sont aussi covariantes par rapport aux transformations de Lorentz, dans la mesure
o`u les potentiels φet Ase transforment de mani`ere contravariantes, c’est-`a-dire comme t,x,y
et z. Sophie se pr´epare ainsi des ´equations de Maxwell (§II.1.2) dont la forme sera invariante par
rapport aux transformations de Lorentz. Le principe d’invariance de jauge U(1) ne permet quand
eme pas, `a lui seul, de trouver la relativit´e!
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