Le point de vue de la philosophie Pour remplacer ces orgueilleuses panacées, voici quelques bons vieux remèdes qui ont fait leur preuve. Pour éviter le jargon : quelques petits extraits de textes de très grands philosophes. Françoise Kleltz-Drapeau* Entre Le Discours de la servitude volontaire de La Boétie et “L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté” de Rousseau, comment réfléchir à la modernité de ces questions ? Françoise Kleltz-Drapeau va d’abord voir dans quel cadre, très vaste, s’inscrit la problématique de la liberté, en faisant de brefs rappels sur ce qu’est la liberté dans le monde physique, qui relient ce thème à la question du déterminisme. Cela l’amènera ensuite à considérer cet être particulier dans la nature qu’est l’humain, en interrogeant la façon dont nous nous posons la question de la liberté individuelle face aux déterminismes naturels auxquels l’homme est confronté. Enfin, elle abordera la question de savoir en quoi l’homme et sa liberté s’inscrivent à leur tour dans la collectivité politique : en d’autres termes, après avoir, très sommairement, réfléchi au libre arbitre dans le contexte des addictions, nous nous demanderons ce qu’il en est des libertés dans la société et du rôle de celle-ci pour s’interroger sur l’addiction. L e titre de cette journée était “libertés”, au pluriel, et “addiction” au singulier. Étonnée par ce pluriel, et puisque l’étonnement est le propre des philosophes, j’ai voulu savoir pourquoi ce mot de “liberté”, que l’on trouve au singulier au fronton du Sénat, se met au pluriel lorsqu’on le confronte à l’“addiction”, au singulier. Un mot qui a fait beaucoup de métiers Pour me mettre sur la piste, une phrase de Paul Valéry (1) m’est revenue en mémoire : “Liberté : c’est un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens ; qui chantent plus qu’ils ne parlent ; qui demandent plus qu’ils ne répondent ; de ces mots qui ont fait tous les métiers, et desquels la mémoire est barbouillée de Théologie, de Métaphysique, de Morale et de Politique ; mots très bons pour la controverse, la dialectique, l’éloquence ; aussi propres aux analyses illusoires et aux subtilités infinies qu’aux fins de phrases qui déclenchent le tonnerre.” À ce mot qui a fait tous les métiers, on pourrait donc faire dire tout et n’importe quoi, car il serait plus apte à faire vibrer notre cœur qu’à faire fonctionner nos méninges. De fait, pour un étudiant en philosophie, la liberté est un concept redoutable, car c’est le type même de notion dans laquelle il est très facile de tourner * Françoise Kleltz-Drapeau, philosophe, docteur en philosophie grecque, a travaillé sur Aristote sous la direction de Pierre Aubenque. Elle enseigne les pratiques de lecture des textes universitaires à l’université de la Sorbonne-Nouvelle. Dans le cadre de l’Espace éthique et de l’université Paris-Sud, elle étudie les relations entre la médecine et la philosophie. Elle vient de publier Une dette à l’égard de la culture grecque, La juste mesure d’Aristote (encadré, p. 21). en rond. Exemple : peut-on, sans contradiction, enfermer la liberté dans les bornes trop étroites d’une définition ? En effet, si je dis ce qu’est la liberté, je l’asservis puisque je la condamne à n’être que ce que j’ai défini qu’elle serait. Je l’emprisonne ainsi dans un cadre, ce qui, en effet, peut être une contradiction logique, dans la mesure où on définit la liberté comme une ouverture vers tous les possibles. Si, pour un médecin, il est “relativement” facile de dire ce que sont les opiacés, pour un philosophe, il est donc plus difficile de définir ce que peuvent être les libertés lorsqu’il y a addiction à l’opium. Cette difficulté, vous la connaissez d’autant mieux que chacun dans cette salle, soignant, politique, usager de drogues, vous êtes, face à l’addiction, un “philosophe” au sens étymologique de ce mot. Non pas un “sage” ou un “savant”, ce que le grec nomme un “sophos” en désignant “celui qui sait”, mais un “philosophos”, c’est-à-dire celui qui aime (“philos”), au sens très fort, qui désire le savoir, précisément parce qu’il sent qu’il n’a pas ce savoir. Être philosophe, c’est constater que l’on n’a pas la science infuse. Dans le cas qui nous intéresse, on peut dire que vous êtes philosophes si vous n’êtes pas de dogmatiques savants en ce qui concerne l’addiction, mais des hommes et des femmes qui désireraient mieux connaître le rapport entre libertés et addiction. Et avec une telle aspiration au savoir, que peut vous offrir la philosophie ? Pas une thérapie qui guérirait de l’ignorance, mais, au mieux, une aide à mieux vivre avec cette salutaire ignorance, et à mieux poser les questions. Malheureusement, lorsqu’on fait venir le “philosophe de service” dans un débat, certains auditeurs, venus l’écouter avec un doute inconfortable, certes, mais fécond, en ressortent avec la certitude qu’ils ont enfin tout compris, puis répètent à l’envi des discours aussi jargonnants que simplistes ! 17 Aristote, le précurseur Dans cet immense ensemble de questions qui se posent, un fil conducteur devrait nous éviter de nous perdre : il s’agit du point commun à ces 3 domaines que sont la nature, l’individu et la collectivité. Cet élément récurrent est la notion d’autonomie, concept particulièrement pertinent pour éclairer – au moins un peu – la question des libertés et de l’addiction. La réflexion va donc du plus général – la liberté dans le monde physique – au plus intime – la liberté pour l’individu –, et aboutit à une mise en perspective dans l’espace du politique. J’ai donc choisi de me recentrer sur la question des libertés, le thème de l’addiction étant aujourd’hui traité par des spécialistes. Un philosophe a pensé la liberté dans ces 3 domaines : c’est Aristote, dont l’intérêt majeur a été de montrer qu’on ne peut pas penser la liberté individuelle sans la situer d’abord dans le cadre plus vaste du déterminisme en physique. Il ne s’agit donc pas simplement des réalités physiques de l’addiction ou d’une interrogation sur un déterminisme génétique des phénomènes de dépendance. De fait, Aristote voit plus grand que la simple physique humaine, et, curieusement, sa façon de penser la Physique, avec une majuscule, lui permet de mieux situer, au sens propre, la question des libertés politiques ou individuelles. Chez lui, le monde physique est divisé en 2 parties : d’un côté ce qu’il appelle le “supralunaire”, c’est-à-dire le monde de la parfaite régularité des astres qui suivent un cours rigoureusement déterminé ; de l’autre, le “sublunaire”, celui qui se trouve sous la lune, c’est-à-dire notre “bas monde”. Cet espace dans la physique aristotélicienne est le monde des hommes, et il est opposé au monde supérieur précisément parce qu’il est irrégulier, aléatoire, contingent. Ainsi apparaît la question de la liberté : le monde supralunaire est parfait, parce qu’il obéit aux lois de la physique. Il est le monde de la Nécessité et ne connaît donc ni hasard, ni liberté. À l’inverse, dans le monde où habitent les hommes, rien n’est nécessaire ou prédéter­miné, puisque tout est contingent, et c’est en raison de ce qui pourrait être considéré comme une imperfection du sublunaire que l’on voit s’ouvrir à nous ce qu’il faut donc appeler “l’espace de la liberté”. C’est parce que ce monde est indéterminé, – “mal fichu”, pourrait-on dire –, que l’homme a la liberté de parfaire ce que la nature a laissé inachevé (cf. les interprétations du monde aristotélicien de Pierre Aubenque [2, 3]). La Le Courrier des addictions (15) ­– n ° 1 – Janvier-février-mars 2013 liberté n’est pas du côté de la perfection. Elle est un pis-aller pour parachever un monde imparfait. Pour un Grec, elle pouvait être un risque ou une chance : risque de sombrer dans un désordre chaotique, chance de pouvoir agir sur le monde en vue de l’améliorer. Notons que, dans les systèmes physiques qui nient la liberté, que ce soient les déterminismes antiques ou actuels, il n’y a pas de scission dans le monde physique, contrairement à ce qui se passe chez Aristote : la réalité physique, y compris les êtres humains, y est donc entièrement déterminée rationnellement. Comme dans le monde de Jacques le fataliste, tout est écrit, par le destin ou par la science, peu importe. Pour ceux qui croiraient ainsi à une programmation génétique absolue de l’humain, cela impliquerait, par exemple, que certains hommes, par nature, de façon innée ou génétique, seraient inéluctablement prédisposés aux addictions, quelles que soient les circonstances, les acquis ou les expériences auxquels ils peuvent être confrontés. Ils n’auraient donc aucune liberté pour y résister. Sans entrer dans ces questions scientifiques, rappelons seulement que la réflexion sur l’addiction s’inscrit dans un débat philosophique très ancien sur la liberté et la nécessité dans le monde physique, qu’il s’agisse de la Physique du Monde ou du fonctionnement biophysique de chaque être humain. Après ce détour, on voit donc mieux les enjeux de la liberté individuelle de l’être humain, ce tout petit point dans l’immense ensemble des êtres de la nature. Quittons la Physique pour revenir à l’individu, mais, pour que ce soit cohérent, restons chez Aristote. Nous avons vu que l’homme était libre parce qu’il vivait dans un monde où les choses peuvent, de façon contingente, “être ou ne pas être”. Cette formulation, shakespearienne avant la lettre, se trouve explicitement dans l’Éthique à Nicomaque (4). Cela signifie que l’individu peut être ou ne pas être victime d’addiction. Pour le dire en un vocabulaire sartrien, il faudrait affirmer que l’homme est “condamné à être libre”. Le déterminisme des Stoïciens Selon J.P. Sartre (5), l’homme est libre, ce qui implique qu’il ne peut échapper à cette liberté. Cette paradoxale nécessité de la liberté étant posée, l’homme alors peut, et doit, être libre puisqu’il est, comme chez Aristote dans un monde où la liberté s’impose. On le sait, tous les philosophes sont loin de partager cette conception de la liberté. Les Stoïciens, par exemple, qui furent de grands spécialistes des sciences physiques, se distinguaient nettement d’Aristote et affirmaient que le monde dans son ensemble obéissait à des lois physiques très strictes, parfaitement rationnelles de part en part, et que l’homme, en tant qu’être de la nature, ne pouvait échapper à sa rationalité et au déterminisme de celle-ci. Ainsi, chaque individu doit obéir aux lois qui ont été préalablement fixées pour lui. Il y a un destin, et dans le scénario de cette pièce de théâtre écrite bien avant notre naissance, nous avons l’obligation de jouer exactement le rôle qui nous est imparti. Il reste à l’homme une infime marge de liberté dans son interprétation des figures imposées par la nature : s’il comprend ce scénario, en d’autres termes s’il l’accepte alors même qu’il n’a pas la possibilité de le refuser, il peut faire “comme si” il l’avait choisi, et exécuter son parcours imposé de bonne grâce. Comme un ordinateur qui effectuerait un programme “comme s’il avait pu le choisir” : chez les Stoïciens, c’est dans cet interstice que résident la grandeur et la liberté de l’homme. Selon Spinoza : connaître et comprendre nos Déterminations Chez Spinoza, le déterminisme de la nature est parfaitement rigoureux et la volonté humaine est elle-même déterminée. Or, comme cette volonté est associée à la connaissance, la liberté va résider dans le fait de connaître et de comprendre ce qui nous pousse à agir, ce que l’on peut appeler nos “déterminations”. Ainsi, en comprenant nos motivations, nous pouvons, dans une certaine mesure, être la cause de nos actes. Cela implique que, si nous comprenons les mobiles, les moteurs de nos actions, nous ne serons plus passivement mus par des motivations qui nous échappent, au double sens de ce terme. L’homme qui comprend pourquoi il agit, même s’il est dans un monde très rationnellement déterminé, agit plus librement. Voici, très schématiquement résumée, sa position telle qu’on la trouve dans ce passage de l’Éthique (6) : “Je dis que nous sommes actifs lorsque, en nous et hors de nous, il se produit quelque chose dont nous sommes la cause adéquate, c’est-à-dire [...] lorsque de notre nature il suit en nous ou hors de nous quelque chose que l’on peut comprendre clairement et distinctement par elle seule. Mais je dis, au contraire, que nous sommes passifs, lorsqu’il se produit en nous quelque chose dont nous ne sommes que la cause partielle.” Nous commençons à comprendre que le vrai problème de la liberté est de savoir si l’homme est un être de la nature comme les autres, ou bien s’il aurait un statut particulier. Descartes : le libre arbitre, marque de la divinité Descartes va offrir ici une manière de poser le problème. Globalement, il estime que, en tant que je suis un corps, je suis une “machine”, une Le Courrier des addictions (15) ­– n ° 1 – Janvier-février-mars 2013 18 mécanique qui obéit aux lois de la physique. Néanmoins, comme l’homme n’est pas seulement un corps mais “une chose pensante”, c’est en tant que tel qu’il va avoir cette capacité de ne pas être seulement un corps asservi aux lois de la nature. Selon Descartes, cette liberté joue un rôle fondamental. Il explique, dans la quatrième des Méditations métaphysiques que ce libre arbitre est en nous la marque de la divinité (7) : “Il n’y a que la volonté seule ou la seule liberté du franc arbitre que j’expérimente en moi être si grande que je ne conçois point l’idée d’aucune autre plus ample et plus étendue, en sorte que c’est elle principalement qui me fait connaître que je porte l’image et la ressemblance de Dieu.” Plus concrètement, et pour voir les enjeux par rapport au problème de l’addiction, dans la conception cartésienne, c’est parce que je suis un être pensant que je peux faire ou le bien, ou le mal. Si l’addiction ne peut pas s’expliquer de façon purement mécanique, par la physique ou la génétique, alors j’ai la possibilité de choisir d’avoir ou de ne pas avoir une conduite addictive, du moins tant que l’addiction n’a pas fait en sorte que mon être entier obéisse aux besoins physiologiques qui feraient que la dépendance asservirait mes libres décisions. De fait, on perçoit à quel point cette liberté de pouvoir dire oui ou non, ce libre arbitre, pour reprendre le mot des théologiens, imprime dans l’homme la marque de ce qui le dépasse. Même si l’on refuse les notions transcendantales de Dieu ou de l’infini, on constate que postuler la liberté humaine ouvre à l’homme l’espace de la responsabilité, avec les avantages et les inconvénients, la balance des bénéfices et des risques qu’implique le fait d’être un homme libre, donc responsable de ses actes. Le droit nous le rappelle : celui qui agit dans des circonstances où il n’est pas libre du choix de ses actions ne peut être tenu pour responsable des actes qu’il a commis. Ce problème est particulièrement complexe quand il s’agit de juger ceux qui sont sous l’emprise d’une substance ou d’une conduite addictive dont ils sont entièrement dépendants. Avant d’aborder plus en détail la question de l’autonomie, on peut déjà citer, a contrario, la description que Bergson propose de l’acte libre (8) : “Nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l’expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu’on trouve parfois entre l’œuvre et l’artiste. En vain on alléguera que nous cédons alors à l’influence toute puissante de notre caractère. Notre caractère, c’est encore nous.” Il y a donc du divin et de l’artiste dans celui qui agit librement. Ses actes le reflètent et il peut en être tenu pour responsable, c’est-à-dire qu’il a la capacité d’en répondre, de dire pourquoi et comment il les a faits. Les spécialistes de l’addiction savent à quel point celui qui est dépendant peut être, dans certains cas que les spécialistes ont à déterminer, privé d’une telle liberté, et pourtant à quel point, parfois, il y aspire. Pour conclure ce très bref survol de la liberté individuelle, revenons à Aristote, puisqu’il pose le problème des hommes qui sont privés de liberté. Il s’agit d’un passage de La Politique dans lequel il aborde la question de l’esclave. Certains commentateurs y voient une apologie de l’esclavage. En réalité, le texte est, à ce sujet, beaucoup plus complexe (9) : “celui qui, par nature, ne s’appartient pas à lui-même, tout en étant un homme, mais est la chose d’un autre, celui-là est esclave par nature ; et est la chose d’un autre, tout homme qui, malgré sa qualité d’homme, est la propriété (d’autre chose que de lui-même)”, écrit-il. Selon Aristote, un esclave qui tisse est, malheureusement, comme une machine à tisser, l’instrument de celui qui le possède. Addictio, addictus, addiction Être réduit à l’état d’objet, être la chose d’un autre ou de ce qui n’est pas vous, cela nous renvoie à l’étymologie de l’anglicisme “addiction”. Ce mot évoque l’“addictio” qui, en latin, désigne la décision de justice qui permet à un créancier de se saisir de la personne d’un débiteur. On peut alors juger ce débiteur comme un “addictus”. On va l’adjuger à quelqu’un d’autre, donc l’aliéner, c’est-à-dire, étymologiquement, en faire la chose d’un autre. Ainsi, l’addictus se donnait, s’adonnait, se vouait, s’abandonnait à ce qui n’était pas lui. On dit aussi que l’addictus n’a plus de nom propre : on l’appelle du nom de son propriétaire. C’est dire à quel point le mot “addiction” a, du point de vue étymo­logique, une connotation péjorative que ne retiennent pas, bien sûr, les addictologues. Dans ces différentes formes, il s’agit de dépendance par rapport à ce qui nous est extérieur. Pourtant, dans les descriptions des conduites addictives, on constate, dans certains cas, un asservissement à quelque chose d’intérieur. Ceux qui ont tendance à diaboliser le phénomène évoquent des “possessions”, usent du vocabulaire de la sorcellerie et parlent d’“aliénés”, comme autrefois, les psychiatres. On ne s’appartient plus : on s’adonne à une habitude ou à un vice, et, par voie de conséquence, on s’abandonne soi-même. Ces termes, sans doute excessifs, visent bien à traduire un esclavage et la perte de la maîtrise de soi. Donc, pour éclairer par un dernier auteur ce thème de l’esclavage, on peut penser à la dialectique du maître et de l’esclave, chez G.W.F. Hegel. Dans la Phénoménologie de l’esprit, il présente 2 hommes en conflit : initialement, ils sont égaux, mais l’un sait qu’il préférera mourir plutôt que de servir. Pour résumer, disons qu’on pourrait lui appliquer la devise de notre Révolution : “Vivre libre ou mourir”. À l’inverse, pour le second, la valeur majeure est la vie, et non la liberté. Il choisit donc de protéger sa vie, quitte à devenir esclave. On retrouve là l’étymologie du mot “servus”, qui a donné le “serf ” du Moyen Âge : est devenu esclave (“servus”) celui qui a décidé de protéger – en latin “servare” – sa vie. En effet, l’une des origines de l’esclavage était que, pendant les guerres, certains se battaient jusqu’au bout, en préférant la mort à la privation de liberté, tandis que d’autres, pour sauver leur vie, se rendaient. Ayant refusé de sacrifier leur vie, ils sacrifiaient leur liberté. Ils étaient faits prisonniers et devenaient esclaves des vainqueurs. Que sacrifie donc celui qui accepte de se faire l’esclave d’une dépendance ? Avant de répondre à cette question, encore un petit éclairage aristotélicien : ce passage sur l’esclavage se trouve dans La Politique, ce qui nous conduit à ce qui est précisément l’antithèse de l’esclave dans la cité grecque : le citoyen, comme modèle de la liberté humaine. À Athènes le nombre des citoyens était très réduit, puisqu’en étaient exclus les femmes, les enfants, les étrangers et les esclaves, mais les citoyens disposaient d’une liberté considérable. C’est pourquoi le citoyen est pour Aristote le modèle de l’homme qui peut agir sur le monde. C’est donc lui qui va parachever ce monde contingent, “mal ficelé”, pour faire en sorte que, face à l’ordre régulier du cosmos dont nous parlions au début, l’ordre de la collectivité humaine, la cité du politique, puissent accorder l’ordre et la liberté. Nous abordons donc le troisième point, à savoir la liberté de l’individu dans la collectivité en ce qui concerne la réflexion sur l’addiction. À titre de transition, voici un petit passage d’un penseur (pas assez lu), ce qui serait pourtant fort utile lorsqu’on réfléchit à toutes les formes de dépendances. Il s’agit de La Boétie, l’ami de Montaigne. À 17 ans, l’âge de Rimbaud, l’âge aussi de toutes les tentations qui peuvent conduire aux dépendances, La Boétie écrivit un essai dont le titre a de quoi faire rêver tous les addictologues : Discours de la servitude volontaire. L’alliance des mots dans ce titre désigne un texte fondamentalement et génialement politique. En bon philosophe, La Boétie cherche à comprendre quelque chose qui l’étonne et qui, curieusement, semble n’étonner personne. Ce paradoxe est que les hommes sont créés libres et égaux et que, pourtant, volontairement, ils vont s’asservir à un pouvoir politique dominé par un seul homme. Il écrit au début de son Discours (10) : “Je désirerais seulement qu’on me fit comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de villes, tant de nations supportent tout d’un tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’on lui donne, qui n’a de pouvoir de leur nuire, qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, 19 et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire.” Politiquement, La Boétie explique cet asservissement d’hommes initialement libres par un système pyramidal : ce qui est tyrannique est ce qui asservit quelques éléments qui, à leur tour, vont avoir le droit d’en asservir d’autres, et ainsi de suite, par un phénomène qu’il compare à une contagion. Il précise également, explicitement, que le tyran obtient cette servitude volontaire en usant de jeux, de spectacles de gladiateurs et d’autres “drogues”, puisque ce sont des “appâts de la servitude, la compensation de la liberté ravie, les instruments de la tyrannie”. On voit en quel sens l’argumentation de La Boétie peut rendre compte de certains aspects de l’addiction, de la servitude lorsqu’elle est “seulement” individuelle. Le contraire de la servitude volontaire : la démocratie comme autonomie Reprenons d’abord l’étymologie du mot “autonomie” : on y trouve le grec “nomos”, la loi, et “autos” qui veut dire “par soi-même”. L’autonomie désigne donc le fait d’être capable de se donner à soi-même une loi. Cela s’oppose à l’hétéronomie, c’est-à-dire à la loi qui vient de ce qui est autre que nous-mêmes, “hétéros”. Or, chez J.J. Rousseau, ce qui est défini comme l’obéissance à la loi qu’on se donne à soi-même, c’est la liberté. Voici ce que Rousseau en dit dans le Contrat social (11) : “Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre. Ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède. Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle qui n’a pour bornes que les forces de l’individu, de la liberté civile qui est limitée par la volonté générale, et la possession qui n’est que l’effet de la force ou le droit du premier occupant, de la propriété qui ne peut être fondée que sur un titre positif. On pourrait sur ce qui précède ajouter à l’acquis de l’état civil la liberté morale, qui seule rend l’homme vraiment maître de lui ; car l’impulsion du seul appétit est esclavage, et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté.” La liberté est donc définie, par un paradoxe qui doit toujours nous étonner, comme une obéissance, mais, pour que cela ne soit pas une “servitude volontaire”, il importe que l’on soit dans une démocratie, comme en témoigne cet extrait des Lettres écrites de la Montagne, où Rousseau précise sa pensée (12) : “Il n’y a donc point de liberté sans loi, ni où quelqu’un est au-dessus des Lois : dans l’état même de Le Courrier des addictions (15) ­– n ° 1 – Janvier-février-mars 2013 nature l’homme n’est libre qu’à la faveur de la Loi naturelle qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux Lois, mais il n’obéit qu’aux Lois et c’est par la force des Lois qu’il n’obéit pas aux hommes […] Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son Gouvernement, quand dans celui qui gouverne, il ne voit pas l’homme mais l’organe de la loi.” Un texte à lire et relire, ad libitum et “sans modération”, car la lecture reste un “vice impuni”, une addiction licite ! La démocratie est donc ce régime où chacun est, alternativement, peuple, puisqu’il obéit aux lois, et souverain, puisqu’il décide des lois grâce à son droit de vote. Le Sénat est un bon endroit pour évoquer ainsi le peuple souverain, qui peut légaliser, pénaliser ou dépénaliser tout ce qui peut provoquer chez les citoyens une dépendance ou une servitude volontaire. D’un point de vue rousseauïste, il est logique que le peuple souverain ait voix au chapitre, surtout quand il s’agit de la souveraineté que chaque citoyen peut exercer ou non sur lui-même. Mais, comment se rejoignent, ici, le collectif et l’individuel, le politique et ce que j’hésite à appeler l’éthique tant ce mot fait actuellement, lui aussi, un peu tous les métiers ? Les contresens qui pèsent sur le mot “éthique” pourraient faire croire qu’il y aurait à porter un verdict moral sur l’addiction. N’ayant ni la volonté, ni surtout les compétences pour me risquer seule à un tel jugement de valeur, je vais donc faire appel à E. Kant, qui sera le dernier des “experts” convoqués ici à la barre : lui non plus ne donnera pas de réponse, mais il permettra d’affiner encore la question. Kant étudie la “Loi morale”, un concept qui propose, là encore, une alliance de mots contradictoires, comme “servitude volontaire” ou “liberté comme obéissance aux lois”. Très schématiquement, on pourrait dire que cette Loi morale est le point de rencontre entre le vocabulaire de l’éthique et celui du droit. Cette loi relève de l’autonomie et fonde la responsabilité. Elle est, dans notre monde, la manifestation d’une liberté qui est d’un ordre transcendant. Chez Kant, en effet, l’homme participe de 2 mondes, celui de la nature qui est déterminé, et celui de la liberté. Toute action peut donc être comprise comme prédéterminée par une causalité qui peut être physique, sociologique ou psychique, mais elle peut aussi être comprise comme le fruit d’une volonté libre. Kant résume ainsi le problème dans la troisième partie des Fondements de la métaphysique des mœurs (13) :“En quoi donc peut bien consister une liberté de la volonté, sinon dans une autonomie, c’est-à-dire dans la propriété qu’elle a d’être à elle-même sa propre loi ? Or, cette proposition : la volonté dans toutes les actions est à elle-même sa loi, n’est qu’une autre formule de ce principe : il ne faut agir que d’après une maxime qui puisse se prendre elle-même pour objet à titre de loi universelle. Mais c’est précisément la formule de l’impératif catégorique et le principe de la moralité ; une volonté libre et une volonté soumise à des lois morales sont par conséquent une seule et même chose.” Sans faire de rapprochements abusifs entre Descartes et Kant, on ne peut que remarquer l’éminent statut que ces philosophes donnent à la liberté : chez le premier, elle est la marque de Dieu sur la créature ; chez le second elle est, comme “la voûte étoilée au-dessus de nos têtes”, ce qui rend le monde admirable. La liberté, comme obéissance à la Loi morale que je me donne à moi-même au-delà de toute obéissance aux lois qui sont juridiquement imposées, cette autonomie est pour Kant une idée nécessaire de la raison, mais elle est un idéal que nous ne pouvons rationnellement démontrer. C’est cette éminente responsabilité qui fait de nous des hommes. Certes, mais si l’on considère qu’est un être responsable seulement celui seul qui est libre d’exercer ses choix autonomes, alors, qu’en est-il du “dépendant” ? Pouvons-nous nous contenter de dire qu’il est juridiquement et éthiquement un irresponsable ? Est-il privé de cette noble liberté que décrit la philosophie, et, en outre, la société souveraine et libre n’auraitelle pas, vis-à-vis de lui, une responsabilité, car, à l’évidence, nous ne sommes pas libres de ne pas nous sentir concernés par la question de l’addiction ? La charte : la responsabilité de tout le corps social Dernier texte de référence : votre Charte pour une autre politique des addictions. Dans la mesure où il évite les réponses dogmatiques, il est, semble-t-il, aussi fécond intellectuellement que ceux précédemment cités : le premier constat est que les frontières entre le licite et l’illicite sont de plus en plus floues en raison de la diversités des formes d’addictions et du fait que notre société est “addictogène”. Ce mot doit être compris dans son double sens : notre société, telle qu’elle est, conduit certains aux addictions, et cette même société cautionne des addictions considérées comme licites, par exemple en ouvrant le marché des jeux d’argent, en ayant des intérêts financiers pour le tabac ou l’alcool, ou en laissant se développer des addictions aux médicaments. Dans tous les cas, sans être la seule coupable, elle a au moins sa part de responsabilité. Pour cela, la charte insiste sur la nécessité de trouver “le niveau requis de régularisation”, ce qui implique, par exemple, que soit ouvert le débat sur la dépénalisation. En ce qui concerne la question de la légalisation, il est rappelé que ce débat, très complexe, ne peut, en tout état de cause, être seulement posé au niveau national, Le Courrier des addictions (15) ­– n ° 1 – Janvier-février-mars 2013 20 car la marge de décision de la France est, en ce domaine, très restreinte. Conséquence : en tant que citoyen, je peux, et je dois, réfléchir à mon degré de responsabilité politique face à l’addiction. En amont, je dois me demander en quoi ma société pourrait produire moins de raisons de devenir dépendant et cautionner moins d’addictions. En aval, lorsque l’addiction est là, je dois me demander, en tant que citoyen responsable, quel sort devrait être fait à mes concitoyens “victimes d’addiction”, ainsi bien sûr qu’à ceux qui sont “victimes de délits commis par des citoyens sous l’emprise d’une addiction”. L’addiction est donc, de part en part, un problème inscrit au cœur du politique dans un pays qui a pour devise “Liberté, Égalité, Fraternité”. La crise économique que traverse notre société est, certes, un facteur aggravant, mais elle ne doit surtout pas être prise comme un prétexte pour nous désintéresser financièrement d’une addiction qui, justement, augmente avec les difficultés économiques d’un pays. Si la démocratie est fondée sur la notion d’autonomie, puisque les citoyens obéissent aux lois qu’ils se fixent à eux-mêmes, alors l’autonomie des citoyens dans leurs pratiques individuelles – les addictions, en l’occurrence – doit pouvoir faire l’objet d’un débat ouvert. Cela implique que l’on respecte la liberté de chaque citoyen dans la sphère privée, à l’évidente condition que cette liberté ne soit pas une entrave pour d’autres citoyens qui pourraient être victimes d’une personne sujette à la dépendance. Soyons clairs : il ne s’agit pas d’entrer dans l’intimité de cette absence de liberté que constitue toute dépendance en ayant une attitude autocratique vis-à-vis de ceux qui “ne se gouvernent pas” eux-mêmes. Si la régulation se limitait à cette forme de répression, il y aurait alors “double peine” : de ceux qui, par leur addiction, ont perdu une part de leur liberté on restreindrait encore l’autonomie en leur interdisant systématiquement de réfléchir au problème. Les “addicts”, dira-t-on, sont trop dépendants pour avoir un avis sur leur dépendance. En outre, si l’on y réfléchit, la société elle-même serait victime d’une double peine : parce qu’elle suscite chez certains des dépendances qui à terme sont dangereuses pour elle-même, il lui serait interdit de réfléchir démocratiquement à la question des libertés et de l’addiction. En résumé, la dépendance serait un sujet trop important pour être laissé à des citoyens addicts ou à une société addictogène. C’est précisément parce que certains citoyens sont en perte d’autonomie que la responsabilité de tout le corps social s’impose pour ne pas les exclure en se désintéressant de leur perte de liberté. Que dirait-on si l’on se désintéressait ainsi de la perte d’autonomie des plus âgés d’entre nous ? Or, pour le grand âge, comme pour l’addiction, c’est la dépendance qu’il faut prendre en charge et, en premier lieu, en considération, en évitant, dans les 2 cas, un vocabulaire moralisateur. L’addiction est un problème de société, et doit, à ce titre, être un véritable sujet de débat politique, ouvert, et surtout informé, pour que chacun ait les moyens de faire sur ces questions un choix libre et éclairé. Les citoyens ont le devoir, et pas seulement le droit, de débattre ensemble de ces questions, puisque la liberté consiste aussi à pouvoir réfléchir à ce qu’est la liberté individuelle et la servitude volontaire, et cela sans se contenter de mettre sous les verrous ceux dont on pense qu’ils se sont eux-mêmes privés de liberté en “s’adonnant” à des substances ou à des pratiques, licites ou illicites, qui les asservissent. Est-il idéaliste de croire que, s’ils étaient correctement informés par de vrais spécialistes des sciences humaines et exactes, les citoyens pourraient décider, de façon autonome et non passionnelle, des décisions législatives qu’il faut ou qu’il ne faut pas prendre sur ces questions ? Le plus “mauvais exemple” que la société pourrait donner à ceux qui, face aux addictions, ont perdu leur autonomie serait de renoncer à l’autonomie des décisions politiques en se laissant abuser par les discours démagogiques des uns ou des autres. Quand on doit prendre des décisions concernant la perte du libre arbitre, la moindre des choses est d’exiger tous les moyens de faire un choix libre et éclairé au-delà des querelles partisanes. La société, surtout quand elle est en crise, ne peut se contenter de constater que les addictions engendrent des zones de non-droit et de délinquance organisée. Parce que certains “ne se gouvernent pas” et n’obéissent plus à la sublime “Loi morale”, faut-il pour autant laisser ceux qui les fournissent dominer des territoires qui deviennent ainsi hors-la-loi ? Dépénaliser ou légaliser permettrait-il de redonner à la loi la place qu’elle a, à l’évidence, perdue dans certains lieux ? Je n’ai pas compétence pour le dire, mais une chose est sûre : la société ne peut pas non plus se contenter de dire qu’“il n’y a pas de drogués heureux”. Sur ce point encore, souvenons-nous de Rousseau, qui estimait que la possession de certaines choses ne rendait pas heureux alors que le fait d’en être privés nous affectait douloureusement (14). Certes, il n’évoquait pas là les substances illicites, mais il parlait de tous ces désirs artificiels que la société parvenait à faire passer pour des besoins et dont le sevrage devenait forcément tragique : “ce fut là le premier joug qu’ils s’imposèrent sans y songer, et la première source de maux qu’ils préparèrent à leurs descendants ; car outre qu’ils continuèrent ainsi à s’amollir le corps et l’esprit, ces commodités ayant par habitude perdu presque tout leur agrément, et étant en même temps dégénérées en de vrais besoins, la privation en devint beaucoup plus cruelle que la possession n’en était douce, et l’on était malheureux de les perdre, sans être heureux de les posséder”. Or, la liberté, l’autonomie, pour un individu et pour une société, ce n’est pas un artificiel désir, mais un besoin fondamental dont la privation rend plus que malheureux. Nous ne pouvons donc pas ne pas être concernés par ce que certains – pas tous – vivent comme une perte de liberté mettant en cause, à terme, ce qu’ils considèrent comme leur humanité. La liberté : aux confins de la rationalité, mais le propre de l’homme En conclusion de cet exposé qui a seulement tenté d’expliquer pourquoi les organisateurs de cette journée avaient mis un “s” au mot “liberté”, disons que la liberté est un concept qui explique un grand nombre de nos attitudes, mais qui lui-même ne s’explique pas aisément. Combien de fois disons-nous “j’agis ainsi parce que je suis libre”, en pensant que l’invocation de la liberté suffit à rendre compte de nos actions ? Mais, les philosophes nous montrent que rendre compte de la liberté est complexe. Il ne faut pas en déduire que la liberté est irrationnelle : elle est seulement aux confins de la rationalité, toujours à la limite de ce qui pourrait dépasser l’homme et, pourtant, elle est ce qui, au sens propre, peut “définir” l’humanité. Or, avec l’addiction, nous voyons en quelque sorte la limite, l’ombre portée de la liberté et, sans aucune démagogie, nous devrions être reconnaissants à tous ceux qui sont dans la dépendance car ils aident à mieux comprendre ce que sont les libertés dans leur multiplicité. v Références bibliographiques 1. Valéry P. “Fluctuations sur la liberté”. Regards sur le monde actuel. Dans : Œuvres, tome II. Paris : Gallimard, La Pléiade, 1938:951. 2. Aubenque P. Le problème de l’être chez Aristote. Paris : PUF, 1962. 3. Aubenque P. La prudence chez Aristote. Paris : PUF, 1963. 4. Aristote. Éthique à Nicomaque, VI, 4, 1140a12. 5. Sartre JP. Quatrième partie “Liberté et responsabilité”. Dans : L’Être et le Néant. Paris : Gallimard, collection TEL : 612. 6. Spinoza B. Éthique, III, définition II. 7. Descartes R. Méditations métaphysiques, IV. 8. Bergson H. De l’organisation des états de conscience : la liberté. Dans : Essai sur les données immédiates de la conscience. 9. Aristote. La Politique, I, 5, 1254a15. 10. de La Boétie E. Discours de la servitude volontaire. Paris : Payot, 174, 203. 11. Rousseau JJ. Du Contrat social, I, 8. 12. Rousseau JJ. Lettres écrites de la montagne. Paris : Gallimard, La Pléiade, t. III, p. 841. 13. Kant E. Fondements de la métaphysique des mœurs, III. 14. Rousseau JJ. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Paris : éditions Garnier, 209. Une dette à l’égard de la culture grecque. La juste mesure d’Aristote, par Françoise Kleltz-Drapeau, L’Harmattan, collection Ouverture philosophique, 122 pages, 13,50 € Aristote est à la mode : en éthique médicale ou en économie par exemple, nombreux sont ceux qui s’en réclament, à plus ou moins juste titre. Une telle vogue a de quoi étonner : qu’apprend-elle, sur Aristote d’une part, sur notre époque d’autre part ? Pour cette double interrogation, la notion de juste mesure est un fil conducteur, puisqu’elle illustre l’ambiguïté d’une curieuse dette à l’égard de la culture grecque : Aristote hérite d’un “lieu commun” – l’éloge du juste milieu – et, à partir de ce qui pourrait passer pour une banalité célébrant un centrisme tiède, il élabore une notion philosophique. Or, notre temps a un point commun avec les Grecs : si nous admirons tant la mesure, c’est que nous sommes fascinés par la démesure. Ainsi, en recherchant dans la littérature et l’art grecs le passé préphilosophique de la notion, en analysant quelques œuvres où s’illustre cette étonnante juste mesure, on comprend mieux pourquoi notre siècle est obnubilé par le désir de tout mesurer, de tout évaluer. En se tenant à juste distance d’Aristote, ni trop près ni trop loin, en cherchant un juste ton entre la vulgarisation et l’érudition, ce bref essai repart des œuvres et donne quelques éléments pour “mesurer” l’intérêt d’Aristote aujourd’hui. Pour commander l’ouvrage en ligne : http://www.editions-harmattan.fr L’Harmattan, 7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris. Prix unitaire : 13,50 € + 3 € de frais de port 21 Le Courrier des addictions (15) ­– n ° 1 – Janvier-février-mars 2013