Dominique Wolton, critique de Pierre Bourdieu
Scrutons de près ce moulin à vent :
« Les analyses de Pierre Bourdieu postulent, par exemple en matière de communication, que les journalistes, les
hommes de presse, sont contraints par le fonctionnement économique. Or, on ne peut réduire les journalistes ni
même les patrons d'entreprise de presse à des acteurs entièrement dominés par des intérêts économiques ».
Dans la même phrase, Wolton passe de « contraints » à « entièrement dominés ». Ce sont sans doute des
synonymes : les contraintes, selon notre « critique de la critique », sont entières ou ne sont pas. Mais puisque « les
analyses de Pierre Bourdieu postulent », autant regarder de plus près ce que dit Bourdieu dans Sur la télévision, ce
méchant ouvrage, suffisamment court et écrit dans un langage suffisamment accessible pour qu'un lecteur, même
distrait, ne puisse rien laisser échapper.
Ainsi, à la page 14, on peut lire :
« (...) on ne peut se contenter de dire que ce qui se passe à la télévision est déterminé par les gens qui la
possèdent, par les annonceurs qui payent la publicité, par l'Etat qui donnent des subventions, et si on ne savait, sur
une chaîne de télévision, que le nom du propriétaire, la part des différents annonceurs dans le budget et le montant
des subventions, on ne comprendrait pas grand-chose. Reste qu'il est important de le rappeler ». Et Bourdieu de
donner quelques exemples. Avant de préciser : « Ce sont là des choses tellement grosses et grossières que la
critique la plus élémentaire les perçoit, mais qui cachent des mécanismes anonymes, invisibles, à travers lesquels
s'exercent des censures de tous ordres (...) ».
Et faisant référence à ce passage, Pierre Bourdieu précise p. 44 :
« Le monde du journalisme est un microcosme qui a ses lois propres et qui est défini par sa position dans le monde
global, et par les attractions, les répulsions, qu'il subit de la part des autres microcosmes. Dire qu'il est autonome,
qu'il a sa propre loi, c'est dire que ce qui s'y passe ne peut être compris de manière directe à partir de facteurs
extérieurs. C'était là le présupposé de l'objection que je faisais à l'explication par des facteurs économiques de ce qui
se passe dans le journalisme. Par exemple, on ne peut pas expliquer ce qui se fait à TF1 par le seul fait que cette
chaîne est possédée par Bouygues. Il est évident qu'une explication qui ne prendrait pas en compte ce fait serait
insuffisante mais celle qu'il qui ne prendrait en compte que ce fait ne serait pas moins insuffisante. Et elle le serait
peut-être encore plus parce qu'elle aurait l'air d'être suffisante. Il y a une forme de matérialisme court, associé à la
tradition marxiste, qui n'explique rien, qui dénonce sans éclairer ».
Cette critique justifiée du « matérialisme court » est sans doute insuffisante pour les tenants de l'idéalisme blette qui,
reprenant les sujets de dissertation de philosophie pour classes de terminale, se bornent à chantonner : «
déterminisme ou liberté ? » Il est vrai que Dominique Wolton n'est pas l'auteur de cette interrogation fulgurante, mais
il la reprend à son compte quand il tente de nous dire pourquoi l'explication économique est insuffisante :
« En premier lieu, parce que l'information et la communication ne sont pas des marchandises comme les autres ».
Oui ...Bon... Et alors ? En quoi les particularités de ces marchandises rendent-elles insuffisante l'explication
économique ? On n'en saura pas plus, puisque l'on est déjà passé au second argument :
« En second lieu, parce que la conception de Pierre Bourdieu dénie aux acteurs leur capacité critique. ». Cette
affirmation sans fondement ne serait qu'une baliverne sans conséquence si elle ne permettait à Dominique Wolton
de se poser opportunément en défenseur du public (et des journalistes) que Bourdieu aurait tenté de faire passer
pour des crétins.
Moulin à vent n°2 : Pierre Bourdieu réduit tout à la domination et à l'aliénation
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