
La Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2010 | 135
Résumé
Pourquoi et comment évaluer la fonction rénale et adapter la posologie des médicaments anticancéreux
chez le patient atteint de cancer et présentant une insuffisance rénale ?
Mots-clés
Fonction rénale
Insuffisance rénale
Adaptation
posologique
Insuffisance rénale
et survie
Abstract
Why and how to evaluate renal
function in cancer patients?
Why and how adjusting drug
dosages in those patients with
cancer and renal insufficiency?
Keywords
Renal function
Renal insufficiency
Drug dosage adjustment
Renal insufficiency and
survival
Dans ces 2 études multicentriques étaient inclus
des patients adultes, non dialysés et atteints d’une
tumeur solide. Les 2 cohortes comportaient environ
deux tiers de femmes (64,4 % et 62,9 % respec-
tivement pour les études IRMA-1 et IRMA-2), et
l’âge moyen des patients était respectivement de
58,1 et de 59,4 ans. Peu de patients avaient une
créatininémie élevée : 7,2 % dans les 2 cohortes. En
revanche, une évaluation appropriée de la fonction
rénale de ces patients à l’aide de la formule aMDRD
a rapporté une prévalence élevée de l’insuffisance
rénale chronique, environ 50 % des patients ayant un
DFG inférieur à 90 ml/mn/1,73 m2 et 12 % un DFG
inférieur à 60 ml/mn/1,73 m2 (figure◆1).
Dans l’étude IRMA-2, le suivi des patients sur 2 ans a
permis d’étudier l’impact de l’insuffisance rénale sur
la survie. Les résultats montrent une survie signifi-
cativement inférieure pour les patients dont le DFG
à l’inclusion était inférieur à 60 ml/mn/1,73 m
2
, que
ce soit dans l’ensemble de la population étudiée ou
bien chez les patients sans métastases (figure◆2◆et◆
tableau◆II,◆p.◆136) [7].
Réduction de la survie
et insuffisance rénale : hypothèses
clinique et pharmacologique
La surmortalité observée dans l’étude IRMA-2 chez les
patients dont le DFG était inférieur à 60 ml/mn/1,73 m2
est probablement due, au moins en partie, aux
conséquences cliniques de l’insuffisance rénale, en
particulier sur le plan cardiovasculaire. L’étude de
référence sur ce point est celle de A.S. Go et al. (8),
qui avait montré que l’insuffisance rénale était un
facteur de risque indépendant de morbi-mortalité
cardiovasculaire dans une population de plus de
1 million d’Américains d’un âge moyen de 52,2
ans (figure◆3,◆p.◆137). Cet impact de l’insuffisance
rénale sur la morbi-mortalité cardiovasculaire des
patients atteints de cancer joue très probablement
un rôle significatif dans l’augmentation de la morta-
lité observée dans l’étude IRMA-2 chez les patients
dont le DFG était inférieur à 60 ml/mn/1,73 m2.
Toutefois, une autre hypothèse, pharmacologique,
a également été proposée par les investigateurs des
études IRMA-1 et IRMA-2.
La pharmacocinétique des médicaments est modi-
fiée chez les patients insuffisants rénaux (9). Leur
excrétion urinaire, et/ou celle des métabolites, est
bien entendu ralentie. Cependant, leur métabolisme,
hépatique par exemple, peut également être altéré
du fait d’interactions avec les toxines urémiques ; de
même, leur volume de distribution est en général
augmenté, exposant à un risque de surdosage d’em-
blée ou d’accumulation. L’absorption intestinale des
médicaments administrés per os peut également
être modifiée chez ces patients par rapport à ceux
ayant une fonction rénale normale. Ces modifica-
tions de la pharmacocinétique des médicaments
chez les patients insuffisants rénaux nécessitent le
plus souvent une réduction de dose, en fonction de
la sévérité de l’insuffisance rénale.
L’adaptation de la posologie des médicaments est
une question cruciale en oncologie. En effet, la
majorité des médicaments utilisés est concernée
du fait, d’une part, de leur néphrotoxicité poten-
tielle chez ces patients à haut risque d’insuffisance
rénale aiguë iatrogène et, d’autre part, de l’insuffi-
sance rénale chronique préexistante – que les études
IRMA ont mise en évidence –, qui va imposer, chez de
nombreux patients, une réduction des doses. C’est un
vrai problème en pratique clinique quotidienne. Ainsi,
dans les études IRMA-1 et IRMA-2, respectivement
79,9 % et 73,2 % des patients recevaient au moins
1 médicament anticancéreux nécessitant une adap-
tation posologique en cas d’insuffisance rénale, et
50 Étude IRMA-1 (n = 4 684)
DFG < 90 ml/mn/1,73 m2 : 52,9 %
DFG < 60 ml/mn/1,73 m2 : 12,0 %
Étude IRMA-2 (n = 4 945)
DFG < 90 ml/mn/1,73 m2 : 50,2 %
DFG < 60 ml/mn/1,73 m2 : 11,8 %
Pourcentage de patients
40
30
20
≥ 90 90-60 60-30
DFG (ml/mn/1,73 m2)
< 30 ND*
9,4 8,9
0,9 0,7
11,1 11,1
40,9 38,4
37,7 40,9
10
0
* ND : non déterminé
(manquant dans le dossier médical).
Figure 1. Fréquence de l’insuffisance rénale chronique dans les études IRMA-1 et IRMA-2.