Avant-projet de rapport sur la médecine traditionnelle

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Distribution : limitée
SHS/EST/CIB-17/10/CONF.501/3
Paris, 29 septembre 2010
Original : français
Avant-projet de rapport
sur la médecine traditionnelle et ses implications éthiques
Cet avant-projet de rapport a été élaboré par le Groupe de
travail du CIB établi par le Bureau dans le cadre du programme
de travail du CIB pour 2010-2011.
Il ne prétend pas être exhaustif, ni prescriptif, et ne représente
pas nécessairement les vues des États membres de
l’UNESCO.
-2-
AVANT-PROJET DE RAPPORT SUR
LA MÉDECINE TRADITIONNELLE ET SES IMPLICATIONS ÉTHIQUES
1
2
INTRODUCTION
1.1
Objectifs du rapport
1.2
Contexte
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
2.1
Définitions
2.1.1 Médecine traditionnelle
2.1.2 Médecine complémentaire, parallèle, alternative, douce
2.2
Typologie de la médecine traditionnelle
2.3
État de la situation
2.4
Médecine traditionnelle et médecine conventionnelle : approches et
perspectives
2.5
Médecine traditionnelle : bénéfices et risques
2.6
Médecine traditionnelle et système de santé
2.6.1 Une médecine traditionnelle reconnue et intégrée aux systèmes de
santé
2.6.2 Une médecine traditionnelle reconnue, mais non intégrées aux
systèmes de santé
2.6.3 Une médecine traditionnelle tolérée
2.6.4 Une médecine traditionnelle ignorée
3
IMPLICATIONS ÉTHIQUES DE LA MÉDECINE TRADITIONNELLE
3.1
Principes éthiques de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits
de l’homme
3.2
Pratique de la médecine traditionnelle : études de cas
3.2.1 Afrique
3.2.2 Région arabe
3.2.3 Asie et Pacifique
3.2.4 Amérique latine
4
3.3
Recherche en médecine traditionnelle
3.4
Formation, évaluation
CONCLUSIONS
LA MÉDECINE TRADITIONNELLE ET SES IMPLICATIONS ÉTHIQUES
« … leur art (celui des devins et guérisseurs
traditionnels) n’est pas un ersatz « magique »,
« primitif » ou « irrationnel » de la médecine
occidentale, mais bien sa part manquante qu’elle
a dû refouler en dissociant – à tort et à raison
scientifique – le social et le biologique1. »
1.
INTRODUCTION
La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme (ci-après dénommée la
« Déclaration ») adoptée par acclamation par la Conférence Générale de l’UNESCO le 19
octobre 2005 souligne dans son article 12 l’importance du pluralisme et de la diversité
culturelle. Elle réaffirme ainsi l’attachement de l’UNESCO au respect de ces principes,
également proclamés par la Déclaration universelle sur la diversité culturelle (2005) qui,
dans son article 4, met l’accent sur la défense de la pluralité culturelle comme impératif
éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne humaine. De plus, l’article 17 de
la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme rappelle « le respect des
savoirs traditionnels ».
A la lumière de ces instruments internationaux et de l’importance de la médecine
traditionnelle et de son ancrage dans l’histoire et les cultures des peuples, le Bureau du
Comité international de bioéthique (CIB) a décidé d’inscrire la question de la médecine
traditionnelle et ses implications éthiques au programme de travail du CIB pour 2010-2011,
considérant que cette question était particulièrement importante notamment pour les pays en
développement.
1.1.
Objectifs du rapport
L’objectif de ce travail est d’analyser les implications éthiques de la médecine traditionnelle
et de proposer des lignes de base pour la mise en place d’un cadre éthique de la pratique
traditionnelle, afin que celle-ci puisse s’intégrer à part entière dans les systèmes de soins de
santé. Ce cadre éthique peut aussi servir comme base de réflexion pour l’élaboration de
normes concernant la pratique, la recherche, la formation et le contrôle dans le domaine de
la médecine traditionnelle.
Le groupe de travail/CIB souhaite se concentrer sur l’éthique de la pratique traditionnelle et éviter
tout double-emploi avec les travaux menés par d’autres agences des Nations Unies, en
particulier l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle (OMPI).
1.2
Contexte
La médecine traditionnelle et la médecine complémentaire ou alternative se développent
dans grand nombre des pays, prenant plus d’importance non seulement sur le plan sanitaire,
mais aussi sur le plan économique. Cette situation ne doit toutefois pas nous faire oublier les
difficultés inhérentes à cette pratique qui se caractérise, dans un bon nombre des pays, par
un manque de réglementation, d’évaluation, de contrôle et de formation, et en ce qui nous
concerne, par une absence de normes éthiques qui puissent l’encadrer.
1.
A. Zempleni, « La maladie et ses causes », in Causes, origines et agents de la maladie chez
les peuples sans écriture, L’Ethnographie, 1985, N˚ 96-97, pp. 13-44.
-2-
2.
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
2.1.
Définitions
2.1.1. Médecine traditionnelle
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la médecine traditionnelle se définit
comme « la somme totale des connaissances, compétences et pratiques qui reposent,
rationnellement ou non, sur les théories, croyances et expériences propres à une culture et
qui sont utilisées pour maintenir les êtres humains en santé ainsi que pour prévenir,
diagnostiquer, traiter et guérir des maladies physiques et mentales » 2.
D'autres considèrent que c’est une « médecine fondée sur les croyances et pratiques
culturelles, transmises de génération en génération. Elle comprend des rites mystiques et
magiques, la phytothérapie et d'autres traitements qui ne peuvent pas être expliqués par la
médecine moderne »3.
En réalité, la médecine traditionnelle est un concept qui déborde largement le champ de la
santé pour se placer au niveau socioculturel, religieux, politique et économique. Elle peut
être considérée comme « un système de prise en charge du malheur (biologique ou non) qui
s’appuie sur des théories du corps, de la santé, de la maladie et de la guérison ancrées dans
les histoires des cultures et des religions qui ont construit et construisent un pays »4. On peut
dire qu’il existe presque autant de médecines traditionnelles que de cultures.
La multiplicité des médecines traditionnelles, qui diffèrent selon les régions du monde, les
pays et même à l’intérieur d’un pays, est un atout en même temps qu’un défi. A titre
d’exemple, si la médecine traditionnelle africaine ou latino-américaine est fortement
caractérisée par une tradition orale et un manque de formation reconnue des praticiens, la
médecine traditionnelle chinoise présente un caractère plus structuré et documenté. De
même, dans certains pays les dénominations de médecine parallèle, médicine alternative ou
médecine douce sont synonymes de médecine traditionnelle, alors que dans d’autre pays
l’expression « médecine parallèle et alternative » définit un ensemble de pratiques de soins
sans rapport avec la tradition du pays et qui ne sont pas intégrées dans le système de santé.
Par ailleurs, le terme « médecine traditionnelle » est parfois utilisé pour indiquer des
pratiques qui en fin de compte ne relèvent pas, à proprement parler, de la pratique médicale.
Par conséquent, tout en adoptant la définition de Médecine Traditionnelle proposée par
l’OMS, nous soulignons sa variété géographique ainsi que la multiplicité de ses pratiques.
Ce concept recouvre des réalités très différentes, ce qui entraînera une difficulté majeure
pour une unicité des discours et des approches. Cependant, en dépit de cette complexité
attendue, il est indispensable d’initier une réflexion plurielle du fait de l’importance que revêt
la médecine traditionnelle dans les pays en développement, mais aussi du fait de son
expansion dans les pays industrialisés où elle prend un essor important et s’enrichit des
moyens techniques et des savoirs scientifiques existants.
2.1.2. Médecine complémentaire, parallèle, alternative, douce
L’OMS considère5 que « les appellations médecine parallèle, alternative ou douce sont
synonymes de médecine traditionnelle. Elles se rapportent alors à un vaste ensemble de
2.
OMS, Principes méthodologiques généraux pour la recherche et l’évaluation relatives à la
médecine traditionnelle. WHO/EDM/TRM/2000.1, Organisation Mondiale de la Santé, Genève, 2000.
3.
National Library of Medicine - Medical Subject Headings. MeSH Descriptor Data.
http://www.nlm.nih.gov/cgi/mesh/2010/MB_cgi. Consulté le 24 juin 2010.
4.
A. Epelboin. Médecine traditionnelle et coopération internationale. Bulletin AMADES, 50, 2002.
5.
OMS, Stratégie de l’OMS pour la Médecine traditionnelle pour 2002-2005. Organisation
Mondiale de la Santé, Genève, 2002.
-3-
pratiques de soins de santé qui n’appartiennent pas à la tradition du pays et ne sont pas
intégrées dans le système de santé dominant »6.
Le terme « alternatif » suppose le choix d’une approche distincte de la santé et de la maladie
que celle de la médecine conventionnelle. Le terme « complémentaire » ou « parallèle »
décrit une forme de thérapeutique qui est utilisée en plus de la médecine (acupuncture,
ostéopathie…). L’OMS regroupe ces notions sous le vocable de médecine complémentaire
et parallèle (MCP). Ce terme comprend de nombreuses approches différentes, parfois
mutuellement incompatibles. Si elles font l’objet d’un regroupement particulier c’est parce
qu’elles diffèrent des méthodes et traitements enseignés dans les facultés de médecine.
Le National Center for Complementary and Alternative Medicine (NCCAM) considère la
médecine complémentaire et alternative comme un « ensemble diversifié de systèmes,
pratiques et produits médicaux et soins de santé qui ne sont pas actuellement considérés
comme faisant partie de la médecine conventionnelle… »7.
2.2.
Typologies de la médecine traditionnelle
Selon le type de thérapie proposée, on peut distinguer différentes pratiques :
•
Les thérapies médicamenteuses où le soin passe par l’administration de médicaments à
base de plantes, d’animaux ou de minéraux ;
•
Les thérapies non médicamenteuses où les soins font l’objet d’une conceptualisation,
voire d’une codification : il peut s’agir de thérapies manuelles (massages, chiropraxie),
physiques, mentales, spirituelles ou associant plusieurs de ces éléments (yoga, qi gong,
tai chi...) ;
•
Les thérapies mixtes basées sur le mysticisme, les croyances diverses, avec ou non des
supports physiques (potions) et des pratiques des plus variées, des plus anodines
(comme l’imposition des mains) à des pratiques plus intrusives voire dangereuses.
Certaines pratiques sont, méthodologiquement parlant, plus accessibles à la recherche et à
l’évaluation. D’autres, comme les pratiques traditionnelles spirituelles (magico-religieuses)
présentent plus de difficultés méthodologiques, rendant la démarche scientifique plus
compliquée.
Les caractéristiques fondamentales des systèmes thérapeutiques traditionnels sont :
•
les systèmes thérapeutiques sont adaptés à l’environnement et contexte socioculturel et
géographique concret qui répond aux besoins de santé du groupe ethnique ;
•
ils utilisent les ressources naturelles locales (plantes, minéraux, animaux, eaux) comme
moyens thérapeutiques afin de prévenir et combattre les maladies et aussi comme
éléments étroitement associés à la culture et au système de croyances ;
•
dans la médecine traditionnelle, la santé-maladie n’est pas un binôme sectionné, ni
morcelé, mais plutôt une réalité variable (dialectique du yin-yang) en rapport direct avec
l’équilibre/déséquilibre de l’environnement, compris comme une réalité élargie
(environnement physique, espace du vécu et espace symbolique) ;
•
ils sont dépendants de la culture et de la société. De la même façon que santé-maladie
sont des états résultants d’un équilibre/déséquilibre avec l’environnement élargi, ce qui
peut être « santé » dans un cas, pour quelqu’un ou dans une situation déterminée, peut
être « maladie » dans d’autres ;
6.
OMS. Médecine traditionnelle. Définitions. Consulté le 22 juin 2010.
http://www.who.int/topics/traditional_medicine/definitions/fr/index.html
7.
National Center for Complementary and Alternative Medicine. What is Complementary and
alternative medicine. http://nccam.nih.gov/health/whatiscam/ . Consulté le 28 juin 2010.
-4-
•
les systèmes thérapeutiques sont naturels et symboliques, et s’appuient sur la tradition
pour la réception de l’information, l’organisation, les procédures et la transmission.
Nature et culture constituent une unité et une réalité dynamique dans la plupart des
médecines traditionnelles. Les ressources naturelles servent pour vivre et sont conçues
comme « frères » avec lesquels il faut vivre.
2.3.
État de la situation
Environ 80 % des populations des pays en développement font appel à la médecine
traditionnelle pour les soins de santé primaires, soit par tradition culturelle, soit par faute
d’autres alternatives (difficulté d’accès aux soins conventionnels, coût plus élevé des
médicaments conventionnels, etc..). Le recours à cette médecine tient tout d’abord à sa
proximité, sa facilité d’accès, sa disponibilité, son coût et sa concordance philosophique avec
les cultures autochtones.
Dans les pays riches, nombreux sont ceux qui ont recours aux divers types de remèdes dits
naturels en partant du principe que ce qui est naturel est sans danger. Par ailleurs, les
médecines traditionnelles et/ou alternatives constituent aussi un recours ou un complément
dans le cas de maladies chroniques, débilitantes ou incurables.
La grande majorité des populations d’Afrique fait régulièrement appel à la pratique
traditionnelle. En Afrique subsaharienne, par exemple, 85 % de la population aurait recours
aux guérisseurs traditionnels. Au Ghana, au Mali, au Nigeria et en Zambie, pour 60 % des
enfants atteints de forte fièvre due au paludisme le traitement de première intention fait appel
aux plantes médicinales administrées à domicile8.
En Chine, les préparations traditionnelles à base de plantes représentent entre 30 et 50 %
de la consommation totale de médicaments. Dans les pays industrialisés, la médecine
alternative est l'équivalent de la médecine traditionnelle, et plus de 50 % de la population a
eu recours, au moins une fois, à ce type de pratique. Au Canada, 70 % des habitants ont eu
recours au moins une fois à la médecine parallèle. En Allemagne, 90 % de la population a
pris, au cours de leur vie, un remède naturel. Aux États-Unis d'Amérique, 158 millions
d'adultes ont utilisé des produits de la médecine alternative et, d'après la Commission for
Alternative and Complementary Medicines, en 2000, la population américaine a dépensé 17
milliards de dollars en remèdes traditionnels. Au Royaume-Uni, les dépenses annuelles
consacrées à la médecine parallèle sont de 230 millions de dollars des Etats-Unis9.
Le marché mondial des plantes médicinales est en rapide expansion et représente
actuellement plus de 60 milliards de dollars des Etats-Unis par an. Cet accroissement de la
demande mérite d’être analysé et étudié avec sérieux afin de proposer des mesures
adéquates dans l’objectif d’assurer l’efficacité et l’innocuité des pratiques. Selon l’OMS,
seulement 64 pays avaient, en 2000, une réglementation relative aux médicaments à base
de plantes10. L’absence de normes ou la mauvaise utilisation des procédures, des pratiques
et des médicaments traditionnels peuvent avoir des effets nuisibles ou dangereux pour la
santé. Par exemple, l’éphédra11 est traditionnellement utilisée pour soigner la congestion des
voies respiratoires. Or, aux Etats-Unis, cette plante a été commercialisée comme
complément alimentaire, et un dosage excessif a provoqué des troubles
8.
Daniela Bagozzi. Médecine Traditionnelle. OMS.
http://www.who.int/mediacentre/factsheets/2003/fs134/fr/index.html. Consulté le 25 juin 2010.
9.
Daniela Bagozzi. Médecine Traditionnelle. OMS. Op. cit.
10.
Organisation mondiale de la santé, Stratégie de l’OMS pour la Médecine traditionnelle pour
2002-2005. O.M.S., Genève, 2002.
11.
L’éphédra ou Ma Huang (Ephedra sinica Stapf, E equisetina Bge, E intermedia Shrenk et CA
Mey) contient de l'éphédrine, représentant 40 à 90 % des alcaloïdes totaux de la plante, qui a une
action sympathomimétique indirecte agissant au niveau cardiovasculaire (augmentation du rythme
cardiaque), pulmonaire (broncho dilatation) et central.
-5-
cardiovasculaires (hypertension artérielle, tachycardie, arythmie, infarctus du myocarde,
arrêt cardiaque, mort subite) ainsi que des troubles neurologiques (accident vasculaire
cérébral et convulsions) 1213.
En Belgique, environ 70 personnes ont dû subir une transplantation ou une dialyse rénale
pour une fibrose rénale interstitielle14 15 après avoir pris une préparation fabriquée à partir
d'une espèce de plante erronée, dans l’objectif de perdre du poids.
Le développement du marché des plantes médicinales a aussi d'énormes retombées sur le
plan commercial, et pose des problèmes sur le plan de la biodiversité en raison du pillage
des matières premières nécessaires à la fabrication des médicaments ou d'autres produits
sanitaires naturels. Cette situation, si elle n’est pas réglementée et encadrée, risque
d’entraîner l'extinction d'espèces en danger ainsi que la destruction de ressources et
d'habitats naturels. En outre, les normes internationales et nationales sont insuffisantes pour
protéger les ressources génétiques de la biodiversité et les connaissances traditionnelles.
Un autre problème majeur que pose le renouveau de l’intérêt des firmes commerciales pour
les plantes médicinales est constitué par les tentatives de privatisation et d’exclusivité par le
biais de brevets de dérivés de plantes séculairement connues. L’exemple du neem ou
margousier illustre parfaitement ce risque de biopiratage : une plante dont les vertus
fongicides étaient connues depuis au moins 2000 ans en Inde, a d’abord fait l’objet d’un
dépôt de brevet auprès de l’Office Européen des Brevets, avant qu’une procédure d’une
durée de 5 ans n’aboutisse à l’annulation du brevet au motif de l’antériorité des savoirs
traditionnels indiens.
2.4.
Médecine traditionnelle et médecine conventionnelle : approches et
perspectives
La médecine traditionnelle est généralement propre d’un peuple et d’une culture, car leurs
systèmes thérapeutiques sont construits en conformité avec les caractéristiques culturelles
de ces groupes. Autrement dit, chaque peuple a une façon de comprendre la santé et la
maladie, et dispose également des moyens lui permettant de faire face aux problèmes de
santé. De la même façon, dans la société occidentale, la science et la technologie
biomédicale sont le résultat de la recherche de solutions aux problèmes de santé à l’intérieur
de cette culture.
Selon la vision des peuples autochtones, aucune médecine ne peut être jugée bonne ou
mauvaise ; sa valeur dépend de son efficacité à résoudre les problèmes de santé.
Cependant, les médecines traditionnelles ont un atout important, car elles prennent en
compte le corps, l’esprit et le culturel, en essayant de mettre au même niveau les éléments
observables et ceux d'ordre spirituel, existentiel et psychique.
12.
Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Décision du 8 octobre 2003
portant interdiction d'importation, de préparation, de prescription et de délivrance de préparations
magistrales, officinales et hospitalières.
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000794772&dateTexte=.
Consulté le 21 mars 2010.
13.
Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Décision du 8 octobre 2003
portant interdiction d'importation, de préparation, de prescription et de délivrance de préparations
magistrales, officinales et hospitalières.
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000794772&dateTexte=.
Consulté le 21 mars 2010.
14.
Cette néphropathie aux plantes chinoises est une maladie rénale grave qui a été décrite pour
la première fois en 1993 chez des patientes ayant suivi un régime amaigrissant à base d’extraits de
plantes chinoises (Aristolochia fangchi) contenant des acides aristolochiques.
15.
Debelle, Frédéric Modèle expérimental de fibrose rénale interstitielle induite par les acides
aristolochiques («plantes chinoises»). Thèse, Faculté de Médecine, 2005. http://theses.ulb.ac.be/ETDdb/collection/available/ULBetd-10182004-224123/. Consulté le 21 mars 2010
-6-
Dans la médecine traditionnelle, la maladie n'est pas une notion univoque. Il y a des
maladies naturelles, des maladies surnaturelles ou magico-religieuses et des maladies
adhérentes, c'est-à-dire des maladies en attente de classement en entité naturelle ou
surnaturelle. En outre, il y a une confusion totale entre la sémiologie, la nosologie et
l'étiologie, et la maladie présente toujours un sens qu'il faut déchiffrer pour pouvoir la guérir
(sanction, avertissement, mauvaise rencontre). Ici, la sémiologie des signes n’a pas
d’importance. Par contre, l’anamnèse est fondamentale, car l’histoire de la maladie, c’est-àdire le mode d’apparition, va permettre de faire le diagnostic et de répondre aux questions
fondamentales sur la maladie, son mécanisme (mauvaise rencontre, perte du souffle vital),
son origine (dieux, ancêtres, génies) et sa cause.
Dans le pathologique comme phénomène magique16, la réponse adéquate est souvent le
monopole du guérisseur, qui fait un voyage vers le monde surnaturel pour y rencontrer les
esprits supérieurs détenant la clef du diagnostic et du traitement. Dans ce cas, la maladie
comporte également une composante sociale ; elle affecte un individu ou un organe, de
même que le lien unissant le sujet à l'ensemble du groupe social qui participe à la guérison.
En outre, le guérisseur est aussi un personnage central qui a une position politique et un
rang social élevé. Il est l'autorité en matière de coutumes et de traditions tribales. La
personne choisie pour accomplir cette mission possède souvent un sens aigu de son travail
et certaines caractéristiques psychiques hors du commun. Il apprend toujours son métier
auprès d'un autre guérisseur, et effectue d’autres taches différentes des soins, car sa
mission est plus large.
Si la médecine traditionnelle est basée sur un raisonnement analogique et une approche
holistique du pathologique et de la santé, la médecine conventionnelle est quant à elle
construite sur des connaissances scientifiques et est basée sur des preuves. Elle adopte une
approche la plupart du temps fragmentaire et s’attaque aux troubles fonctionnels. Elle
privilégie les institutions techniques dans le processus de restauration de la santé, et le
verdict (diagnostic, traitements, prévention, politiques…) appartient aux seuls professionnels
compétents. En outre, elle présente le plus souvent la maladie comme un fait isolé, qui
atteint un fragment de l’organisme, et non comme un trouble qui affecte la totalité de l’être
humain et son entourage, la maladie se transformant ainsi en une entité en soi.
Au cours de l’histoire, la médecine conventionnelle elle-même s’est d’abord séparée de la
magie, puis de la philosophie, pour devenir une médecine scientifique à partir du XVIIIe
siècle. C’est l’enjeu d’un certain nombre de pratiques traditionnelles. Par contre, du fait de sa
nature, il est possible que la pratique traditionnelle spirituelle ne puisse accomplir ce but. Il
nous apparaît cependant que toutes les pratiques traditionnelles ont l’obligation d’être
encadrées du point de vue éthique et réglementaire, et qu’il est nécessaire d’assurer leur
innocuité, leur efficacité, leur qualité et leur usage rationnel.
16.
C. Lichtenthaeler, Histoire de la Médecine, Paris, Fayard, 1975.
-7-
Différences entre la médecine traditionnelle et conventionnelle17
Médecine traditionnelle
Origine
Fondement
Méthodes de
traitement
Approche
Rapport praticienmalade
Soins
Accès
Acceptation
Depuis la nuit du temps,
l’homme fait face à la maladie
en créant un ensemble de
procédures ancrées dans la
culture et la société.
Elle est basée sur un faisceau
de connaissances populaires
accumulées au cours de
l’histoire
Très variées : herbes
médicinales, manipulations,
méthodes spirituelles…
Holistique : corps et âme,
préventive et intégrée à la
culture, à la famille et au groupe
social
La relation est bonne, car le
malade est considéré comme un
être qui souffre et qui fait souffrir
son corps social
Souvent continus avec des rites
qui suivent les étapes de la vie
Faciles, les tradi-praticiens sont
répartis sur tout le territoire
national
Dans presque toute les couches
de la population
Médecine allopathique ou
moderne
Elle se développe à partir du XIXe
siècle et prend son envol au siècle
suivant.
Elle est basée sur des preuves
scientifiques
Centrées surtout sur la
technologie, le médicament et la
chirurgie
Fragmentaire : le corps, l’âme,
l’homme social et culturel sont
dissociés. Le corps est fragmenté
en organes.
Impersonnel, car le médecin
s’intéresse surtout aux symptômes,
aux signes, aux examens
biologiques et radiologiques et non
à la personne.
Sporadiques, pendant la crise ou la
maladie
Difficiles, les médecins sont
concentrés dans les villes
Il existe certaines réticences de la
population à adopter certains soins
(vaccination, médicaments,..)
Limitée
Couverture
Presque tout le pays
Cout
En espèce ou nature, les coûts
Souvent prohibitif pour les plus
des consultations et
démunis
thérapeutiques sont souvent à la
portée de tous
Insérée dans la culture des Quelques fois éloignée
peuples
Distance
culturelle
Les différences entre les deux médecines sont plutôt des atouts qui doivent les amener à
une complémentarité, voire une synergie au bénéfice des populations, sans pour autant
ignorer les risques que peuvent faire courir certaines pratiques dangereuses ou la
méconnaissance des produits employés. Cependant, leurs divers contextes philosophiques
et culturels font toujours obstacle à la compréhension et au respect mutuel, ce qui peut
expliquer le peu d'empressement pour le lancement d‘actions soutenant l'usage de la
médecine traditionnelle. Nombreux sont les pays qui négligent le potentiel de la médecine
traditionnelle d’améliorer la santé et les services sanitaires, et son rôle possible dans le
développement économique et social.
17.
C. D. Williams, N. Baumslag, D. B. Jelliffe, Mother and Child Health: Delivering the Services
Publisher: Oxford University Press, USA, 1994.
-8-
L'anthropologie sociale et culturelle s'intéresse surtout au mode de vie des communautés
autochtones. Toutefois, ces études sont rarement intégrées aux programmes officiels
d'enseignement destinés aux professionnels de santé. Les écoles de médecine considèrent
souvent que la culture des communautés autochtones relève souvent de la mythologie et du
folklore. Le manque de compréhension des modes de vie des autochtones de la part des
médecins peut conduire au rejet des interventions sanitaires par les communautés
autochtones et à des soins de santé publique non conformes. Cela peut également conduire
à l'altération ou à l'éradication virtuelle de l'héritage culturel lié à la santé.
L'intégration de la médecine traditionnelle dans le système de soins de santé conventionnel
représente un défi pour les pays où la médecine conventionnelle est prédominante. Il est
néanmoins essentiel que les prestataires de soins de santé conventionnels connaissent la
culture des populations autochtones et respectent leurs croyances et leurs coutumes tant
que celles-ci ne représentent pas un danger évident pour l’intégrité physique ou la survie de
la personne.
2.5.
Médecine traditionnelle : bénéfices et risques
La médecine traditionnelle présente une efficacité reconnue pour certains médicaments ou
thérapies, un accès facile et un coût moindre. Certaines de ces pratiques (par exemple, la
phytothérapie) présentent cependant des risques d’effets secondaires et de toxicité à long
terme qui ne sont pas évalués dans un bon nombre de pays.
Parmi les principaux atouts et bénéfices de la médecine traditionnelle se trouve :
•
son accessibilité : dans beaucoup de pays en développement, la disponibilité de
tradipraticiens est largement supérieure à celles du personnel de santé. Par exemple,
en Afrique subsaharienne, il existe un médecin pour 100 tradipraticiens et les
premiers se trouvent surtout dans les villes18 ; en Afrique australe, il existe un
guérisseur pour 200 personnes, soit un ratio médecin-patient largement supérieur à
celui qui existe en Amérique du Nord19 ;
•
son coût : dans beaucoup des pays en développement le coût des soins de santé
traditionnels est abordable, surtout pour les plus démunis, et les prix des
médicaments à base de plantes sont généralement peu élevés et fréquemment,
payables en nature et/ou en fonction de la capacité économique du patient ;
•
son approche holistique du diagnostic et du traitement, qui permet de prendre en
compte l’individu dans sa globalité, en tenant compte non seulement du corps et de
l’esprit,,mais aussi de la personne insérée dans son milieu familial, social et culturel.
Parmi les contraintes, on peut mentionner :
•
la difficulté à évaluer la toxicité à long terme ;
•
la difficulté à évaluer la formation et le savoir du praticien ;
•
la difficulté à évaluer les effets secondaires, surtout quand il s’agit de dosages non
adéquats de plantes médicinales ;
•
la difficulté à standardiser les dosages, les principes actifs pouvant varier suivant
l’environnement (nature du sol, climat), le moment de la journée, de l’année où se
déroule la cueillette, la partie de la plante utilisée, etc. ;
18.
R. Vongo, Local production and dispensing of herbal antimalarials. RITAM, Moshi, Tanzanie,
décembre 1999.
19.
Bob Stanley, Reconnaissance et respect de la médecine traditionnelle en Afrique, Le Centre
de recherches pour le développement international. http://www.idrc.ca/fr/ev-55582-201-1DO_TOPIC.html Consulté le 21 mars 2010.
-9-
•
le retard ou absence de traitement des pathologies pour lesquelles il existe des
traitements avérés ;
•
la difficulté de mettre en place un cadre éthique, réglementaire et d’évaluation dans le
domaine des pratiques traditionnelles spirituelles.
2.6.
Médecine traditionnelle et systèmes de santé
Selon sa participation aux systèmes de santé, la médecine traditionnelle se trouve intégrée,
incluse ou tolérée au système.
2.6.1. Une médecine traditionnelle reconnue et intégrée aux systèmes de santé
Dans un certain nombre de pays, la médecine traditionnelle et complémentaire est reconnue
et intégrée au système de santé et participe à l’offre des soins. Très peu de pays peuvent
être considérés comme ayant atteint ce niveau : la Chine, la République populaire
démocratique de Corée et le Vietnam.
2.6.2. Une médecine traditionnelle reconnue, mais non intégrée aux systèmes de santé
Certains pays reconnaissent la médecine traditionnelle et complémentaire, mais elles ne
sont pas complètement intégrées au système de santé (offre de soins, éducation, formation,
réglementation). Parmi ces pays se trouvent la Guinée Équatoriale, le Nigeria et le Mali, de
même que le Canada et le Royaume-Uni.
2.6.3. Une médecine traditionnelle tolérée
Dans un grand nombre de pays où le système de santé est basé sur la médecine
conventionnelle, la pratique traditionnelle est tolérée. Malgré cela, elle est tout de même
largement ignorée dans certains pays.
Il serait nécessaire que les pays reconnaissent l’importance du lien entre l’histoire et la
pratique médicale des communautés autochtones, car la médecine traditionnelle, aussi
variée soit-elle dans ses manifestations techniques, se base toujours sur les croyances et les
expériences autochtones.
Afin de pouvoir intégrer la médecine traditionnelle dans les systèmes de santé, il faudrait
d’abord que le savoir et les thérapeutes traditionnels soient reconnus. Cela suppose la mise
en place de normes afin de contrôler la commercialisation des produits et pallier le manque
de ressources dans le secteur de la recherche et de la formation. La création de centres de
recherche et d’étude sur la médecine traditionnelle serait un moyen important d’avancer vers
la reconnaissance de cette pratique et leur permettre de cohabiter avec la médecine
conventionnelle, dans un système unique de santé.
En Afrique par exemple, du fait de son importance, l’Union africaine a institué la Décennie de
la Médecine traditionnelle en Afrique (2001 – 2010) en la reconnaissant comme « le système
de soins de santé le plus abordable et le plus accessible pour la majorité des populations
rurales africaines »20. Cette démarche a pour objectif d’associer tous les acteurs afin de
« mettre à la disposition de la vaste majorité du peuple africain des pratiques médicales et
des plantes médicinales traditionnelles sûres, efficaces, abordables et de grande qualité » 21.
20.
Décisions et déclarations adoptées par la 37e session ordinaire de la Conférence des Chefs
d’État et de Gouvernement. 9 - 11 juillet 2001. http://www.africaunion.org/Official_documents/Assemblee%20fr/ASS01.pdf Consulté le 21 mars 2010.
21.
Décisions et déclarations adoptées par la 37e session ordinaire de la Conférence des Chefs
d’État et de Gouvernement. 9 - 11 juillet 2001. http://www.africaunion.org/Official_documents/Assemblee%20fr/ASS01.pdf Consulté le 21 mars 2010.
- 10 -
3.
IMPLICATIONS ÉTHIQUES DE LA MÉDECINE TRADITIONNELLE
3.1.
Principes éthiques de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits
de l’homme
La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme énonce un certain
nombre de principes universellement reconnus par la communauté internationale, que les
Etats membres se sont engagés à respecter dans un domaine aussi vaste que celui de « la
médecine, les sciences de la vie et les technologies qui leur sont associées, appliquées aux
êtres humains, en tenant compte de leurs dimension sociale, juridique et
environnementale ». La médecine traditionnelle se trouve tout naturellement inscrite dans ce
cadre, et les principes énoncés dans la Déclaration constituent une base de réflexion pour
l’analyse de ses implications éthiques.
La médecine traditionnelle ne se limite par ailleurs pas aux méthodes de diagnostique et aux
traitements ; elle implique une approche différente de la vie, de la mort, de la santé et de la
maladie. Elle comprend aussi une vision différente du patient, du médecin et de leur relation,
des services de santé, des facteurs de risques, etc. L’article 12 de la Déclaration (« Respect
de la diversité culturelle et du pluralisme ») acquiert donc une importance particulière dans
ce domaine. La question fondamentale qui se pose est de savoir comment et jusqu’à quel
point il est possible de concilier le principe du respect de la diversité culturelle avec les
autres principes de la Déclaration dans un domaine comme la médecine traditionnelle où les
systèmes de croyances et les traditions culturelles jouent un rôle primordial.
A cet égard, il est essentiel de rappeler ce que l’article 26 de la Déclaration affirme
clairement : les principes qui y sont définis sont « complémentaires et interdépendants » et
doivent être « considéré[s] dans le contexte des autres, dans la mesure qui est appropriée et
pertinente selon les circonstances ».
La dignité humaine, évoquée à l’article 1 de la Déclaration, fait référence à la valeur
intrinsèque de chaque personne et doit être la même pour tous. Cette notion n’admet pas de
degrés. Chaque individu mérite en effet un respect sans condition, quels que soient son âge,
son sexe, son état de santé, son origine ethnique ou sociale et ses idées politiques et
religieuses.
En outre, « les intérêts et le bien-être de l’individu… » supposent de mettre à la disposition
de la personne malade tous les meilleurs moyens de diagnostic, de thérapeutique et de
prévention, lesquels ne sont pas le monopole de la médicine conventionnelle. Il est
également vrai que la pratique traditionnelle ne devrait pas se substituer à la médecine
conventionnelle, car il existe le risque d’avoir deux types d’offre de soins : la première plus
accessible et à bas prix pour les groupes sociaux modestes, et la deuxième pour les autres
groupes sociaux. Ces médecines peuvent cohabiter en créant des passerelles entre les deux
pratiques. La difficulté à définir « les meilleurs moyens » est toujours un défi pour les deux
systèmes médicaux.
L’article 4 de la Déclaration, suite logique de celui sur la dignité humaine, acquiert une
importance particulière en matière de médecine traditionnelle, car celle-ci n’est pas exempte
d‘effets nocifs.Il serait cependant nécessaire de bien définir ce que l’on entend par risques et
bénéfices en médecine traditionnelle et conventionnelle, y compris avec le concours des
patients, car ces risques et bénéfices dépendent des systèmes de valeurs et de croyances.
En outre, la médecine traditionnelle ne dispose pas toujours des moyens et la méthodologie
adéquats pour anticiper et éviter les effets nocifs, et la démarche s’avère d’autant plus
difficile dans le cas des pratiques traditionnelles spirituelles..
Dans un contexte où la pratique traditionnelle s’insère totalement dans la culture, où la
maladie est un fait social dont le traitement implique la participation du groupe et où le
tradipraticien occupe une place centrale dans la communauté, l’application du principe
d’autonomie et de responsabilité individuelle (art. 5) et celui du consentement (art. 6 et 7)
- 11 -
constitue un défi à relever qui ne pourra se faire que dans le respect des croyances et des
traditions. En médecine conventionnelle, la relation de confiance ou de subordination vis-àvis du médecin est toujours un défi pour l’exercice de l’autonomie. Dans le cas de la relation
tradipraticien-malade, la situation est encore plus complexe, surtout dans la pratique
traditionnelle spirituelle car il existe le risque de rompre l’élément symbolique de cette
relation, et cette cassure peut faire disparaître ou amoindrir l’effet thérapeutique.
Par ailleurs, le fait de souligner les difficultés d’application de ce principe dans la pratique
traditionnelle spirituelle ne nous exonère pas d’exiger leur respect dans d’autres types de
pratiques traditionnelles, surtout dans celles qui comportent un certain risque en raison de
leurs effets secondaires ou nocifs. De plus, cette réalité ne doit pas constituer un obstacle à
la recherche et à la mise en place de procédures éthiquement fiables et sensibles aux
aspects culturels. Une manière de résoudre cette situation est l’implication attentive et
durable de la communauté dans la mise en place de solutions adéquates et sa participation
dans la recherche en matière de médecine traditionnelle (par exemple dans la recherche sur
les plantes médicinales). D'ailleurs, l’alinéa 3 de l’article 7 considère que : « dans les cas
pertinents de recherches menées sur un groupe de personnes ou une communauté, l’accord
des représentants légaux du groupe ou de la communauté concernée peut devoir aussi être
sollicitée. En aucun cas, l’accord collectif ou le consentement d’un dirigeant de la
communauté ou d’une autre autorité ne devrait se substituer au consentement éclairé de
l’individu. »
En ce qui concerne le principe du respect de la vulnérabilité humaine et l’intégrité
personnelle (art. 8), l’enjeu en médecine traditionnelle est de déceler à partir de quelle
situation les croyances et les traditions mettent en danger et/ou nuisent aux individus
concernés et créent des conditions de vulnérabilité. Quelles sont les responsabilités des
médecins conventionnels quand ils sont face aux cas diagnostiqués ou traités inefficacement
par le tradipraticien et où le patient et sa famille, en raison de leurs croyances, refusent de
recourir à la médecine conventionnelle ? En outre, la recherche en médecine traditionnelle
doit avoir la même rigueur et le même respect des règles que celle en médecine
conventionnelle, car le risque d’intégrer dans ces études des personnes en abusant de leurs
croyances n’est pas négligeable.
Article 12 Respect de la diversité culturelle et du pluralisme [à développer]
Article 14 Responsabilité sociale et santé [à développer]
Article 17 Protection de l’environnement, de la biosphère et de la biodiversité [à développer]
Article 20 Évaluation et gestion des risques [à développer]
3.2.
Pratique de la médecine traditionnelle : études de cas
3.2.1. Afrique
Dermatoses
Monsieur MS est un tradipraticien réputé dans le traitement des dermatoses qui réside dans
la préfecture de Coyah (République de Guinée). Dans la pièce qu’il a aménagée pour
l’administration de soins aux malades, on remarque de nombreuses photos, affichées aux
murs, de patients qu’il a déjà soigné(e)s. En effet, depuis un certain temps, il a décidé que,
pour prendre en charge un malade, il lui faut le photographier avant et après le traitement.
Ceci permet, selon lui, de montrer l’efficacité de ses traitements, ses compétences et
l’étendue de sa notoriété.
Madame D consulte pour un problème de dermatose et le tradipraticien lui explique qu’elle
devra se faire photographier avant le début du traitement ainsi qu’après la guérison. La
patiente est très réticente, mais face à l’insistance de Monsieur MS, elle accepte les
conditions posées. Avant le début du traitement, elle l’informe que sa maladie n’apparaît que
- 12 -
pendant la saison pluvieuse et se caractérise par des démangeaisons et l’apparition de
vésicules. Le guérisseur lui propose une recette composée d’une association de plantes
(cendre de tiges d’albizzia zygia et de décoction de feuilles de crossopteryx febrifuga).
Pendant toute la durée du traitement, il lui est interdit d’avoir des rapports sexuels avec un
homme. Après deux semaines de traitement, l’état de santé de Mme D ne s’améliore pas.
Elle revient voir le médecin traitant pour l’informer de ce fait et lui faire part de son souhait de
changer de traitement. Le guérisseur exprime son refus et insiste sur la poursuite du même
traitement sans l’associer à un autre, encore moins le remplacer. Selon lui, l’échec apparent
du traitement s’explique par la non-observance de l’interdit qui lui avait été prescrit.
Diabète
Le diabète est une maladie métabolique en nette progression dans les pays en
développement. En Guinée, la prise en charge du diabète est confrontée à plusieurs
difficultés, notamment celle de l’accessibilité aux médicaments conventionnels. Ainsi,
nombreux sont les malades qui se tournent vers la médecine traditionnelle pour des raisons
économiques ou socioculturelles.
Monsieur MMB est un tradipraticien bien connu pour le diagnostic et le traitement du diabète
par phytothérapie. Il recommande à ses clients de recueillir quelques gouttes d’urine dans un
petit récipient et de le garder sous le lit pendant 24 heures pour observer si l’urine attire des
fourmis. Une présence de fourmis indique que la personne souffre de la maladie du sucre.
Au titre des prestations, le tradipraticien réclame un coq et 20 000 francs guinéens (4 dollars
américains) et, pour rassurer ses malades quant à l’efficacité de ses recettes, il les invite
souvent à consulter en parallèle les médecins des hôpitaux publics.
Analyse préliminaire
Les deux exemples posent des questions d’éthique en matière de responsabilité, de droit, de
consentement, de confidentialité, de dignité et de valeurs socioculturelles. En effet, dans le
cas du traitement de la dermatose, le tradipraticien impose à sa patiente, très réticente, de
se faire photographier avant et après le traitement pour enrichir son album mural, vitrine de
ses prouesses médicales, aux fins d’attirer d’autres candidats aux soins. Le tradipraticien a
également exigé de sa patiente qu’elle poursuive le même traitement avec la même recette,
et ce, malgré l’échec de cette première application, au motif qu’elle n’a pas respecté les
interdits qu’il lui avait prescrits.
Dans ce cas, la dignité de la malade est mise à mal, de même que le principe d’autonomie,
de libre consentement et de vulnérabilité. On observe en même temps un début de rupture
de confiance entre le guérisseur et sa malade, confiance qui fonde certains rapports entre
tradipraticiens et patients en médecine traditionnelle. On note enfin une difficulté liée à
l’efficacité et à la qualité des soins médicaux administrés par le guérisseur.
Pour le second cas, le guérisseur procède d’abord à un test empirique pour diagnostiquer la
maladie par une épreuve de fourmis : des gouttes d’urine doivent être exposées sous le lit
pendant 24 heures. Ceci rappelle la méthodologie de la « preuve » propre à la médecine
conventionnelle. Ce tradipraticien, peut-être parce que conscient des limites de ses
méthodes de diagnostic ou alors pour d’avantage convaincre ses malades, encourage ses
clients à parallèlement consulter les médecins des hôpitaux publics, contribuant ainsi à
renforcer les intérêts et le bien-être de ses malades.
Le faible coût (quatre dollars américains) de la consultation rend ce type de soins proche et
accessible..
- 13 -
3.2.2. Région arabe
Obésité
Monsieur GS, homme de 44 ans, en bonne santé et modérément obèse, a décidé de perdre
du poids. Il a eu recours à un produit à base de plantes, souvent loué à la télévision et dans
les médias pour son efficacité et son innocuité. Ce produit, vendu dans les drogueries sans
visa des autorités sanitaires, est proposé sous forme de gélules dans des flacons avec des
étiquettes fort attirantes. Le traitement devait durer 40 jours, en association avec des tisanes
de thé vert, et son efficacité certaine est garantie. Dès la deuxième semaine de traitement,
Monsieur GS présente des vomissements et des coliques suivis d’une forte fièvre avec un
syndrome d’infection urinaire, le tout nécessitant une hospitalisation et un traitement de
plusieurs semaines. Le médecin traitant lui affirme que de nombreux patients l’ont déjà
consulté pour le même syndrome, qui résulte de la prise de plusieurs produits à base de
plantes non inscrits dans la pharmacopée du pays et sans légalisation par le Ministère de la
santé.
Sorcellerie
Une femme de 32 ans, mariée, mère de deux enfants et sans antécédent particulier, va
consulter après une nuit fort agitée son médecin traitant et lui raconte l’histoire suivante : « Je
suis - dit-elle - dans une situation étrange et éprouvante, et je suis venue demander de l’aide
car je ne peux plus supporter cette situation. Il y a quelques semaines, la nuit, en pleine lecture
du saint Coran, une intense angoisse me saisit avec la sensation d’une mort soudaine. J’ai
pensé à ce moment que c’était un incident ponctuel qui allait disparaître. J’ai continué à lire
avec une accentuation des sensations d’angoisse et de peur et j’ai cru que j’allais syncoper.
J’étais sûre que c’était ma fin sur terre, j’ai réveillé mon mari qui a voulu me tranquilliser en
m’assurant que le matin, tout allait disparaître. Le lendemain, les sensations persistèrent et de
plus, j’ai senti que ma respiration était bloquée et qu’un être me comprimait la gorge et voulait
arrêter les battements de mon cœur, j’avais de plus en plus une douleur à la poitrine et au bras
gauche. Je n’osais pas appeler mes parents et je me sentais comme une « morte-vivante » et
commençait à discerner la présence dans ma maison des êtres maléfiques, qui m’entouraient
et prenaient progressivement possession de mon corps et de mon âme. Mes douleurs à la tête
étaient très fortes, accompagnées parfois de vomissements. Un médecin consulté a trouvé
que j’étais en bonne santé et m’a prescrit pendant une semaine des tranquillisants, sans
résultat. De plus en plus, ma vie devenait difficile et les « djinns » me parlaient et me
harcelaient toute la journée. Alors j’ai supplié mon mari de m’amener chez le guérisseur de
mon village, un vieux cheikh, sage et savant que des voisines m’ont recommandé. J’ai été
chez lui, il m’a reçue gentiment. Il m’a fait rentrer dans une chambre semi obscure qui sentait
l’encens. Il m’a étendue sur une table en posant sa main gauche sur mon front et en
psalmodiant des phrases que je ne comprenais pas. Puis il a lu pendant une quinzaine de
minutes des versets spéciaux du saint Coran et ensuite il m’a demandé de marcher les yeux
fermés sept fois autour de la table. A la fin de la séance, il m’a aspergée d’eau, il m’a demandé
de revenir le voir chaque semaine pendant trois mois. Je dois avouer que je me suis sentie un
peu mieux, les êtres maléfiques qui me possédaient se sont éloignés, mais je sens encore leur
présence autour de moi. Ils continuent de temps en temps à posséder mon être pendant
quelques minutes. Pendant toute cette période, j’ai refusé de voir tout médecin, et je vais
continuer à suivre les séances du sage guérisseur qui va peut-être me guérir ».
Analyse préliminaire
En principe, tout médecin, même s'il ne partage pas entièrement les concepts de la
médecine traditionnelle, peut y avoir recours afin de respecter les croyances du patient et lui
apporter bien-être et confort. Toutefois, vu la diversité des pratiques employées, souvent
sans évaluation sérieuse, et vu l'anarchie prédominante dans ce domaine, des dérives et des
abus peuvent survenir, d’où la nécessité d’une régulation.
- 14 -
Pour mettre un terme à la vente de produits à base de plantes non-agréés par le Ministère
de la santé, le Parlement Libanais a voté une loi complémentaire interdisant toute publicité et
la mise sur le marché de produits tels que celui évoqué dans la première étude de cas. Cette
loi, qui n’est pas encore entièrement appliquée, va à l’encontre d’un mythe et d’une croyance
populaire selon lesquels un produit dit « naturel » ne peut être nocif. Pourtant des lois
antérieures conditionnent la fabrication et la vente des produits pharmaceutiques avec
application de sanctions pénales sévères pour toute infraction. D’autant plus que les
complications iatrogènes pouvant survenir après la prise de produits illégaux sont
nombreuses, parfois graves, mais ne sont jamais divulguées par les praticiens, guérisseurs
ou droguistes qui craignent les réactions populaires et les procès pénaux.
L’aspect légal de la médecine traditionnelle est aussi à discuter : la notion « d’exercice illégal
de la médecine » et « l’usurpation du titre de médecin » semble exister afin d’écarter toute
personne qui s’aventure à utiliser des traitements nouveaux sans que leur innocuité et leur
efficacité ait été prouvées. Toute thérapeutique nouvelle et non reconnue par l’Etat doit subir,
avant sa mise sur le marché ou son application, des essais de validation très encadrés.
Quasiment tous les pays arabes possèdent des législations de santé publique et de
pharmacologie qui gèrent ces essais, d’autant plus que les laboratoires pharmaceutiques
sont parfois soupçonnés de faire pression sur les gouvernements afin d’appliquer des
législations restrictives et bloquer les pratiques traditionnelles et leur remboursement.
Nombreux sont par ailleurs les médecins qui ont été poursuivis au Moyen Orient pour avoir
utilisé des thérapeutiques non validées par les pouvoirs publics.
En somme, le recours aux médecines parallèles doit être judicieux : le traitement d’une
maladie grave nécessitant une thérapie utilisant une technologie de pointe peut être retardée
par l’emploi exclusif d’une médecine parallèle, même si ce recours apporte aux patients une
sensation de bien-être et une amélioration psychique.
Il faut pourtant signaler que dans le Monde Arabe, la médecine traditionnelle répond souvent
à une lacune de la médecine allopathique en termes d’amélioration de la qualité de vie du
patient. Elle ne prétend pas se substituer à la médecine allopathique, mais intervient en
prophylaxie avant l’apparition des troubles organiques. Il convient aussi de rappeler que, à
l’instar de la médecine allopathique, la médecine traditionnelle est basée sur
l’expérimentation et lui est souvent nettement antérieure.
3.2.3. Asie et Pacifique [à développer]
3.2.4. Amérique latine
Le « susto » (peur)
Le « susto » est largement répandu en Amérique latine et a été étudié au Pérou chez les
Quechuas et les Aymaras, qui les connaissent sous le nom de « mancharisqa ». Il est connu
en Équateur sous le nom d’« espanto », et a également été observé chez le peuple nahua
(Mexique).
Le « susto », entité caractérisée par la « perte de l’âme » ou de l’esprit, résulte d’un impact
psychologique d’intensité variable qui est considéré comme une maladie au Mexique, au
Pérou et dans d’autres pays latino-américains. Il est provoqué par divers facteurs d’ordre
surnaturel ou naturel liés aux expériences personnelles qui apparaissent comme des
éventualités fortuites tout à fait inattendues22. Les symptômes et les dénominations varient
selon la région.
Au Mexique, le « susto » est caractérisé par la présence des symptômes suivants :
dégradation de l’état général, perte d’appétit, sensation de faiblesse, froid aux extrémités,
22.
M.E. Moden. Madres, Médicos y Curanderos. Diferencia cultural e identidad ideológica. 1ª ed.
Ediciones de la Casa Chata. SEP. México. 1990.
- 15 -
somnolence, tendance à dormir plusieurs heures, agitation au cours du sommeil, insomnie,
pâleur, tristesse, anxiété, hypersensibilité, évanouissements, peur des rêves avec des
situations menaçantes et répétées, attaques soudaines de "folie", fièvres légères, diarrhée et
vomissements occasionnels, maux de tête, douleur du « cœur ».
Au Pérou, le « susto » est aussi une « perte de l’âme » causée par des esprits, par la
mauvaise influence des êtres surnaturels tels que les elfes et les créatures qui vivent dans
les collines (punas). Il peut aussi être provoqué par des chutes, des retrouvailles
surprenantes, des accidents, des persécutions, des phénomènes naturels et surnaturels. Le
tableau clinique se caractérise par une perte d'appétit, malaise, perte de poids, faiblesse,
anémie, pâleur, troubles nerveux, dépression, tristesse, irritabilité, agitation, nervosité,
pleurs, frissons, fièvre, nausées, vomissements et diarrhées, troubles du sommeil,
transpiration, délire et soupirs continus, maux de tête et bégaiement temporaire. La gravité
est étroitement liée à l'âge du patient, l'état émotionnel et les circonstances dans lesquelles
ce syndrome se produit.
Les traitements sont variés, mais doivent être effectués par un guérisseur traditionnel. Pour
mieux comprendre le processus de traitement, laissons parler une tradipraticienne
mexicaine23: « Dans mon village, j'ai appris à guérir avec des bougies de suif; j’ai demandé
10 bougies, du rhum et du basilic. Les bougies sont placées doucement dans une casserole
d'étain, il faut faire fondre la cire, la faire passer sur le corps de l'enfant et dire à trois reprises
« Juan no te espantes » (Jean n'ayez pas peur), et enfin prier afin que la « cosa mala »
(mauvaise chose) puisse sortir et laisser la personne en bonne santé ; puis la cire, versée
dans une tasse d'eau, désigne la cause pour laquelle la personne a eu peur. Après « avoir
passé la cire », l'enfant commence à dormir, et à ce moment-là, il faut appliquer sur ses
articulations le mélange d’aguardiente (mélange de rhum et mezcal) et de ruda (plante de la
famille des Rutacées) et tabac. Le traitement est le même pour les enfants et les adultes et
doit se faire le mardi et le vendredi. Pour le traitement d’un bébé, les mardis et vendredis je
prépare un bain d'eau chaude, je jette des fleurs blanches, rouges et un peu d'alcool et,
séparément, je prépare un bouquet de fleurs rouges et blanches. Une fois que tout est prêt, il
faut déshabiller le bébé, lui tourner la tête et dire trois fois « Pedro no te espantes » (Pierre
n’ayez pas peur) et ensuite il faut toucher le corps de l’enfant avec le bouquet de fleurs en
faisant le signe de la croix et en disant simultanément une prière. Après il faut baigner
l’enfant et l’habiller ; s’il s’endort ça veut dire que l' « espanto » (terreur, peur) est sorti, et on
s’en rendra compte au réveil, car l’enfant sera heureux et mangera bien... ».
Le « Chacho »
Le « Chacho » (Hapiruzqa en quechua) est considéré comme une maladie d’origine magique
provoquée par des émanations dégagées par les montagnes. Ces émanations ne sont pas
visibles et sont perçues comme des énergies. Quand une personne, mais surtout un enfant
ou une femme, passe, tombe ou s’arrête dans une montagne pour se reposer, ces
émanations peuvent l’atteindre, provoquant ainsi une maladie dont les symptômes sont très
variés.
La symptomatologie la plus fréquente est la suivante : douleur de la zone atteinte au moment
de la chute, sensation de fièvre qui augmente progressivement accompagnée d’une série de
symptômes (arthralgies, gastralgies, diarrhée, anxiété, prurit, vomissements, céphalée…). La
durée des symptômes est d’une à deux semaines. Chez les enfants, le symptôme le plus
fréquent est la diarrhée.
23.
I. Díaz Ruíz, M. Juárez Mora, M. A. Fernández Ortega, A. Hamui Sutton, El “espanto” o
“susto” en el medio popular y bajo el enfoque médico, Atención Médica.
http://www.facmed.unam.mx/deptos/familiar/atfm141/edito.html. Consulté le 24 juin 2010.
- 16 -
Le traitement consiste à « payer la terre » (pago a la tierra, pagapo) par l’intermédiaire d’une
offrande de différentes choses (fleures, aliments, fruits…). Les composants de l’offrande sont
désignés par le tradipraticien qui détermine à l’aide de feuilles de coca quels sont les
éléments que la terre a sollicités comme offrande. Certaines attitudes peuvent avoir un effet
négatif dans l’évolution du syndrome. Parmi celles-ci, les plus courantes sont l’ingestion de
médicaments et de viande, ainsi que le froid. Les tradipraticiens eux-mêmes déconseillent
l’utilisation de médicaments : « …Si quelqu’un prend des médicaments, il est fort probable
qu’il décédera… J’ai vu le cas d’une fille qui est allée au centre médical, et après, elle a
commencé à perdre lentement ses forces jusqu'à la mort, le chacho n'est pas pour le
médecin, c’est pour nous ».
Analyse préliminaire
Les deux syndromes exposés (« susto », « chacho ») présentent des symptômes communs
avec certaines pathologies de la médicine conventionnelle, et le traitement traditionnel peut
s’avérer inefficace dans le cas d’une maladie organique. Celle-ci peut évoluer vers une issue
fatale, sans que le patient soit référé au système de soins conventionnel.
Dans ces deux cas, les principes d’autonomie et de responsabilité individuelle, de nonmalfaisance et de consentement éclairé peuvent être mis à mal, dans la mesure où la
maladie est souvent considérée comme un phénomène surnaturel appelant une procédure
de diagnostic et un traitement aussi de nature surnaturelle qui se fonde sur la confiance et
l’adhésion du patient. Si celui-ci doit par exemple être informé et se décider librement pour
ou contre la procédure de diagnostic ou le traitement, il est fort probable que le contexte
culturel ne lui laisse pas le choix, parce que le refus pourrait signifier la violation d’un tabou.
Il est nécessaire de rappeler que la maladie a aussi dans ce cas une composante sociale et
que le tradipraticien est un personnage central de la communauté. Dans cette situation, la
demande d’information ou le refus de son traitement peuvent être considérés comme une
rupture importante qui laisserait des traces chez le patient et risquerait d’aggraver sa
maladie.
L’analyse éthique de ces deux cas montre la difficulté d’articuler et de concilier le relativisme
culturel avec l’universalité des principes éthiques. En réalité, c’est plutôt un constat à prendre
en compte dans les processus de mise en place de règles éthiques concernant la pratique
traditionnelle. Néanmoins, préserver une culture ou une tradition est une chose, refuser toute
critique concernant certaines pratiques en est une autre. Défendre une culture au nom du
droit des peuples est une chose, mais se servir de la même culture pour nier ses droits à une
partie de la population est paradoxal. C’est dans ce type de réflexion que doivent se placer
les normes éthiques qui encadrent les pratiques traditionnelles, parce que ces pratiques ne
sont pas exemptes de risques et d‘effets nocifs.
[à développer]
3.3.
Recherche en médecine traditionnelle
3.4.
Formation, évaluation et réglementation [à développer]
4.
CONCLUSIONS [rédaction préliminaire]
1. La médecine traditionnelle peut efficacement contribuer à améliorer l’état de santé des
populations, mais ses pratiques diverses et la recherche ont besoin, dans un bon nombre
de pays, de normes réglementaires et éthiques.
2. Les normes éthiques qui guident la pratique traditionnelle doivent s’inspirer des principes
de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme.
- 17 -
3. Parmi ces principes se trouvent spécifiquement la dignité humaine et les droits de
l’homme, les effets bénéfiques et nocifs, l’autonomie et la responsabilité individuelle, le
consentement éclairé, la vulnérabilité humaine et l’intégrité personnelle, le respect de la
diversité culturelle et la responsabilité sociale et santé.
4. La médecine traditionnelle a besoin de la démarche scientifique pour relever les défis
fixés par l’OMS (innocuité, efficacité, qualité, usage rationnel) et pour pouvoir ainsi
intégrer le système de santé des pays.
5. La participation de la médecine traditionnelle au système de soins de santé suppose
aussi de créer des passerelles entre les deux médecines (conventionnelle et
traditionnelle) : les tradipraticiens doivent être formés aux soins de santé primaires afin
de leur permettre de référer les patients au réseau de soins conventionnels, et le
médecin doit avoir des connaissances qui lui permettent de mieux comprendre la
pratique traditionnelle et de pouvoir ainsi établir une collaboration et une complémentarité
entre les deux médecines. Laisser passer une opportunité de guérison chez une
personne prise en charge par la médecine traditionnelle et dont le tableau clinique
dépasse les possibilités du tradipraticien ou, à l’inverse, ne pas recourir à la pratique
traditionnelle chez un individu pris en charge par la médecine conventionnelle qui
présente une « maladie traditionnelle » dont le traitement est lui-aussi traditionnel,, peut
dans les deux cas avoir des conséquences graves pour le patient. Et dans ces deux cas,
les principes fondamentaux de la bioéthique (effets bénéfiques et effets nocifs) sont mis
à mal.
6. L’exercice illégal de la médecine et l’usurpation du titre de médecin constituent des
problèmes qu’il ne faut pas négliger. La solution peut venir d’une incorporation de la
médecine traditionnelle aux systèmes de santé. Cela signifie, entre autre, que le
tradipraticien doit suivre une formation et que la pratique traditionnelle doit remplir les
conditions nécessaires d’innocuité, d’efficacité et de qualité.
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