Biocontact n°272 – octobre 2016
22 traditions
porelle inadéquate, un changement brusque
de température, une intoxication ou des émo-
tions fortes. Elles affectent principalement le
corps et impliquent une gêne, une douleur ou
le mauvais fonctionnement d’un organe.
Les maladies «préternaturelles» renvoient,
quant à elles, au cosmos et aux relations que
l’être humain entretient avec celui-ci. Elles
peuvent être induites par les êtres surnaturels
en guise de punition, être envoyées volontai-
rement ou non par des personnes, ou provenir
de défunts, de lieux et d’actes de sorcellerie.
Le principe vital de l’individu, appelé
alma
ou
espíritu
, est alors affecté via la perte de
l’une de ses parties ou par l’intrusion d’une
énergie malfaisante. Les symptômes varient
selon la maladie. Sont fréquemment évoqués
le manque d’intérêt, l’insomnie, l’excès de som-
meil, la fatigue, la diarrhée et les vomissements.
Dans les deux cas, le corps et l’esprit s’in-
fluencent mutuellement, l’affection de l’un
pouvant avoir des répercussions sur l’autre.
Les maladies se distinguent également dans
le discours traditionnel selon deux processus:
celui d’intrusion (introduction magique d’ob-
jets, d’insectes, d’une énergie, d’une substance
froide ou chaude, ou d’une émotion excessive
qui prend possession de l’individu) et d’exclu-
sion (perte d’un principe vital, de chaleur, de
sang…).
A partir de ces représentations se déve-
loppent diverses mesures préventives repo-
sant sur l’exclusion ou le contrôle des agents
déséquilibrants : respect des rituels, maintien
des bonnes relations sociales, régulation des
émotions, utilisation de talismans…
Diagnostics, traitements
et thérapeutes
Le malade est appréhendé par le méde-
cin traditionnel dans sa totalité et dans son
contexte social, naturel et religieux. Son état
pouvant affecter le groupe, la prise en charge
du trouble doit donc être rapide.
Différentes méthodes sont employées pour
identifier le problème et sa cause. Parmi les plus
fréquentes, l’interrogatoire, l’observation des
symptômes, la palpation et la percussion. On
y trouve également l’interprétation des rêves,
la révélation par la transe – induite ou non
par des substances hallucinogènes –, la prise
du pouls – l’énergie vitale étant considérée
comme véhiculée par le sang – et l’utilisation
de techniques divinatoires à travers les
limpias
(voir encadré en page 20) et la lecture de grains
de maïs, de cartes, de l’eau…
Une fois le diagnostic réalisé, le thérapeute
peut déterminer le traitement adéquat. Une
série de procédés « magico-religieux » et
«logico-rationnels» sont alors déployés pour
soigner le mal-être du patient, restaurer l’équi-
libre interne et rétablir l’ordre cosmique.
Les méthodes utilisées à des fins thérapeu-
tiques relèvent le plus souvent de l’usage de
plantes, d’animaux et de minéraux, de l’uti-
lisation du
temazcal
(voir encadré en page
18), de
limpias
, de massages, de la succion,
l’emploi de ventouses, de chants et de prières,
d’offrandes ou de ponctions faites avec des
épines naturelles.
Les outils curatifs varient selon le guérisseur,
la culture mais aussi la nature de la maladie et
sa cause.
Les maladies «chaudes» ou «froides» se
soignent communément par des remèdes de
qualité contraire. Dans certains cas, le trouble
est traité avec des outils thérapeutiques de
nature analogue selon le phénomène d’affi-
nité. Le processus d’intrusion ou d’exclusion
de la maladie détermine également le rituel
d’intégration ou d’expurgation employé. Enfin,
le recours à des éléments symboliques est pri-
vilégié dans la guérison des maladies «préter-
naturelles».
Ces actes sont pratiqués par des
curanderos
(lire témoignage en encadré, ci-contre) géné-
ralistes ou spécialistes d’un domaine, d’une
technique de diagnostic ou de soin particu-
liers. Tous sont reconnus par le groupe social
comme étant dotés d’un pouvoir spécial leur
permettant d’agir sur le malade et son entou-
rage, et de communiquer avec les forces surna-
turelles capables de restituer la santé.
Issue d’un héritage millénaire, la médecine
traditionnelle mexicaine reste toujours très
employée dans les communautés indigènes
et connaît depuis quelques années un regain
d’intérêt de la part de la population en géné-
ral. Offrant une alternative intéressante à la
médecine conventionnelle par son approche
préventive, intégrale et naturelle de la santé,
elle semble encore avoir de beaux jours devant
elle
■
❯ Laurène Fallevoz.
Diplômée de Sociologie
à l’université François-
Rabelais de Tours et de
Naturopathie au CENA,
elle a complété sa double
formation par un diplôme
universitaire en Conseil
et information en phyto-aromathérapie
de la faculté de médecine Paris-XIII, ainsi
qu’en médecine traditionnelle mexicaine à
l’université Chapingo de Mexico. Organise
des événements comme un séjour dans
une communauté indigène du Mexique
pour découvrir la médecine traditionnelle
ou la venue en France de Don Joaquín pour
des conférences et soins.
❯ Contact
Témoignage
de Don Joaquín,
curandero mixtèque
« J’ai appris la médecine traditionnelle
par ma grand-mère qui était "guérisseuse"
dans notre communauté. J’ai commencé à
pratiquer à 17 ans, sans vraiment aimer
car les gens nous appelaient les brujos
(les "sorciers"). Au fil du temps, je me
suis mis à apprécier mon activité, tout
en l’enrichissant auprès d’autres curande-
ros. Au début, j’échangeais mes services
contre de la nourriture. Puis, j’ai ouvert un
centre de santé et il a fallu couvrir les frais
d’entretien.
La maladie est le passage d’un état
"chaud", "froid" ou "tempéré" à un autre.
Cela crée des désordres corporels et émo-
tionnels. Je diagnostique en prenant le
pouls ou à travers la lecture d’une bougie,
d’un œuf, de l’eau, des grains de maïs, des
cartes…
En fonction du mal, je peux utiliser
la limpia, les plantes, les massages, les
offrandes ou appuyer sur les points éner-
gétiques du cou pour réintégrer l’esprit
dans le corps lorsque celui-ci tend à sortir.
Dans ce cas, la personne perd conscience
et je voyage avec elle pour comprendre son
problème et le régler.»
Don Joaquín faisant un diagnostic à partir de
l’eau.