ANALYSE Article no 11.03.04 Mots-clés : financement axé sur les patients, amélioration de l’efficience, responsabiliser, autonomie, spécialisation. L’évolution des mécanismes de financement est motivée par la volonté d’améliorer la performance des services au bénéfice de tous. Lien entre financement à l’activité et amélioration de l’efficience Lors du budget 2015-2016, le gouvernement du Québec s’est engagé dans une réforme du système de santé en trois volets. Les deux premiers avaient pour objectifs de simplifier les structures et améliorer l’accès aux services. Ce sont le projet de loi 10 et le projet de loi 20, tous les deux adoptés. Le troisième, le projet de loi 30, a pour objectif d’améliorer l’efficience du système. Le gouvernement compte y parvenir en adoptant un mécanisme de financement axé sur les patients (FPP). Le réseau est donc à la veille de voir son financement complètement bouleversé. Pour les acteurs du réseau, c’est-à-dire les établissements et les cliniciens (les prestataires), le FPP apparait éloigné de leurs préoccupations. Ils souhaitent avant tout offrir des services de qualité à leurs patients. Les professionnels souhaitent y arriver en s’épanouissant professionnellement et les établissements en respectant leurs engagements. Or, l’environnement, de plus en plus complexe, et la réforme récente des structures, avec la création des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et des centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS), et le resserrement des budgets rendent cette perspective inquiétante. Le financement par patient a pourtant le potentiel de fournir un moyen aux prestataires d’atteindre leurs objectifs tout en améliorant la valeur des services aux citoyens et au reste de la population. Le meilleur moyen de contrôler les couts est d’améliorer la qualité des services. Or, offrir de bons services aux patients est justement ce qui motive les prestataires. Seulement, le lien entre améliorer la qualité des services et le financement par patient n’est pas évident à première vue. JOANNE CASTONGUAY Vice-présidente adjointe CIRANO Professeure associée Pôle santé HEC Montréal Cet article tente d’expliquer comment le FPP peut conduire à l’amélioration de l’efficience et de la qualité des services de santé (la valeur). Il présente aussi les conditions qui doivent être rassemblées pour observer cette amélioration. L’évolution des mécanismes de financement est motivée par la volonté d’améliorer la performance des services au bénéfice de tous. /// 10 Le Point en santé et services sociaux • Vol. 11, no 3 Le financement par budget Traditionnellement, les systèmes de santé intégrés et universels avaient recours au financement des organisations par subvention globale ou par budget. Cette méthode était généralement utilisée pour sa simplicité. Dans les hôpitaux, l’information sur les activités et sur les couts engendrés n’étant pas disponible, le système par budget était donc la solution pratique. Par ailleurs, les établissements de santé québécois ont opté pour une comptabilité de caisse, c’està-dire que les dépenses sont enregistrées au moment de la sortie des fonds et non réparties sur l’ensemble de la vie utile des équipements acquis ou des investissements réalisés. Cette pratique, encore généralisée au Québec, ne stimule en rien l’innovation et l’amélioration puisque les investissements à long terme sont imputés au même exercice, plombant ainsi la performance budgétaire de l’année courante. Parallèlement, l’approche par budget ne favorise pas la collaboration transversale, car les bénéfices d’un investissement consenti dans un périmètre comptable ne se feront pas nécessairement sentir dans le même département. En conséquence, celui qui paie n’est pas celui qui récolte les fruits. Il y a donc peu d’incitatifs structurels à collaborer et à gérer l’efficacité des processus transversaux auxquels ils participent conjointement. Outre la facilité d’administration du financement par budget, le principal avantage de cette méthode est qu’il s’agit d’une excellente façon de contrôler les couts. Cependant, elle limite la capacité des établissements à évaluer et gérer leur propre efficacité et efficience. Puisque les établissements sont rémunérés pour fournir des services, dans les limites de leur budget et non pour maximiser l’efficacité de leurs interventions, les gestionnaires sont historiquement peu outillés pour comprendre le cout complet lié aux services qu'ils offrent. Le manque d'information oblige les gestionnaires à entreprendre des mesures de réduction des couts sans connaitre les impacts de leurs décisions. Ce qui peut engendrer des couts élevés à long terme. Ce besoin a motivé le développement des systèmes de classification de l’activité et ensuite celui des budgets prospectifs basés sur les groupes de diagnostics connexes (GDC), soit des budgets déterminés à partir de la combinaison de cas historiques. Par la suite, l’évolution des systèmes de classification et d’information a permis l’évolution vers des mécanismes de financement à l’activité. • Le financement à l’acte (FàA), la forme la plus simple de financement à l’activité, est une méthode de paiement selon laquelle les hôpitaux sont remboursés pour chaque acte effectué. Un épisode de soins hospitalier génère une quantité d’actes, dont les actes diagnostics (tests de laboratoire, radiographies, chirurgies, …), les services médicaux (du médecin) et les services infirmiers (souvent rémunérés par jour d’hospitalisation). Le paiement à l’acte est associé à chaque acte sans considération pour l’ensemble des actes effectués dans le cadre de l’épisode de soins ou des besoins du patient. • Le financement par cas (FPC), aussi appelé financement par épisode de soins, finance l’ensemble des services et fournitures requis dans le cadre d’un épisode de soins, soit du début d’une hospitalisation jusqu’à la sortie du patient de l’hôpital. Il responsabilise l’hôpital pour l’ensemble des couts engendrés par une hospitalisation donnée. Les tarifs sont soit établis par le payeur et sont liés aux couts attendus par ce dernier pour les services offerts, soit négociés entre le payeur et le prestataire. Le groupe d’experts sur le Financement par Patient (FPP) (Gouvernement du Québec, 2014) a choisi ce vocable pour désigner le financement par cas, en tenant compte de la diversité des besoins selon les clientèles et de la nécessité de développer des mécanismes de financement qui couvrent l’ensemble des services (primaire, secondaire ou tertiaire) requis par la condition d’un patient, qu’il souffre d’une condition aigüe ou chronique. Le FPP se distingue du FPC en ce sens qu’il couvre tous les services requis par la condition du patient, que ceux-ci soient offerts par le secteur primaire, secondaire ou tertiaire. • Le financement basé sur les évidences — Ce type de financement a pour objet d’améliorer la qualité en influençant les pratiques pour qu’elles respectent les évidences. Les tarifs sont établis en fonction du cout lié aux ressources utilisées lorsque les meilleures pratiques sont appliquées. Le terme financement à l’activité est souvent utilisé pour désigner l’une ou l’autre de ces méthodes de financement sans distinction. Ce qui crée beaucoup de confusion. Par ailleurs, bien qu’elles soient différentes les unes des autres, tant du point de vue de ce qui est remboursé que des objectifs poursuivis, elles sont toutes tributaires de la sophistication des systèmes de classification et de tarification en place. QUELQUES DÉFINITIONS Le financement à l’activité (FAA) permet d’établir un lien étroit entre les services fournis et les ressources utilisées. Le financement à l’activité est un terme générique pour définir une enveloppe de financement accordée en contrepartie d’un service prédéfini, ce qui permet d’établir un lien plus étroit avec les ressources utilisées. On observe trois méthodes de financement à l’activité, qui sont essentiellement une évolution des mécanismes pour mieux répondre aux différents besoins des systèmes : Le Point en santé et services sociaux • Vol. 11, no 3 /// 11 L’élément clé de l’amélioration de l’efficience n’est pas tant le FAA que les systèmes d’information qui appuient le développement des mécanismes de financement. Si le FAA tend à améliorer l’efficience, c’est qu’il encourage le développement de systèmes d’information et de classification des patients pour mieux appuyer la prise de décision. Plus l’information est transparente plus son impact est étendu. Les systèmes de classification à l’activité pour agir là où il faut Les systèmes de classification des activités par GDC permettent de suivre le nombre, la nature des activités et l’utilisation des ressources d’un ou des établissements. La tarification de l'activité repose sur la sophistication du système de classification. À l’origine, les systèmes de classification ont été développés pour évaluer et comparer les activités des hôpitaux et leur utilisation des ressources. Ce n’est que par la suite qu’ils ont été utilisés pour appuyer le financement des hôpitaux et que les tarifs associés à chaque activité ont été mis en place. Là où le financement à l’activité est implanté, les systèmes d’information (classification des activités) ont été initialement développés au niveau central des gouvernements (ou payeurs) pour améliorer l’allocation des ressources et influencer la productivité des hôpitaux. Par la suite, à mesure que les pressions se sont exercées sur les prestataires, ils se sont dotés eux-mêmes de systèmes d’information sur leurs activités et utilisation des ressources (couts) pour améliorer leur gestion et soutenir leur processus de négociation avec le payeur. Le développement des systèmes d’information locaux n’est cependant pas généralisé (Busse, 2009). Évidemment, il y a des exceptions. Au Québec, 26 établissements se sont dotés d’un système d’information qui leur permet de comprendre leurs activités et les couts qu’elles engendrent (couts par cas). Il serait intéressant d’évaluer la performance de ces établissements pour savoir s’ils sont plus performants que leurs pairs. Les opportunités d’amélioration associées au FAA sont nombreuses, notamment celle d’améliorer la compréhension des sources d’efficacité et d’efficience et d’inciter les prestataires à se responsabiliser par rapport aux résultats de leur organisation. Les systèmes d'information sur les patients traités et la gravité de leurs cas donnent la possibilité aux cliniciens et aux gestionnaires de mieux se comprendre pour discuter des interventions médicales et des ressources financières disponibles pour les réaliser. Ils peuvent dorénavant comprendre l'évolution des activités, les lier à leur cout et aux résultats cliniques obtenus et se comparer entre eux. Cette connaissance est non seulement essentielle à l'amélioration des résultats et à l’identification des meilleures pratiques, mais en plus elle incite à les adopter. Si le FAA est implanté en donnant la possibilité aux établissements de réinvestir les marges bénéficiaires dégagées, c'est un moyen d’orienter les interventions des gestionnaires sur la /// 12 Le Point en santé et services sociaux • Vol. 11, no 3 maximisation du rendement plutôt que sur la minimisation des couts. Cette perspective combinée avec un accroissement de leur autonomie est une source de motivation pour les gestionnaires du système (Zimmerman, 2003). Les hôpitaux financés à l’activité ont un incitatif à se spécialiser dans les domaines où ils excellent et ainsi améliorer leur rendement (IRDES, 2008; Snowden et al., 1997; Sutherland, 2011). La spécialisation bénéficie à la fois aux patients, aux hôpitaux et au gouvernement, puisque lorsque les volumes d’activités augmentent et que les couts fixes diminuent, il est plus facile de justifier l’acquisition d’équipements à la fine pointe des technologies. La spécialisation a aussi pour effet d’améliorer la qualité des interventions. En d’autres mots, la spécialisation offre un potentiel important d'amélioration de l’efficience. Le financement à l’acte : un passage obligé vers le développement des services primaires et l’intégration des services de santé Le besoin de déplacer les activités à l’extérieur des hôpitaux et d’organiser les services de santé en une offre intégrée ne fait plus l’objet de débat au Québec. Les groupes d’experts et commissions publiques sur l'amélioration de l'accès et sur la soutenabilité du financement du système, mandatés au cours des 15 dernières années par le gouvernement, ont fait valoir l'importance de ces stratégies. Le Québec a d’ailleurs adopté bon nombre des recommandations de ces commissions en ce sens. L'ennui, c'est que plusieurs d’entre elles n’ont pas encore été implantées. L'intégration des services et le développement des services ambulatoires sont tributaires du développement des incitatifs financiers, des systèmes d’information clinique accessibles par tous les prestataires, de la disponibilité de données comparatives sur les couts et du travail en équipes multidisciplinaires (Shortell, 2000). Les mécanismes de financement sont un des moyens pouvant conduire les parties prenantes à adopter les comportements en lien avec les objectifs du système de santé, notamment celui d’offrir des services intégrés de santé. De ce fait, si les mécanismes de financement ne sont pas alignés avec cet objectif, ils lui font obstacle. C'est ce qui se produit au Québec. Les enveloppes budgétaires sont allouées par budget par grandes catégories : pour les services hospitaliers, pour les services médicaux (incluant les frais d'opération des cliniques médicales) et pour les médicaments. Or, ces enveloppes sont octroyées pour offrir des services de santé et non pour équiper les établissements de systèmes d'information qui assurent la coordination entre ces programmes ou pour soutenir la collaboration entre les prestataires. La réalisation de ces activités est non seulement conditionnelle à la démonstration qu'octroyer une partie des budgets à ces activités améliorerait la performance du système (il faut les données sur les couts et les résultats par cas pour ça), mais aussi à la flexibilité de redistribuer les fonds au sein du système de santé. Or, de nombreux intérêts font obstacles à la redistribution de fonds. La disponibilité de données comparatives et transparentes sur les couts-activités-résultats est une première condition pour franchir ces obstacles. Le financement à l'activité offre beaucoup d'avantages, mais il doit être implanté avec certaines balises pour éviter les dérapages. En effet, mal implanté, les désavantages du FAA risquent de supplanter les avantages. Un outil puissant à implanter avec discernement Le FAA a été développé pour inciter les établissements à accroitre le volume de leurs activités et ainsi améliorer l'accès aux services de santé. C'est généralement ce qui est observé là où il a été implanté (Sutherland, 2011). L'accès tend à s'améliorer pour les services dont les rendements sont plus élevés. On observe également une diminution des durées de séjours et une augmentation des budgets totaux et/ou des activités posthospitalières. Pour préserver la qualité des services et éviter les congés hâtifs, il faut s’assurer que les services soient maintenus jusqu’au rétablissement complet du patient. Les juridictions qui ne financent pas les réhospitalisations ont maintenu la qualité des services. Pour mieux contrôler la croissance des couts totaux, des juridictions ont imposé une croissance maximale des budgets par établissement, par exemple comparable à la croissance du PIB. D’autres le font en diminuant les tarifs au-delà d’un certain niveau d’activités (Castonguay, 2013). Pour éviter que les activités dont les marges sont plus élevées soient priorisées, la détermination des tarifs doit être appuyée par une bonne connaissance des couts. En plus, le FAA a avantage à être établi à toutes les activités des établissements. Il est préférable d’appliquer le FAA à un pourcentage de toutes les activités qu’à 100 % d’une part des activités. Cette stratégie évite le déplacement des activités vers celles qui ont le potentiel d’être plus rentables. C’est ce qui s’est passé au Québec lorsqu’on a introduit le FAA pour trois types de chirurgies en 2004. Pour accroitre les fonds dont ils disposaient, certains établissements ont augmenté leurs activités pour ce type de chirurgie au détriment des autres activités. Pour éviter ce type de dérapage, le Danemark, par exemple, a implanté le FAA à 10 % de toutes les activités hospitalières la première année. Il a ensuite augmenté cette proportion à 20 %, puis à 30 % et ainsi de suite. alors que d'autres le verront diminuer. Encore une fois, l'information sur la condition des patients, les services offerts et les ressources utilisées permet d'identifier les causes liées aux différences de couts. Elles peuvent être liées à la clientèle, à des inefficiences de certains services ou de certains cliniciens ou simplement à l'achalandage. Sans cette connaissance, il est difficile d'intervenir pour améliorer la qualité de la prestation et optimiser l'utilisation des ressources rares. La transformation des mécanismes de financement exige temps et investissements. Un long chemin à parcourir L’implantation du FAA ne s'effectue pas sans soutien à l'amélioration - ressources, formation et information - (Castonguay, 2013). D'autres juridictions ont attendu jusqu'à six ans avant d'observer une amélioration des résultats : six ans au Royaume Uni, cinq ans en Allemagne et plus de quatre ans en France (Sutherland, 2011). Les délais dépendent de l’environnement de départ. Le financement par patient est une excellente opportunité pour tous d’atteindre ses objectifs, puisqu’il va inciter à améliorer les systèmes d’information sur les activités des établissements. À leur tour, les systèmes d’information vont permettre aux gestionnaires de mieux gérer et tous en bénéficieront. L’implantation du FAA, en l’occurrence le FPP, et le développement des systèmes d’information sur les activités sont une étape essentielle, non seulement à l’amélioration de l’efficience du système de santé, mais aussi au développement des soins primaires et à l’intégration des services. Le FPP n’est toutefois pas un remède miracle et son développement exigera du temps et des investissements. /// Références bibliographiques GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (2014). Rapport du groupe d’experts pour un financement axé sur les patients - http://www.groupes.finances.gouv.qc.ca/ santefinancementactivite/wp-content/uploads/2014/02/Rapport-Financ-axe-patients-19fev14.pdf BUSSE, R., GEISSLER, A. & SCHELLER-KREINSEN, D. (2009). “The ABC of DRGs”. Euro Observer, Vol. 11, no. 4. CASTONGUAY, J. (2013). Analyse comparative des mécanismes de financement des hôpitaux, CIRANO. Plusieurs juridictions appliquent des tarifs différents pour des patients complexes (langue, pauvreté, littératie ou maladies) ou maintiennent le financement par budget pour cette clientèle. Ils évitent ainsi qu’elles soient délaissées. COM-RUELLE, L., ZEYNEP, O., RENAUD, T. (2008).The Volume-Outcome relationship in Hospitals, lessons from the literature, IRDES. Finalement, le développement des données, transparentes et facilement accessibles, sur les couts et l’utilisation des ressources par patient, améliore le contrôle des budgets de santé. La transparence de l’information incite à l’amélioration de la performance, à limiter la surcodification des cas en plus de soutenir la vérification. SOWDEN, A., VASSILIS, A., PLACE, M., RICE, N., EASTWOOD, A., GRILLI, R., FERGUSON, B., POSNETT, J., SHELDON, T. (1997). ''Volume of clinical activity in hospitals and healthcare outcomes, costs, and patient access''. Quality and safety in Health Care, NHS. L'implantation d’un système de FAA doit être poursuivie avec constance et appuyé par les ressources nécessaires. Au départ, certains établissements verront leur budget augmenter ZIMMERMAN, J.L. (2003). “Organisational architecture”, chapter 4 in Accounting for decision-making and control, 4th edition, Irwin/McGraw-Hill publishing company. SHORTELL, S. A. (2000). Remaking Healthcare in America. Jossey-Bass Health Care series, second edition. SUTHERLAND, Jason (2011). Hospital payment mechanisms: An overview and options for Canada. Canadian Health Services Research Foundation Series on Cost Drivers and Health System Efficiency: Paper 4, CHSRF, March. Le Point en santé et services sociaux • Vol. 11, no 3 /// 13