Cancer : Comment soulager et prévenir la douleur ? Jeudi 1er mars 2012, ERI CHU de Nîmes Durée : 2h Intervenants : - Dr Olivier BREDEAU, Centre d'évaluation et de traitement de la douleur, CHU de Nîmes. - Laure SEGURA, infirmière référente douleur, Centre d'évaluation et de traitement de la douleur, CHU de Nîmes. - Modérateur : Anne GRANGEON, psychologue en onco-hématologie au CHU de Nîmes. - Coordination : Marion GAIDAN, animatrice ERI territorial Gard. Participants : 8 5 patients 2 proches 1 professionnel Objectif de la rencontre-débat Cette rencontre-débat a pour objectif de répondre aux interrogations des patients soignés pour un cancer et de leurs proches sur les traitements antidouleur. Quels sont les traitements proposés aux malades? Quels sont leurs effets ? Comment sont-ils choisis ? La rencontre-débat initiée par HELPP, se déroule à l'Espace de Rencontres et d'Information, dans un cadre convivial et "intimiste" pour permettre aux participants d'échanger en petit nombre (15 personnes maximum par rencontre). La rencontre-débat est ainsi matière à médiation, à rencontre, entre patients, proches et professionnels en dehors des services de soins. Déroulé de la rencontre-débat Après avoir présenté le thème de la rencontre-débat et les intervenants, Anne GRANGEON, modératrice, donne la parole au Dr Olivier BREDEAU du Centre d'évaluation et de traitement de la douleur au CHU de Nîmes. 1 Compte rendu de la rencontre-débat : Cancer : Comment soulager et prévenir la douleur ? 01/03/2012 - ERI CHU de Nîmes Compte-rendu des échanges : Ce service, spécialisé dans la prise en charge des douleurs rebelles et/ou chroniques dispose d'une unité de consultation et d'une équipe mobile qui se déplace dans les services de soins du CHU de Nîmes. Ces experts de la douleur interviennent sur demande ou prescription du médecin référent du malade lorsque ce dernier considère que la douleur nécessite une prise en charge particulière, du ressort du Centre d'Evaluation et de traitement de la douleur. Le patient ou son entourage peut également demander à rencontrer ces spécialistes de la douleur, il est demandé d'en référer à son médecin pour veiller à la bonne coordination des soins. Nous verrons au cours de cette rencontre que la prise en charge de la douleur s'effectue en plusieurs étapes, au cours desquelles l'évaluation et la réévaluation de la douleur jouent un rôle important dans le choix des thérapeutiques. Les experts douleurs interviennent en dernier recours, lorsque les traitements antidouleur standard administrés au patient par son médecin référent s'avèrent inefficaces pour soulager sa douleur et nécessitent une meilleure adaptation. "Sous combien de temps le Centre d'évaluation et de traitement de la douleur intervient-il dans les services ?" Nous essayons de travailler au plus près des services afin d'apporter une réponse adaptée sous 48 heures maximum. "Comment cela se passe quand le patient est hospitalisé à domicile ?" Dans ce type de cas, c'est le médecin généraliste qui nous contacte par téléphone pour demander un avis. Le relais s'effectue aussi via les Réseaux de ville de Soins palliatifs qui dispose d'une équipe pluridisciplinaire (médecin, infirmière, psychologue, assistante sociale) qui aide le médecin généraliste à prendre en charge la douleur du patient à domicile. Un temps d'hospitalisation est parfois nécessaire pour cadrer "le plan de vol du patient douloureux". Un proche parle de la difficulté d'accéder aux experts douleurs. "Quand on ne trouve pas, on dit que c'est psychosomatique !" Côté patient, il est important de parler avec les soignants de la douleur ressentie, de la mettre en mots afin d'évaluer son intensité, sa fréquence. A quel moment survient la douleur? Quelles parties du corps sont-elles douloureuses? La douleur est-elle moins importante avec ce nouveau traitement? Si oui, dans quelle mesure? Ce sont tous ces éléments d'information qui permettront aux soignants de mieux comprendre votre douleur et d'adapter le traitement pour le rendre plus efficace. 2 Compte rendu de la rencontre-débat : Cancer : Comment soulager et prévenir la douleur ? 01/03/2012 - ERI CHU de Nîmes Même si la douleur est souvent un révélateur de la maladie et du cancer, le Dr BREDEAU tient à souligner que tous les patients soignés pour un cancer ne sont pas douloureux. On chiffre à 40% le taux de patients déclarant une douleur. Ce taux augmente dans les cas où une guérison n'est pas envisageable: 80%. Cependant, il existe aujourd'hui une grande variété de médicaments à proposer à ces patients pour les soulager. Emotions et représentations de la douleur La douleur est le résultat d'une sensation perçue comme désagréable associée à des émotions. On ne peut pas dissocier la douleur des émotions. On voit bien comment son intensité, sa durée peuvent modifier le caractère, le comportement, l'humeur de la personne qui souffre et ce d'autant plus, si la douleur n'est pas prise en compte, si elle est niée. De même, la douleur est perçue différemment par chacun, selon son histoire de vie, selon ses représentations. Ainsi, le soignant va écouter votre douleur à travers sa propre expérience. Le professionnel n'est pas fait de bois ou de plomb mais de ressentis. On se rend compte que la prise en compte de la douleur est souvent différente en fonction du professionnel: Ainsi, on dit qu'une aide soignante entendra plus votre douleur, qu'une infirmière, qui l'entendra plus qu'un médecin, qui l'entendra plus qu'un médecin des urgences. Pourquoi? Pour chacun de ces professionnels le temps passé au contact d'une personne en souffrance est différent. De ce fait l'écoute de cette souffrance est différente. Trois attitudes majeures peuvent apparaître de la part du corps médical: - La première est de banaliser, de minimiser la douleur "c'est normal, ça va passer, il vous faut vivre avec". En ne donnant pas de vraie réponse, le médecin évite de se mettre en défaut vis à vis de la réponse attendue par le patient. - La seconde attitude est de renvoyer la demande de plainte du patient, de ne pas la reconnaître : "c'est votre faute, c'est dans votre tête". Autrement dit "l'attaque est meilleure que la défense". - La troisième est la fuite. Elle peut se traduire par le fait de donner une ordonnance comme toute réponse, souvent inadaptée à une plainte mal écoutée et donc mal entendue. La qualité de la prise en charge de la douleur dépend donc en majeure partie de la qualité d'écoute du praticien. Ecouter le patient sans banaliser, minimiser ou nier sa douleur. La douleur nécessite un temps de mise en perspective, c'est-à-dire que l'on doit en exposer toutes les dimensions (organiques, émotionnelles, temporelles), en préciser le contexte, pour être dans "la juste écoute". 3 Compte rendu de la rencontre-débat : Cancer : Comment soulager et prévenir la douleur ? 01/03/2012 - ERI CHU de Nîmes Parallèlement, les traitements antidouleurs prescrits doivent s'accompagner d'explications : pourquoi ces médicaments et pas d'autres, quels résultats attendus? Sous combien de temps? Actuellement, moins de 50% des prescriptions sont suivies jusqu'au bout par les patients. Des patients, qui n'ayant pas reçues et/ou entendus toutes les explications, préféreront suivre les conseils du voisin, d'Internet, … "Cette dimension, cette "juste écoute" est-elle intégrée dans l'enseignement de la médecine? " C'est difficile à enseigner parce que cela contient autant un savoir faire qu'un savoir être. L'apprentissage de ce savoir-être passera par le compagnonnage. Les "anciens" ayant le devoir de le transmettre aux jeunes générations. Les sciences humaines sont de plus en plus introduites dans les enseignements des médecins. L'évaluation de la douleur Tout patient hospitalisé doit être évalué pour sa douleur au moins une fois à son entrée dans le service de soins. Le soignant a le devoir de rechercher toute possible douleur, rarement évoquée d'emblée par le patient. Sans cette évaluation, près de 40% des patients douloureux sont oubliés. Le plan de lutte contre la douleur initié par Bernard Kouchner1 annonçait "Zéro douleur" pour les patients. C'est faux. Le niveau zéro douleur n'existe pas, mais 100% des patients douloureux doivent être entendus et évalués. Aujourd'hui, 75% des patients sont évalués au CHU de Nîmes. Pour atteindre les 100 %, le CHU s'est engagé dans un programme de formation sur la prise en charge de la douleur. L'objectif étant que chaque service de soins dispose d'un référent douleur chargé de la mise en œuvre du diagnostic douleur des patients. Laure SEGURA, infirmière douleur du Centre d'évaluation et de traitement de la douleur pilote cette formation. " Il faut se poser à côté du patient, manifester de l'empathie". " Cette échelle de la douleur de 1 à 10. C'est dur de savoir, 10 c'est quoi ? 5 c'est quoi ? L'évaluation de la douleur ne s'arrête pas à cette échelle. Le chiffre en luimême n'a pas beaucoup d'importance. Ce qui importe c'est de voir si ce qu'on a mis en œuvre va diminuer votre ressenti. C'est un indicateur propre à chaque personne. "Ce n'est pas expliqué au malade, et même on peut penser : si je dis 8, on va me donner un médoc plus fort". 1 Ancien ministre de la Santé, du 5 avril 1992 au 30 mars 1993. 4 Compte rendu de la rencontre-débat : Cancer : Comment soulager et prévenir la douleur ? 01/03/2012 - ERI CHU de Nîmes Ne pas laisser la douleur s'installer Les personnes soignées pour un cancer voient beaucoup de médecins, de soignants défiler dans leur chambre, ils peuvent ressentir un ras le bol de cet univers médicalisé et vouloir limiter la prise de médicaments. De même certains patients, pour des raisons parfois culturelles, n'expriment pas leur douleur : "si je souffre, je guéris". Or, on sait que ce n'est pas vrai. Si on laisse la douleur s'installer, cela peut entrainer des risques d'infection, altérer le sommeil, le moral et la motivation à suivre les traitements. "On y connait rien, on fait confiance, la douleur on l'accepte de fait". "La douleur, on a pas le choix, c'est normal. C'est comme ça point final. On va pas discuter le protocole, c'est pour guérir". Ce sont des propositions thérapeutiques qui vous sont faites. Vous pouvez toujours demander un second avis. Les protocoles sont faits de la même manière au niveau national, par contre, les propositions peuvent être différentes en fonction du plateau technique disponible ou non au sein de l'établissement de soins. On ne fait plus de la médecine paternaliste mais contractuelle. On vous doit de … je vous propose ce traitement …on voit si ça marche … où on fait d'autres propositions. Les douleurs résiduelles et chroniques Les douleurs que nous appelons "chroniques" sont les douleurs qui persistent dans le temps, après la rémission. Elles sont encore mal prises en compte et minimisées par beaucoup de médecins. Elles sont vécues par la personne malade comme une double peine qui vient s'ajouter à la maladie. Par protection, certains oncologues en parlent peu. Au cours de la consultation d'annonce, le médecin parle du traitement mais peu de ses conséquences. Cela est repris dans un second temps par l'infirmière. Il ne faut pas laisser les gens dans la question du vide. "Il faut être équilibré, avoir la tête froide à tout ça. Moralement c'est important pour le patient de ne pas se sentir abandonné". "On est bien accompagné en temps réel. Mais pour les douleurs à retardement … Après la chimio, la radiothérapie, à chaque fois c'est des pages qu'on tourne. Alors on a peut-être plus de mal à supporter ces douleurs qu'on supportait avant, au moment des traitements. C'est dans ces "phases post" que la douleur est la plus difficile à supporter et qu'on se sent seule". 5 Compte rendu de la rencontre-débat : Cancer : Comment soulager et prévenir la douleur ? 01/03/2012 - ERI CHU de Nîmes "On m'a pas dit, où j'ai pas entendu ? Parce que c'est vrai qu'on entend pas tout." Quand nous souffrons, notre organisme sécrète de l'endomorphine pour soulager la douleur. Mais quand on est malade les trois phases qui permettent cette sécrétion sont souvent altérées : - un sommeil réparateur - des efforts intenses et prolongés, comme l'activité physique - l'activité sexuelle De plus, nous mémorisons les phénomènes douloureux. Un médecin anesthésiste américain, et juif, le détail à son importance, a conduit une étude sur le sujet. Il a suivi jusqu'à leur 18 ans, deux groupes de jeunes garçons ayant été circoncis en bas âge. Les garçons du premier groupe ont été circoncis selon la tradition, sans anesthésie tandis que les garçons du second groupe ont bénéficié d'une anesthésie. Il apparaît que les individus n'ayant pas bénéficié d'anesthésie lors de leur circoncision sont davantage sensibles à la douleur : au moment des vaccinations, de fractures, … Cette étude montre que la mémorisation de la douleur se fait dès la naissance. D'autres travaux nous ont enseigné que les sensations douloureuses ou agréables sont reconnues par l'enfant in utero dès le troisième trimestre. Une autre étude du neurologue et psychiatre français Boris CYRULNIK renforce cette théorie. L'étude porte sur des bébés singes jumeaux monozygotes2 : un bébé singe est élevé par sa mère, tandis que l'autre grandi sans sa mère et son affection. Le chercheur compare la sensibilité à la douleur chez les deux singes élevés avec ou sans la présence de leur mère. Il apparaît que le singe qui a été séparé de sa mère à la naissance, qui n'a pas été réconforté par l'affection maternelle au moment des petits "bobos", est plus sensible à la douleur que son frère jumeau porteur des mêmes gènes qui est resté avec la mère. Ces deux études montrent bien que la douleur, la sensation douloureuse varie d'un individu à l'autre en fonction de multiples facteurs liés à l'histoire et au vécu de chacun. 2 Les jumeaux monozygotes (univitellins, « vrais », « identiques ») proviennent de la division d'un œuf fécondé unique au départ. Ils partagent le même placenta. 6 Compte rendu de la rencontre-débat : Cancer : Comment soulager et prévenir la douleur ? 01/03/2012 - ERI CHU de Nîmes Tourner la page de la douleur Il faut parvenir à "déposer ses douleurs" pour tourner la page. Tourner la page de la douleur, c'est tourner la page de la maladie et revenir dans le monde des biens portants. Cela peut être difficile quand on a eu des traitements longs et difficiles. "Pour moi, la douleur était due à la maladie et pas aux traitements". "On se sent différent. Je ne suis plus comme avant, je n'aime plus comme avant et ça se ressent dans le regard des autres. Ces douleurs résiduelles ne sont pas comparables avec le cancer mais elles sont difficiles à accepter. Même si c'est déjà bien d'être vivant, la maladie aide à relativiser." Ce n'est plus comme avant, mais vous avez aussi acquis certaines choses. Sur certains points, on peut se sentir amoindris mais sur d'autres grandis. "J'entends toujours qu'il faut faire de l'activité physique mais depuis que je suis traité, j'ai très mal aux pieds et je ne peux plus marcher comme avant" L'activité physique, ça peut aussi être du Qi Gong3, de la balnéothérapie. Il ya plusieurs alternatives intéressantes. La mission du médecin est de prendre votre stress et de vous rendre de la confiance. La capacité d'être optimiste, on peut la posséder de par son caractère et aussi par accompagnement. L'optimiste est accompagné, il est rarement seul. Hors la maladie isole. L'optimiste se dit "on ne peut qu'aller mieux demain". Il faut entendre ce "mieux" comme un mieux de sa qualité de vie et pas forcément comme un mieux physique. C'est "ne pas attendre que le pire arrive". Le médecin doit donner aux patients les moyens d'être optimiste, de tourner la page. "J'ai deux fois moins mal quand je travaille et que je suis occupée que quand je suis chez moi à y penser." "J'ai fait des séances d'hypnose au CHU et je ne me croyais pas capable de faire de l'autohypnose. C'est vrai que ça aide énormément." Quand vous pensez à autre chose que votre douleur, vous ne pensez plus à votre douleur. On ne peut pas penser deux choses en même temps. 3 Le qi gong, chi gong ou chi kung est une gymnastique traditionnelle chinoise et une science de la respiration, fondée sur la connaissance et la maîtrise de l'énergie vitale, et associant mouvements lents, exercices respiratoires et concentration.. Le terme signifie littéralement « exercice (gong) relatif au qi», ou « maîtrise de l'énergie vitale ». 7 Compte rendu de la rencontre-débat : Cancer : Comment soulager et prévenir la douleur ? 01/03/2012 - ERI CHU de Nîmes "Pour l'instant mon mari n'est pas douloureux, mais je suis venue aujourd'hui parce que j'avais besoin d'être rassurée, de savoir que la douleur de mon mari serait bien prise en compte". Il y a une évolution de la "culture douleur" dans l'établissement. Tous les jeunes internes sont sensibilisés à la douleur en cancérologie. La difficulté peut naître d'un manque de temps, d'une activité trop importante. Quand une journée est trop lourde, on est moins à l'écoute qu'on le voudrait. Hors aujourd'hui, on vit des moments difficiles. Un patient qui a amené un gâteau fait passer le plat "La cuisine, c'est un art que j'ai appris pendant la maladie. La maladie nous change mais il y a aussi du ciel bleu, d'autres fenêtres possibles. Ça ne vient pas tout de suite, il faut l'aide des autres, des psychologues. L'après est différent mais pas forcément moins bien qu'avant. On a parfois tendance à idéaliser le passé et à rendre plus gris l'avenir. Ce qui est important, c'est de pouvoir réinvestir quelque chose qui nous porte". Restitution : Marion GAIDAN- animatrice de l'ERI territorial Gard Relecture Dr Olivier BREDEAU et Laure SEGURA, CHU de Nîmes 8 Compte rendu de la rencontre-débat : Cancer : Comment soulager et prévenir la douleur ? 01/03/2012 - ERI CHU de Nîmes