' UNIVERSITE DE NANTES UNITÉ DE FORMATION ET DE RECHERCHE D'ODONTOLOGIE -------- Année : 2013 N° : 053 EVALUATION DE LA DOULEUR OROFACIALE CHEZ LE PATIENT POLYHANDICAPE -------- THÈSE POUR LE DIPLOME D’ÉTAT DE DOCTEUR EN CHIRURGIE DENTAIRE présentée et soutenue publiquement par CANAC Marie Née le 27 juin 1987 à BRESSUIRE le 15 octobre 2013 devant le jury ci-dessous Président Monsieur le Professeur GIUMELLI Bernard Assesseur Monsieur le Docteur RENAUDIN Stéphane Assesseur Madame le Docteur HYON-ROY Isabelle Directeur de thèse : Madame le Docteur DAJEAN-TRUTAUD Sylvie Co-directrice de thèse : Madame le Docteur CASTELOT-ENKEL Bénédicte 1 Par délibération, en date du 6 décembre 1972, le Conseil de la Faculté de Chirurgie Dentaire a arrêté que les opinions émises dans les dissertations qui lui seront présentées doivent être considérées comme propres à leurs auteurs et qu'il n'entend leur donner aucune approbation, ni improbation. 2 REMERCIEMENTS Au Professeur GIUMELLI Bernard Professeur des Universités, Praticien hospitalier des Centres de soins, d’enseignement et de recherche dentaires, Docteur d’Etat en odontologie, Chef du département de prothèses, Pour avoir fait l’honneur de présider ma thèse, Pour votre sympathie et votre disponibilité, Avec tous mes remerciements et ma sincère reconnaissance. Au Docteur DAJEAN-TRUTAUD Sylvie Maître de Conférences des Universités, Praticien hospitalier des Centres de soins, d’enseignement et de recherche dentaires, Docteur de l’Université de Nantes, Chef du département de Pédodontie, Pour avoir fait l’honneur de diriger ma thèse, Pour votre disponibilité, votre accompagnement et votre engagement tout au long de la réalisation de cette thèse, et tout l’intérêt que vous y avez porté, Avec tous mes remerciements et ma sincère reconnaissance. 3 Au Docteur CASTELOT-ENKEL Bénédicte Maître de Conférences des Universités, Praticien hospitalier des Centres de soins, d’enseignement et de recherche dentaires, Département d’Odontologie Conservatrice et d’Endodontie, Pour avoir fait l’honneur de co-diriger ma thèse, Pour votre gentillesse et l’intérêt que vous y avez apporté, Avec tous mes remerciements et ma sincère reconnaissance. Au Docteur RENAUDIN Stéphane, Maître de Conférences des Universités, Praticien hospitalier des Centres de soins, d’enseignement et de recherches dentaires, Chef du département d’Orthopédie Dento-faciale, Pour avoir fait l’honneur de faire partie de mon jury de thèse, Avec tous mes remerciements et ma sincère reconnaissance. Au Docteur HYON-ROY Isabelle, Pour avoir fait l’honneur de faire partie de mon jury de thèse, Avec tous mes remerciements et ma sincère reconnaissance. 4 A mes parents, Gervais et Brigitte, pour votre soutien, votre aide, vos encouragements qui me permet d’exercer, aujourd’hui, le métier que je souhaite. A mon Chéri, Camille, pour ta patience, ton aide, ta présence. A ma sœur jumelle Pauline pour ses moments de rire, de détente durant mes périodes d’examen, et surtout pendant la p1. A mes amis « dentaires » : Cécile, Claire, Elise, Laetitia, Marie-Liesse, Marlène, pour toutes ses années d’études, d’amitiés, de rire et qu’elles continuent longtemps… Mais aussi A mes collaborateurs, Cécile, Claire, Louis-Marie, Sandrine, et à tous les membres du cabinet dentaire de Mauléon. A tous les autres amis de la promotion et d’ailleurs A l’ensemble des enseignants de la faculté Et à tous les autres que je ne cite pas ici mais que se reconnaîtront… 5 Table des matières : Introduction ……………………………………………………………………..……………………….. 9 Chapitre 1 : Le handicap et le polyhandicap 1-1) Définition du handicap et du polyhandicap 1-1-1 : le polyhandicap ……………………………………………………………………………………… 10 1-1-2 : le handicap ………………………………………………………………………………………..….. 12 1-2) Classification des handicaps ……………………………………………………………………………..… 12 1-3) Epidémiologie et étiologies des handicaps 1-3-1) Epidémiologie ………………………………………………………………………….……………….. 15 1-3-2) Etiologies ………………………………………………………………………………………………….. 16 1-4) Les difficultés de la prise en charge du patient polyhandicapé ………………….……….. 17 1-5) Les pathologies buccodentaires chez le patient polyhandicapé …………………..….…. 18 1-5-1) Les anomalies dentaires ……………………………………………………………….………….. 18 1-5-2) Les pathologies infectieuses …………………………………………………………………….. 19 1-5-3) Les pathologies fonctionnelles …………………………………………………………………. 20 1-5-4) Les pathologies traumatiques ………………………………………………………………….. 20 Chapitre 2 : La douleur 2-1) Définition ………………………………………………………………………………………………………………. 21 2-2) La douleur oro-faciale ……………………………………………………………………………………………. 22 2-3) Les spécificités d’expression de la douleur, notamment bucco-dentaire et oro-faciale, chez le patient polyhandicapé ………………………………………………………………………………………. 24 2-4) Pourquoi et comment évaluer la douleur oro-faciale ? ............................................ 25 2-4-1 : Pourquoi évaluer la douleur oro-faciale ? .....................……..…………………… 25 2-4-2 : Comment ? ................................................................................................. 26 2-4-2-1 : L’échelle visuelle analogique (EVA) …………………………..….. 26 2-4-2-2 : L’échelle numérique (EN) ………………………………………..….… 27 2-2-2-3 : L’échelle des visages ………….……………………………………….… 27 6 Chapitre 3 : Les outils d’évaluation de la douleur oro-faciale pour le polyhandicapé 3-1) Les différents outils : 3-1-1) Les échelles ……………………………………………………………………………………………… 28 3-1-1-1) Douleur Enfant San Salvadour (DESS) ………………………………………… 28 3-1-1-2) Echelle EDAAP: Expression Douleur Adulte Adolescent Polyhandicapé……………………………………….………………………………………………….………… 33 3-1-1-3) Echelle NCCPC-R: Non Communicating Children’s Pain ChecklistRevised ………………………………………………………………………………………………………….…… 37 3-1-1-4) Echelle NCAPC-R: Non Communicating Adult’s ChecklistRevised……………………………………………………..………………………………………………………… 39 3-1-1-5) Echelle Revised-FLACC: Face-Legs-Activity-Cry-Consolability Revised……………………………………………………..………………………………………………………… 40 3-1-1-6) Echelle PPP: Pediatric Pain Profil ……………….…………………………….… 43 3-1-1-7) Echelle PICIC: Pain Indicator for Communicatively Impaired Children…………………………………………………………………………….………………………………… 45 3-1-1-8) Echelle INRS: Individualized Numeric Rating Scale……………………… 45 3-1-2) Les paramètres physiologiques…………………………………………………….……..…… 46 3-1-3) Le rôle de l’entourage………………….…………………………………………………………… 46 3-2) Quelle(s) échelle(s) utiliser en odontologie ? ............................................................ 48 3-3) Validation statistique d’une grille d’évaluation. Exemple de l’EDAAP……………………… 50 Chapitre 4 : Les intérêts et limites de l’évaluation 4-1) Les intérêts ………………………………………………………………………………………………………….… 54 4-2) Les limites ……………………………………………………………………………………………………………… 54 Conclusion ………………………………………………………………………………….………………………..…… 57 Références bibliographiques ……………………………………………………………..………………… 58 7 INTRODUCTION La douleur est une expérience multifactorielle qui va entraîner des réponses, verbales et non verbales, de la part du patient. Mais comment faire pour la détecter et l’évaluer si le patient n’a pas les capacités d’exprimer ce qu’il ressent, de parler? La douleur chez le patient polyhandicapé a longtemps été sous-évaluée. Aujourd’hui, les professionnels de santé ne remettent pas en cause le fait que les personnes polyhandicapées ressentent la douleur, même s’il est difficile pour elles de l’exprimer, de par leurs difficultés voire impossibilités à communiquer verbalement. Le handicap hiérarchise les priorités des soins, de ce fait les problèmes dentaires sont souvent passés en second plan, et peuvent alors constituer un sur-handicap en augmentant les problèmes de santé. L’évaluation de la douleur est une notion très importante dans notre exercice professionnel et enseignée durant notre formation. Cependant, elle est souvent peu évoquée chez les patients polyhandicapés, ce qui rend notre exercice plus difficile lorsque nous sommes amenés à les soigner. Selon l’Association Dentaire Française, la « santé bucco-dentaire est un domaine où s’exprime l’une des plus fréquentes inégalités sociales pour les personnes handicapées ». On ne peut cependant pas, sous prétexte du handicap, laisser une partie de la population sans soins ! Cette thèse a alors différents objectifs qui sont les suivants : - Identifier les différents modes d’expression de la douleur oro-faciale chez le patient polyhandicapé. Répertorier les outils d’évaluation permettant d’évaluer la douleur oro-faciale chez ces patients. Reconnaître l’importance de l’entourage du patient polyhandicapé dans la détection et l’accompagnement de la douleur. La reconnaissance et l’évaluation de la douleur oro-faciale permet d’améliorer le confort, la qualité de vie des patients polyhandicapés. 8 Chapitre 1 : Le handicap et le polyhandicap 1-1) Définition du polyhandicap et du handicap 1-1-1) Le polyhandicap Le polyhandicap se définit comme un « Handicap grave à expressions multiples associant une déficience motrice et une déficience mentale sévère ou profonde, entraînant une restriction extrême de l’autonomie et des possibilités de perception, d’expression et de relation » (11). Cette définition fut par la suite complétée, notamment par certaines associations comme le Groupe Polyhandicap France, par : « Le polyhandicap est une situation de vie spécifique d’une personne présentant un dysfonctionnement cérébral précoce ou survenu en cours du développement, ayant pour conséquences de graves perturbations à expressions multiples et évolutives de l’efficience motrice, perceptive, cognitive, et de la construction des moyens de communication avec l’environnement, qui nécessite une aide humaine et technique proche, individualisée et continue. Il s’agit là d’une situation évolutive d’extrême vulnérabilité physique, psychique et sociale au cours de laquelle certaines de ces personnes peuvent présenter de manière transitoire ou durable des signes de la série autistique. La situation complexe de la personne polyhandicapée nécessite, pour son éducation et la mise en œuvre de son projet de vie, le recours à des techniques spécialisées pour le suivi médical, l’apprentissage des moyens de communication le développement des capacités d’éveil sensori-moteur et intellectuelles, l’ensemble concourant à l’exercice d’autonomie optimale » (33). Le terme polyhandicap est uniquement français. De nombreux termes sont utilisés dans les études, tels que « Infirmité motrice d’origine cérébrale » ou « cerebral palsy » pour les anglo-saxons (32). Le polyhandicap fait partie des handicaps neurologiques. Ce schéma permet de situer le polyhandicap parmi tous les termes utilisés. Dans un sens plus large, il s’apparente à « cerebral palsy ». Dans la « définition élargie », le polyhandicap n’a pas de limites d’âge et les étiologies peuvent être anté, péri ou postnatales. 9 inconnue Place du Polyhandicap parmi les handicaps neurologiques Congrès Polyhandicap, CTNERHI 2005 http://www.ctnerhi.com.fr/fichiers/ouvrages/Extrait_257.pdf A l’issue du congrès Polyhandicap en 2005 relaté par le Centre Technique National d’Etudes et de Recherches sur les Handicaps et les Inadaptations, une définition a été proposée : « Enfants et adultes atteints de déficiences graves et durables dues à des causes variées, le plus souvent pré et périnatales, mais aussi acquises, ou liées à des affections progressives, maladies métaboliques et dégénératives, chez lesquels le retard mental, grave ou profond (QI inférieur à 50) est associé à d’autres troubles, des troubles moteurs et très souvent à d’autres déficiences, entraînant une restriction extrême de leur autonomie, nécessitant à tout âge de la vie un accompagnement permanent et qualifié associant éducation, soins, communication et socialisation » (32). 10 1-1-2) Le handicap Dans le contexte juridique, la loi du 11 février 2005 donne une définition du handicap, permettant la mise en place de droits des personnes handicapées: « constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant » (3). 1-2 : Les classifications des handicaps Plusieurs classifications du handicap ont été faites et ont évolué au cours des dernières années. Dans le domaine médical, la classification internationale des handicaps (CIH) est née en 1980, élaborée par Wood et publiée par L’Organisation Mondiale de la Santé (10). Cette classification se divise en 3 niveaux de description : - « Déficience : concerne l’atteinte des organes ou systèmes organiques, perturbations affectant les fonctions mentales, ou sensorielles, les organes internes, la tête, le tronc et les membres » (description organique). - « Incapacité : concerne les limitations susceptibles d’être rencontrées dans la réalisation des activités de la vie quotidienne » (description fonctionnelle). - « Désavantage (handicap) : il s’agit des éventuelles conséquences négatives en matière d’insertion sociale» (description sociale) (2) (10). Cependant, cette CIH a subi de nombreuses critiques, la principale étant qu’elle n’incluait pas les facteurs environnementaux et leurs interactions avec ces trois descriptions (2) (10). La CIH fut alors révisée, la classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) fut alors adoptée par l’OMS en 2001 pour remplacer la CIH (9). Différentes modifications y ont été apportées : -la terminologie est renouvelée. -l’interaction entre une personne et son environnement y est plus importante. -les situations vécues par les personnes et ses proches y sont montrées. (3) 11 Elle ne crée aucun cloisonnement et ne sépare pas les adultes des personnes âgées (25). Une version de la CIF pour les enfants et les adolescents existe (0 à 18 ans) car les manifestations du handicap chez eux sont différentes des adultes (29). La CIF est constituée de deux parties : (9) (15) 1- le fonctionnement et son corollaire négatif, le handicap incluant (29): 2- Le fonctionnement : référence aux fonctions organiques et structures anatomiques (15). Les activités : exécution de tâches spécifiques par une personne Ou Les limitations d’activités : « difficultés que rencontre une personne dans l’exécution de certaines activités » (9). La participation : « participation d’un sujet aux activités de la vie courante au niveau professionnel, familial, ou social, mais également au niveau de sa prise en charge médicale (15) ». Ou Les restrictions de participation : « problèmes qu’une personne peut rencontrer en s’impliquant dans une situation de vie réelle » (9). les facteurs contextuels : - Les facteurs environnementaux (environnement physique, social, et attitudinal). Les facteurs personnels (sexe, âge, mode de vie, caractéristiques psychologiques, croyances, sensibilités, comportement vis-à-vis de la santé et de la maladie, éducation, expériences personnelles, circonstances sociales). Ils ne sont pas classifiés dans la CIF car sont à l’origine d’importantes variations culturelles et sociales (15). Le fonctionnement et le handicap d’un individu résulte des échanges avec les facteurs contextuels. Le schéma suivant montre que les problèmes de santé peuvent être les conséquences de l’influence des facteurs environnementaux sur la personne et inversement, peuvent modifier la relation d’un individu avec le monde extérieur (15). Les problèmes de santé se traduiront par une atteinte des fonctions organiques (engendrant alors une déficience), et/ou une limitation d’activité, et/ou une restriction de participation (limitation professionnelle et sociale), donc un handicap. De même, le fonctionnement d’un individu va dépendre de son état de santé (problèmes de santé) et de son interaction avec les facteurs contextuels (15). 12 Pathologies Fonctions organiques et anatomiques Activités Déficiences Possibilités et limitations FONCTIONNELS (ex : marcher…) Facteurs environnementaux (Individuels et sociétaux) Participation Possibilité et limitations professionnelles, familiales, sociales et médicales Facteurs personnels Modèle de la santé et du handicap Adapté d’Interactions entre les composants de la CIF, OMS 2001, p18 (15) Cette classification décrit la situation de chaque personne en se basant sur les domaines de la santé ou domaines connexes de la santé, et en tenant compte de l’environnement (15). La CIF, établissant un langage standard et normalisé pour décrire les différents états de santé, permet alors d’améliorer la communication entre les professionnels médicaux, de comparer les données entre différents services de santé et de réaliser des études sur les pathologies et leurs conséquences (29). Le terme « handicap » est donc multidimensionnel, prenant en considération les difficultés liées aux fonctions organiques, aux limitations d’activités et aux restrictions de participation (9). 13 1-3) Epidémiologie et étiologies des handicaps-polyhandicaps 1-3-1) Epidémiologie Le handicap occupe une place importante en santé publique, mais le nombre de personnes handicapées ou polyhandicapées est très difficile à évaluer du fait de leur « polymorphisme ». Dans le monde, on estime à 500 millions de personnes avec un handicap (23). En France, parmi les données épidémiologiques retrouvées chez l’enfant, le taux de déficience serait de 2% dans la population générale, avec un taux de déficience sévère de 8/1000. Les déficiences intellectuelles sévères concerneraient 3,6 cas /1000 et les déficiences psychiques 1,9 cas /1000 (34) (19) (11). La prévalence du polyhandicap serait de 0,7 à 1,3 pour 1000 (22). La prévalence du polyhandicap d'origine pré et périnatale est de 0,7 à 1/1000 (soit 700 à 800 enfants polyhandicapés naissant en France par an), et celle d'origine postnatale de 0,1/1000 (soit 80 enfants environ) (32). Le nombre de polyhandicapés en France de 0 à 20 ans est estimé à 19600, dont 30 % nécessite une prise en charge médicale lourde (4). Une enquête réalisée à l’hôpital de la Roche-Guyon sur 157 patients polyhandicapés hospitalisés entre 2006 et 2009, dont 41 décès, estimait l’âge moyen de décès à 16 ans et demi pour les patients polyhandicapés lourdement médicalisés (4). L’enquête Handicap-Santé réalisée en 2008-2009 (auprès des ménages ordinaires et des institutions) par l’INSEE en partenariat avec la DRESS avait pour objectif d’estimer le nombre de personnes en situation de Handicap en France métropolitaine et Outre-Mer. Les premiers résultats de cette enquête édités en 2010 et relatés dans le Rapport de la mission « Handicap et Santé bucco-dentaire » montrent que 82100 individus de 20 à 39 ans et 156000 individus de 40 à 59 ans sont considérés comme dépendants, et que le nombre d’enfants, d’adolescents et d’adultes vivant en institution ou en foyers et de 180000 (20). Le nombre de patients polyhandicapés vivant en institution augmente avec l’âge, car leur prise en charge par la famille est de plus en plus difficile (4). 14 1-3-2) Etiologies (22) Les handicaps peuvent avoir plusieurs étiologies, dont l’importance va varier en fonction du degré de handicap. On retrouve : -les étiologies prénatales : exposition anténatale aux toxiques, virus comme le VIH ou cytomégalovirus, anomalies de la morphogénèse, aberrations chromosomiques, anomalies génétiques. -les étiologies périnatales (de 22 semaines d’aménorrhée à 8 jours après la naissance) : prématurité (sont à prendre en compte l’âge gestationnel, le poids de naissance, les complications liées à la prématurité comme les lésions cérébrales), le retard de croissance périnatal, la gémellité, l’anoxie périnatale, les fœtopathies toxiques, les infections périnatales, les accidents neurologiques (AVC, hémorragie…). La grande prématurité (entre 28 et 32 SA) a un impact très important sur le risque de handicap. Le risque d’observer une déficience ou un handicap chez l’enfant est inversement proportionnel au poids de naissance ou à la durée de gestation. Chez les prématurés, le taux de déficiences est plus élevé que chez les enfants nés à terme. -les étiologies post-natales : exposition postnatale aux toxiques, malnutrition, traumatismes, infections, tumeurs. -les causes inconnues. Dans 25% à 30 % des cas, le polyhandicap est d’origine inconnue. Les déficiences sévères de l’enfant seraient à 20-35 % d’origine prénatale, 5-10% d’origine post-natales. Salbreux et collont établi, en 1979, les étiologies des déficiences intellectuelles sévères en France (régions Ile-de-France et Auvergne) (34) : - Inconnue : 21 % Génétique ou chromosomique : 29 % Anténatale : 27 % Périnatale : 15 % Postnatale : 8 % Les progrès obstétriques et néonataux des 30 dernières années ont permis la baisse de la mortalité péri et néo-natale, avec cependant un taux de prématurité et de morbidité néonatale chez les prématurés élevé (14). La prévalence du polyhandicap ne faiblit pas du fait des progrès médicaux constants (amélioration des techniques obstétricales et de l’imagerie médicale, augmentation du dépistage des malformations, amélioration du pronostic des populations à risques) (4) (22). 15 1-4) Les difficultés de prise en charge du patient polyhandicapé La communication verbale occupe une place primordiale dans le diagnostic de la douleur. Une des principales difficultés est, comme relatée dans la définition du polyhandicap, « une restriction extrême des possibilités d’expression », signifiant la diminution ou l’absence de communication verbale, et donc de plainte, chez les patients polyhandicapés (27). L’observation du comportement pour « exprimer » ce que ressent la personne polyhandicapée est alors un élément primordial dans le diagnostic (27). Les outils d’hétéroévaluation permettant d’évaluer les modifications du comportement du patient nous permettrons de reconnaître une situation douloureuse. De plus, ces patients vivent, dans une majorité des cas, depuis leur naissance avec ces handicaps, leur perception de ce qui est « normal » ou non est modifiée. Il faudra se référer à la « norme » du patient, à son état habituel, la connaissance de celui-ci sera très importante. Il sera important de ne pas confondre une attitude liée au handicap à celle liée à une douleur (24). Les difficultés de communication devront ainsi être détournées afin de permettre une prise en charge bucco-dentaire adéquate. L’entourage du patient polyhandicapé jouera un rôle primordial dans la reconnaissance de la douleur oro-faciale (25). L’utilisation de termes assurant la compréhension du patient et la présence des proches seront nécessaires (25). Les outils d’auto-évaluation de la douleur utilisés habituellement (exemple échelle EVA, échelle des visages) ne seront pas adaptés au polyhandicap (11) (36). Un proche du patient (parent, famille, personnel soignant) devra systématiquement être présent aux consultations car, de par sa proximité, son attention et sa relation avec le polyhandicapé, il sera reconnaître les premiers signes d’appel de douleur (19) qui seront expliqués par la suite dans la thèse. L’examen clinique est également difficile de par le polyhandicap. Certains signes mettant en évidence une douleur oro-faciale par le praticien peuvent être « indétectables ». Par exemple, l’ « examen postural » et exobuccal permettant de détecter une douleur musculaire, cervicale est rendu impossible car le patient est en règle générale dans une coque, et sa manipulation est difficile (17). Le polyhandicapé peut aussi ne pas vouloir ouvrir à bouche et rendre l’examen dentaire compliqué. Le chirurgien-dentiste devra assurer les consultations dans des structures adaptées (accessibilité du fauteuil roulant ou du brancard, coussins ou coques destinées à maintenir le patient en place, cales ou ouvres bouches, une assistante assurant une aspiration efficace) (14). Le nombre de consultations et la durée de chacune d’elle seront augmentés (14). Les patients polyhandicapés présentent également une association de pathologies et donc de traitements ; l’interrogatoire médical sera primordial et les soins seront effectués en 16 corrélation avec une prise en charge pluridisciplinaire tout en étant limités par des difficultés éthiques (qualité de vie et pronostic vital) (18). Toutes ces difficultés accentuent l’insuffisance de soins accordés à ces patients, et donc aggravent leur état de santé bucco-dentaire, comme nous allons le voir par la suite. 1-5) Les pathologies bucco-dentaires chez le patient polyhandicapé Les lésions intrabuccales et les problèmes dentaires font partie des causes les plus fréquentes de douleurs, mais sont en général sous-estimées dans cette population (13). Les personnes polyhandicapées présentent des pathologies bucco-dentaires plus fréquentes et avec un stade de gravité plus important (18). En effet, les troubles systémiques (immunodéficience) associés au polyhandicap, les troubles comportementaux (rendant difficile la coopération pour l’hygiène et les soins dentaires), la difficulté d’accès et de prise en charge des soins dentaires augmentent la prévalence et l’avancée des pathologies buccodentaires. Les personnes polyhandicapées ont aussi déjà subi de nombreuses interventions liées à leur handicap ; l’acceptation de soins par le chirurgien-dentiste est donc très souvent mal vécue (14). Parmi les différentes pathologies du patient polyhandicapé, on peut citer les anomalies dentaires, les pathologies infectieuses, fonctionnelles et traumatiques. 1-5-1) Les anomalies dentaires (5) Les anomalies dentaires sont fréquentes chez les patients polyhandicapés, leur tableau clinique étant le même que celui des personnes sans handicap. Parmi celles-ci, il existe : - les anomalies d’éruption qui concernent des anomalies chronologiques ou de positionnement (les dents ectopiques par exemple). Elles peuvent être d’origine génétique ou liées à l’encombrement dentaire. - les anomalies de nombre : une réduction du nombre de dents s’observe le plus souvent. On parle d’agénésie (absence d’une ou de plusieurs dents avec moins de 6 dents manquantes), d’oligodontie (absence de plus de six dents définitives sauf les dents de sagesse) ou d’anodontie (absence totale de dents). Les facteurs génétiques ou une embryopathie peuvent en être à l’origine. -les anomalies de forme qui comprennent les anomalies de taille (macrodontie ou microdontie), localisées ou généralisées, ou de conformation [gémination (subdivision d’un germe dentaire), fusion (union de deux ou plusieurs germes dentaires normaux)]. 17 -les anomalies de structure, c’est-à-dire les anomalies de l’émail et de la dentine lors de l’organogénèse dentaire, parmi lesquelles l’amélogénèse imparfaite, la dentinogénèse imparfaite, les hypoplasies de l’émail (qui sont fréquentes chez les patients insuffisants moteurs cérébraux), et les dyschromies. 1-5-2) Les pathologies infectieuses Les caries dentaires sont les pathologies les plus prévalentes (23). En effet, différents facteurs lié au polyhandicap favorise le développement de la carie : L’hygiène bucco-dentaire trop souvent délaissée, influencée par l’étiologie du handicap (troubles moteurs), le niveau d’éducation des parents et leur aide au brossage (23). La prise de médicaments comme les antiépileptiques, ainsi que les troubles moteurs, entraînent une diminution de la salive et donc du phénomène d’auto-nettoyage de la bouche (14). Les reflux gastriques responsables de déminéralisation de l’émail du fait de l’acidité (14). La prise en charge trop souvent absente ou tardive par sous-estimation de la douleur et du besoin de traitement (23). Les parodontopathies sont courantes car elles concernent 80 à 90% de la population handicapée (18). Leurs principales causes sont : l’absence d’une bonne hygiène orale. une diminution de l’état immunitaire. les troubles moteurs et la prise de médicaments comme les antiépileptiques qui peuvent entraîner une hyperplasie gingivale, favorable au développement d’une flore anaérobie. Ces parodontopathies sont responsables d’halitose et augmentent le phénomène de « bavage », portant atteinte à l’intégration sociale de ces patients (14). Les délabrements dentaires sont fréquemment retrouvés chez les polyhandicapés vivant en institution spécialisée, le manque de formation à l’hygiène dentaire des soignants et de temps accordé à celle-ci étant les principaux facteurs (18). Ces pathologies infectieuses constituent des foyers douloureux qui sont indispensables à détecter, car elles peuvent aggraver l’état de santé déjà préoccupant des patients. Elles entrainent aussi une perte trop précoce des dents (14), s’en suivant des troubles masticatoires, phonatoires et esthétiques. 18 1-5-3) Les pathologies fonctionnelles Les troubles neuro-moteurs vont être à l’origine de troubles de la croissance cranio-faciale. Le retard de maturation linguale a des conséquences sur le développement du massif facial moyen qui s’en trouve modifié. L’hyperactivité linguale chez certains patients favorise la projection en avant du maxillaire supérieur et des béances (14) (18). La ventilation est le plus souvent buccale. Les troubles neuro-moteurs entraînent aussi des troubles de succion-déglutition, augmentant le phénomène de « bavage » et le risque de fausse-routes, pouvant être à l’origine d’infections pulmonaires (première cause de mortalité chez les personnes polyhandicapées), notamment par contamination du système respiratoire par les germes contenus dans la plaque dentaire, et d’insuffisance respiratoire chronique. Des perturbations de développement de l’enfant sont par la suite observées (14) (18). Enfin, les malpositions dentaires entraînent une instabilité de la mandibule, rendant difficile la prise alimentaire et accentuant le risque de fausse-routes, engendrant dans certains cas, des états de dénutrition (14). Les traitements orthodontiques devraient être entrepris en cas de malpositions dentaires, mais sont difficiles de par le polyhandicap (14) (18). Lorsqu’elle est possible, une rééducation précoce de kinésithérapie et de psychomotricité est importante pour limiter ces troubles fonctionnels (18). 1-5-4) Les pathologies traumatiques Les automutilations et le bruxisme sont généralement retrouvés chez le patient polyhandicapé. Les malpositions dentaires, le bruxisme, les régurgitations acides entraînent une usure prématurée des dents permanentes, une diminution de la dimension verticale et des dénudations radiculaires (14) (18). Les troubles comportementaux, neurologiques, ou l’existence de foyers infectieux buccodentaires douloureux peuvent être à l’origine de comportements d’automutilations, de morsures (18). Ces automutilations sont à prendre avec sérieux et doivent faire l’objet d’une surveillance (14) (18). 19 Chapitre 2 : La douleur 2-1) Définition Il est tout d’abord important de comprendre ce qui est à évaluer. De très nombreuses définitions de la douleur ont été proposées (7). Selon l'International Association for the Study of Pain (IASP), la douleur est "une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ou décrite en fonction d’un tel dommage" (1979) (39) (33) (24) (13). Notons que le terme « émotion » est intégré dans cette définition. La HAS rajoute en cas de douleur chronique : « …susceptible d’affecter de façon péjorative le comportement ou le bien-être du patient » (39). La douleur est subjective, complexe et multifactorielle (24) (27). Elle comporte : -une composante physique sensorielle qui permet de donner des informations sur la localisation de la douleur, son étendue, son intensité, ses facteurs d’aggravation ou de soulagement. La description de cette composante passe par le langage, ce que le patient polyhandicapé ne possède pas. - une composante affective et émotionnelle, présente chez la personne polyhandicapée, qui permet de comprendre la façon dont le patient ressent, vit la douleur (désagréable, pénible, insupportable…), et qui peut aboutir à des états d’anxiété ou de dépression. - une composante cognitive qui correspond à l’interprétation que le patient, même polyhandicapé, tire de cette expérience douloureuse, c’est-à-dire de l’ensemble des pensées qui sont susceptibles de modifier la perception de celle-ci et des réactions comportementales qui en découlent (attention, distraction, anticipation…). -une composante comportementale qui montre la manière dont la personne perçoit sa douleur. Les manifestations peuvent être verbales ou non-verbales (attitudes, mimiques, repli sur soi…). Elle nous intéresse beaucoup dans ce sujet car le patient polyhandicapé peut signaler sa douleur par son comportement (39) (33). La douleur peut être évaluée à partir des dires du patient (auto-évaluation), mais aussi par l’observation d’une autre personne (soignant, membre de l’entourage) de son comportement, de ses réactions motrices ou en mesurant ses réactions physiologiques face à celle-ci (hétéro-évaluation) (39). Un autre facteur essentiel dans la définition est le temps. Les douleurs aigues constituent un signal d’alarme, sont accompagnées de signes végétatifs et font suite à un traumatisme ou à une affection (38). Elles peuvent entrainer des modifications du comportement comme des 20 cris, pleurs, plaintes (39). Les douleurs chroniques se caractérisent par une durée supérieure à 3 ou 6 mois, une résistance aux traitements antalgiques, une absence des signes végétatifs, et par l’apparition de signes comportementaux et psychosociaux associés plus insidieux (diminution de la sociabilité, calme, apathie...) (38) (39). 2-2) La douleur oro-faciale La sphère oro-faciale est complexe car elle comporte à la fois une composante corporelle, émotionnelle, psychosensorielle et psychoaffective. Les douleurs oro-faciales sont fréquentes car on estime que 25 % de la population y est confronté en 6 mois (6). Selon la classification de Okeson en 1995, la douleur oro-faciale peut être purement physique ou associée aux douleurs psychiques (38). La douleur oro-faciale est spécifique de par (31) : - L’importance de l’innervation : les nerfs crâniens trijumeau (V), facial (VII), glossopharyngien (IX) et vague (X) assurent l’innervation sensitive (6). Les nocicepteurs sont présents dans les tissus superficiels et profonds de la sphère orofaciale. - La bouche, représentation symbolique car elle permet à la fois la ventilation, l’alimentation, la communication. - L’anxiété qu’elle procure, la mémorisation d’un vécu douloureux, retardant souvent les soins et aggravant la situation. Par exemple, 15% de la population adulte limiterait les soins dentaires du fait de la peur qu’ils engendrent, 6% par phobie totale. La douleur est le principal motif de consultation au cabinet dentaire (31). Les douleurs oro-faciales peuvent avoir plusieurs origines : les douleurs pulpaires, les douleurs muco-gingivales (stomatites, brûlures…), les douleurs des muscles maxillaires, les douleurs des ATM, les douleurs desmodontales (traumatisme occlusal, parodontite, abcès apical…), osseuses (alvéolites, ostéomyélites…), vasculaires, nerveuses (38) (17) ou non odontogènes et plus difficile à déterminer comme les odontalgies atypiques, les glossodynies ou stomatodynies (38). 21 Les douleurs oro-faciales présentent différentes classifications (6) : La classification « étiologique ». La classification « temporelle » : les douleurs oro-faciales peuvent être aigues ou chroniques. Dans la région oro-faciale, les douleurs aigues les plus fréquentes sont au niveau des dents et du parodonte. Les douleurs chroniques se retrouvent plus fréquemment au niveau des muscles masticateurs et des articulations temporomandibulaire (ATM) (38). La classification « par mécanisme » : il existe différents types de douleurs qui répondront à différents traitements (6) (17) (38): - La douleur par « excès de nociception » : elle résulte de l’irritation et de la stimulation des nocicepteurs. - La douleur « inflammatoire » : il est difficile de distinguer une douleur nociceptive d’une douleur inflammatoire ; elle est liée à la stimulation persistante des nocicepteurs. Elle peut être accompagnée d’un phénomène infectieux. On retrouve des signes associés : rougeur, chaleur, tuméfaction. - La douleur « neuropathique » : elle résulte de dommages ou de dysfonctionnements des composants centraux ou périphériques du système nociceptif. Son apparition est en règle générale retardée par rapport à la lésion et elle peut présenter des périodes de rémission. Les névralgies faciales, les neuropathies post-traumatiques (après des soins dentaires par exemple), les névralgies post-zostériennes sont les principales douleurs neuropathiques oro-faciales périphériques. Les pathologies neurologiques comme l’épilepsie, les AVC, les traumatismes sont à l’origine des douleurs neuropathiques centrales. - La douleur « idiopathique » : l’étiologie est inconnue. La difficulté de prise en charge de cette douleur entraîne souvent sa chronicité. Celles retrouvées dans la sphère oro-faciale sont l’odontalgie atypique, la stomatodynie… La classification « topographique » : - La douleur peut être primaire, c’est-à-dire que l’origine de la douleur et l’endroit où elle est perçue sont identiques. - La douleur peut être secondaire rapportée (la douleur est perçue dans le territoire d’innervation du nerf lésé) ou référée (la douleur est ressentie dans un territoire différent de celui innervé par le nerf lésé). La « douleur oro-faciale » est un terme large car il comprend à la fois les douleurs buccodentaires, ophtalmiques, les céphalées, les douleurs naso-sinusiennes… intéressant donc un grand nombre de spécialités médicales et nécessitant une prise en charge pluridisciplinaire. Les douleurs dentaires et parodontales étant les douleurs oro-faciales les plus fréquentes, le chirurgien-dentiste devra établir un diagnostic bucco-dentaire avant de chercher une autre origine (17). 22 Il devra être capable d’identifier la présence ou non d’une douleur, de la localiser, d’évaluer son intensité, ses caractéristiques (aigue ou chronique…), ses facteurs déclencheurs ou aggravants/atténuants, et son étiologie, pour par la suite la traiter. 2-3) Les spécificités d’expression de la douleur, notamment bucco-dentaire et oro-faciale, chez le patient polyhandicapé « Le terrain psychologique initial » joue un rôle dans l’augmentation ou la diminution du sentiment de douleur. De par les lésions neurologiques, le développement psychologique du patient polyhandicapé va être modifié, entraînant des conséquences sur sa perception du corps et de l’environnement : « le corps est paralysé, l’exploration et les activités sont difficiles du fait de mobilité réduite, la communication et la connaissance sont rendues difficiles par une scolarité inaccessible et l’absence de langage verbal » (33). Les patients polyhandicapés ont en général une expérience face à la douleur plus importante (de par leur handicap et les traitements qui en découlent), mais qui est sous-estimée où sous-évaluée du fait de leur difficulté à l’exprimer (1). De plus, à cause du polyhandicap, les douleurs oro-faciales et notamment dentaires passent en second plan. Les traitements dentaires sont considérés comme les soins médicaux les plus insatisfaisants pour les personnes handicapées, entraînant à terme une dégradation de leur santé buccale, ce qui constitue un sur-handicap. De même, lorsque les parents réalisent l’existence d’une douleur, il est difficile pour eux de la relier à une source dentaire (14). Les polyhandicapés ont d’autres possibilités de communication, en fonction du degré de handicap, pour montrer ce qu’ils veulent, ressentent (25). Une consultation ne peut s’effectuer sans l’aide de l’entourage du patient, car plusieurs signes peuvent mettre en évidence la présence d’une douleur et ils seront facilement détectés par les proches: - La « régression psychique », c’est-à-dire que le patient perd l’interaction avec l’environnement, les sollicitations extérieures, il se renferme sur lui-même. - La « recrudescence des manifestations psychotiques » : celles-ci sont de plus en plus présentes ou des troubles nouveaux apparaissent (troubles alimentaires, automutilations…) - Les troubles neuro-moteurs (agitation, mouvements anormaux…) sont accentués. Les troubles du sommeil apparaissent ou sont augmentés. Les expressions somatiques comme les cris, les pleurs, les mimiques douloureuses sont retrouvées. 23 - Le patient utilise une position antalgique ou une réaction de protection, d’évitement. (13) (24) (33) Une étude réalisée par Giusano et collaborateurs en 1995 rapporte l’ensemble des réponses comportementales de patients atteints de handicap cérébral âgés de 2 à 33 ans dans un établissement de longue durée. Parmi ces réponses, on retrouve les pleurs, les changements d’humeur, les expressions faciales, les comportements agressifs, les pertes d’appétit, ou les diminutions d’interactions avec l’extérieur (1). En 1998, McGrath et collaborateurs ont interrogé 20 parents ou personnels soignants d’enfants avec handicap cognitif âgés de 6 à 29 ans. L’interrogatoire portait sur des douleurs courtes comme la vaccination ou des douleurs durables comme les maux de tête. 31 signaux de douleurs ont été mis en évidence. Les comportements sont souvent différents d’un patient à un autre, mais il a été montré que des classes de comportements se retrouvent chez la plupart des patients, qui sont : vocal/ alimentation-sommeil/ interaction sociale personnalité/ expression facial de la douleur/ activités/ corps et membres/ physiologie (21). Hormis ces changements comportementaux, les lésions bucco-dentaires apparentes, le changement de teinte des dents (17), la fièvre, les rougeurs (24), les gonflements faciaux ou l’halitose peuvent être également des signes d’alarme quant à la présence de douleurs orofaciales. De ce fait, depuis que la douleur oro-faciale est considérée comme une source importante de détresse pour les patients polyhandicapés, les professionnels de santé sont de plus en plus encouragés à utiliser des outils pour la détecter et l’évaluer (1). 2-4) Pourquoi et comment évaluer la douleur oro-faciale ? 2-4-1 : Pourquoi évaluer la douleur oro-faciale? L’évaluation de la douleur est, tout d’abord, une démonstration du respect que l’on a envers notre patient. Selon l’article L110-5 du Code de la santé publique, « toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, prise en compte et traitée… », et l’article 37 du Code de déontologie médicale d’ajouter : « en toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade » (39). Dans le code de déontologie du chirurgien-dentiste, l’article R4127-211 ajoute : « Le chirurgien-dentiste doit soigner avec la même conscience tous ses patients, quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, à une nation ou à une religion déterminées, leur 24 handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu'il peut éprouver à leur égard. » La douleur est une notion subjective, donc difficile à évaluer. Comme nous l’avons vu précédemment, les personnes polyhandicapées sont susceptibles de présenter un grand nombre de pathologies oro-faciales, souvent douloureuses, mais il est difficile de prescrire des antalgiques dans un contexte d’incertitude, sans pouvoir discerner une douleur d’un mal-être ou d’un comportement lié au handicap (42). De plus, lors des consultations bucco-dentaires, l’examen clinique peut être vécu comme une agression pour les patients polyhandicapés, il faudra donc commencer par détecter la présence d’une douleur, et la traiter (un traitement antalgique peut être en premier lieu prescrit) pour que nos soins soient considérés par la suite comme étant non invasifs, non iatrogènes. Une relation de confiance établie entre le chirurgien-dentiste et le patient permet de mieux appréhender les soins par la suite (18). L’évaluation de la douleur permet d’identifier une pathologie oro-faciale ou bucco-dentaire, et aide au diagnostic étiologique. De par ses caractéristiques, elle améliore la prise en charge en établissant un langage commun fiable facilitant la communication entre les professionnels de santé ainsi qu’en instaurant un traitement antalgique adapté et les meilleurs soins possibles. Les objectifs thérapeutiques réalisables seront ensuite fixés, on pourra alors surveiller l’évolution de la situation (en contrôlant l’efficacité des antalgiques par des évaluations régulières), évitant alors la survenue d’une chronicisation de la douleur (7) (16) surtout pour les douleurs oro-faciales non -odontogènes. En résumé, la bonne connaissance de la sémiologie clinique de la douleur est importante, assurant une meilleure prise en charge globale du patient, et évitant la chronicisation (16). 2-4-2 : Comment ? Les échelles d’autoévaluation sont utiles pour mesurer la douleur lorsque la communication avec le patient est possible. Ces échelles se basent sur la propre évaluation du patient en situation de douleur, il en existe un grand nombre (7). Voici quelques exemples. 2-4-2-1 : L’échelle Visuelle Analogique (EVA) : Elle se présente sous la forme d’une réglette de 10 cm de longueur, avec triangle rouge ou curseur (42). L’extrémité gauche se caractérise par l’absence de douleur et l’extrémité droite par une douleur considérée comme la plus importante qui soit (7). Le patient doit déplacer un curseur sur cette réglette qui indique au mieux l’intensité de sa douleur (7). Le score de l’EVA correspond à la distance entre l’extrémité gauche et la position du curseur établie par le patient (7). 25 Echelle visuelle analogique Cette échelle permet d’évaluer les douleurs aigues et chroniques (7). L’EVA présente des limites. Une des principales difficultés est de transformer l’intensité de la douleur perçue (qui est subjective) en une représentation spatiale (7). Cette échelle n’est pas validée pour une évaluation réalisée par un tiers (42) mais est validée pour l’auto-évaluation. 2-4-2-2 : L’échelle numérique (EN) : Le patient doit chiffrer l’intensité de sa douleur de 0 à 10 ou de 0 à 100. Le niveau 0 correspond à une absence de douleur et le niveau 10 ou 100 à « la pire douleur imaginable » (7). Le patient peut évaluer sa douleur par l’intermédiaire d’une réglette ou de manière orale (7). 2-4-2-3 : L’échelle des visages : Cette échelle est représentée par une série de visages reproduisant une intensité croissante de la douleur depuis « absence de douleur » jusqu’à « la pire douleur imaginable ». Une échelle référence doit être utilisée (42) avec des visages ne présentant pas de caractère émotionnel (sourire, larmes) pour ne pas entraîner de biais dans la réponse des patients (7). Les échelles d’auto-évaluation sont utilisables lorsque le patient à la capacité de les comprendre et aussi lorsque la communication verbale le permet, ce qui n’est pas le cas pour les personnes polyhandicapées (42). D’autres échelles sont alors disponibles, il s’agit des échelles d’hétéro-évaluation qui seront présentées par la suite. 26 Chapitre 3 : Les outils d’évaluation de la douleur pour le polyhandicapé 3-1) Les outils 3-1-1) Les échelles d’hétéro-évaluation Les échelles comportementales sont en plein développement. En l’absence de langage, pour les personnes polyhandicapées, elles constituent une famille d’outils d’évaluation de la douleur basée sur l’observation par un tiers des attitudes du patient en situation douloureuse afin d’en tirer un score représentatif de l’importance de la douleur (7). Il en existe plusieurs. 3-1-1-1) La Grille Douleur Enfant San Salvadour (DESS) Cette grille, d’origine française, a été conçue par Collignon, Giusano et coll (11). Pour concevoir cette DESS, ils ont réalisés une première étude avec l’utilisation d’un questionnaire de 22 items (élaboré par des médecins et infirmiers grâce à leur expérience clinique) et ont ainsi abouti à une grille de 10 items (11). Une seconde étude, réalisée par Collignon et Giusano, 2001, a permis de validée cette échelle de 10 items (12) et de déterminer le seuil de douleur. Cette étude comprend un échantillon de 50 patients, et est basée sur des enregistrements vidéo, se déroulant dans deux établissements de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris accueillant des patients polyhandicapés (12). Cette échelle a été validée chez l’adulte mais elle est essentiellement utilisée pour l’enfant polyhandicapé (11) (42). Son utilisation se fait en deux temps. Tout d’abord, un dossier de base est réalisé en dehors de toute situation douloureuse. Il s’agit d’observer et de répertorier les comportements habituels, l’expressivité du patient polyhandicapé (7) (11). Ce dossier de base est composé de 10 questions, les réponses étant obtenues auprès de personnes connaissant le mieux l’enfant (parents ou personnel soignant). Ce dossier doit toujours être présent lors des consultations bucco-dentaires (11) (24). 27 COLLIGNON P, GIUSANO B, COMBES JC. La douleur chez l’enfant polyhandicapé. Paris : Flammarion Médecine Science, 1999 :174-178. 28 Puis, lors des modifications du comportement habituel, une grille d’évaluation douleur est utilisée par les soignants. (24) Elle est constituée de 10 items répartis en 3 groupes : 1-signes d’appel de la douleur : ils mettent en évidence l’anxiété et les émotions induites par la douleur. Item 1 : pleurs et/ou cris Item 3 : mimique douloureuse Item 5 : gémissements, pleurs silencieux 2-signes moteurs : Item 2 : réaction de défense coordonnée ou non à l’examen d’une zone présumée douloureuse Item 4 : protection des zones douloureuses Item 10 : attitude antalgique spontanée 3-signes de régression psychomotrice : Psychiques : Item 6 : intérêt pour l’environnement Item 8 : capacité à interagir avec une autre personne Motrices : Item 7 : accentuation des troubles du tonus Item 9 : accentuation des mouvements spontanés. Les items ne sont pas présentés de manière consécutive pour éviter les biais (11). Les manifestations psychotiques (automutilation) ne sont pas inclues dans cette grille car peu spécifiques (même si elles peuvent constituées un signe d’appel de la douleur chez les patients polyhandicapés avec troubles psychotiques) (11). La cotation s’établie de façon rétrospective sur 8 heures et chaque item est noté de la façon suivante : 0 : manifestations habituelles par rapport au dossier de base 1 : modification douteuse 29 2 : modification présente 3 : modification importante 4 : modification extrême Le fait d’avoir 5 niveaux de cotation permet d’augmenter la sensibilité de la grille. Si un item est inadapté, il sera noté 0. Le score final s’établit entre 0 et 40. A partir de 6, la douleur est certaine et un traitement antalgique est mis en place. Entre 2 et 6, la douleur n’est pas certaine mais un test thérapeutique est réalisé par l’administration d’antalgiques. La réévaluation est régulière, toutes les 8 heures, jusqu’à ce que la sédation soit obtenue (11) (13). 30 COLLIGNON P, GIUSANO B, COMBE JC. La douleur chez l’enfant polyhandicapé. Paris : Flammarion Médecine Science, 1999: 174-178. 31 3-1-1-2) L’échelle EDAAP (Expression Douleur Adulte Adolescent Polyhandicapé) Cette échelle a été travaillée par le comité de lutte contre la douleur de l’hôpital marin d’Hendaye, en partenariat avec l’Institut de Santé Publique, d’Epidémiologie et de Développement (ISPED) de l’université de Bordeaux-2. Elle s’adapte à l’adulte et l’adolescent polyhandicapés (33). Elle a été construite à partir de deux échelles validées qui sont la DOLOPLUS (échelle d’hétéro-évaluation s’appliquant aux personnes âgées présentant des fonctions cognitives altérées, des troubles de la communication verbale) et la SAN SALVADOUR. Elle a bénéficié d’une validation statistique en mars 2007 par l’ISPED de Bordeaux, ce qui rend son utilisation fiable (24). Il s’agit d’un outil simple, facile à utiliser, pouvant être utilisé par l’équipe soignante sans la présence du médecin, devant toute suspicion de douleur. L’évaluation se fait au minimum par un binôme de soignants, dont un infirmier, et est incluse dans le dossier du patient. Tout comme l’échelle SAN SALVADOUR, une évaluation de l’état basal (en situation non douloureuse) du patient est effectuée en amont (33). En situation douloureuse, une seconde évaluation est effectuée et comparée à l’état basal. Cette évaluation prend donc en compte la différence entre l’état habituel du patient et son expression perturbée dans l’hypothèse d’une douleur (33). Chaque évaluation est individuelle et les scores obtenus pour chaque patient ne doivent pas être comparés. L’échelle comprend 11 items, répartis en 2 groupes : 1-le retentissement somatique, comprenant 4 items : les plaintes somatiques (émissions vocales, cris, pleurs), les positions antalgiques au repos (« positions corporelles inhabituelles visant à soulager ou éviter la douleur »), l’identification des zones douloureuses, les perturbations du sommeil. 2-le retentissement psychomoteur et corporel, comprenant 7 items : le tonus (« état permanent d’activité fondamentale des muscles lisses et striés, sous la dépendance du système nerveux central et périphérique »), les mimiques, l’expression du corps, les réactions lors de soins, la communication, les modifications de l’intérêt pour l’environnement, les troubles du comportement. (24) Une cotation dure environ 5 minutes, chaque item est noté de 0 à 3 ou 0 à 4 (excepté l’item « identification des zones douloureuses » qui est côté de 0 à 5), avec un score maximal de 41 points. En cas d’item inadapté, le score est de 0. 32 L’existence d’une douleur est affirmée lorsque le score est égal ou supérieur à 7 (33). La réévaluation est systématique, toutes les 2 ou 3 heures en fonction de la durée d’action des antalgiques, jusqu’à ce que l’expression et le comportement habituels du patient soient obtenus (33). 33 34 CLUD- HOPITAL MARIN HENDAYE Evaluation de l’expression de la douleur chez l’adolescent ou adulte polyhandicapé (33) 35 3-1-1-3) La grille NCCPC (non-communicating children’s pain checklist) Revised Elle a été créée au Canada, par McGrath et coll dans les années 90, sous le nom de NCCPC, puis examinée et complétée par la suite par Breau et coll, 2001 (36), devenue alors la NCCPC-Revised (26). Sa version française est le GED-DI (grille d’évaluation de la douleur-déficience intellectuelle) (42). Cette échelle est utilisable de 3 ans à 17ans (26), essentiellement dans le cadre du polyhandicap (26). Elle est constituée de 30 items, dans sept catégories différentes (vocale, alimentation/sommeil, personnalité/socialisation, expressions faciales de douleur, corps et membres, physiologie) (36). Le score est compris entre 0 et 90 (42), chaque item pouvant être coté 0 (signe absent), 1 (signe observé occasionnellement), 2 (signe souvent observé) ou 3 (signe très souvent observé). Un item peut être noté « ne s’applique pas » si le patient ne peut pas présenter ce signe du fait de son handicap. En effet, elle comporte de nombreux items pour augmenter la sensibilité en tenant compte du fait que tous ne sont pas possibles de part la grande hétérogénéité du polyhandicap. Une version post-opératoire existe (la NCCPC-PV), comprenant 3 items en moins (ceux concernant l’alimentation et le sommeil). Le score est donc situé entre 0 et 81 (28). Une étude réalisée par Breau et coll, 2002, montre que cette échelle est appropriée aux enfants atteints de déficience intellectuelle sévère (8). La douleur est considérée comme présente et légère pour un score situé entre 6 et 10, moyenne à sévère pour un score à partir de 11. Le professionnel de santé réalisant l’évaluation avec cette échelle n’a pas besoin de connaître préalablement la personne polyhandicapée, ce qui constitue un énorme avantage et elle peut s’appliquer quel que soit le niveau d’atteinte cognitive et quelque soit la situation clinique (26). Sa validation a été réalisée en considérant le fait que tous les items ne sont pas applicables à tous les polyhandicapés (42). La version française a été validée dans plusieurs centres français et canadiens par Zabalia, Breau et coll, 2011. 36 BREAU L.M et coll. Grille d’Evaluation de la Douleur-Déficience Intellectuelle. Traduction CETD Robert Debré, Paris, 2010. 37 3-1-1-4) La NCAPC (Non-Communicating Adults Checklist-Revised) Parmi toutes les échelles citées précédemment, aucune ne s’adapte spécialement à l’adulte polyhandicapé. Afin de développer une échelle qui leur est adaptée, une première étude en 2006 réalisée par Defrin, Lotan et Pick a utilisé deux échelles : la NCCPC-R et la FACS (échelle des réactions faciales à la douleur). Les auteurs ont alors mis en évidence que la NCCPC-R est plus sensible dans l’évaluation de la douleur pour tous les degrés de handicap moteur et intellectuel, contrairement à la FACS qui est seulement sensible aux personnes atteintes de déficiences intellectuelles et motrice faibles ou modérées (26). Des comportements similaires existent entre les adultes et les enfants polyhandicapés. Cependant cette première étude a montré que certains items de la NCCPC-R ne s’adaptaient pas à l’adulte polyhandicapé (comme les pleurs), ou que certains comportements n’étaient pas retrouvés dans cette échelle ; d’où la nécessité d’adapter la NCCPC aux patients adultes (26). Une deuxième étude a alors été réalisée par Lotan, Ljunggren et coll, 2009, pour déterminer la sensibilité de chaque item de la NCCPC-R lors de situation douloureuse chez les adultes polyhandicapés. L’étude consistait à évaluer la douleur d’un échantillon de patients avec handicap moteur et intellectuel de différents degrés lors de la vaccination contre la grippe en utilisant les 27 items de la NCCPC-R (les items concernant l’alimentation et le sommeil n’ont pas été utilisés) (26). L’observation était basée sur des enregistrements vidéos. De cette étude, 13 items ont été supprimés de la NCCPC-R et 4 items ont été ajoutés, créant la NCAPC (26) (27). La NCAPC est constituée de 18 items, répartis dans 6 catégories (vocale, émotions, expressions faciales, mouvements corporels, réaction de protection et réactions physiologiques). Chaque item est noté de 0 à 3, avec un score final compris entre 0 et 54 (27). Toutefois, cette NCAPC a été créé à partir de scores établis par des enregistrements vidéo. En situation clinique, ces enregistrements ne sont pas possibles car ils nécessitent du temps, du matériel, et empêchent les réactions spontanées. L’étude faite par Lotan, Moe-Nilssen et coll, 2010, avait pour objectif de déterminer la sensibilité de la grille en situation clinique par rapport aux enregistrements vidéo (27). Cette étude était basé sur l’observation clinique de 59 adultes avec divers degrés de handicap (les mêmes ayant eu le vaccin contre la grippe) au cours d’une séance de détartrage. Les résultats entre les scores obtenus lors de la vaccination et lors du détartrage ont été comparés (27). 38 La validité de la NCAPC en situation clinique a été démontrée, mais sur un faible échantillon (n=59). Cette échelle permet d’identifier la présence de douleur chez les adultes polyhandicapés dans toutes les situations cliniques, et pour tous les degrés de handicap moteur et intellectuel (27). Il n’existe pas de traduction française à ce jour. 3-1-1-5) Echelle Revised FLACC (Face Legs Activity Cry Consolability) D’origine américaine puis traduite en français, cette échelle a été adaptée de la FLACC (28), qui est une échelle évaluant la douleur post-opératoire et la douleur des soins de la naissance à 18 ans (30). Elle intègre des descriptions comportementales supplémentaires comme les tremblements, le changement du rythme de la respiration (28). Elle permet une évaluation comportementale de la douleur post opératoire ou au cours des soins pour les patients polyhandicapés de la naissance jusqu’à 18, 19 ans. Elle est constituée de 5 items (visage, jambes, activité, cris, consolabilité) avec pour chaque item une cotation possible de 0 à 2, le score total étant situé entre 0 et 10 (28). Pour chaque item, on retrouve une description précise qui permet d’affiner la cotation (28). L’observation peut être réalisée lorsque le patient est éveillé (de 2 à 5 minutes) ou endormi (5 minutes ou plus) (40). L’évaluateur n’a pas besoin de connaître préalablement l’enfant. La prescription d’antalgiques s’effectue à partir de 3/10. Un score entre 4 et 6 signifie une douleur modérée, et entre 7 et 10 une douleur sévère (40). Elle est simple à utiliser avec cependant une limite : l’immobilité n’est pas prise en compte et donc le patient immobile est considéré comme non douloureux (28). Une étude statistique réalisée par Malviya et coll en 2006 montre la fiabilité et la validité de la FLACC révisée (28). 39 UNIVERSITE DE MICHIGAN. Echelle FLACC : Face Legs Activity Cry Consolability. Traduction française CETD Robert Debré, Paris. 40 UNIVERSITE DE MICHIGAN. Echelle FLACC : Face Legs Activity Cry Consolability. Traduction française CETD Robert Debré, Paris. 41 3-1-1-6) Echelle PPP (Pediatric Pain Profil) Cette échelle a été développée en Angleterre par Hunt et coll, 2001, à la suite de trois études (21). Elle a été traduite en français par Profil Douleur Pédiatrique (PDP). Elle évalue toute douleur de la personne polyhandicapée (26) (avec un handicap neurologique sévère) (21), et peut être utilisée de 1 à 18 ans. Elle se constitue également d’items, au nombre de 20, avec une cotation possible de 0 (pas du tout), 1 (un peu), 2 (beaucoup) à 3 (tout à fait), le score total se situant entre 0 et 60 (21). Le temps d’évaluation de la douleur avec cette échelle est estimé à 2-3 minutes (21). Une case « évaluation impossible » ou « sans objet » est présente lorsque le handicap ne permet pas d’évaluer un signe. Une quatrième étude réalisée par Hunt et coll en 2004, sur un échantillon de 140 enfants non communicants, a conclu que la PPP présente une bonne cohérence interne et une bonne fiabilité. Elle est validée pour être utilisée en clinique (21). Une prescription d’antalgique est faite lorsque le score est égal ou supérieur à 14. Il est indispensable de bien connaître l’enfant ou l’adolescent. En effet, un profil de base est réalisé et peut suivre l’enfant partout où il est nécessaire (30). 42 HUNT et coll. Echelle Profil Douleur Pédiatrique Traduction française par l’Unité d’Evaluation et de Traitement de la Douleur, Centre Hospitalier Universitaire Robert Debré, Paris, France, 2009. 43 3-1-1-7) Echelle PICIC (Pain Indicator for Communicatively Impaired Children) D’origine anglaise, et s’adaptant aux enfants, celle-ci est constituée de 6 items, et fut publiée en 2002 (36). Les 6 items sont : - pleurs avec ou sans larmes cris, hurlements, gémissements, lamentations visage paraissant perturbé, bouleversé corps raide, tendu difficulté à le réconforter ou le consoler sursauts ou évitements au toucher (36). D’après l’étude menée par Stallard et coll, 2002, les cinq derniers items sont directement corrélés à la présence de douleurs chez l’enfant incapable de communiquer, alors que l’item « pleurs avec ou sans larmes » est plutôt lié à la sévérité de la douleur (36). Cette échelle est considérée comme simple, courte, facilement utilisable par les proches. Il n’existe cependant que très peu de documents la concernant, et aucune autre étude après 2002 n’a été réalisée (36). D’autres études sont nécessaires, notamment pour déterminer le seuil de douleur (36). 3-1-1-8) Echelle INRS (Individualized Numeric Rating Scale) D’origine américaine, l’INRS a été initialement développée à l’hôpital des enfants de Boston (35). Cette échelle est adaptée aux enfants non communicants avec handicap intellectuel. Elle se base sur la connaissance qu’ont les parents du comportement de leur enfant dans des situations douloureuses passées. Les soignants se réfèrent alors à l’INRS établie par les parents pour déterminer le score de douleur (35). L’INRS est l’adaptation de l’échelle numérique, incorporant les descriptions des situations douloureuses des parents ou des soignants de l’enfant. Elle est propre à l’enfant et est graduée de 0 à 10 (35). Une étude menée par Solodiuk et coll, 2010, sur un échantillon de 50 enfants non communicants avec déficience intellectuelle profonde, avait différents objectifs : -évaluer la faisabilité de l’échelle INRS par les parents. -évaluer la fiabilité de l’échelle à travers de différents évaluateurs. 44 -examiner la validité des critères et de la construction l’INRS (35). Tous les parents des 50 patients ont réussi à décrire et ordonner les critères de douleur de leur enfant, ce qui montre la faisabilité de cette échelle. Les résultats ont montrés que l’INRS est une méthode valide et fiable pour ces patients. Les résultats obtenus entre l’INRS et la NCCPC-PV dans cette étude sont en corrélation (35). 3-1-2) Les paramètres physiologiques De nombreux chercheurs ont tenté d’identifier un indicateur physiologique pour affirmer la présence d’une douleur. La variation des paramètres physiologiques (la pression artérielle, la conductance cutanée (« résistance de la peau à conduire un déplacement de charge »), les réponses musculaires réflexes) pourrait être un outil d’évaluation car elle peut refléter indirectement la réaction du corps face à une agression douloureuse, pouvant représenter la composante sensoridiscriminative de la douleur (7). Plusieurs techniques sont à l’étude comme la variabilité de la fréquence cardiaque (7). Ces variables physiologiques ne garantissent cependant pas une évaluation précise de la douleur car elles représentent des marqueurs de l’activité automatique du corps et peuvent être influencées par des facteurs confondants (41). Par exemple, une augmentation de la fréquence cardiaque peut être liée à un stress engendré par un changement d’environnement, sans pour autant qu’une douleur soit présente. Ces paramètres n’intègrent pas les composantes affective et cognitive de la douleur (7). Elles ne sont donc pas utilisées aujourd’hui, mais de nombreuses études sont en cours, pour trouver des bio-marqueurs de l’intensité de la douleur (41). 3-1-3) Le rôle de l’entourage Les parents sont des éléments clés dans l’évaluation. Ce sont eux qui connaissent le mieux le patient, son comportement habituel, ses troubles neurologiques, ses capacités de communication et d’interaction (13). Plusieurs études montrent que les parents sont capables de détecter les comportements de douleur chez leur enfant polyhandicapé (35). Le chirurgien-dentiste doit mettre au point avec eux les objectifs à atteindre, ce qui induit en premier lieu la construction d’une alliance thérapeutique avec eux, sans oublier de communiquer aussi avec l’enfant ou adulte handicapé (37). 45 Le référent doit être sensible, proche du polyhandicapé. Il peut s’agir de la famille ou d’une personne de confiance, qui doit pouvoir le toucher, le rassurer, le mettre en confiance lors des soins, le contrôler en cas de situation douloureuse, l’observer dans son rapport avec l’environnement et les autres, et peut aussi jouer le rôle de médiateur entre le patient et le chirurgien-dentiste (33). La personne polyhandicapée ne pouvant pas exprimer son avis, les parents ou le représentant légal prendront les décisions médicales les plus appropriées (25), et assureront la permission des soins. Un patient handicapé peut mettre en place des stratégies de faire-face qui sont des « réponses cognitives et comportementales face à un événement douloureux » (« procédés d’ajustement, d’adaptation, d’affrontement de la douleur ») (43). Le polyhandicap peut avoir une influence sur la manière dont le patient va répondre à la douleur. En effet, ses réponses de faire-face peuvent être influencées par les facteurs individuels et environnementaux (exemple : l’influence parentale qui peut modifier la réponse de l’enfant face à la douleur) (43). Une étude récente (2010), réalisée par Zabalia et coll, a pour objectif de comprendre les stratégies de faire-face à la douleur chez les enfants atteints de déficience intellectuelle (43). Les résultats montrent que ces enfants sont capables d’évoquer la douleur et d’utiliser des stratégies de faire-face. Du fait de l’absence de réponse autonome, le recours à une tierce personne, semble être une stratégie adaptée pour contrôler la situation (43). De par leur connaissance et leur proximité, l’entourage est capable de distinguer ses stratégies pour se rendre compte d’une situation douloureuse (42). L’évaluation faite par la famille et les proches est considérée comme une source utile aux professionnels de santé mais est tout de même considérée comme une stratégie « passive » vis-à-vis de l’évaluation de la douleur (33) (42) (43) puisqu’elle n’est pas directement réalisée par la personne polyhandicapée. Un mauvais décodage de la part de ces proches entraîne un surcroît de difficultés dans l’évaluation de la douleur (37). En effet, les parents ont généralement tendance à sousestimer l’étendue de la douleur (36). Trop d’intermédiaires constituent un biais aux résultats pouvant être obtenus. 46 3-2) Quelle(s) échelle(s) utiliser en odontologie ? Il n’existe, à ce jour, pas d’échelles spécifiques pour mesurer la douleur en odontologie chez un patient polyhandicapé. Tout d’abord, pour pouvoir être utilisé en situation clinique, l’outil doit être simple, facile à employer, court d’utilisation et facilement compréhensible pour le praticien (41). Les résultats obtenus doivent être reproductibles (doit avoir obtenu la validation clinique) et l’échelle doit s’adapter à l’environnement clinique (7). Elle doit s’adapter à l’âge du patient et permettre de guider le prescripteur (7). Du fait des différentes échelles pouvant être utilisées, voici un tableau récapitulatif qui permet de choisir la grille d’évaluation la plus adaptée au patient polyhandicapé rencontré. 47 Tableau récapitulatif des échelles d’évaluation de la douleur du patient polyhandicapé EDAAP France Canada Hôpital d’Hendaye Adolescents 3 à 17 ans et adultes Temps d’évaluation Quelques minutes (24) 5 minutes 2 à 3 min oui Israel Américaine Norvège (auteurs) Age adulte 0 à 18-19 (à partir 18 ans ans) 5 minutes Eveillé : 2 à (21) 5 min Endormi : 5 min ou plus non non non Angleterre Américaine Age d’utilisation San Salvadour (DESS) France Hôpital San Salvadour Enfant++ Adulte oui oui 11 30 18 5 20 Pas d’items 0, 1, 2 ou 3 0, 1, 2 ou 3 0, 1 ou 2 0, 1, 2 ou 3 3/10 14/60 oui oui Origine Connaissance oui préalable du patient Nombre 10 d’items Cotation des 0, 1, 2, 3 ou 4 items Seuil de prescription Validation statistique Caractéris -tiques De 0 à 3 De 0 à 4 De 0 à 5 A partir de ≥ 7/41 6/40 oui oui NCCPC (GED-DI) NCAPC 6 à 10/90 : douleur légère ≥ 11 : douleur moyenne à sévère oui oui Utilisation possible en post op avec 3 items en moins 48 Revised FLACC PPP INRS 1 à 18 ans - Adaptation de l’échelle numérique ,graduation de 0 à 10. Propre à chaque enfant. En résumé : L’échelle San Salvadour, d’origine française, est une échelle qui peut être utilisée chez les enfants et adultes polyhandicapés et dans de nombreuses situations cliniques. Elle est spécifique de par le nombre d’items et la cotation allant jusqu’à 4. Elle ne prend que quelques minutes. Elle mérite d’être connue dans notre discipline d’odontologie ; le seul bémol est la difficulté de l’utiliser en urgence si la réalisation du dossier de base n’a pas été faite auparavant. L’échelle EDAAP, élaborée aussi en France, peut aussi nous être très utile. Si on ne connaît pas préalablement le patient, on peut utiliser l’échelle GED-DI. La NCAPC-R est une échelle qui a spécialement été conçue pour l’adulte, donc plus spécifique à partir de 18 ans, mais elle ne possède pas de traduction française pour le moment et toutes les variables ne sont pas connues. Peu d’informations sont données sur les échelles PICIP et INRS. Elles ne sont pas à utiliser en première intention. Une des meilleures façons de choisir une grille d’évaluation pour le chirurgien- dentiste est d’être capable de l’utiliser la plus efficacement possible, tout en respectant ses modalités de fonctionnement. 3-3) Validation statistique d’une échelle d’évaluation : exemple de l’EDAAP Le terme « évaluation » est très important, nous ne « mesurons » pas la douleur, car la mesure d’une grandeur doit comprendre des unités de mesure constante (7). Pour qu’elle soit intéressante, l’échelle doit être valide, fiable et sensible au changement (7). En clinique, elle doit donc permettre aux praticiens de pouvoir s’échanger des informations sur le patient. Les indicateurs utilisés, pris individuellement, sont insuffisants pour permettre de détecter la présence d’une douleur ; mais dans une grille d’évaluation, c’est leur association qui fait que ces indicateurs peuvent être utilisés (7). Cette échelle devra être adaptée et validée à la situation clinique. Elle doit comporter une « notice d’utilisation » assurant une bonne évaluation. Voici un exemple français de validation statistique d’une échelle : l’EDAAP. 49 Méthode utilisée pour concevoir la grille EDAAP : Une équipe de l’hôpital d’Hendaye a répertorié les « expressions somatiques » et le « retentissement psychomoteur » de patients polyhandicapés n’ayant pas de communication verbale en situation douloureuse et non douloureuse et s’est inspiré des échelles San Salvadour et DOLOPLUS pour la concevoir. Le déroulement de l’étude : 147 patients en situation non douloureuse ont été évalués par deux binômes distincts, afin de réaliser l’évaluation de base en double insu. Comme expliqué auparavant, le profil basal est modifié lorsque le patient présente une douleur. Sur ces 147 sujets, les données en situation douloureuse ont pu être recueillies chez 24 patients, toujours par deux binômes d’évaluateurs. L’étude repose sur deux analyses (24) : -une analyse descriptive qui permet d’évaluer les résultats obtenus entre chaque évaluateur. Elle détermine la fiabilité (reproductibilité) de la grille en établissant la « discordance », c’est-à-dire le nombre moyens de différences entre les observateurs. -une analyse comparative évaluant les différences des scores obtenues pour chaque patient à l’état sans douleur et celui avec douleur, déterminant alors la validité de la grille. 50 Les résultats : Analyse descriptive n Situation non douloureuse 147 Situation douloureuse 24 Nombre d’évaluateurs 2 binômes 2 binômes Nombre de mesures 294 48 Score global obtenu De 0 à 10 / 41 De 0 à 35 / 41 Résultat global identique entre chaque évaluateur 48 % 17% Différence maximale du score total entre deux évaluations 7 points 15 points Discordance 1,3 5,3 Ecart-type 1,45 3,95 Analyse comparative N = 24 Score d’évaluation en situation douloureuse toujours > ou égal à 7 Score d’évaluation représentatif de la situation douloureuse dans 98,54 % des cas. 51 Analyse des résultats : En regard des résultats obtenus entre les deux binômes, la grille est reproductible. Elle est donc fiable. La grille peut détecter un sujet en situation de douleur, au vue des scores par item et du score total (24). Le seuil de 7 à été défini pour permettre de déterminer une situation douloureuse. Les limites de l’étude : Bien que la grille ait obtenu la validation statistique, on peut cependant soumettre quelques limites à la réalisation de cette étude. Tout d’abord, l’échantillon de personnes en situation douloureuse est faible (seulement 24 patients). De même, l’évaluation n’est faite que par deux binômes d’évaluateurs. Les caractéristiques de l’étude ne sont pas clairement définies. En effet, on ne connaît pas le degré de handicap de ces patients, leur âge, ni leur critère de recrutement et d’inclusion. Le contexte dans lequel l’étude a été réalisée et comment le profil de base et la grille d’évaluation ont été rempli par les évaluateurs ne sont pas expliqués. Les données concernant la seconde évaluation ne sont pas expliquées? Au bout de combien de temps ont-ils réalisé la seconde évaluation ? Trois items (communication, sommeil, et vie sociale) sont considérés comme non représentatifs dans la grille et peuvent alors constituer des biais dans l’évaluation de la douleur. 52 Chapitre 4 : Les intérêts et limites de l’évaluation 4-1) Les intérêts En sélectionnant les échelles adaptées à la situation clinique et en les employant correctement, on peut obtenir des données fiables et réitérables nécessaires au diagnostic et aux soins pour la personne polyhandicapée (41). Cette évaluation permet de guider le prescripteur. En effet, il est souvent difficile de distinguer un comportement lié au handicap de celui lié à une douleur. En étant sûr, avec l’évaluation, que le patient a mal, le praticien peut justifier une prescription d’antalgiques et / ou un geste thérapeutique. Les échelles peuvent également avertir les parents d’une douleur bucco-dentaire plus précocement ; ainsi ces derniers peuvent demander rapidement une consultation chez le médecin ou le chirurgien-dentiste pour éviter que la situation ne s’aggrave. Ces échelles permettent également de mettre en relation le chirurgien-dentiste avec les autres professionnels de santé et ainsi de suivre l’évolution de la courbe de douleur avant et après traitement. 4-2) Les limites Les échelles d’évaluation présentent des intérêts, mais ont aussi des limites dont le professionnel de santé doit être conscient afin d’être le plus précis possible et d’éviter des erreurs d’évaluation (24). La première limite est l’ambivalence face au handicap. D’après Zabalia, 2012, « évaluer la douleur d’une personne implique bien sûr un minimum d’empathie, mais aussi des capacités d’identification à l’autre auxquelles peuvent s’opposer des attitudes défensives mobilisées face à la défiance ». Le refus de soigner un patient polyhandicapé de la part du chirurgiendentiste peut être lié à la peur, car celui-ci n’a pas été formé aux soins de ces personnes. La relation de confiance peut avoir du mal à se créer, le praticien se retranchant derrière l’acte technique et oubliant la personne. L’empathie doit être mise à profit dans ces situations mais ne doit pas changer notre comportement professionnel. « Les émotions de la personne handicapée contribuent à faire de ces situations un bain émotionnel dans lequel il vaut mieux apprendre à nager » (37). Le fait de reconnaître les difficultés que la personne polyhandicapée éprouve permet de la comprendre et de la considérer comme une partenaire active dans les traitements (37). Des erreurs peuvent être commises par les professionnels de santé : considérer un comportement lié au handicap et donc de ne pas diagnostiquer la douleur. 53 A l’inverse, prendre en compte un comportement comme une attitude antalgique et non comme lié au handicap. se baser uniquement sur les bilans médicaux et non sur le comportement de la personne handicapée ; d’où l’importance d’une alliance thérapeutique avec les autres professionnels de santé, les parents et l’entourage (37). La multitude des soins pour les personnes polyhandicapées constituent également une limite. Depuis leur jeune âge, ils sont suivis par plusieurs disciplines médicales, « une hiérarchie des valeurs entre les professionnels » s’instaure, l’odontologie passant en second plan. Le patient et l’entourage doivent comprendre que le chirurgien-dentiste participe aussi à sa bonne santé (37). La couverture médicale de ces patients est inadaptée à notre exercice professionnel. Le temps des consultations accordé dans un cabinet dentaire ne permet pas de mettre en place une stratégie de soins efficace. En effet, la nomenclature reste inchangée pour ces patients, alors que leur prise en charge nécessite une structure adaptée, du temps et un nombre de consultations augmenté (14). Les soins ne sont pas toujours réalisés lorsque le patient n’est pas coopérant. Différentes études ont montré que plus d’1/3 des handicapés ne coopère pas pour les soins dentaires (18), ce qui généralement décourage rapidement les praticiens qui les adressent alors vers des structures hospitalières. En 2004, les services médicaux de l’Assurance Maladie ont réalisé une enquête sur l’état de santé bucco-dentaire d’enfants et adolescents de 6 à 20 ans fréquentant un établissement ou un institut médico-éducatif pour polyhandicapés. Les résultats montrent que des soins thérapeutiques et de prévention sont nécessaires dans 90 % des cas : un acte ou en examen bucco-dentaire urgent dans 20 % des cas, un examen bucco-dentaire dans 25 % des cas, un soin dentaire dans 45 % des cas (14). Dans l’évaluation de la douleur, de nombreux facteurs interviennent et se surajoutent, tels que l’âge, le sexe, le contexte psycho-affectif, le milieu socio-culturel. Selon les patients, un même stimulus nociceptif peut être à l’origine de différentes réactions, sensations (42). En effet, l’évaluation de la douleur est difficile du fait du polymorphisme de la douleur : le seuil de douleur et de tolérance est variable entre chaque individu (33), et l’intensité de la douleur ne reflète pas la gravité de la cause. Un exemple : le début des cancers buccaux est indolore alors que les caries dentaires sont souvent insupportables (33). Les échelles d’évaluation comme la San Salvadour, l’EDAAP nécessitent de bien connaître la personne polyhandicapée, notamment en réalisant un dossier de base par les soignants ou proches. Ceci rend leur utilisation difficile en situation d’urgence, lorsque l’évaluation de l’état de base n’a pas été faite avant. Ces échelles se réfèrent au comportement du patient et des expressions de son corps, un corps qui a beaucoup de difficultés à bouger, à « s’exprimer » (11) (33). 54 Ces échelles se basent sur le comportement habituel du patient et de son changement lors d’une situation douloureuse. Une douleur chronique peut donc ne pas être révélée car le patient s’est « habitué » à cette douleur et ses attitudes ne sont pas modifiées ou se sont modifiées insidieusement avec le temps (11). Enfin, la douleur est une notion subjective. Avec ces échelles, le praticien ne la mesure pas directement mais il évalue une modification du comportement habituel du patient pouvant refléter une probable douleur. 55 CONCLUSION Toute personne polyhandicapée est sensible à la douleur, mais l’hétérogénéité du polyhandicap, l’ambiguïté des signes de douleur et la difficulté de communication rendent son évaluation difficile par les professionnels de santé, dont les chirurgiens-dentistes. Cette évaluation nécessite de s’adapter aux moyens de communication des patients. Il s’agit d’une évaluation comportementale de l’expression de la douleur, permettant de distinguer une situation de confort à celle d’inconfort. L’auto-évaluation étant impossible, l’évaluation de la douleur s’effectue principalement à l’aide d’échelle d’hétéro-évaluation utilisée avec l’aide de l’entourage du patient polyhandicapé (parents, soignant…). Plusieurs échelles d’hétéro-évaluation se sont développées au cours des précédentes années et sont validées cliniquement. Le choix de l’échelle se fait en fonction de la situation clinique. Les échelles San Salvadour et EDAAP, conçues en France, peuvent facilement être utilisées, le choix dépendant de l’âge du patient. Elle nécessite la connaissance préalable du patient. Mais dans notre contexte professionnel, les parents ou un proche sont toujours présents et peuvent aider le chirurgien-dentiste dans son évaluation de la douleur oro-faciale. Des évaluations régulières doivent être effectuées pour suivre l’évolution de la douleur et évaluer l’efficacité du traitement mis en place ou de l’acte opératoire réalisé. Les personnes polyhandicapées étant principalement soignées en milieu hospitalier, il est tout de même important pour chaque praticien d’être informé de l’existence de ces moyens d’évaluation, de savoir les utiliser pour pouvoir reconnaître la douleur. Un chirurgiendentiste doit en première intention tenter de soulager le patient avant de le réorienter vers une structure spécialisée. 56 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. ALAKI M. Can parents assess dental pain in children with cognitive impairment? J Clin Pediatr Dent 2010;34(4):313-316. 2. BARBOTTE E, GUILLEMIN F, CHAU N et LORHANDICAP GROUP. Prevalence of impairments, disabilities, handicaps and quality of life in the general population: a review of recent literature. Bull World Health Organization 2001;79(11):1047-1055. 3. BARRES M. La notion de handicap psychique au travers des lois et politiques publiques. Ann Medico-Psychol 2010;168:760-763. 4. BILLETTE DE VILLEMEUR T, MATHIEU S, TALLOT M et coll. Le parcours de santé de l’enfant polyhandicapé. Arch Pédiatr 2012;19:105-108. 5. BOITARD S et GOURRIER N. Santé bucco-dentaire chez la personne handicapée. Conférence: les anomalies dentaires, Université de Rennes 1, 31 mars- 1 avril 2000. 6. BOUCHER Y et PIONCHON P. 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En effet, les troubles moteurs, neurologiques, systémiques et comportementaux associés au polyhandicap sont à l’origine de pathologies bucco-dentaires et oro-faciales pouvant être source de douleur. Comment faire pour évaluer sa présence et son intensité lorsque notre patient ne possède pas les facultés de communication verbale ? Les échelles d’hétéro-évaluation peuvent être utilisées par les chirurgiensdentistes, avec le concours des parents et des proches du patient. Ce sont des outils nécessaires qui permettent d’observer les changements de comportement du patient et aident ainsi à la détection et l’évaluation de la douleur oro-faciale. Nous les répertorions et les développons dans cette thèse. La prise en charge de cette douleur est nécessaire pour améliorer le confort et le bien-être du patient. RUBRIQUE DE CLASSEMENT : Dentisterie sociale MOTS CLES MESH : Personnes handicapées – Disabled persons Mesure de la douleur – Pain measurement Douleur faciale – Facial pain JURY : Président : Professeur GIUMELLI Bernard Directrice : Docteur DAJEAN-TRUTAUD Sylvie Co-directrice : Docteur CASTELOT-ENKEL Bénédicte Assesseur : Docteur RENAUDIN Stéphane Assesseur : Docteur HYON-ROY Isabelle ADRESSE DE L’AUTEUR : 49300 CHOLET [email protected] 62