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Introduction
L’intérêt de cette recherche
« On ne vient pas à la messe pour faire silence ! », me faisait remarquer un dominicain
de Jérusalem, avec qui je parlais du thème de ma thèse. Il n’a pas tort : le silence n’est
évidemment pas le but premier de la célébration eucharistique. La liturgie est une action, faite
principalement de paroles et de gestes. D’ailleurs, le silence n’est pas une finalité en soi : on
fait silence pour écouter celui qui parle, pour méditer une parole que l’on vient d’entendre,
pour prier et rencontrer Dieu. Le silence est toujours en vue d’autre chose. Dans la célébration
eucharistique également, quand silence il y a, c’est pour mettre en valeur un rite qui va être
accompli, une parole qui vient d’être dite, un geste qui est accompli, etc.
Mais n’en déplaise à notre frère dominicain, les documents officiels de la liturgie
indiquent clairement que le silence doit « être observé en son temps2 », qu’il « fait partie de la
célébration3 » de l’eucharistie et qu’il est même « désiré par beaucoup4 ». Il est désormais
clairement inscrit dans les rites du Missel romain.
Cela n’était pas le cas avant le concile Vatican II : les rubriques ne prévoyaient aucun
silence ni aucune pause dans le déroulement de la messe. Le Ritus servandus et les Rubricae
generales Missalis décrivaient minutieusement les actions du prêtre : on ne voyait pas la
nécessité d’inclure des pauses ou des silences. Jusque dans les années cinquante où il fera de
timides apparitions dans les rites réformés de la Semaine sainte et dans une Instruction sur la
musique, il n’y a aucune mention d’un silence liturgique dans le rituel de la messe ni dans les
documents officiels de la liturgie. Paradoxalement, les fidèles avaient l’impression qu’il y
avait beaucoup de silences au cours de la messe, tout simplement parce que le prêtre disait la
plupart des prières à voix basse. Lors des messes chantées, l’orgue et la schola pouvaient
certes « remplir » certains de ces longs temps où les clercs agissaient seuls dans le chœur ; il
restait néanmoins des plages de silence, notamment pendant la récitation du Canon.
Pourquoi éprouve-t-on le besoin de marquer des temps de silence à partir de la réforme
liturgique ? Je formule l’hypothèse suivante : puisque les prières sont dites désormais
(presque) toutes à haute voix, on eut très vite conscience qu’il fallait ménager de brefs temps
de silence pour permettre de reprendre souffle, de « respirer », de laisser un peu de temps pour
2 Concile Vatican II, Sacrosanctum Concilium, n° 30 (désormais abrégé : SC 30).
3 Présentation générale du Missel romain, n° 45 (désormais abrégé : PGMR 45)
4 SACRÉE CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN, Eucharistiae participationem, n° 18.