La condition déplorable le sentiment de la brièveté de la vie

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Sergey Panov
P.Ricoeur : la condition langagière et la facticité affective
On peut constater que la facticité est conditionnée par l’autoaffection verbale qui se
substitue au schématisme de la pensée en intériorisant le sujet de la pensée comme trace
imprononçable de la tradition monothéїste. Le tournant hérméneutique dans la
philosophie est devenu possible à partir d’une relecture de la tradition en depassant aussi
tous les accents psychologiques et transcendantaux : la pensée devient son propre devenir
du seul fait d’engendrer sa propre différence par une lecture et par une écriture qui du
coup ouvrent son historicité comme rapport à sa condition indépassable. Ricouer nomme
un aspect de celle-ci comme condition « déplorable » incarnée dans le sentiment « de la
brièveté de la vie humaine » parce qu’elle se détache « sur le fond de l’immensité du
temps ». 1 On peut diagnostiquer ici le symptome kantienne du retour au stoїcisme dans
toute l’analytique du jugement réfléchissante et surtout dans l’analytique du sublime: on
se trouve soumis à une nature indifférente (le temps) sans pouvoir comprendre les
origines de notre être-jeté comme porteur du sentiment, on n’a qu’ à pré-sentir notre lien
réfléchissant avec le temps et à reproduire ce sentiment comme unique support, à la fois
un moyen, une substance et une fin de la vie.
La phrase sur la condition « déplorable » nous soumet à la loi dynamique de la
communication: par cette phrase Ricoeur 1) s’identifie comme énonciateur d’un contenu
verbal qui ne peut pas ne pas être vrai du seul fait d’être posé et prononcé; 2) identifie
tout allocutaire comme récepteur qui ne peut ne pas partager une vérité de ce contenu
verbal parce qu’il doit s’y appliquer complètement : tout allocutaire ne peut pas
présupposer une fausseté de ce contenu verbal parce qu’il le crois posé vrai une fois pour
toute; 3) s’identifie comme allocutaire de lui-même du seul fait d’avoir énoncé un
contenu verbal posé vrai; 4) s’identifie lui-même et son allocutaire comme partenaires
d’une compréhension mutuelle qui se base sur la vérité du prononçable et de l’entendu,
donc, sur la forme intérieure d’un contexte logique; 5) identifie un accord transcendantal
langagier comme identité communicationnel de la proposition communiquée: les
partenaires d’une compréhension mutuelle s’engagent à poser une vérité de la proposition
communiquée indépendemment de ses occurences psychologiques et mentales.
On peut contester le caractère chrétien de l’espérance ricoeurienne, on peut la définir
comme retour au judaїsme parce que la facticité affective qui découle de l’indivisibilité
de la vie marque une production verbale et irréfléchie de l’acte de la promesse: on ne peut
pas ne pas nous promettre un bien absolu consommatoire (le salut) à la façon dont le Dieu
de la parole transforme la vie et le monde dans le sens verbal qui se produit comme
identification gratifiante des sons émis et des sons entendus. La vérité de l’existence
remplacée par la magie verbale devient dans l’herméneutique une loi de production du
sens qui permet de lire des contenus narratifs du seul fait de les entendre narrer, de les
narrer et de les transmettre et qui nous permet de créer une tradition à partir de
l’occurence pure et simple de la pensée qui ne peut pas ne pas nous arriver comme vraie
et ne peut pas ne pas révéler son déplacement.
1
Ricoeur P. Temps et récit, t.3, p.224.
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