Enjeux méthodologiques des recherches ethnographiques sur les

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Revue critique
de l'actualité scientifique internationale
sur le VIH
et les virus des hépatites
n°52 - janvier-février 96
Observation participante
Enjeux méthodologiques des recherches
ethnographiques sur les sexualités entre
hommes
Christophe Broqua
CRIPS - attaché au Laboratoire d'Anthropologie Sociale (EHESS, Paris)
Gay baths
revisited : an
empirical
analysis
Bolton R.,
Vincke J.,
Mak R.
GLQ : A
Journal of
Lesbian and
Gay Studies,
1994, 1, 3,
257-273
Sexual
negotiations :
an
ethnographic
study of men
who have sex
with men
Henriksson B.,
Månsson S.-A.,
in Brummelhuis
H.-P., Hert G.
Culture and
sexual risk :
Anthropological
perspectives of
AIDS New
York, Gordon
& Breach
Publications,
1995
Les deux articles commentés par Rommel Mendès-Leite et
Bruno Proth (pages 2 à 5) permettent de s'interroger sur les
enjeux éthiques et méthodologiques des recherches
ethnographiques sur les sexualités entre hommes et sur le
statut particulier que revêt dans ce contexte la méthode
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d'observation-participante, classiquement préconisée en
anthropologie.
Au cours des premières années de l'épidémie, la construction
de l'objet sida en sciences sociales fut d'autant plus ardue que
les champs de recherche dont il requérait la contribution -
celui de la sexualité en premier lieu- n'avaient alors été que
peu explorés, et que certains domaines à l'inverse, déjà
marqués par une tradition sociologique, comme celui de
l'expérience de la maladie, furent tout d'abord négligés.
Durant cette première période, où prime le choix d'objets
d'étude peu démêlés, «l'insuffisance des acquis théoriques se
cumule donc aux difficultés méthodologiques» (1).
Une grande partie des premiers travaux, entrepris avant la
création de l'ANRS en 1989 , sont de type KABP
(Knowledge, Attitude, Belief, Practice) ou -en français-
CACP (Connaissances, Attitudes, Croyances, Pratiques). Ces
recherches quantitatives, réalisées à partir d'échantillons
représentatifs dans plus de soixante pays du monde dans le
but d'y promouvoir les mesures préventives ajustées, ont
montré leurs limites. En raison de leur standardisation et du
traitement statistique des résultats, les enquêtes CACP
négligent «les contextes socioculturels où s'expriment et se
façonnent ces conduites et ces comportements» (2). Les
fondements de nature anthropologique qui les sous-tendent en
partie s'avèrent antinomiques avec les méthodes qu'elles
emploient, fort éloignées des approches qualitatives,
conduisant à s'interroger sur les liens entre les objectifs de la
recherche, les concepts utilisés et le choix du dispositif
méthodologique (3). La remise en cause progressive du
«paradigme du KABP» a donc entrainé une plus grande
ouverture des cadres théoriques et la diversification des
approches «du point de vue tant disciplinaire que
méthodologique, pour saisir les composantes sociale,
culturelle, économique et psychologique de l'activité
sexuelle» (4).
¬ Face à ces exigences vont émerger les méthodes
qualitatives de l'anthropologie sociale et de la microsociologie
dans la recherche sur les sexualités.
Selon Laurent Vidal, «l'option méthodologique ne peut se
définir qu'en fonction des objectifs recherchés et, de ce fait,
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par une réflexion préalable sur la nature des concepts et
pratiques au cœur de la problématique» (5). Idéalement, le
recours aux méthodes qualitatives n'est donc pas le seul fruit
d'une préférence ou d'une spécialité du chercheur, mais bien
la réponse apportée aux besoins de l'analyse d'un objet donné.
Par ailleurs, «le choix d'une méthode de type ethnographique
et biographique plutôt que d'une autre méthode d'enquête, est
presque toujours comme surdéterminé par des problèmes de
délimitation et d'accès à une population et du manque de
connaissance préalable qu'on en a» (6). Plus proches du
terrain, les outils qualitatifs, d'une part, permettent l'étude
d'une tranche de la population qui n'est pas quantitativement
délimitable et d'autre part, aident à l'analyse d'objets que ne
peuvent saisir dans leur totalité les méthodes quantitatives.
Ainsi, si l'on prend l'exemple des hommes ayant des pratiques
homosexuelles, certaines études de cohorte faisant fi des
dimensions biographiques ont fait apparaître l'insuffisance
d'une approche exclusivement quantitative pour l'analyse des
facteurs favorisant la prise de risques (7). Il est en outre très
troublant de constater que l'on peut rencontrer chez une même
personne des réponses fortement discordantes sur les
pratiques sexuelles et la prise de risques, selon qu'elle est
interrogée par questionnaire auto-administré ou par entretien
en face à face (8). C'est précisément dans le but de pallier
l'insuffisance des données recueillies par questionnaires que
les chercheurs britanniques du projet Sigma ont mis au point
la méthode du «journal intime sur la sexualité» (9), rédigé à
leur demande par les personnes interrogées.
¬ Cette valorisation des approches ethnographiques,
contemporaine en quelque sorte des grandes enquêtes socio-
statistiques sur les comportements sexuels à l'époque du sida,
notamment des recherches «nationales» très médiatisées de
certains pays occidentaux (France, Royaume-Uni, Etats-Unis,
Finlande, etc.), renvoie à une certaine tradition de la
discipline. En effet, «nombreux sont les travaux
ethnographiques qui, dans le souci d'envisager la totalité
d'une culture, ont donné un rôle important à la description de
l'activité sexuelle des individus» (10).
¬ La méthode ethnographique d'observation-participante,
classique en anthropologie, aide à appréhender sous différents
aspects le tissu des interactions sociales, ainsi que l'imaginaire
qui les structure. Préconisant l'immersion dans le groupe et la
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participation aux activités étudiées, elle place le chercheur au
contact direct du terrain, lui permettant de ne pas perdre de
vue la dimension humaine et les nuances intrinsèques à la vie
sociale, souvent voilées par les séries et formules statistiques.
Le nouvel essor des enquêtes qualitatives dans la recherche
sur le sida, et plus précisément sur les sexualités, a pu
conduire à une redéfinition de cette méthode d'observation-
participante, et à un repositionnement des chercheurs qui la
pratiquent. Nous examinerons ici cette question à propos des
recherches sur les sexualités dites «anonymes» entre hommes,
sachant que le développement récent des enquêtes sur ce
thème représente l'un des effets notables de l'épidémie sur la
recherche en sciences sociales.
¬ Les premiers travaux en sciences sociales sur les
homosexuels se focalisent tout d'abord sur les pratiques
sexuelles se déroulant clandestinement dans certains lieux
publics, puis sur le «marché des échanges sexuels» -tel que le
qualifie et le décrit le premier en France Michael Pollak (11)-
qui correspond à l'émergence de pratiques de sociabilité
développées autour d'un réseau commercial spécifiquement
gay. Aux Etats-Unis, une recherche pionnière sur la sexualité
«impersonnelle» (ou «anonyme») donne lieu à la publication
d'un ouvrage en 1970 que n'omettent jamais de citer ceux qui
ont œuvré dans ce domaine par la suite (12). Humphreys a
observé les interactions sexuelles entre hommes dans des
toilettes publiques, sans toutefois prétendre y avoir participé,
complétant ses données un recours aux fichiers de la police
très critiqué par la suite (13). Une approche plus participante
guidera les auteurs des ouvrages publiés à la fin des années 70
sur ce même champ thématique (14). En 1979 paraît un
article dans lequel l'auteur déclare explicitement sa
participation aux activités sexuelles observées et en discute
les enjeux (15).
Dans le contexte de l'épidémie, les études ethnographiques
menées par observation -participante ou non- sur les échanges
sexuels entre hommes sur des lieux de rencontre deviennent
visibles au moment de la VIIIe conférence internationale sur
le sida, à Amsterdam en 1992, à travers la présence de
différents posters (résumés de communication sur affiches)
(16) présentant déjà la diversité des approches et les différents
degrés d'implication des chercheurs (17). Certains auteurs ont
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en effet poussé «leur observation-participante du «simple
voyeurisme» jusqu'à une participation-observante, afin de
saisir toutes les nuances des négociations effectuées par les
acteurs sociaux dans le souci de bien gérer leurs risques de
contamination» (18).
¬ Intéressés en premier lieu par ces processus de négociation
élaborés lors des pratiques sexuelles, Henriksson et Månsson
ont opté pour une méthode d'observation-participante
«engagée». Cinq observateurs masculins, de niveaux d'études
et de statuts socioprofessionnels différents, ont été formés à
l'observation et au recueil d'informations sur le terrain.
Chacun d'entre eux s'est rendu une vingtaine de fois dans les
vidéo-clubs pendant quatre à cinq heures. Recrutés au sein de
la «communauté homosexuelle» locale, ils bénéficiaient tous
d'une bonne connaissance préalable du terrain d'investigation.
Il leur a été donné pour consigne de se comporter comme ils
le faisaient habituellement dans ces lieux. Étant donné l'objet
de la recherche, aucune restriction n'a été imposée quant à la
participation aux interactions sexuelles observables sur le
terrain, si ce n'est l'obligation de recourir au safer sex, dans le
cas supposé d'une telle participation. Par cette présentation
euphémisée, les auteurs laissent entendre que si elle n'était
pas réclamée de manière impérative, la participation était
cependant souhaitée. Ne discutant pas plus avant les enjeux
de tels choix méthodologiques, refusant explicitement d'entrer
dans les débats qu'ils occasionnent, les auteurs concluent la
présentation de leur méthode en précisant seulement que
«l'engagement total comme la plus grande passivité sur le
terrain présentent chacun des avantages et des
inconvénients».
A l'inverse, la méthodologie de Bolton, Vincke et Mak -
décrite dans l'article de Rommel Mendès-Leite et Bruno Proth-
est de nature quantitative, mais leur recherche fut précédée
d'une enquête par observation-participante effectuée par
Bolton, décrite dans deux articles qui serviront ici de base à
notre réflexion (19).
¬ Les méthodes ethnographiques en œuvre dans les
recherches sur la sexualité «impersonnelle» ou «anonyme»
entre hommes vont de l'observation-participante déclarée
(Bolton) à l'observation simple du chercheur, et peuvent être
supplantées ou complétées par le recours à des informateurs
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