Expérience des médecins en matière d`infection à VIH et qualité des

Expérience des médecins en matière d'infection à VIH et qualité des soins
Revue critique
de l'actualité scientifique internationale
sur le VIH
et les virus des hépatites
n°50 - novembre 96
généralistes
Expérience des médecins en matière
d'infection à VIH et qualité des soins
Yolande Obadia
ORS-PACA, Inserm U 379
Jean-Paul Moatti
Inserm U 379, Université de la Méditerranée
Physicians'
experience with
the acquired
immunodeficiency
syndrome as a
factor in patient's
survival
Kitahata M.M.,
Koepsell T.D.,
Deyo R.A.,
Maxwell C.L.,
Dodge W.T.,
Wagner E.H.
New England
Journal of
Medicine, 1996,
334, 701-706
Le constat venu d'Amérique qu'une filière de soins fortement
organisée et formalisée ne suffit pas à réduire la variance des
pratiques liée à l'expérience et que celle-ci peut avoir des
conséquences majeures pour le devenir vital du patient est
riche d'enseignement. La formalisation de Réseaux Ville-
Hôpital, et de façon plus large la coordination entre généralistes
et spécialistes, sont sans doute une condition nécessaire, mais
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très certainement pas une panacée suffisante pour garantir la
qualité des prises en charge.
Des études nord-américaines avaient déjà mis en lumière une
corrélation entre un nombre élevé de patients infectés par le
VIH pris en charge par site hospitalier et une moindre
mortalité de ces patients. L'article de Kitahata et coll. a eu un
impact important, y compris en France, parce qu'il confirme,
cette fois dans le cas des médecins de soins primaires, avec
un apparent souci de rigueur méthodologique et dans les
colonnes du prestigieux New England Journal of Medicine,
peu suspectable a priori de complaisance à l'égard des
critiques du «pouvoir médical», ce qui peut sembler une
évidence : l'expérience antérieure du praticien en matière de
sida affecte la qualité ultérieure de la prise en charge
thérapeutique.
L'impact du travail de Kitahata et coll. vient de ce qu'il ne s'en
tient pas à cette relative trivialité, mais qu'il démontre que
l'expérience préalable avec le VIH du médecin traitant au
moment du diagnostic de sida avéré constitue, au même titre
que le taux de CD4+, un facteur pronostique ayant un effet
propre sur la survie ultérieure de ces patients.
¬ L'étude porte sur 403 patients, en quasi-totalité de race
blanche, tous contaminés par le VIH par voie homosexuelle,
ayant eu un diagnostic de sida avéré (selon le critère de la
classification 1987 du CDC) entre janvier 1984 et juin 1994,
et tous par ailleurs membres d'un HMO (Health Maintenance
Organisation) situé à Puget Sound, dans l'Etat de Washington,
sur la côte Nord-Ouest des Etats-Unis, près de Seattle.
Rappelons que le HMO est un système d'assurance maladie
privé, sans équivalent dans le contexte français actuel, où
l'assuré paye annuellement un abonnement forfaitaire qui
reste donc fixe quelle que soit sa consommation de soins
ultérieure et qui lui donne droit, pendant toute la durée de
cette période, à une couverture médicale par les praticiens et
établissements de soins affiliés au HMO, sans limitation des
prestations (du moins de celles prévues comme accessibles
dans le contrat) ; en échange, l'assuré s'engage à ne s'adresser
qu'aux praticiens désignés par le HMO (sous peine de perdre
le bénéfice de sa couverture et d'avoir alors à financer
directement sa consommation de soins) (1, 2).
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Dans le cas du HMO où a été conduite l'étude, qui semble
s'inscrire dans une tradition plutôt de type mutualiste que de
recherche privée du profit, il apparaît que la prise en charge
du sida, jusqu'au stade terminal inclus, est bien couverte par
le contrat et que, comme dans la plupart des systèmes HMO
aux Etats-Unis, l'accès aux spécialistes et aux plateaux
techniques hospitaliers est subordonné à l'avis du médecin
généraliste traitant, dont dépend la décision d'adresser ou non
son patient.
¬ Un total de 125 médecins généralistes exerçant dans le
HMO ont donc été inclus dans l'étude et répartis en trois
groupes de niveau d'expérience antérieure (faible, modérée,
forte) avec la prise en charge du sida. Cette classification a
été opérée en combinant deux critères : le fait d'avoir suivi
son cursus de formation initiale à une époque (après 1983) et
dans une zone géographique à forte prévalence d'infection à
VIH ou non ; le nombre de patients avec un diagnostic de sida
antérieurement pris en charge par le médecin (un seul, de
deux à cinq, plus de cinq).
Dans la mesure où l'étude s'étend rétrospectivement sur les
dix premières années de l'épidémie et où l'attribution du
médecin traitant à un niveau d'expérience pour le VIH a été
effectuée pour chaque nouveau patient au moment de son
diagnostic, un même médecin a pu être associé à un patient
comme ayant une faible expérience (par exemple en début de
période), et avec un autre patient plus tard dans la période
comme ayant une forte expérience. Cependant, à la date de
fin d'étude (juin 1994), 40% des médecins n'avaient
diagnostiqué qu'un seul cas de sida au cours des dix années
écoulées, 40% de 2 à 5 cas, et seulement 20% avaient été
confrontés à plus de 5 cas. Quoique cela ne soit jamais
clairement explicité, il est probable, du fait des modalités de
fonctionnement du HMO, que le médecin effectuant le
diagnostic du stade sida était le même que celui qui avait
suivi précédemment le patient pour son infection à VIH avant
ce stade.
L'analyse statistique a consisté à calculer les courbes de
survie des patients après diagnostic initial de sida (par la
méthode classique de Kaplan-Meier) et de comparer les trois
groupes de patients en fonction du niveau d'expérience avec
le sida de leur médecin généraliste traitant au moment de ce
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diagnostic. Il apparaît que les patients diagnostiqués par les
médecins ayant la plus grande expérience antérieure du sida
ont une probabilité de survie significativement supérieure aux
autres (test classique du log-rank), de l'ordre de 30 à 40%
supérieure en comparaison des patients diagnostiqués au stade
sida par des médecins n'ayant eu antérieurement à leur charge
qu'un seul patient de ce type. Ce résultat est confirmé même
après ajustement sur des facteurs potentiellements
confondants comme la sévérité du sida et le taux de CD4+ au
moment du diagnostic initial, et surtout le déroulement même
du temps avec les progrès thérapeutiques et l'accumulation
même d'expérience par les praticiens qui lui sont logiquement
associés. La probabilité de survie demeure significativement
supérieure pour les patients suivis par les médecins ayant la
plus forte expérience pour chacune des trois grandes périodes
qui ont rythmé l'histoire thérapeutique du sida (avant 1987,
1987-88 avec l'apparition de l'AZT et de la prophylaxie de la
pneumocystose, après 1989 avec la diffusion généralisée de
ces premiers progrès).
Un début d'explication «causale» du lien entre expérience du
généraliste traitant au moment du diagnostic de sida et survie
ultérieure est suggéré par une analyse plus détaillée du sous-
groupe des 212 patients diagnostiqués pour sida à partir de
1989 et ayant des CD4+ inférieurs à 220/mm3 avant ce
diagnostic : les patients suivis par les médecins plus
expérimentés avaient bénéficié d'une surveillance
significativement plus rapprochée (au moins deux bilans
biologiques incluant les CD4+ au cours de l'année ayant
précédé le diagnostic de sida) que les autres et plus souvent
de traitements antiviraux (quoique la différence soit à la
limite de significativité sur ce dernier point).
¬ La variabilité des pratiques médicales pour des conditions
pathologiques identiques a été mise en évidence bien avant
l'épidémie de sida et pour de multiples interventions et
maladies (3). De nombreux travaux d'économie de la santé,
que Kitahata et coll. évoquent d'ailleurs dans la discussion de
leur article, ont montré qu'un volume annuel élevé de
procédures (par exemple chirurgicales) par praticien ou par
site hospitalier est souvent relié à une meilleure qualité des
résultats thérapeutiques. A l'heure où se généralisent les
recherches et les réflexions sur la nécessaire réduction de
l'hétérogénéité des pratiques médicales (ou du moins de la
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part «illégitime» de cette variance) et où tendent à se
multiplier les évaluations de résultats («outcome
assessment»), il est important que la prise en charge de
l'infection à VIH n'échappe pas à ce mouvement d'ensemble ;
et il faut saluer la démarche courageuse de cette étude
américaine et s'interroger sur les difficultés à mener des
travaux similaires dans notre propre pays. Encore faut-il
prendre garde à une interprétation abusive des résultats établis
par Kitahata et coll., et plus encore à une transposition
partisane de notre côté de l'Atlantique, par exemple pour
venir alimenter un procès en incompétence des généralistes
français en matière de sida et un plaidoyer en faveur d'une
hyperspécialisation des prises en charge ambulatoires du sida.
¬ De façon générale, un volume élevé de prescriptions n'est
pas toujours gage de compétence et d'efficience : étudiant les
différences dans la prise en charge des personnes âgées selon
les régions américaines, Chassin et coll. (4) découvraient une
proportion identique de «traitements inadaptés» dans les
zones à faible consommation médicale de ces populations que
dans celles où elle est très supérieure à la moyenne.
Dans le cas précis de leur étude, Kitahata et coll. ne nous
disent rien sur les caractéristiques de la prise en charge
ultérieure des patients après le diagnostic de sida avéré, qui a
inévitablement massivement fait intervenir les spécialistes et
le système hospitalier. On peut certes supposer, du fait des
modalités organisationnelles de fonctionnement d'un HMO,
que cette prise en charge est demeurée assez homogène, mais
il y a là une limite majeure à l'interprétation du résultat central
de la recherche. De même, ils ne nous disent rien sur les
caractéristiques, connaissances et attitudes des généralistes
concernés. Le caractère rétrospectif de l'étude ne permet pas
de leur en faire grief. Il n'en demeure pas moins que de
nombreux travaux américains, ainsi que nos propres enquêtes
auprès des généralistes français (5), ont mis en lumière le lien
entre connaissances sur l'infection à VIH et expérience
concrète avec cette pathologie, en même temps qu'elles
soulignaient l'interférence de facteurs extra-médicaux (de plus
ou moins grande proximité culturelle avec les patients
concernés) et de positionnements éthiques différents avec le
plus ou moins grand engagement de ces médecins dans la
prise en charge du sida.
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