comportements sexuels, pratiques sociales et prévention du sida

La fréquentation du bordel chez les hommes thaï : comportements sexuels, pratiques sociales et prévention du sida
Revue critique
de l'actualité scientifique internationale
sur le VIH
et les virus des hépatites
n°75 - juin 1999
VIH - COMPORTEMENT SEXUEL
La fréquentation du bordel chez les
hommes thaï : comportements sexuels,
pratiques sociales et prévention du sida
Themis Apostolidis
Laboratoire de psychologie sociale, Université de Provence/Inserm U379
(Marseille)
In the
company of
friends: peer
influence on
thai male
extramarital
sex
Vanlandingham
M., Knodel J.,
Saengtienchai
C.,
Pramualratana
A.
Social Science
and Medicine,
1998, 47, 12,
1993-2011
Une étude qualitative des facteurs socio-culturels liés aux
relations sexuelles extramaritales en Thaïlande permet de
constater la place et la spécificité des activités liées à la
fréquentation par les hommes des bordels. Une argumentation
sur la nécessité pour la prévention du sida de considérer les
aspects socioculturels qui façonnent la vie sexuelle.
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Menée en Thaïlande, cette étude qualitative invite à
considérer les facteurs socioculturels des comportements
sexuels ainsi que leurs implications face à l'évolution
épidémique du sida. Après avoir posé l'intérêt croissant des
études sur la sexualité dans la conjoncture de cette maladie,
les auteurs déclinent les principales caractéristiques de
l'organisation sociale de la sexualité masculine dans ce pays
au regard des conceptualisations actuelles dans l'étude de la
vie sexuelle, et plus particulièrement les cadres théoriques du
scripting et des réseaux (1). Leur objectif est l'étude de la
sexualité extramaritale des hommes thaïlandais et des
mécanismes que met en jeu l'influence des pairs au niveau des
comportements y afférant. Ils exposent les principaux
résultats d'une recherche, menée entre 1993 et 1994 à l'aide
d'un dispositif méthodologique associant interviews semi-
directifs et focus groupes, auprès de 161 hommes et femmes,
dans différents milieux sociaux (différentes catégories
professionnelles) et spatiaux (urbain, semi-urbain et rural).
Les résultats produits par les auteurs permettent de constater
la place et la spécificité des activités sexuelles liées à la
fréquentation par les hommes des établissements
" spécialisés " (bars) ou des bordels: il s'agit d'une forme de
sexualité socialement reconnue et acceptée ou tolérée,
relevant de l'espace public, celui du groupe de pairs. De façon
synthétique, leur analyse dégage quatre mécanismes à la base
de l'influence mutuelle qui s'exerce dans des groupes de pairs
quant à ces pratiques : la ritualisation et la légitimité de cette
fréquentation en tant qu'activité sociale; l'entraînement et
l'engagement réciproque dans cette pratique entre amis; la
consommation d'alcool et la recherche d'un climat d'ivresse
partagée au cours de ces " virées "; la pression explicite des
autres membres du groupe sur les pairs réfractaires. A la
lumière de leurs résultats, les auteurs soulignent l'aspect
incontournable des fondements socioculturels dans l'étude des
comportements sexuels. Enfin, ils discutent les implications
de leurs observations par rapport au contexte du sida, et ce
dans une double perspective :
- le sida en tant que facteur de changement social au niveau
de la vie sexuelle extramaritale des hommes thaïlandais;
- les problèmes que pose cette épidémie, tant au niveau des
politiques institutionnelles qu'au niveau des stratégies
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individuelles concernant la gestion des risques, et plus
particulièrement celles des femmes.
Cette recherche montre avec bien-fondé que l’étude de la vie
sexuelle, au-delà des statistiques qui quantifient des
comportements sexuels, englobe des questions de mode de
vie et de culture sociale fondamentales à la fois pour
l’individu et pour son environnement. La dynamique
psychosociale qui se profile derrière le vécu des relations
sexuelles extramaritales dans la société thaï, leurs contextes
d'actualisation et leurs fonctions par rapport aux pairs
permettent de cerner les comportements sexuels en tant que
pratiques sociales au cœur des influences socio-culturelles et
des relations entre groupes et individus. Les résultats
illustrent avec finesse l'incidence d'une socialisation normée
et l'influence prépondérante que peuvent avoir les climats
socio-affectifs entre pairs sur la vie sexuelle : elle s’inscrit
essentiellement dans un cadre et une dynamique interactive
en référence aux autres (2). Dans cette perspective, les auteurs
offrent une démonstration de la pertinence d'une démarche de
contextualisation, fondée tant du point de vue théorique
(articulation entre processus sociaux et vie sexuelle) que
pragmatique (située au niveau épidémiologique), dans l'étude
des comportements sexuels. Elle s'appuie sur une exploitation
convaincante du matériel recueilli, à partir d'une analyse de
données textuelles assistée par ordinateur. Et ce, malgré le fait
que les auteurs ne précisent pas très clairement ni la façon
dont les différents thèmes exposés ont été dégagés de
l'ensemble du corpus ni même l'incidence éventuelle d'autres
thématiques dans les discours des interviewé(e)s.
Les résultats présentés spécifient comment la vie sexuelle
dans la société thaï est scriptée par des patterns sociaux,
définissant une socialisation sexuée fortement dissymétrique
et une spécification comportementale en fonction du genre.
Comme le rapportent les auteurs, malgré quelques différences
observées en fonction des classes sociales ou en fonction de
la dimension urbain/rural, le rôle et la fonction de l'influence
mutuelle entre pairs par rapport à ce mode de sexualité
masculine apparaissent de façon transversale et analogue dans
les différents milieux socio-spatiaux étudiés, y compris dans
les discours des femmes. Les auteurs permettent de saisir les
jeux de influences, ils en donnent plusieurs illustrations à
travers différents extraits des discours. Cependant, les
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résultats présentés ne permettent pas toujours d'appréhender
avec précision les systèmes de représentation qui fondent cet
ordre social institué, et notamment celles qui sous-tendent les
rapports à la sexualité des hommes et des femmes dans cette
société et les asymétries qui les structurent. Dans une telle
perspective, il conviendrait, par exemple, d’envisager
l'exploration des conceptions définitoires de la sexualité
masculine et féminine, de la sexualité dans le cadre du
mariage et de celle relevant du domaine de la prostitution ou
encore du rôle de la sexualité dans la valorisation de l'identité
masculine et dans les rapports de socialisation entre les
hommes. L'étude de ces systèmes représentationnels aura sans
doute permis d'accéder à un niveau supplémentaire d'analyse :
celui qui concerne les conceptions de la normativité sociale et
l'univers des aspirations qui sous-tendent les jeux d'influence
mutuelle entre pairs et donnent sens à la dialectique
valorisation/dévalorisation en tant que climat social dans ces
groupes d'hommes (image de soi, compétition sociale...). A
cet égard, une telle analyse aurait pu davantage expliciter les
ressorts psychosociaux de l'expression " glua mia " (avoir
peur de sa femme) en tant que forme et force d'influence
qu'exercent les amis à l'intention du réfractaire et à la base des
pressions réciproques.
Au-delà de ces aspects, cette contribution argumente la
nécessité pour la prévention du sida de considérer les aspects
socioculturels qui façonnent la vie sexuelle. La prise en
compte de ces dimensions permet de mieux déterminer le
contexte interprétatif dans lequel l’information sur le sida est
intégrée, les significations qui la sous-tendent et les cadres
relationnels et sociaux où se pose la gestion des risques.
D'après les résultats de cette recherche, et ce malgré le fait
que les auteurs ne fournissent pratiquement aucune indication
concluante permettant de cerner l'utilisation du préservatif
dans les rapports avec les prostituées, les modes d'adaptation
face aux risques passent directement par la promotion de
nouvelles normes sociales dans un domaine où les habitudes
sociales paraissent très fortement enracinées. En ce sens,
l'étude de l'évolution des comportements de fréquentation des
bordels par les hommes et celle des modes de gestion des
risques qui y sont associés représentent une piste de recherche
particulièrement saillante qui, sans nul doute, devrait donner
lieu à de futures investigations. Il s'agit là d'un défi pour la
prévention du sida et ses possibilités " objectives " dans le
contexte épidémique et socioculturel de la société thaï. -
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La fréquentation du bordel chez les hommes thaï : comportements sexuels, pratiques sociales et prévention du sida
Themis Apostolidis
1 - Laumann EO, Gagnon JH
" A sociological perspective on sexual action ", In : Parker RG and
Gagnon JH (Eds), Conceiving sexuality
1995, Routledge, London
2 - Apostolidis T
" Représentations sociales de la sexualité et du lien affectif : la logique
relationnelle des comportements sexuels ", In : Calvez M, Paicheler G et
Souteyrand Y (Eds), Connaissances, représentations, comportements :
Sciences sociales et prévention du sida
1994, Paris, ANRS
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