Que va changer l'accès du patient à son dossier médical ? Revue critique de l'actualité scientifique internationale sur le VIH et les virus des hépatites n°85 - juillet/août 2000 AVANT-PROJET DE LOI Que va changer l'accès du patient à son dossier médical ? Isabelle Célérier (Pistes) Initié par Simone Veil de retour aux Affaires sociales, qui voulait réactualiser la Charte du patient hospitalisé, le processus amenant à l'accès direct des patients au dossier médical entre dans sa dernière ligne droite: cette mesure symbolique de l'avant-projet de loi de modernisation sanitaire devrait être présentée en septembre en Conseil des ministres avant d'être soumise au Parlement au cours de l'hiver. Plébiscitée par une majorité des Français, redoutée par certains membres du corps médical, cette réforme doit beaucoup à la prise en charge de l'infection à VIH qui, comme le souligne le président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), Didier Sicard, " a été un moteur sans ambiguïté ". Un texte qui contente tout le monde (ou presque) Renforcement des droits des usagers de la santé, possibilité pour le patient d'avoir un accès direct à son dossier, meilleure représentation des associations, mais aussi formation médicale continue obligatoire ou réforme de l'Ordre des médecins: telles sont quelques-unes des dispositions qui figurent dans l'avant-projet de loi de modernisation sanitaire qui sera présenté en septembre au Conseil des ministres. Parmi celles-ci, l'article I-B-6 sur le dossier médical stipule http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/85_1210.htm (1 sur 7) [11/04/2003 15:15:07] Que va changer l'accès du patient à son dossier médical ? notamment que " toute personne a droit de prendre connaissance de l'ensemble des informations concernant sa santé détenues par des professionnels et établissements de santé ayant contribué à l'élaboration et au suivi du diagnostic et du traitement ou ayant fait l'objet d'échanges écrits entre professionnels notamment: des résultats d'examen, comptes rendus de consultation, d'intervention, d'exploration ou d'hospitalisation, des protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en œuvre, feuilles de surveillance, correspondances entre professionnels de santé, à l'exception des informations mentionnant qu'elles ont été recueillies auprès de tiers n'intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers. Elle peut accéder à ces informations directement ou par l'intermédiaire d'un praticien qu'elle désigne (...) la présence d'une tierce personne lors de la consultation de certaines informations pouvant être recommandée par le médecin (...) pour des motifs déontologiques tenant aux risque que leur connaissance sans accompagnement pourrait faire courir à la personne concernée. " Le droit à l'accès aux informations médicales s'exerce dans un délai de 8 jours à compter du dépôt de la demande, après expiration d'un délai de réflexion de 48 heures. Pour les informations médicales établies depuis plus de 5 ans, ce délai d'accès est porté à deux mois. Une personne mineure (de plus de 16 ans en situation de détresse) peut s'opposer à ce que le ou les titulaires de l'autorité parentale accèdent directement aux informations médicales la concernant. En cas de décès du malade, ses ayants droit peuvent accéder, sur leur demande, " aux seuls éléments du dossier nécessaires pour leur permettre de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits " mais cet accès ne pourra avoir lieu " si le défunt a exprimé une volonté contraire ". Un décret en Conseil d'Etat fixera les conditions d'application du présent article tandis que les modalités d'accès aux informations concernant la santé d'une personne et notamment l'accompagnement de cet accès feront l'objet de recomandations de bonnes pratiques établies par l'Anaes (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé) et homologuées par arrêté du ministre chargé de la santé. A l'étude depuis une dizaine d'années, reactivé par les Etats généraux de la santé, le projet d'accès direct au dossier médical http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/85_1210.htm (2 sur 7) [11/04/2003 15:15:07] Que va changer l'accès du patient à son dossier médical ? est entré cet été dans sa phase finale avec la divulgation par le Secrétaitre d'Etat chargé de la santé, Dominique Gillot, des grandes lignes du projet de loi santé - beaucoup plus vaste - qui devrait être présenté à l'automne en Conseil des ministres. Une mesure attendue de longue date, même si sa mise en œuvre inquiète encore nombre de médecins. Interrogés en mars par Le Quotidien du Médecin, 60% des médecins libéraux et hospitaliers affirmaient en effet n'être " pas favorable " à l'accès du patient à son dossier médical, arguant notamment que cela allait " modifier la relation " (81%) et " le consentement du patient à certains traitements " (90%), ou encore " risquer de majorer l'anxiété du malade " (80%). A la même époque, Libération publiait un sondage dans lequel 88% des personnes interrogées se déclaraient pour un accès libre au dit dossier, y compris aux documents qui posent problème comme les observations écrites du médecin ou les correspondances entre confrères. Après des mois de négociations entre administration et associations, le gouvernement semble donc avoir abouti à un texte (voir encadré) qui contente le plus grand nombre. Ainsi, comme le souligne l'animateur du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), Pierre Lascoumes, " nous sommes satisfaits que le texte ne parle pas d'accès au "dossier médical" mais plus largement à l'ensemble des informations concernant la personne ". " Cette mesure va permettre d'améliorer la tenue des dossiers ", se réjouit-il avant de battre en brèche les arguments d'un corps médical trop frileux dont certains membres craignent l'avalanche de contentieux: " En général, un patient ne demande à avoir accès aux informations médicales le concernant qu'à partir du moment où il n'est pas satisfait de sa relation avec son médecin. " Ancien responsable de la commission juridique de l'association Aides, Pierre Lascoumes reconnaît sans ambages l'influence de l'infection VIH dans la mise en œuvre de la réforme. " C'est vrai que ce qui se passe dans le cas de l'infection VIH est plutôt le "bon exemple" des relations médecin-malade. Les patients vont chercher l'information, se font commenter les prescriptions par des proches ou des associations, mais c'est lié à la particularité de la maladie. Le médecin répond souvent " je ne sais pas, on va essayer ça..." à la différence d'autres pathologies pour lesquelles les médecins ne sont pas habitués à communiquer avec leurs patients et auxquels ils assènent plutôt un "on fait ça et c'est comme ça". " Pour Didier Sicard, le président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), il est, de même, " évident que le VIH a joué un rôle essentiel dans cette réforme ", et ce pour de multiples http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/85_1210.htm (3 sur 7) [11/04/2003 15:15:07] Que va changer l'accès du patient à son dossier médical ? raisons: les hommes " au discours ferme et militant ", les rapports différents qu'elle a créés entre médecins et malades, notamment parce que tous deux sont souvent du même âge, le caractère " socialement marqué " de la pathologie qui a rassemblé les personnes, créé des espaces de parole, mis en commun la souffrance et les problèmes ressentis et par là-même organisé des groupes " plus revendicatifs " que l'auraient été des malades isolés, mais aussi parce qu'il y a peu de pathologies où le cheminement entre le patient et son médecin soit aussi long, " où tous deux soient en situation de progresser ensemble ". Depuis 1982-83, les patients qui ont survécu ont, en effet, rarement changé de médecin instaurant, du même coup, entre eux " un dialogue où le non-dit est réduit ". Spécifiques à cette pathologie, ces nouvelles relations médecins-patients ont ainsi, selon Pierre Lascoumes, " beaucoup éclairé la discussion avec le gouvernement pour argumenter et montrer que ce n'était pas que théorique, abstrait ", et que proposer l'accès au dossier médical n'était pas forcément synonyme de revendications conflictuelles. " Il faut faire progresser l'accès au dossier, martèle donc Didier Sicard, mais la question c'est aussi qu'on ne peut pas faire du VIH le paradigme de l'ensemble des maladies dont souffre l'humanité. Et je me garderais bien de parler en termes de progrès, de dire si c'est un bien ou un mal. " " C'est une demande légitime, reprend-il, une évidence, mais il ne faut pas que cette évidence se retourne contre le malade ", autrement dit, que l'accès au dossier se fasse n'importe comment et que le médecin dise: " vous l'avez demandé, je vous le donne, débrouillez-vous avec ", comme on le ferait avec un quelconque dossier administratif. Pour le président du CCNE, il serait ainsi " affreux de dire que c'est une victoire des malades sur les médecins. Simplement, le médecin ne sera plus seul à détenir des informations relatives au patient ". Mais il se devra alors d'accompagner, d'expliquer… Et dans la pratique, il faudra, selon lui, séparer le " rétroactif " du " prospectif ". " Le rétroactif, précise-t-il, ce sont les dossiers qui n'étaient pas faits pour être mis à disposition du malade et qui pouvaient contenir des annotations désinvoltes comme "malade manipulateur" ou "je ne lui ai pas dit pour ne pas l'affoler". " Tous ces éléments qui n'étaient pas sensés être communiqués. " En prospective, poursuit-il, quand un médecin rédigera un dossier, il devra penser qu'il pourra être lu par son malade et garder à l'esprit l'éventualité du dialogue. " Reste la psychiatrie et ses mots -maux- comme "paranoïaque", "délirant"... " et là, insiste Didier Sicard, il ne faut pas faire n'importe quoi. Les mots de la médecine peuvent paraître http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/85_1210.htm (4 sur 7) [11/04/2003 15:15:07] Que va changer l'accès du patient à son dossier médical ? triviaux, être considérés comme des insultes. Je pense qu'il faudrait faire appel à un tiers, que le dossier ne soit pas directement consultable par des patients atteints - par définition - de maladies de la relation. " Confiant, le président du CCNE ne craint apparemment pas un accroissement inconsidéré des demandes: " Il y a beaucoup de malades que ça arrange que le dossier reste à l'hôpital. Le garder chez soi peut s'avérer très embêtant pour les proches, l'entourage, la famille, les parents..., qu'une mère puisse, par exemple, découvrir l'existence de l'IVG de sa fille. Que le dossier puisse être maintenu dans l'Institution est parfois garant du secret. " Pour le médecin, la mise en œuvre de l'accès direct au dossier devrait ainsi " être très simple ". " Je ne crois pas qu'il y aura d'oppositions difficiles, explique-t-il, c'est un changement culturel, un élément pédagogique du respect du malade et les combats d'arrière-garde sont, en l'occurrence, des combats "conservateurs" au mauvais sens du terme, rétrogrades. " Et à ceux qui voient dans cette réforme un palliatif à la disparition de la communication entre les praticiens et leurs patients, il rétorque: " Le dialogue disparaît parce que la médecine demande de plus en plus de technique et parce que le malade exige simultanément technique et relation. Le langage de la globalité - la relation - et celui du découpage - la technique avec ses différents examens -, sont effectivement très difficile à concilier. " Mais décidément " confiant ", Didier Sicard pense que " tout cela se fera en douceur " et que " cette transparence croissante améliorera de manière significative la relation médecin-malade ". " J'espère seulement que cela ne se transformera pas en une sorte de procès entre médecin et malade " ajoute-t-il, comme pour tempérer son optimisme. Chez les généralistes, en première ligne du " colloque singulier ", les enjeux sont autres. A l'image de Catherine Oresve, généraliste à Bagnolet, en Seine-Saint-Denis, dans un cabinet de groupe qui existe depuis 30 ans et qui avoue sans sourciller " ce projet m'angoisse un peu ". Non pas pour les médecins, mais " pour ces gens qui se verront assener des vérités de manière brutale, qui vont se précipiter sur Internet, demander d'autres avis ", bref se livrer à " une chasse à l'information complètement angoissée ". " Je ne suis pas sûre que cela soit utile, mais certainement traumatisant " lâche-t-elle. " En pratique, explique-t-elle, quand les patients me demandent leur dossier, je leur donne. Mais c'est comme si, implicitement, ils savaient de quoi il retourne. Quand le pronostic est très péjoratif, ils se doutent de quelque chose, et ils ne demandent jamais leur http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/85_1210.htm (5 sur 7) [11/04/2003 15:15:07] Que va changer l'accès du patient à son dossier médical ? dossier. " Une généraliste qui ne semble, de fait, pas comprendre la nécessité d'inscrire dans un texte de loi cette revendication des patients. " Quand les choses sont évoquées de manière précise, sans être brutale, il n'y a pratiquement aucune demande de dossier. " D'où l'avantage de suivre les mêmes patients depuis longtemps. " La relation de confiance qui s'établit parfois depuis une dizaine d'années est un bon préalable quand un gros pépin arrive. C'est tout ce capital qui fait qu'on n'a pas besoin de ça (du dossier) pour fonctionner. " Pour Catherine Oresve, " le plus dur ", c'est ainsi d'arriver à " être honnête mais sans être définitif, en gardant une forme d'espoir " indispensable au bien-être des patients. " Quand ils comprennent qu'ils ont quelque chose de grave et adhèrent bien au traitement, même sous chimiothérapie, il y a toujours chez eux une sorte de pensée magique et il faut absolument ménager cette possible ouverture, cet espace de doute. " Ce qui ne sera peut être plus possible si les dossiers sont remis n'importe comment. " Encore une fois, reprend Catherine Oresve, quand un patient me demande nominalement son dossier, je lui donne. Je suis même à disposition pour éclaircir certaines choses, mais toujours dans un dialogue de confiance. Sans forcément mettre les points sur les "i" de façon brutale. Avec les dossiers d'hôpital, on risque d'avoir un rôle de traducteur et il faut y réfléchir. Est-ce qu'on va aménager une vérité en arrondissant les angles, en ménageant l'espoir, sans pour autant donner de faux espoirs? " " Tombée des nues " en apprenant que nombre de ses confrères travaillaient sans dossiers - le généraliste n'est pas tenu d'en avoir -, elle reconnaît que le projet modifiera vraisemblablement sa manière de faire. " Je ne ferai pas deux dossiers (comme certains l'envisagent) mais je les rédigerai autrement. Ils perdront en clarté et pour certaines spécialités ils risquent même de devenir complètement obscurs. Les formules (chimiques) pourront très bien remplacer les mots. " " Le médecin sachant que ce qu'il écrit pourra être lu par le patient, ce dernier sera toujours "présent" dans la tête du médecin lorsqu'il rédige, et ceci va sans doute modifier ce qu'il inscrira, confirme Florence Janiaud. Il pensera au sujet et plus seulement à la pathologie en question. Les choses ne pourront sans doute plus être écrites de la même façon. " Généraliste dans le 13e arrondissement à Paris, elle se rappelle le cas d'une patiente qui - avant même que le droit d'accès au dossier soit inscrit dans les textes - " m'a arraché des mains la lettre d'un rhumatologue qu'elle avait consulté et dans laquelle celui-ci disait de façon brutale qu'elle était dingue ". " Ce fut http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/85_1210.htm (6 sur 7) [11/04/2003 15:15:07] Que va changer l'accès du patient à son dossier médical ? une consultation épique, se souvient-elle, mais parfois il peut être salutaire que les choses soient dites clairement. Cela n'a d'ailleurs ni amélioré ni aggravé sa folie… " Plus radicale que Catherine Oresve, elle souligne qu'à son sens, " en aucun cas le dossier ne devrait être livré in extenso au patient mais être commenté pas à pas par le médecin. On peut penser que ce type d'explication de son dossier au malade pourra lui laisser entrevoir la démarche médicale et souvent - comme c'est le cas pour les maladies graves - la multiplicité des intervenants ". Autant d'éléments qui pourraient, à terme, permettre de " démystifier l'idée que les médecins "cachent" des choses importantes ". Mais, pour Florence Janiaud, il importe également de savoir à quoi servira le dossier " à une époque où les dérives judiciaires peuvent se produire ". " On peut imaginer les différentes écoles médicales batailler et se contredire comme les médecins de Molière, s'inquiète-t-elle, et ceci n'améliorera sans doute pas la prise en charge des patients. " Mais le débat de la réforme étant désormais lancé, " on ne peut plus reculer sous peine de laisser imaginer que des secrets monstrueux se trouvent dans le dossiers et que, comme d'habitude, la corporation médicale veut travailler dans l'ombre comme les sorciers du Moyen-Age ". Et la généraliste de s'en remettre, pour conclure, aux législateurs... " C'est à eux de légiférer " ! http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/85_1210.htm (7 sur 7) [11/04/2003 15:15:07]