REMPLACER LE SUCRE, UN EXERCICE À HAUTS RISQUES ?
INDUSTRIES ALIMENTAIRES :
REMPLACER LE SUCRE,
UN EXERCICE À HAUTS RISQUES ?
Claude RISAC, Directeur général du Centre d'Etudes et de Documentation du Sucre
De nombreux industriels de l'alimentaire procèdent
aujourd'hui à une reformulation de leurs produits afin
d'en optimiser le profil nutritionnel. Ils y sont conduits
à la fois par la recherche d'une différentiation concur-
rentielle et par la demande pressante des pouvoirs
publics, notamment au travers du Programme
National Nutrition Santé (PNNS).
La réduction de la teneur en sucres simples, et singu-
lièrement en saccharose, est souvent l'un des para-
mètres majeurs de cette modification des recettes.
Cette baisse ira d'une simple réduction de quelques
pour cent à un véritable allégement susceptible d'être
revendiqué en tant que tel sur l'étiquetage.
Cette opération de la réduction en sucre est présentée,
par les industriels d'une part et par les pouvoirs
publics d'autre part, à la fois comme un bénéfice pour
la santé et comme sans incidence majeure sur le pro-
duit tel que le consommateur le connaît souvent de
longue date.
Or, ces deux acteurs majeurs de la nutrition et de la
santé publique passent sous silence le fait qu'il n'y a
qu'exceptionnellement baisse de la teneur en sucres
simples sans substitution par d'autres ingrédients. En
effet, les unités consommateurs des produits alimen-
taires correspondent le plus souvent à des unités de
poids. Il va donc falloir compenser le grammage
apporté par le sucre. Mais il faudra aussi et surtout
remplacer le sucre non seulement dans sa capacité à
apporter le goût sucré, mais dans ses multiples fonc-
tions technologiques.
Le sujet est il vrai d'une complexité qui rend l'informa-
tion du consommateur malaisée. En réalité, la réduction
en sucre passe le plus souvent par des opérations plus
sophistiquées que la simple substitution d'un ingrédient
par un autre. L'industriel procède à une véritable
déconstruction de l'aliment brique par brique pour le
reformuler en se fixant la contrainte d'un taux de sucre
fixé à priori. Le résultat sera, dans la plupart des cas un
nouvel aliment qui s'inscrira pour le consommateur
dans la continuité d'une catégorie ou d'une marque qu'il
connaît, mais qui sera, dans sa composition, bien diffé-
rent. Sous couverts d'une simple réduction de la teneur
en sucre, ce sont de véritables "chimères" alimentaires
qui sont mises sur le marché.
Le paradoxe est que pour répondre à la demande d'une
alimentation "saine et naturelle" par le consommateur,
les industriels proposent des produits de plus en plus
sophistiqués portés par une vague alimentaire light et
technologique.
Quel intérêt pour la santé du
consommateur ?
C'est bien entendu la grave question de l'obésité qui
motive la tendance à la baisse de la teneur en sucre. Le
Programme National Nutrition Santé recommande à
l'ensemble de la population d'augmenter sa consom-
mation totale de glucides afin qu'ils représentent plus
de 50% des apports énergétiques totaux et de réduire
de 25% sa consommation de sucres simples. Par rap-
port à quel niveau de consommation est fixé cette
objectif? Concerne-t-il chaque produit sucré ou l'en-
semble des produits consommés sur une période don-
e ? Vise-t-il la consommation totale d'une popula-
tion ou se rapporte-il à l'individu dans sa singularité ?
Autant de questions auxquelles le Programme ne
répond pas. L'AFSSA, dans son rapport sur les glu-
cides peine à documenter scientifiquement l'objectif
du PNNS.
Les sucres simples peuvent jouer, en tant qu'apporteur
de calories, un rôle dans la prise de poids et de l'obé-
sité dans le cadre d'une alimentation déséquilibrée.
Mais ce rôle ne semble pas spécifique, et la simple
réduction en sucre de l'aliment n'est pas, à priori, sus-
ceptible d'apporter une réponse adéquate à la question
du surpoids et de l'obésité.
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Prenons le cas d'une compote dans laquelle 10% de
sucre ajouté serait remplacé par 10% de fruits en plus.
Du fructose -sucre simple- se substitue au saccharose,
autre sucre simple. Dans ce cas la teneur en sucres
simples et le nombre de calories restent identiques.
Dans un biscuit, un apport de farine peut reconstituer
le croustillant apporté par le sucre. Cette fois un glucide
complexe prendra la place d'un sucre simple pour une
quantité de glucides inchangée, et donc un apport
calorique identique. Un additif conservateur, et parfois
un correcteur d'acidité, devront y être incorporés.
Les exemples pourraient être multipliés sans que
l'intérêt de ces produits pour la santé du consommateur
puisse être démontré.
Le cas des allégés
Un produit allégé en sucre doit contenir au minimum
25% de sucres en moins que le produit standard. Mais
c'est souvent l'industriel qui construit lui-même sa réfé-
rence, faute de produit standard clairement identifié.
Dans ce cas, le sucre est soit enlevé, soit remplacé par
des matières grasses, et souvent par des additifs.
Certains de ces produits peuvent donc contenir autant,
voire plus de calories que le produit de référence. Ce
qu'ignorent de nombreux consommateurs puisque
60% d'entre eux pense qu'un allégement en sucre
implique un allégement en calories1.
Globalement, aucune étude scientifique ne permet de
prouver que les allégés font maigrir, ni qu'ils contri-
buent à contrôler son poids à long terme. Les données
sont rares et difficiles à interpréter.
De nombreux praticiens observent des surconsomma-
tions compensatoires de produits allégés qui favori-
sent des dérèglements du comportement alimentaire.
Après s'être privé de produits nourrissants et récon-
fortants, leurs patients, qui avaient ingérés de gros
volumes de produits désénergisés, finissent par "cra-
quer" et par enchaîner sur des aliments à forte densité
calorique qu'ils engloutissent sur le même mode.
Ainsi, non seulement les allégés apportent bien des
calories, mais ils sont soupçonnés de conduire à une
surconsommation nocive.
Le sucre remplacé par de nombreux
additifs complexes.
Réduction et allégement supposent donc, pour des rai-
sons gustatives et technologiques, le recours à des
additifs. Parmi les vingt-quatre recensées, cinq caté-
gories d'additifs sont particulièrement concernées
1 Enquête TNS Sofres (échantillon de i 000 personnes
âgées de 15 ans et plus représentatif de la population
française). Avril 2006.
lorsqu'il s'agit de remplacer le sucre : les édulcorants,
les agents de charges, les épaississants, les gélifiants
et les conservateurs.
Ces produits, qu'ils soient d'origine naturelle ou de
synthèse obéissent au principe de la liste positive
selon lequel tout ce qui n'est pas autorisé est interdît.
Ils sont soumis à des tests toxicologiques qui garan-
tissent l'absence de risques pour la santé humaine. Un
certain nombre d'entre eux sont soumis à une DJA
(Dose journalière admissible) qui spécifie la quantité
d'additif qui peut être ingéré quotidiennement sans
risque. Même après autorisation, l'emploi des additifs
fait l'objet d'une attention suivie, puisque les direc-
tives européennes concernant les additifs et les édul-
corants ont été revues plusieurs fois, et le seront à
nouveau dans l'avenir, pour tenir compte des évolu-
tions scientifiques et techniques.
En revanche, ce qui est fort peu étudié, ce sont les
conséquences de l'interaction de ces produits entre
eux au regard de la santé humaine. Une question d'au-
tant plus importante que la puissante incitation des
promoteurs du Programme national nutrition santé sur
les industriels, les artisans et les distributeurs pour
réduire la teneur en sucre des aliments aura pour
conséquence mécanique une augmentation brutale de
la consommation d'additifs.
Le Cédus a maintes fois attiré l'attention du
Programme National Nutrition Santé sur ce sujet,
mais aucune étude d'impact n'a été mise en œuvre, ce
qui est pour le moins étonnant au regard du principe
de précaution qui figure désormais dans le préambule
de la Constitution.
Le consommateur est-il informé ?
Le consommateur n'a guère conscience des modifica-
tions profondes apportées aux aliments qu'il ingère
quotidiennement. A l'heure où les associations de
consommateurs réclament, à juste titre, un étiquetage
des produits alimentaires plus informatif, la réduction
en sucre conduit à substituer un produit parfaitement
connu, le sucre, par d'autre parfaitement inconnus.
Certes, cela ne signifie pas que ces additifs aux noms
étranges soient nocifs, mais que le consommateur n'a
aucune capacité à se représenter comment est élaboré
le produit qu'il a en main ou dans son assiette.
Une enquête TNS Sofres de 2006 est à cet égard éclai-
rante. 86,2% des consommateurs, confrontés à une
liste d'ingrédients couramment utilisés pour remplacer
le sucre, déclarent ne pas connaître ces produits.
Le bon sens commande pourtant de penser que l'on se
nourrit mieux si l'on connaît ce que l'on mange.
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Changer de perspectivesLe paramètre image
Intérêt nullement démontré pour la santé, pas d'études
d'impact et risques d'image : la réduction en sucre n'ap-
paraît ni comme une panacée, ni comme une voie si
évidente qu'ont semblé le croire certains. Un réexamen
serein du dossier par les industriels de l'alimentation
s'impose, à la condition que chacun des acteurs de ce
secteur d'activité veuille bien regarder le dossier dans le
sens de l'intérêt à long terme de son entreprise, de ses
produits et marques, et surtout de ses clients.
Dans la chaîne complexe de l'élaboration d'un produit
chez l'industriel, plusieurs métiers vont intervenir suc-
cessivement ou concurremment avec chacun leur
regard particulier sur le sucre.
Le marketing est celui qui va tout à la fois tenter de
répondre à une demande supposée du consommateur,
mais aussi la créer. Il s'attachera au positionnement
face aux concurrents, à la politique de prix consom-
mateur et à la communication du produit en partant de
son packaging jusqu'à la publicité en passant par la
promotion.
Le diététicien ou le nutritionniste s'attachera, en inter-
action avec le marketing, aux caractéristiques nutri-
tionnelles des différents produits sucrants.
Il constatera que le sucre a des avantages connus,
quelques inconvénients qui le sont également, mais qu'à
tout prendre, il pose globalement moins de problèmes
d'utilisations que ses concurrents.
L'acheteur va, lui, prendre en compte le paramètre
"prix". Sur ce terrain, il est prématuré de tirer par avan-
ce des conséquences des évolutions réglementaires
européennes intervenues en 2006.
Aujourd'hui comme hier, le prix du sucre pour l'indus-
triel reste dépendant de phénomènes largement exté-
rieurs à l'entreprise. Cet acheteur restera donc attentif au
positionnement économique à venir du sucre au sein du
marché des édulcorants et des additifs.
Le formulateur va quant à lui s'attacher à considérer les
qualités technologiques requises. En s'attachant à
décrire exhaustivement la liste des rôles technolo-
giques du sucre, il constatera que le saccharose peut
être remplacé pour tel ou tel usage par un de ses
concurrents. Mais il constatera aussi que le sucre, par
la multiplicité de ses talents, couvre l'essentiel des
besoins et s'assure une place de choix, seul ou en
mélange, dans les formulations de nombreux produits.
L'image est un paramètre fort du choix de l'industriel
qui n'est pas assez pris en compte. Dans certains cas,
et au-delà de la formulation au sens de la technologie
alimentaire, le sucre est lié à une "recette", connu du
consommateur qui s'attend à le trouver dans le produit
qui est pour lui lié à l'image, à l'imaginaire et au sou-
venir qu'il a d'un aliment particulier.
Dans le denier baromètre sucre, une étude lourde du
type "usage et attitude", la note globale attribuée au
sucre est de 7,1/10. Une note remarquable si l'on veut
bien songer à la persistance du bruit de fond anti-sucre.
Fait intéressant, la note attribuée par les femmes de 25
à 50 ans, dont le rôle est toujours déterminant dans la
consommation alimentaire des familles, n'a pas bougée
depuis 2000, date du premier baromètre biennal du
Cédus qui est en est à sa troisième édition.
Le sucre apparaît très majoritairement comme un
ingrédient essentiel dont on ne saurait se passer. Seul
l'abus est pointé négativement par les participants à
ces études.
Entre les aspirations du consommateur et les réponses
ultra-technologiques de l'industrie, le fossé se creuse
et la contradiction ne manquera pas d'apparaître en
plein jour. La prise de conscience est à terme inévi-
table. Quelques articles virulents de la presse consu-
mériste en sont les prémices.
Le retour en grâce du sucre est donc une hypothèse
sur laquelle if est raisonnable de se fonder.
C'est pour cette raison que le secteur sucrier, au tra-
vers du Cédus, dont c'est l'une des missions, attache
une grande importance à l'image du sucre. Cette
image forte est le bien commun de l'industrie sucrière
et des utilisateurs du saccharose qu'il faut entretenir,
faire prospérer et défendre. En effet, toute atteinte à
cette image complexifiera demain la tâche des indus-
triels de l'alimentation.
Face à un consommateur perturbe par des messages
contradictoires issus de multiples émetteurs, le sucre
reste une valeur sûre dont les qualités lui sont connues
depuis des siècles.
Quel produit sucrant concurrent du saccharose pour-
rait se prévaloir d'un tel capital ?
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