LES FAUSSES CONFIDENCES

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Mise en scène
Didier Bezace
Assistance
à la mise en scène
Dyssia Loubatière
Scénographie
Jean Haas
© Marc Daniau
Costumes
Cidalia Da Costa
Lumières
Dominique Fortin
LES FAUSSES CONFIDENCES
Marivaux
MAISON DE L’ÉDUCATION
Dossier
pédagogique
MAISON DE L’ÉDUCATION
LES FAUSSES CONFIDENCES
Marivaux
Biographie
Le texte
Les sources
© Marc Daniau
Mise en scène
Didier Bezace
Assistance à la mise en scène
Dyssia Loubatière
Scénographie
Jean Haas
Lumières
Dominique Fortin
Costumes
Cidalia Da Costa
Remerciements au théâtre de la Commune pour les prêts de documents
écrits et iconographiques.
Notes : toutes les références au texte
de Marivaux s’appuient sur le texte
paru chez Pocket Classique, n° 6162
qui présente l’édition de 1738.
L’influence des Italiens
L’argument
La construction de l’œuvre
L’analyse des personnages
L’analyse des thèmes
La dramaturgie
Les intentions du metteur en scène
La mise en scène
Quelques textes critiques
La réception du temps de Marivaux
Quelques critiques du XXe
La réception du spectacle monté par Didier Bezace
Ressources
Ce dossier pédagogique
destiné aux professeurs a été réalisé par
Caroline Jouffre,
professeur de lettres
relais de l’Inspection académique des Yvelines
auprès de la Scène nationale de Saint-Quentin-en-Yvelines
Mars 2010
2
MAISON DE L’ÉDUCATION
Biographie
On proposera l’article de Catherine Bonfils
dans Le Nouveau Dictionnaire des Auteurs,
Tome II, Laffont-Bompiani, 1994 :
« Auteur dramatique et romancier français. Né et mort à Paris : 1688 – 1763. En
1698, son père obtient une charge à la
Monnaie de Riom ; sa mort en 1719 met fin
à une laborieuse et honnête carrière administrative. Marivaux a probablement été
inscrit au collège des oratoriens de Riom,
où il aura reçu une sérieuse éducation classique. Envisageant de prendre la succession
de son père, ou convaincu qu’une vocation
littéraire ne s’épanouit que dans la capitale, il s’inscrit plusieurs fois à la faculté de
droit de Paris, à partir de 1710, et obtient
même sa licence en 1721. Neveu et cousin,
par sa mère, des grands architectes Pierre
et Jean-Baptiste Bullet de Chamblain, il
fréquente sans doute davantage les milieux
artistiques et littéraires que la faculté.
En 1717, Marivaux épouse Colombe Bollogne ; elle lui apporte une modeste fortune bientôt dissipée par la crise de Law.
Veuf en 1723, il lui reste une fille, Colombe-Prospère, qui entrera en religion en
1745. Élu à l’Académie Française en 1742,
Marivaux achève auprès de Mademoiselle de Saint-Jean, qu’il n’épousera pas, une
existence dont on ne connaît presque rien.
Seule l’œuvre témoigne d’une personnalité
littéraire qui compte parmi les plus remarquables de son siècle.
Son premier ouvrage publié est une comédie en vers, Le Père prudent et équitable
(1712), dont on ne sait si elle fut jamais
représentée. En 1713, de deux romans, Les
Effets surprenants de la sympathie et Pharsamon ou les Nouvelles Folies romanesques,
seul paraît le premier. Ces romans « de jeunesse » sont restés inconnus des historiens
de la littérature, et à plus forte raison du
public, jusqu’au jour où Frédéric Deloffre
les a réédités (1972). Assurément, ils n’ont
pas reçu l’attention qu’ils méritaient au
moment de leur publication. Aujourd’hui,
le lecteur est frappé par la modernité et
l’acuité de la réflexion critique sur l’art du
romancier qu’ils proposent, et y reconnaît
la source et la première manifestation du
génie créateur de Marivaux. […] L’écriture
à la première personne, mémoires, lettres,
relations, entretiens, se développe [alors]
de manière remarquable.[…] D’une part, il
est intéressé par les structures anciennes,
le foisonnement, la fantaisie, les surprises
de l’univers romanesque baroque ; d’autre
part, il les reprend pour les soumettre à
l’épreuve de la parodie. […] En 1720, Marivaux se tourne vers le théâtre : signe d’ambition, il se présente en même temps sur
les deux scènes officielles. Au Théâtre-Italien, il propose une comédie en trois actes,
L’Amour et la Vérité, qui tombe immédiatement et dont le texte est perdu. Au Théâtre-Français où, comme tout débutant, il
attend la consécration du genre tragique,
il donne, en décembre 1720, un Annibal en
cinq actes et en alexandrins. La pièce n’a
que trois représentations. Dans le même
temps aux Italiens, une seconde comédie,
Arlequin, poli par l’amour, connaît un vif
succès ; Marivaux a la sagesse de reconnaître sa voie. Après Annibal, il donne à la Comédie-Française neuf comédies, dont deux
succès seulement, La Seconde Surprise de
l’amour (1727) et Le Legs (1736). […] Il
trouve des interprètes qui lui conviennent
parfaitement dans la troupe de Luigi Riccoboni. [Pour les Italiens], Marivaux compose ses plus grands succès : La Surprise
de l’amour (1722), La Double Inconstance
(1723), Le Jeu de l’amour et du hasard
(1730), Les Fausses Confidences (1737),
L’Épreuve (1740).
[Après 1720, la production littéraire de
Marivaux consiste essentiellement en pièces de théâtre, accessoirement en journaux,
dont l’écrivain est le rédacteur unique, enfin, à partir de 1727, en romans, auxquels
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MAISON DE L’ÉDUCATION
Marivaux s’intéresse jusqu’en 1740.]
Dans les trois domaines littéraires abordés par Marivaux, théâtre, roman et journaux, la peinture des mouvements du cœur
et l’expression du Moi, la recherche de la
vérité de l’être sous tous ses masques, la
variété et le naturel des tons, le renouvellement des techniques propres à chaque
genre et leur langage, ont été son souci
essentiel. À la fin de sa carrière, Marivaux
constate que « le fond de l’esprit humain
va toujours croissant parmi les hommes ».
On rajoutera, en s’appuyant sur la biographie proposée par les ressources documentaires du théâtre de l’Odéon, que Marivaux a été considéré comme un auteur
mineur par la génération des Encyclopédistes – même s’il a été un des auteurs
les plus joués du XVIIIe avec Voltaire – et
ce jusqu’au milieu du XXe, que son théâtre
emprunte certains traits à la Commedia
dell’Arte (typologie de personnages autour
desquels il brode des situations, use du
travestissement et privilégie l’amour) et
qu’enfin on peut voir en lui un utopiste.
En effet, son théâtre devient un lieu
d’expérimentation sociale sur la parité
comme dans La Colonie (1729, perdue puis
réécrite en 1750) où les femmes veulent
établir une république ; sur l’égalité comme dans l’Île des Esclaves, 1725, où maîtres et serviteurs échangent leurs rôles.
Pourtant, la fin de ces pièces marque la fin
des expérimentations et la fin des utopies.
On retourne à la normale.
Marivaux est surtout connu pour ses pièces qui traitent de « la métaphysique du
cœur », ce qu’on a appelé le marivaudage :
La Surprise de l’amour (1722), La Double
Inconstance (1723), Le Jeu de l’amour et
du hasard (1730), Les Fausses Confidences
(1737).
Marivaux dit avoir « guetté dans le
cœur humain toutes les niches différentes
où peut se cacher l’amour lorsqu’il craint
de se montrer », et chacune de ses comé-
dies a pour objet de le faire sortir d’une de
ses niches.
Pistes de travail
Réaliser une courte biographie. À partir
des éléments ci-dessus, les élèves réaliseront une fiche biographique qui présentera les dates de vie et de mort de l’auteur ;
les deux genres dans lequel il s’est illustré ; son genre de prédilection ;
cinq titres particulièrement célèbres.
Le texte
Les sources
Les Fausses Confidences a été créée pour
la première fois le 16 mars 1737 par les
Comédiens italiens à l’Hôtel de Bourgogne,
puis reprise au Théâtre-Français en 1793.
Les Fausses Confidences est la dernière
grande pièce de Marivaux. Reçu à l’Académie Française en 1743, il n’écrira plus que
des pièces en un acte.
Il a alors quarante-neuf ans et il est devenu un auteur célèbre depuis le succès de
ses comédies dans les années vingt.
On ne sait rien de la manière dont Marivaux
travaillait. Par contre, on peut citer certaines œuvres qui peuvent être des sources
d’inspiration pour le dramaturge.
• En premier lieu, on évoquera la fausse
confidence employée par Moron dans La
Princesse d’Élide de Molière (1664) pour
inviter le prince Euryale et la princesse
à dompter leur fierté et à s’avouer leur
amour.
• En second lieu, La Fontaine en 1668 propose un portrait de la veuve qui s’ouvre à
l’amour d’un jeune homme « beau, bien
fait, jeune » dans la Jeune veuve (VI, 21).
• En troisième lieu, on pensera au Chien
du jardinier (1618) du dramaturge espagnol Lope de Vega dont les Comédiens
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MAISON DE L’ÉDUCATION
Italiens dirigés par Luigi Riccoboni ont
tiré l’intrigue de La Dame amoureuse par
envie (1717). Xavier de Courville dans sa
biographie du maître des Italiens résume
ainsi la trame de la pièce : « la comtesse
(…) est éprise de son secrétaire (…) alors
que celui-ci avait déjà porté ses yeux sur
la soubrette. Elle écarte de lui sa rivale,
sans vouloir s’en avouer les raisons. Elle
cherche à lui laisser entendre une flamme
qu’elle n’ose lui déclarer, ne lui avoue ses
tourments qu’en les lui présentant comme
les tourments d’une amie, et se laisse choir
pour être relevée par sa main. Elle espère éveiller sa jalousie en lui demandant
conseil sur le prétendant qu’elle doit épouser. Quand il s’est laissé prendre au jeu et
correspond à cet amour, offensée dans son
amour-propre, elle le repousse et décide de
le chasser. Mais quand la pauvre soubrette
demande à le suivre, elle refuse de la laisser partir avec lui. La scène qui devrait être
d’adieux, pousse à l’extrême le conflit de
ses sentiments contradictoires ».
En dernier lieu, Marivaux s’inspire surtout de lui-même : de ses pièces précédentes et de la fin de la première partie
de son roman Le paysan parvenu (1734).
L’auteur y campe un jeune homme, Jacob,
ruiné après la disparition de son maître.
Ce dernier secourt une femme d’âge mûr,
Mademoiselle Habert, victime d’un malaise sur le Pont-Neuf. Jacob la reconduit
chez elle. Par reconnaissance, elle l’engage
comme valet malgré les réticences de l’abbé Doucin, son confesseur, qui craint les
commérages. La suite du roman est très
semblable à la pièce puisque Mademoiselle
Habert prendra Jacob chez elle, à son service. Il finira par l’épouser.
Pistes de travail
Comprendre ce qu’est une source. On peut
donner à lire la fable de La Fontaine et demander aux élèves d’établir les points com-
muns entre le texte du fabuliste et celui de
Marivaux. On leur fera prendre conscience
qu’une source peut n’être qu’à l’origine d’un
seul élément de la création et qu’une œuvre est une création nouvelle à partir d’un
savant assemblage de lectures disparates...
L’influence des Italiens
Après la mort de Molière, en 1673, toutes
les troupes parisiennes se regroupent en
une seule : la Comédie-Française. Parallèlement, il existe une autre troupe, celle
des comédiens italiens. Leur jeu repose
sur l’improvisation : seul un canevas de
l’intrigue est connu des comédiens qui
improvisent ensuite sur scène, multipliant
les lazzi (gags où ils font valoir autant
leurs qualités d’acrobates que leur talent
verbal). Les comédiens jouent toujours
masqués et il s’agit moins de personnages
que de types reconnus tout de suite du
public grâce aux masques et aux costumes
(exemple : personnage du zanni : un valet
un peu balourd et grossier, parfois agressif ; Arlequin incarne ce personnage et on
le reconnaissait très vite à son costume
bariolé). Très aimés du public populaire,
ils reçoivent pourtant en 1697 l’ordre de
quitter Paris. À leur départ se multiplient
les théâtres de foire, pour compenser le
vide créé par leur absence. Les Comédiens
italiens seront rappelés par le Régent en
1716. Dès lors ils se franciseront de plus
en plus, ne serait-ce qu’en choisissant
la langue française pour s’exprimer. En
1769, les Comédiens italiens fusionnent
ave l’Opéra comique, puis ils disparaissent
définitivement en 1779, chassés une dernière fois.
Outre la source citée dans la partie
précédente et qui renvoie aux Italiens,
le personnage d’Arlequin est directement
emprunté au répertoire. Il est un person-
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MAISON DE L’ÉDUCATION
nage serviable mais un peu balourd qui ne
perçoit pas quand il dérange : « Si vous
voulez, je vous tiendrai compagnie, de peur
que l’ennui ne vous prenne ; nous en discourerons en attendant » (I, 1). Il ne parle pas
une langue impeccable comme le signale
la faute sur le futur du verbe discourir. Il
prend les propos au pied de la lettre : mais
feint-il vraiment sa méprise : « Comment
Madame, vous me donnez à lui ! Est-ce que
je ne serai plus à moi ? (…) je donnerai ma
peine d’un côté, pendant que l’argent me
viendra d’un autre… » (I, 9). Comme tout
valet, il espère remporter des gages les
plus larges possibles : « avec votre permission monsieur, ne payerez-vous rien ? Vous
a-t-on donné ordre d’être servi gratis (…) »
et ne dédaigne pas boire un verre : « Oh !
s’il ne faut que boire enfin qu’elle [la santé
de Dorante] soit bonne, tant que je vivrai,
je vous la promets excellente » (I, 9).
Par ailleurs, Marivaux a adapté ses personnages à l’âge des acteurs Italiens : Sylvia - qui a joué ses rôles titres féminins- a
trente-sept ans, l’âge d’une jeune veuve,
l’acteur Thomassin qui jouait Arlequin est
diminué par la maladie ce qui invite Marivaux à réduire le rôle de ce personnage. Il
disparaîtra ensuite de son répertoire, Thomassin mourant deux ans plus tard.
Enfin, on retrouve un rythme endiablé
propre aux lazzis, qui s’explique par la savante composition de la pièce.
Pistes de travail
Savoir effectuer une recherche. On invitera les élèves à préparer un exposé qui
sera présenté à l’oral sur la Commedia
dell’arte. Ils présenteront son origine, ses
caractéristiques (schéma de l’intrigue, type
de comique, improvisation…), ses personnages traditionnels et son influence dans la
comédie française.
L’argument
« Présenté par son oncle Monsieur Rémi,
Dorante, jeune homme désargenté, vient
comme intendant chez Araminte, une
jeune et jolie veuve qu’il aime en secret.
Toute l’action est menée par Dubois, ancien valet de Dorante, qui est déjà dans la
place et a organisé un stratagème redoutable pour rendre Araminte amoureuse de
Dorante.
Araminte, qui est sur le point d’entamer
un procès pour une affaire de terre avec le
Comte Dorimont, à moins qu’elle ne l’épouse, a, en effet, besoin d’un conseiller. Sa
mère, Mme Argante voit d’un mauvais œil
arriver dans la place Dorante qui risque de
pousser Araminte à avoir recours à la Justice.
Par l’intermédiaire de Dubois, Araminte
apprend que Dorante est épris d’elle, tandis que Marton, sa suivante, s’imagine être
dans les pensées de ce nouvel intendant.
Araminte va donc s’employer à rendre son
amant jaloux et à lui faire avouer son
amour, non sans se prendre elle-même aux
pièges que lui tend Dubois.
Malgré l’opposition de sa mère en quête de
promotion sociale et celle du Comte qui,
voyant Araminte lui échapper, renonce cependant au procès, la jeune femme gardera Dorante auprès d’elle et cédera à ses
avances. Dubois, sa mission terminée, s’en
ira. ».
Ce résumé figure dans le dossier du
Théâtre de la Commune, consultable sur
son site.
Nous le complétons par une présentation
rapide de chaque scène.
Acte I
Scène 1
Arlequin, valet, reçoit Dorante. Il doit attendre l’arrivée de Mademoiselle Marton au
service de Madame.
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MAISON DE L’ÉDUCATION
En dehors de la présentation de quelques
personnages et de leurs liens (Mademoiselle Marton, Arlequin sont au service de
« Madame »), on ne sait rien de l’intrigue,
ni de la raison de la venue de Dorante,
dont le spectateur ignore encore le nom.
Scène 2
Dubois arrive « mystérieusement », il était
au service de Dorante qui n’a pu le garder pour des raisons financières et il est
entré au service de la dame de cette maison, riche veuve. Dorante s’est épris d’elle
et Dubois fait le pari qu’elle l’aimera et
qu’elle l’épousera. Nul n’est au courant de
ce projet, à l’exception de ces deux hommes. Dorante sera introduit par son oncle,
Monsieur Remy, qui s’occupe des intérêts
d’Araminte. Dorante sera le nouvel intendant. Dubois invite son maître à rendre
Marton amoureuse de lui.
C’est la véritable scène d’exposition :
l’intrigue est annoncée, dirigée par Dubois. Dorante épousera-t-il une jeune et
riche bourgeoise alors qu’il est sans fortune ? Un nouveau personnage est présenté :
Monsieur Remy, manipulé et « homme de
la meilleure foi du monde ».
Scène 3
Monsieur Remy expose son rêve : un mariage entre son neveu et Mademoiselle
Marton. Elle est protégée par Araminte qui
lui « a fait beaucoup de bien, lui en fera
encore, et a offert même de la marier ».
Sans le savoir, Monsieur Remy épouse
les desseins de Dubois. Dorante, tenu par
le secret, ne peut se dérober explicitement
aux souhaits de son oncle. Il n’infirme pas
ses désirs et use d’expression ambiguë :
« vous avez raison, Monsieur, et c’est aussi
à quoi je vais travailler ». Dorante pense
qu’il travaille à son avenir en courtisant
Araminte, l’oncle pensera à Marton.
Scène 4
Monsieur Remy présente Dorante à Marton et lui fait comprendre qu’il ne s’opposera pas à leur union. Il présente Dorante comme un « un cœur qui se présente
bien ». Dorante ne dit rien… Son silence
sera interprété par Marton comme un acquiescement. C’est Monsieur Remy qui a
tout dit, tout fait : « En voilà un qui ne
demande pas mieux (…) Voyez comme il
vous regarde (…) vous voilà d’accord. Oh
çà, mes enfants, je vous fiance, en attendant mieux. »
Scène 5
Marton a pris ces paroles pour un engagement sérieux. Désormais les intérêts de Dorante sont les siens. Elle annoncera favorablement l’arrivée de Dorante à Araminte.
Une fois de plus Dorante ment par
omission. À la question de Marton « Votre
amour me paraît bien prompt, sera-t-il aussi durable ? », Dorante répondra « Autant
l’un que l’autre, Mademoiselle ». Chacun
entend le déterminant possessif différemment : Marton parle de l’amour de Dorante
pour elle, tandis que Dorante parle de son
amour pour Araminte. Cette méprise se
prolongera jusqu’à la fin de l’acte II.
Scène 6
Araminte a vu Dorante sortir, elle lui trouve « bonne mine » et a presque peur des
commérages des gens sur son compte si
elle prend à son service un si beau jeune
homme.
Dès les premières paroles d’Araminte,
on devine l’intérêt soudain qu’elle lui
porte : il la salue « gracieusement », « il a
vraiment très bonne façon », « il a si bonne
mine ». Mais elle se le cache en justifiant
le choix de son intendant par la recommandation de Monsieur Remy : « Dès que
c’est Monsieur Remy qui me le donne, c’en
est assez ; je le prends ».
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MAISON DE L’ÉDUCATION
Scène 7
Araminte reçoit Dorante fort gracieusement, exprime son regret de voir d’honnêtes jeunes gens, de bonne famille vivre en
dessous de leur valeur.
Elle feint d’être désinvolte mais mène
un interrogatoire sur l’âge du jeune homme, ses origines… Dorante est d’une politesse extrême mais chaque parole contient
un aveu pour qui saura y lire : « Rien ne
m’affligerait tant à présent que de la [la
préférence] perdre (…) l’honneur de servir
une dame comme vous n’est au-dessous de
qui que ce soit (…) Je commence à l’être
[heureux] aujourd’hui, Madame ».
Scène 8
Araminte annonce à Arlequin qu’il sera au
service de Dorante.
La scène a surtout une dimension comique. Elle permet de relâcher un peu la
tension après ces scènes de rencontre, très
éprouvantes pour Dorante et pour le spectateur.
Scène 9
Arlequin réclame à son nouveau maître un
petit complément financier.
C’est la suite de l’intermède comique
qui relève de la farce car on y retrouve le
type du valet intéressé.
Scène 10
Madame Argante, mère d’Araminte, survient, inquiète que sa fille ait choisi un
autre intendant que celui que Monsieur
Dorimont lui proposait.
Dernier personnage à être présenté : le
Comte Dorimont, seul personnage noble
de la pièce. Il est en conflit avec Araminte
au sujet d’une terre, « on a songé à les
marier pour empêcher qu’ils ne plaident ».
Il forme donc avec Araminte l’obstacle
extérieur à l’union Araminte-Dorante. Madame Argante attend donc de l’intendant
qu’il dise que le procès est perdu d’avance,
quelle que soit la réalité, pour inciter sa
fille au mariage.
Scène 11
Marton essaie à son tour de convaincre
Dorante qu’il doit tenir ce discours dans
leur intérêt.
Le clan des opposants est renforcé donc
par Marton car si ce mariage se fait, elle
recevra « mille écus le jour de la signature
du contrat ».
Scène 12
Dorante révèle à Araminte la réponse que
Madame Argante attend de lui. Il jure sincérité à Araminte.
C’est le premier face à face entre les
« amants ». Araminte est vive dans ses
propos pour défendre Dorante, elle le
complimente, se fâche du comportement
de sa mère. On la sent survoltée : « Et voilà
pourquoi aussi je ne veux pas qu’on vous
chagrine, et j’y mettrai bon ordre. Qu’est-ce
que cela signifie ? Je me fâcherai, si cela
continue. Comment donc ? Vous ne seriez
pas en repos ! On aura de mauvais procédés
avec vous, parce que vous en avez d’estimables ; cela serait plaisant ! ».
Scène 13
Dubois interrompt leur conversation, demande à parler seul à Madame. Il a feint
d’être surpris de voir Dorante céans.
Dubois intervient pour la première fois
devant Araminte, il va porter le coup qui
fera basculer l’affaire : l’aveu.
Scène 14
Longue scène dans laquelle Dubois va ménager ses effets : il annonce d’abord qu’il
doit demander son congé à madame, qu’il
ne peut rester dans le même service qu’« un
démon ». Après avoir alarmé Araminte sur
la probité de son intendant, il va louer le
jeune homme au mieux : « Il n’y a point
de plus brave homme dans toute la terre, il
8
MAISON DE L’ÉDUCATION
a, peut-être, plus d’honneur à lui tout seul
que cinquante honnêtes hommes ensemble.
Oh ! c’est une probité merveilleuse ; il n’a
peut-être pas son pareil. » Enfin il évoquera
sa « maladie » : l’amour. Ce n’est qu’après
bien des méandres qu’il finira par dire à
Araminte que c’est elle qui est aimée à la
passion depuis plusieurs mois. S’en suit
la description des longues manifestations
de cette passion. Araminte ne peut être
qu’« émue », elle s’exclame à chaque réplique de Dubois mais ne peut rien dire. Elle
pense ensuite à s’en défaire mais justifie
qu’elle le garde : le renvoyer ne guérira pas
son mal. Ce n’est qu’en la voyant tous les
jours que la flamme de Dorante perdra de
son éclat, usée par la routine. Elle gardera
Dorante et Dubois et exige un secret total
sur cet aveu.
Scène 15
L’entretien interrompu par Dubois reprend
mais Araminte n’est plus la même. Elle est
troublée, se contredit, pense à ce qu’elle
pourrait dire et qui serait mal interprété, qui pourrait faire souffrir Dorante. La
conversation est donc confuse, le trouble
fait son chemin.
Scène 16
Les deux comparses, Dorante et Dubois,
font le point. Tout va pour le mieux.
Scène 17
Dubois reçoit Marton et insinue que Dorante n’a d’yeux que pour sa maîtresse.
Marton ne prête pas garde à ses allégations ; elle en rit.
Pour une fois, Dubois dit la vérité, mais
n’est pas entendu. Marton est déjà trop
enamourée pour imaginer Dorante avec
une autre.
Acte II
Scène 1
Dorante et Araminte discourent encore du
procès. Araminte a l’air plus calme et maî-
tresse d’elle-même mais ses paroles restent
assez contradictoires : « si je l’épouse (…)
je crois pourtant que je plaiderai ; nous verrons. »
Scène 2
Monsieur Remy vient trouver son neveu car
une dame estimable qui a du bien, vient de
proposer de l’épouser sur l’heure. Dorante
refuse arguant qu’il a « le cœur pris », qu’il
« aime ailleurs ». Araminte comprenant le
jeune homme et cachant sa fierté à être
préférée à « 15 000 livres de rentes », ne
s’exprime qu’à la fin : « Voyez pourtant Dorante, tâchez de vaincre votre penchant, si
vous le pouvez ; je sais bien que cela est
difficile ».
Une fois de plus, Monsieur Remy aide
Dorante sans le savoir, le procureur lui permet d’avouer qu’il aime et que son amour
sera inaltérable. Son refus sera une preuve
d’amour pour Araminte qu’elle reçoit avec
déjà une certaine tendresse : « Il me touche tant qu’il faut que je m’en aille ».
Scène 3
Monsieur Remy raconte le fait à Marton qui
interprète le refus de Dorante comme une
preuve de son amour pour elle. Elle en est
flattée et déclare qu’elle s’est éprise du
jeune homme : « je l’aime trop moi-même
pour l’en empêcher et je suis enchantée.
(….) je n’aurai pas cru que vous m’aimassiez tant. »
Scène 4
Le comte qui a eu vent du nouvel intendant, vient aux nouvelles. Marton le rassure et dit qu’elle s’en occupera.
Elle devient donc rivale d’Araminte et
travaille pour le Comte et Madame Argante
en faveur du mariage.
Scène 5
Arlequin annonce qu’un garçon veut voir
Madame.
Ce rôle est supprimé dans la mise en scène
9
MAISON DE L’ÉDUCATION
de Didier Bezace, c’est Arlequin qui apporte le portrait.
Scène 6
Le garçon apporte le portrait d’une dame,
commandé par « un certain monsieur ».
Chaque personnage va voir en ce portrait,
qui devient un véritable miroir des âmes,
ce qu’il veut y voir : le Comte est-il le commanditaire ? Il nie. Lui pense qu’il s’agit du
portrait d’Araminte.
Scène 7
Marton interroge plus avant le garçon et
penche pour que le commanditaire soit
Dorante, auquel cas elle est persuadée
d’être l’objet du portrait.
Scène 8
Dorante vient s’enquérir du portrait. Marton l’en remercie. Dorante ne confirme ni
n’infirme : « j’ignore… ». Fidèle à sa stratégie, il ne dit rien.
Scène 9
Marton dans la première moitié de la scène
est sûre d’elle. Elle explique la situation
à tous et annonce qu’elle est la femme
du portrait car Dorante l’aime. Araminte,
étonnée, demande à voir le portrait et
tous découvrent qu’Araminte en est bien
l’objet.
Dès lors, Marton est une autre : une
pauvre jeune fille qui comprend un peu
tard sa méprise et les silences de Dorante
et qui repense enfin aux propos de Dubois
à la fin de l’acte I : « Monsieur Rémy dit
que son neveu m’aime, qu’il veut nous marier ensemble ; Dorante est présent, et ne
dit point non ; il refuse devant moi un très
riche parti ; (…) j’ai pourtant mal conclu.
J’y renonce… ».
Araminte sort de cette situation par
une pirouette expliquant que le commanditaire ne peut être que le Comte et qu’il
nie par coquetterie.
Scène 10
Arlequin et Dubois arrivent en se disputant au sujet d’un autre tableau que Dubois a voulu décrocher de l’appartement
de Dorante. Il explique que représentant
Madame, il n’avait que faire dans cet appartement.
C’est le coup de grâce pour Araminte :
deux preuves de l’adoration de Dorante pour
elle et aux vues de tous. L’amour de Dorante
n’a plus rien d’un secret. Seul Dorante est
censé ignorer qu’Araminte sait qu’il l’aime.
Scène 11
Le Comte et Madame Argante veulent le
renvoi de Dorante ; Araminte le défend une
fois de plus. Qu’y a-t-il de blâmable à regarder son portrait ?
L’attitude d’Araminte est suspecte aux
yeux de tous : « je suis persuadée que ce
petit monsieur-là ne vous convient point ;
nous le voyons tous ; il n’y a que vous qui
n’y prenez garde » Madame Argante.
Le Comte annonce qu’il ne plaidera
pas contre Araminte. Leur mariage ne doit
point dépendre d’une querelle de justice.
Scène 12
Araminte confie sa colère à Dubois : il en
a trop dit devant sa mère et le Comte. Elle
ne veut cependant toujours pas le renvoyer
pour ménager la douleur liée à sa passion.
Elle aimerait qu’il avoue son amour pour
qu’elle ait une raison de le renvoyer. C’est
le prétexte. Elle a envie de vérifier en
réalité cette passion sans passer par des
intermédiaires : « je ne suis pas assez fondée pour le renvoyer. Il est vrai qu’il me
fâcherait s’il parlait ; mais il serait à propos
qu’il me fâchât ». Elle veut que Dorante lui
parle d’amour.
Cela n’était pas prévu dans le plan de
Dubois qui n’a pas le temps d’en avertir
Dorante. Il compte sur le naturel de la scène et la sincérité de Dorante pour toucher
Araminte.
10
MAISON DE L’ÉDUCATION
Scène 13
Elle ment et annonce à Dorante qu’elle est
décidée à épouser le Comte. Elle demande
à son intendant d’écrire un billet le lui expliquant. Dorante est au plus mal mais ne
dit rien. Araminte semble souffrir autant
que lui.
Scène14
Marton les interrompt pour demander à
sa maîtresse la permission de se marier
avec Dorante. Il devra s’expliquer sur ses
sentiments et ne peut plus conserver son
silence.
La tension monte. Tout presse Dorante à
parler.
Scène15
Le tête-à-tête reprend. Dorante explique
qu’il ne peut épouser Marton car il en aime
une autre désespérément. Araminte profite
de ce premier demi-aveu pour l’interroger
sur celle qu’il aime : « quel intérêt aviezvous à rentrer dans ma maison et de la
préférer à une autre (…) Voyez-vous souvent la personne que vous aimez (…) Et
ne devez-vous pas l’épouser ? (…) Elle est
donc au-dessus de toute comparaison ? ».
Dorante tient bon et ne dévoile pas le nom
de l’être aimé. Il faudra qu’Araminte use de
sa dernière carte pour obtenir l’aveu tant
attendu : le portrait que Dorante avoue
avoir peint lui-même. Araminte ne savourera sa victoire et le plaisir de se savoir
amer que peu de temps car Marton les surprend durant cet attendrissement.
Scène 16
Après le départ de Dorante, Dubois s’informe de l’issue de la scène : Dorante a-til parlé ? Araminte ment : il n’a pas parlé.
Il ne sera pas renvoyé. Araminte ne peut
plus se séparer de lui.
Scène 17
Dorante ne sait plus que penser. Dubois,
lui, a tout compris : « Elle n’est qu’à deux
pas ».
Acte III
Scène 1
Dubois poursuit son plan : Dorante prépare
une lettre qu’Arlequin devra porter dans un
quartier qu’il ne connaît pas. Il devra demander son chemin à Dubois ou à Marton.
C’est encore une scène bilan, comparable à la scène 16 de l’acte I. Ils se remémorent la scène passée, le lecteur apprend
que c’est Dubois qui a envoyé Marton dans
la scène 15. Selon Dubois : « Point de
quartier : il faut l’achever pendant qu’elle
est étourdie ».
Scène 2
Marton, dépêchée par le clan des opposants auprès de Dubois, tente de savoir s’il
ne sait rien de compromettant sur Dorante. Dubois feint l’innocence et l’ignorance
mais parle d’une lettre remise par Dorante
à Arlequin. Il conseille à Marton de l’intercepter.
Scène 3
Marton récupère sans difficulté la lettre
puisqu’elle propose à Arlequin d’envoyer
quelqu’un la porter à sa place.
Scène 4
Elle ne dit rien au Comte et à Madame Argante avant d’avoir lu la lettre.
Scène 5
Madame Argante a fait mander Monsieur
Remy au sujet de son neveu. Elle lui dit
son mécontentement en des termes injurieux pour Dorante et sans aucun fondement. Monsieur Rémy hausse le ton et
prend la défense du neveu.
Scène 6
Araminte arrive au milieu de cette dispute,
elle se rallie du côté de Monsieur Remy et
se montre fâchée qu’on ait fait venir un intendant du comte, qu’on veuille renvoyez
quelqu’un pour la bonne raison qu’il l’aime
et qu’il est bien fait de sa personne.
On franchit une étape de plus ici grâce
11
MAISON DE L’ÉDUCATION
à Madame Argante qui a un franc-parler :
« Seriez-vous d’humeur à garder un intendant qui vous aime (…) j’entends qu’il est
amoureux de vous, en bon français, qu’il
est ce qu’on appelle amoureux, qu’il soupire pour vous, que vous êtes l’objet secret
de sa tendresse ». Non seulement le secret
est éventé mais on explique les sentiments
sans ambages.
Scène 7
Dorante vient : il est inquiet. Il a croisé
l’intendant du Comte et Marton lui a signifié que son congé était proche. Pourtant,
Araminte le rassure : il restera.
Scène 8
Marton arrive avec la lettre écrite par Dorante. Elle sera la preuve suprême de la
folie de Dorante.
C’est en quelque sorte un second aveu,
épistolaire celui-là que reçoit Araminte. On
la presse de renvoyer Dorante. Elle refuse
avec force mais ne donne pas d’arguments.
Elle est à bout : « n’entendrai-je parler que
d’intendant ? Allez-vous en » dit Araminte ;
« Vous vous expliquez là-dessus d’un air de
vivacité qui m’étonne. » répond le Comte ;
« Mais, en effet, je ne vous reconnais pas.
Qu’est-ce qui vous fâche ? » demande Madame Argante.
Scène 9
Dubois feint d’être heureux pour elle : elle
va pouvoir se débarrasser de cet amant
encombrant. Au passage, il lui peint un
Dorante accablé de chagrin. Araminte, furieuse, ne veut plus le voir.
Scène 11
Arlequin, en larmes comme son maître, demande à voir Araminte pour lui rendre ses
papiers.
Scène 12
Araminte reçoit Dorante et finit par lui
avouer son amour : « Vous donner mon portrait ! Songez-vous que ce serait avouer que
je vous aime ? (…) Et voilà pourtant ce qui
m’arrive. ». À son tour, Dorante lui avoue
le rôle de Dubois : « Dans tout ce qui se
passe chez vous, il n’y a rien de vrai que ma
passion, qui est infinie, et que le portrait
que j’ai fait. Tous les incidents qui sont arrivés partent de l’industrie d’un domestique
qui savait mon amour… ». Araminte lui
pardonne tout à cause de sa sincérité.
Scène 13
Le Comte est de retour avec Madame Argante. Il comprend rapidement la situation et se retire dignement : « Dorante
n’est venu chez vous qu’à cause qu’il vous
aimait ; il vous a plu ; vous voulez lui faire
sa fortune. ». Dubois et Arlequin ferment
l’intrigue.
Pistes de travail
Repérer des moments clés. On demandera
aux élèves de noter les scènes qui selon eux
sont majeures pour l’intrigue et d’expliquer
pourquoi. Ils s’interrogeront sur leur place
à l’intérieur des actes et seront ainsi plus
à même de comprendre la « machine » de
Marivaux et de Dubois…
Scène 10
Marton vient prendre congé de sa maîtresse. Après un accueil froid, Araminte comprend sa douleur puisqu’elle aimait, elle
aussi, Dorante. Elle pardonne à Marton et
elles redeviennent amies.
12
MAISON DE L’ÉDUCATION
La construction de l’œuvre
C’est une comédie en trois actes et en prose. Les actes comportent un grand nombre de scènes :
17 dans les deux premiers actes et 13 dans le dernier. Les trois actes sont donc sensiblement équilibrés même si le dénouement est un peu plus serré.
On parle de 88 entrées et sorties des personnages pour cette pièce alors que le nombre de personnages est assez réduit : trois femmes (Araminte, Madame Argante et Marton) et cinq hommes si
l’on excepte le garçon et un domestique, rôles qui disparaissent dans la mise en scène de Didier Bezace, au profit d’Arlequin. Ces cinq hommes ne sont autres que Dorante, Dubois, Arlequin, le Comte
et Monsieur Remy. Ces entrées et sorties suffisent à rendre compte de la complexité des sentiments
qui se jouent et de l’étourdissement dans lequel sont prises Araminte et Marton.
Figurent en croix bleues les personnages qui ne sont là que dans une partie de la scène.
Acte I
Personnages
Araminte
Dorante
Monsieur
Remy
Madame
Argante
Arlequin
Dubois
Marton
Le Comte
Un
domestique
Un garçon
joaillier
1
2
3
4
5
X
X
X
X
X
X
X
6
X
7
X
X
8
X
X
9
10
11
X
X
X
12
X
X
13
X
X
14
X
X
X
15
X
X
16
17
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
Onze scènes sur dix-sept proposent un face-à-face entre deux personnages seulement, c’est dire les
chassés-croisés perpétuels sur le plateau et le caractère intimiste de la plupart des scènes. On ne
trouve jamais plus de quatre personnages sur scène.
On notera aussi que Dubois est peu présent sur scène. Il intervient dès la seconde, capitale pour
l’exposition, pour exposer le plan et l’enjeu. Il reste une ombre qui passe ensuite et ne réapparaît
qu’à la scène 13 pour activer son plan. Une fois que Dorante a bien été établi dans la place, qu’il a
tenu tête à Madame Argante, qu’il a convenu à Araminte, qu’il est installé dans ses fonctions, Dubois révèle à Araminte l’amour que Dorante lui porte. La révélation clôt le premier acte et crée une
double tension. Jusqu’à la scène 13, seul Dorante souffrait à l’idée d’un échec. À partir de la scène
de l’aveu, Araminte sera torturée elle aussi de l’aveu de cet amour et de cet amour lui-même.
Dorante est omniprésent ; il se contente d’épouser les dires des uns et des autres. Son silence suffit
à faire avancer l’intrigue.
Enfin, on notera que Madame Argante, seul personnage clairement hostile à Dorante, si elle ne
fait que passer annonce des obstacles à venir.
Dubois a le dernier mot comme dans la fin des autres actes : « Allez, allez, prenez toujours ;
j’aurai soin de vous les faire trouver meilleures. Allons faire jouer toutes nos batteries ».
13
MAISON DE L’ÉDUCATION
Acte II
Personnages
Araminte
Dorante
Monsieur
Remy
Madame
Argante
Arlequin
Dubois
Marton
Le Comte
Un
domestique
Un garçon
joaillier
1
X
X
2
X
X
X
3
4
5
6
7
X
X
8
9
X
10
X
11
X
12
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
13
X
X
14
X
X
X
15
X
X
16
X
17
X
X
X
X
On remarquera que, dans le second acte, Dubois n’arrive que dans la scène 10 avec l’épisode du
tableau à décrocher. Il continue pourtant d’être le maître d’œuvre dans l’ombre.
On remarque que l’acte commence à nouveau avec des scènes à deux personnages, le nombre ira
croissant jusqu’à la scène 10 qui comprend six personnages. C’est le moment de la crise : l’épisode
du tableau (voir dans la partie précédente « L’argument »), le moment où la confusion la plus
grande règne dans le cœur d’Araminte. La fin de l’acte qui conduit à l’aveu de Dorante se déroule
nécessairement lors de duos. La scène de l’aveu est coupée par l’apparition de Marton, ce qui ménage un temps de pause dans la tension pour repartir crescendo.
L’aveu relaté par Dubois interrompt la discussion entre Araminte et Dorante.
Enfin, le nombre des opposants à cet amour semble se multiplier, pourtant Araminte reste inflexible. Le dernier obstacle à vaincre sera un obstacle intérieur : Araminte elle-même.
Dubois, une fois de plus, a le dernier mot : « je ne vous écoute plus ».
Acte III
Personnages
Araminte
Dorante
Monsieur
Remy
Madame
Argante
Arlequin
Dubois
Marton
Le Comte
Un
domestique
Un garçon
joaillier
1
2
3
4
5
6
X
X
7
X
X
X
8
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
9
X
10
X
11
X
X
X
X
X
X
X
X
13
X
X
X
X
X
X
12
X
X
X
X
X
X
X
L’acte III épouse un peu le schéma de l’acte I dans la mesure où il s’ouvre sur les manigances de
Dorante et Dubois. On compte plus de personnages réunis sur le plateau : sept scènes avec au
moins trois personnages dont la classique dernière scène qui réunit traditionnellement tous les
personnages.
Les duos se concentrent dans la deuxième moitié de l’acte avec les aveux.
Dubois a encore le vrai mot de la fin, même si Arlequin parle après lui : « ouf ! Ma gloire m’accable ; je mériterais bien d’appeler cette femme-là ma bru ».
14
MAISON DE L’ÉDUCATION
Pistes de travail
Effectuer un travail de relevé. Ce travail
de relevé est très réalisable par les élèves.
Afin de leur faciliter le travail, on peut leur
en donner la maquette à remplir. Il permet
ensuite d’analyser la présence sur scène de
tel ou tel personnage, de voir le nombre de
scènes à deux, leur place dans l’acte, les
scènes d’aveux, les scènes comiques… Les
conclusions sont en général assez riches.
L’analyse des personnages
Dubois
C’est un valet, fidèle à Dorante. Il en est le
confident et l’adjuvant. Celui qui aura toutes les audaces. Il fait le pari que l’amour
triomphera et il devient l’artisan de cet
amour qui met le théâtre en marche pour
que le miracle ait lieu : « je m’en charge, je
le veux, je l’ai mis là ». Il emploie un langage presque militaire pour livrer bataille
à la raison d’Araminte : « que tout se rende
(p. 21) nos actions (p. 21), nos batteries
(p. 58), point de quartier : il faut l’achever
(p. 102) ».
Par ailleurs, il ne se débarrasse pas des
éléments cruels au nom des bons sentiments. Cruauté vis-à-vis de Marton, d’Araminte et même de Dorante. Il réalise un
véritable travail d’accoucheur des sentiments : faire que l’on dise ce que l’on ressent. Il reste un « homme de sang-froid »
au milieu de tous ces passionnés qui sait
où il va. Il utilise Monsieur Remy pour introduire Dorante, utilise Marton comme
rivale de Madame, utilise le Comte comme
rival de Dorante… Tous ne sont que des
instruments qu’il manipule à son gré. C’est
lui qui met en place les artifices : le portrait doublé du tableau ; le billet final de
l’acte III ; les têtes-à-têtes interrompus
volontairement… Le seul artifice qu’il ne
met pas lui-même en place mais qui servira
les intérêts de Dorante, sera le faux billet
qu’Araminte fait écrire à Dorante pour le
faire avouer.
Il est passé maître dans l’art de la dissimulation. Il feint d’être surpris de trouver
Dorante dans la maison d’Araminte ; feint
d’ignorer l’embarras dans lequel il plonge
Araminte en venant parler du tableau :
« Ma foi ! Madame, j’ai cru la chose sans
conséquence, et je n’ai agi d’ailleurs que
par un mouvement de respect et de zèle »
II, 12. Araminte parle de l’étourderie de
Dubois avec naïveté car tout est calculé
dans les paroles de Dubois. Il parle d’un
secret, celui de Dorante ; promet de garder
le silence mais s’arrange pour que tout le
monde en parle. Plus la pièce avance, plus
il parle « par mégarde ».
S’il est valet, c’est dans la lignée qui
aboutira à Figaro. Il est au-dessus des
autres domestiques : il est vouvoyé par ses
maîtres et par les domestiques. Il ne tutoie
qu’Arlequin.
Ses relations avec Dorante tiennent
plus de celles d’un père que d’un valet :
« je suis content de vous ; vous êtes un
excellent homme, un homme que j’aime »
(I, 2). Il est prêt à nommer Araminte « sa
bru » tellement il a agi pour cette union à
la fin de la pièce. Il n’hésite pas à donner
des ordres à Dorante de façon péremptoire :
« Allez dans le jardin (…) Dans le jardin,
vous dis-je ; je vais m’y rendre » (II, 17).
C’est le personnage central de la pièce
même si ce n’est pas le plus présent sur
scène.
Araminte
Contrairement aux autres héroïnes des pièces de Marivaux, Araminte n’est pas une
jeune fille. C’est une jeune veuve, à son
époque, une femme d’âge presque mûr.
Son mari avait une grande charge dans les
finances, elle « a plus de cinquante mille
livres de rente ». À ce titre, elle n’attend
15
MAISON DE L’ÉDUCATION
rien et n’a besoin de rien. Son mari l’a laissée à la tête d’une belle fortune et des
biens qu’elle sait gérer.
Tombe-t-elle amoureuse de Dorante ou
est-elle séduite par l’idée qu’on l’aime ?
« Et tout à coup lui arrive cet amour de
Dorante, qui est doublement de l’ordre de
l’impossible, de l’impensable : d’abord parce
qu’elle est sourde à elle-même, et parce
qu’elle ne peut aimer quelqu’un qui lui est
inférieur socialement, et plus jeune qui plus
est. Pourtant, cette liberté, elle la prend.
C’est très beau, la manière dont elle trouve
sa route au milieu de la déroute, et le courage qu’elle a de s’affranchir, de braver les
interdits de tous ordres. » analyse Anouk
Grinberg sur son personnage dans l’entretien qu’elle a accordé à Fabienne Darge (Le
Monde.fr).
C’est un personnage que l’on voit souffrir à partir de l’aveu de Dubois. Elle souffre de voir Dorante souffrir et souffre de ce
qu’elle ressent et qu’elle se cache à ellemême. Les nombreux apartés nous l’indiquent dans (III, 12) : « Ah ! je n’ai guère
plus d’assurance que lui (…) Ah ! Que je
crains la fin de tout ceci (…) Je ne sais ce
que je lui réponds ».
C’est un être plein de compassion qui
vient en aide à Marton ; qui ne rabroue
point trop fort Arlequin quand il ne comprend rien à ses ordres et qui voit en Dorante « un pauvre garçon » tant la passion
le dévore. Pourtant, elle est capable comme
Dubois d’une certaine cruauté lorsqu’elle
cherche l’aveu amoureux de Dorante : « il
sait ce qu’il fait ; voyons si cela continuera
(…) il souffre mais ne dit mot (…) il faut
le pousser à bout » (II, 13 et 15).
Elle n’a qu’un défaut selon sa mère (I,
10), elle n’a pas assez « d’élévation (…)
Elle ne sent pas le désagrément qu’il y a
de n’être qu’une bourgeoise ». En ce sens,
elle est une héroïne assez moderne car elle
accorde plus de crédit à la valeur intrinsèque de la personne qu’à son argent ou à
son rang. Elle épouse par là une revendication des philosophes : la reconnaissance
de l’honnête homme, une certaine égalité
sociale. Elle s’écriera (I, 8) : « Il est vrai
que je suis toujours fâchée de voir d’honnêtes gens sans fortune, tandis qu’une infinité de gens de rien, et sans mérite, en
ont une éclatante ; c’est une chose qui me
blesse (…) ». On rejoint la remarque de la
comédienne sur son personnage : Araminte
est une femme courageuse, libre qui brave
une forme d’autorité représentée par sa
mère et les conventions sociales.
Dorante
C’est un jeune homme de bonne famille qui
n’a pas trente ans et dont le père était avocat et qui pourrait être avocat lui-même. Il
est bien de sa personne comme se plaît à le
lui rappeler Dubois, c’est là son seul bien.
Il est tout empli de la passion qu’il a
pour Araminte, se montre probe en défendant les intérêts d’Araminte : « on souhaite
que je vous dise le contraire afin de vous
engager plus vite à ce mariage ; et j’ai prié
qu’on m’en dispensât » (I, 12) même s’il
défend son amour en même temps. Il s’offusquera de voir que Marton est prête à
supporter le clan du Comte pour une simple somme d’argent aussi coquette fût-elle. Aussi s’écriera-t-il qu’« (il n’est) pas si
fâché de la tromper » (I, 12).
Il ne cesse de prouver que c’est un
amant constant et fidèle : il refuse la dame
« de quinze mille livres de rentes » et la
« belle brune piquante » qui le réclament et
le pourchassent. Il réalise un portrait de sa
dame, l’« adore » et la dévore des yeux.
Il sait aimer avec raffinement, respectant un protocole presque précieux.
Pourtant, il se montre aussi un être
fourbe qui trompe son oncle, Marton et
Araminte. Il ne fait que suivre les indications de Dubois mais il les suit bien. Il
sait feindre lui aussi la surprise comme
l’indique la didascalie p. 44 : « Dorante
16
MAISON DE L’ÉDUCATION
feint de détourner la tête, pour se cacher
de Dubois ». Il suit l’affaire de près et ne
manque de s’en informer auprès de Dubois :
« Qu’elle est aimable ! Je suis enchanté ! De
quelle façon a-t-elle reçu ce que tu lui as
dit ? » (I, 16). La seule scène dans laquelle
il ne feindra pas sera celle orchestrée par
Araminte, celle où il souffrira : « Que j’ai
souffert dans ce dernier entretien ! Puisque
tu savais qu’elle voulait me faire déclarer,
que ne m’en avertissais-tu que par quelques
signes ? » avouera-t-il à Dubois. Ce à quoi
Dubois lui répondra avec cynisme : « cela
aurait été joli, ma foi ! Elle ne s’en serait
point aperçue, n’est-ce pas ? Et d’ailleurs,
votre douleur n’en a paru que plus vraie.
Vous repentez-vous de l’effet qu’elle a produit ? Monsieur a souffert ! Parbleu ! Il me
semble que cette aventure-ci mérite un peu
d’inquiétude. » (III, 1).
Il peut se montrer impertinent quand il
répond à Madame Argante qui lui demande
d’où il vient : « De chez moi, Madame »
Il s’interdit de croire au plan de Dubois
de peur d’être déçu. Il reste prisonnier des
convenances sociales qui interdisent une
union entre un roturier et une riche bourgeoise.
Son personnage prendra une nouvelle
grandeur dans la scène 12 de l’acte III
alors qu’il avouera le stratagème employé
pour la séduire. Ce suprême aveu qu’il ose
faire alors qu’Araminte vient de lui dire
qu’elle l’aime et alors qu’il risque de tout
perdre, pardonne tout : les mensonges et
les petites bassesses. Araminte le lui dira :
« Ce trait de sincérité me charme, me paraît incroyable, et vous êtes le plus honnête
homme du monde (….) il est permis à un
amant de chercher les moyens de plaire, et
on doit lui pardonner ».
Marton
Elle est de fort bonne famille, son père
était ami avec le père de Dorante. Elle est
restée sans bien mais Araminte l’a prise
sous son aile et l’aime comme Dubois aime
Dorante. C’est un amour maternel qui incite Araminte à la pourvoir, à la traiter
moins « en suivante qu’en amie » (p. 22).
Elle doit hériter d’une tante ce qui la mettra à l’abri du besoin. Elle devient donc un
parti intéressant.
Elle se range du côté du plus fort, c’està-dire du plus riche en soutenant le parti
du Comte plutôt que celui de sa maîtresse.
Cet aspect déçoit un peu le spectateur car
on l’espérait plus loyale envers Araminte.
Mais son personnage devient touchant dès
lors qu’elle comprend sa méprise au sujet
de Dorante. Elle sera tout à tour coléreuse
et désireuse de se venger en cherchant le
moyen de faire renvoyer Dorante (acte II)
puis touchante et blessée quand elle demande son congé à Araminte (acte III).
Elle a, à ce moment de la pièce, tout perdu : l’affection de sa maîtresse, sa place
et l’homme qu’elle aime. Elle devient pitoyable dans ce dernier acte, pardonne à
Dorante, demande pardon à Araminte : « il
[Dorante] vient de me parler. J’étais son
ennemie, et je ne la suis plus. Il m’a tout
dit. (…) Laissons-là mes sentiments. Rendez-moi votre amitié comme je l’avais, et je
serai contente » (III, 10).
Elle fait penser à un personnage qui
naîtra au siècle suivant sous la plume de
Musset dans On ne badine pas avec l’amour
(1834) : Rosette. Cette jeune servante
croira à l’amour de Perdican qui s’est servi
d’elle pour gagner le cœur de Camille. L’issue en sera plus dramatique puisque Rosette mourra en apprenant la vérité.
Marton se contentera de finir seule.
Le comte Dorimont
C’est le seul personnage noble de la pièce.
Il se montre d’une grande dignité car dès
qu’il réalise les disputes et les mesquineries autour de ce procès et de ce mariage,
il dégage les deux affaires l’une de l’autre.
De ce fait, Araminte n’est plus tenu de
17
MAISON DE L’ÉDUCATION
l’épouser pour s’épargner un procès. Si elle
l’épouse, c’est qu’elle le veut. Il se montre grand seigneur jusque dans la dernière
scène résumant la situation simplement et
s’éclipsant.
Monsieur Rémy
C’est l’oncle de Dorante. Vieux garçon, il a
pour seul héritier son neveu mais n’exclut
pas de se marier si l’amour le frappe. Il a
un bon sens pratique. C’est un homme honnête, prêt à défendre son neveu si son honneur est attaqué. Il peut s’enflammer face à
Madame Argante si on le prend de haut.
Madame Argante
Elle est la mère d’Araminte qui est en réalité chez elle comme l’indique la didascalie
initiale.
La première didascalie qui la présente emploie les deux adjectifs : « brusque et vaine ».
Sa brusquerie se manifeste par les multiples questions qui fusent, incisives, sans
même attendre la réponse : « D’où vient
préférer celui-ci ? Quelle espèce d’homme
est-ce ? » (I, 10). Elle tiendra tête aussi
à Monsieur Remy et à sa fille dont elle se
veut encore la maîtresse. Derrière le « on »
de la phrase « on a songé à les marier pour
empêcher qu’ils ne plaident. » (I, 10), nul
ne peut douter qu’elle est derrière cette
manigance.
C’est là que l’on découvre ses ambitions. Elle se plaît à évoquer la richesse
et donc la puissance de sa fille ; épouser le
Comte lui ouvrirait les portes d’une autre
classe, la noblesse : « je serai charmé moimême d’être la mère de Madame la Comtesse Dorimont » (I, 10). Elle traite avec
condescendance ceux qui sont sans argent
et sans titre. Elle reproche à Dorante sa
« petite réflexion roturière » (I, 10).
Arlequin
C’est le valet qui en sert un autre. En bas
de l’échelle sociale dans cette maison, il
est tutoyé par Marton, Dubois, Dorante et
même par Araminte quand elle s’énerve
après son incompréhension.
Il use d’un langage correct et s’essaie
aux tournures des maîtres : « Ayez la bonté, Monsieur de vous asseoir un moment
dans cette salle » (I, 1). Mais de temps
en temps des maladresses trahissent sa
condition : il emploie « discourons » au
lieu de « discourrons » (I, 1). D’autres fautes ponctuaient son discours qui ont été
corrigées dans les éditions postérieures à
la mort de Marivaux.
Il correspond au valet issu de la Commedia dell’Arte : aimant le vin et l’argent,
économisant sa peine s’il le peut. Par
ailleurs, il se montre fidèle à Dorante dont
il épousera toutes les causes.
Son personnage est lié aux scènes comiques.
Pistes de travail
Analyser un personnage. On proposera
aux élèves d’analyser un des personnages
clés au choix (Araminte, Dubois ou Dorante). On leur demandera de les présenter :
classe sociale, sexe, âge, emploi ; puis
de brosser leur portrait tant physique
(quand cela est possible) que moral. Ils
s’attacheront ensuite à comprendre leur
rôle dans la pièce et l’évolution de ce rôle.
Ce travail pourra donner lieu à un travail
écrit sous forme de paragraphe organisé.
Imaginer un personnage de théâtre. À
partir de l’étude réalisée précédemment
et avant d’avoir vu le spectacle, on demandera aux élèves de choisir un acteur
leur paraissant pouvoir incarner le personnage choisi et de justifier leur choix.
S’initier à l’interprétation d’un personnage . On peut demander aux élèves par
groupe de trois de lire à plat la scène 13
18
MAISON DE L’ÉDUCATION
de l’acte I qui a l’avantage d’être courte,
facile à apprendre et qui réunit les trois personnages principaux. Ils essaieront ensuite
d’incarner les trois personnages : Araminte
qui ne sait rien, les deux autres qui font
mine de se découvrir. On travaillera particulièrement les regards plus encore que
les paroles et les gestes. C’est une façon de
faire toucher du doigt l’importance des regards entre acteur.
L’analyse des thèmes
1. On se référera au site
http://membres.multimania.fr/
bacfrench/divers/marivaudage.
htm qui rappelle le contexte de
cette langue précieuse.
Le comique
Outre le personnage d’Arlequin qui se met
en colère, fond en larmes et feint de comprendre de travers, les autres personnages
tirent leur comique plus du jeu que du
texte lui-même.
Le ressort principal du comique, paradoxalement, tient en partie de la souffrance
des personnages. On les voit face à une
lutte. Parler et se perdre, se taire et risquer
de tout perdre. Le comique est aussi dans
cette tension.
Alors qu’Araminte apprend de la bouche
de Dubois la passion de Dorante, sa surprise a déjà une dimension comique, d’autant
plus qu’au lieu de le renvoyer sur-le-champ,
le spectateur assiste au déploiement d’arguments fallacieux qu’elle trouve pour le
garder : « Elle opine tout doucement à vous
garder par compassion ; elle espère vous guérir par l’habitude de vous voir » (I, 17). Elle
ne veut rien savoir de cet amour, veut un
secret absolu mais arrive un moment où il
serait bon qu’il parlât.
Le spectateur est complice de Dubois,
plus encore que de Dorante. Il jouit du
combat de ces êtres manipulés et n’en tire
aucun remords, car comme Dubois, il sait
que ces êtres souffrent pour la vérité, pour
l’amour.
C’est un comique de mots, de situation
et de caractère.
Pistes de travail
Repérer les différents types de comique.
On demandera aux élèves de relever un exemple pour chacun des types dans la pièce.
Analyser une scène comique. On proposera la scène 8 de l’Acte I. Les élèves pourront réaliser une lecture méthodique de la
scène. Ils montreront en quoi Arlequin est
un personnage qui concourt au comique de
la scène, les différents types de comique qui
s’illustrent ici.
La langue du XVIIIe
Marivaux définit sa conception du langage dramatique dans l’« Avertissement »
qui précède Les Serments indiscrets : « Ce
n’est pas moi que j’ai voulu copier, c’est la
nature, c’est le ton de la conversation en
général que j’ai tâché de prendre ; ce tonlà a plu extrêmement et plaît encore dans
les autres pièces, comme singulier, je crois ;
mais mon dessein était qu’il plût comme
naturel, et c’est peut-être parce qu’il l’est
effectivement qu’on le croit singulier… ».
La nature qu’il veut copier est celle de ses
personnages, de leurs sentiments complexes. Le ton de la conversation est celui des
conversations du monde où l’on se flatte
d’user des figures de style traditionnelles
et des éléments grammaticaux propres à la
langue écrite plus qu’à la langue parlée.
Voltaire reprochait à Marivaux : « de peser
des œufs de mouche dans des balances de
toile d’araignée ».
Dès que l’on pense aux échanges des personnages de Marivaux, on pense aux expressions : galanteries précieuses, raffinement ou à la frivolité élégante.
« La subtilité et le raffinement des
dialogues chez Marivaux, y lit-on, furent
parfois critiqués et taxés d’affectation
19
MAISON DE L’ÉDUCATION
(c’est-à-dire d’imitation, de faux-semblant
ou encore de manque de naturel et de simplicité) dans le style.
L’expression nouvelle préciosité fait référence au mouvement précieux qui s’est
développé au milieu du siècle précédent
et que Molière a stigmatisé dans Les Précieuses ridicules (1659). La préciosité désigne une mode, une certaine manière de
se comporter et de parler, en recourant
à un langage affecté, à des expressions
nouvelles et extravagantes. Ces nouveaux
précieux, dont Marivaux sera un des plus
illustres représentants, s’en prennent vivement aux Anciens lors de la Querelle.
Ils constituent une avant-garde littéraire
et artistique en rupture avec l’idéal classique tel qu’il s’est mis en place en France
autour de 1660. Ils rejettent la hiérarchie
des genres et pratiquent le mélange des
tons et des registres (passage du noble au
familier, du sérieux au frivole). Comme la
préciosité du XVIIe siècle, cette nouvelle
préciosité est d’abord un langage convaincu que le progrès des idées doit entraîner
la transformation de la langue. Ces modernes précieux recourent à un style nouveau,
volontiers spirituel et poétique, ils utilisent des métaphores originales et surprenantes, inventent même des mots ou des
expressions inédites.
C’est au style de Marivaux que cette
nouvelle préciosité est identifiée le plus
souvent. Marivaux qu’on accusait de « ne
pas parler le français ordinaire » (d’Alembert, 1785), de « pécher contre le goût
et quelquefois même contre la langue »
(Palissot, 1764), parce que ses phrases
semblaient artificielles et maladroites, ses
figures trop recherchées et obscures, et
qu’il créait même des mots nouveaux comme cette locution verbale qui nous paraît
maintenant si courante, mais qui n’existait
pas encore à l’époque : tomber amoureux.
(Avant que la locution forgée par Marivaux
ne s’imposât, on disait se rendre amou-
reux.) Ce « goût pour l’affectation », ce
« style alambiqué », ces « images incohérentes », définissent ce qu’on appelle, du
vivant même de Marivaux, le marivaudage.
Ainsi Palissot, le célèbre ennemi des philosophes, écrit-il en 1777 :« Ce jargon dans
le temps s’appelait du marivaudage. Malgré
cette affectation, M. de Marivaux avait infiniment d’esprit ; mais il s’est défiguré par
un style entortillé et précieux, comme une
jolie femme se défigure par des mines. »
Dès le XVIIIe siècle, le mot marivaudage
a donc un sens péjoratif : il ne désigne pas
seulement le style de l’écrivain, mais aussi
cette forme d’analyse morale et psychologique raffinée à l’excès que Marivaux met
en pratique dans ses romans, ses comédies
et ses essais. À la fin du siècle, dans son
Lycée ou Cours de littérature ancienne et
moderne, La Harpe résume ce double sens
du terme, en insistant sur le mélange des
registres opposés : « Marivaux se fit un style si particulier qu’il a eu l’honneur de lui
donner son nom ; on l’appela marivaudage,
c’est le mélange le plus bizarre de métaphysique subtile et de locutions triviales,
de sentiments alambiqués et de dictions
populaires. »
Le mot va ensuite devenir positif et
prendre un second sens plus général : il
décrit un certain type de dialogue amoureux (dont les comédies de Marivaux offrent le modèle). Il renvoie à une certaine
façon de vivre l’échange sur le mode de la
galanterie et du badinage. C’est dans ce
sens large que le mot est, de nos jours, le
plus couramment employé pour désigner
une atmosphère enjouée et spirituelle, des
rapports amoureux fondés sur le jeu et la
séduction.
Frédéric Deloffre dit dans Marivaux et
le marivaudage à propos des textes de Marivaux : « Alors que chez d’autres écrivains
les paroles ne sont qu’un des signes visibles
de l’action dramatique, elles en sont… la
matière, la trame même ».
20
MAISON DE L’ÉDUCATION
C’est un théâtre intellectuel qui met en
scène l’art de la conversation. Les mots se
cachent, pour mieux faire apparaître la vérité des cœurs.
Dans Les Fausses Confidences, le jeu verbal est essentiel. On relèvera de nombreux
apartés qui traduisent un début d’inclination malgré soi ; des tirades qui permettent aux spectateurs de juger combien le
personnage se trompe sur lui-même ou au
contraire combien il maîtrise la situation ;
un badinage amoureux qui emploi des figures de style comme l’hyperbole, les jeux
de mots ; des discours qui sont souvent
ambigus, avec l’emploi notamment des
systèmes hypothétiques et de nombreuses
marques de modalisateurs.
Le cor­ps
Si le langage est au cœur du théâtre de
Marivaux, il n’en demeure pas moins un
théâtre sensuel où la séduction physique
n’est pas écartée.
Le corps a toute sa place. Il est d’abord ce
que l’on voit de l’autre : Marton voit Dorante comme un homme « bon à montrer », il
« prévient en sa faveur » (I, 4). Araminte
est elle aussi charmée par la physionomie
du jeune homme : « Il a très bonne façon
(…) Il a si bonne mine pour un intendant »
(I, 6). Elle apprécie son corps bien fait et
sa jeunesse : « Vous n’avez que trente ans
tout au plus ? » (I, 7).
C’est bien sûr Dorante, relayé par Dubois, qui est le plus loquace pour vanter
les beautés d’Araminte. Dorante ne parle
pas par ignorance du beau langage mais
parce qu’il masque sa passion. Cependant
il se sert de Dubois pour dire à Araminte ce
qu’il pense : « il ne veut que vous voir, vous
considérer, regarder vos yeux, vos grâces,
votre belle taille ; et puis c’est tout ; il me
l’a dit mille fois » (p. 52). Dubois sera plus
explicite que Dorante ne le sera jamais.
Quand il parle enfin à la scène 15 de l’acte
II, il ne se permettra que des compliments
indirects et conventionnels : « je la verrais
à tout instant, que je ne croirais pas la voir
assez (…) Dispensez-moi de la louer, Madame, je m’égarerais en la peignant. On ne
connaît rien de si beau ni de si aimable
qu’elle ».
C’est Dubois encore qui met en avant
le corps de Dorante comme un atout majeur qui vaut tout l’or du monde : « Votre
mine est un Pérou. Tournez-vous un peu
que je vous considère un encore (…) voilà
une taille qui vaut toutes les dignités possibles » ; « Il me semble que je vous vois
déjà en déshabillé dans l’appartement de
madame. » (I, 1).
Dans les pièces de Marivaux, l’amour
naît rapidement semblable au coup de foudre. Un regard suffit à Dorante pour aimer :
« le plaisir de vous contempler » (p. 48),
« il vous vit descendre… » (p. 49). Dorante est alors « extasié ; il ne remuait
plus » (p. 49). Il ne veut plus que voir sa
bien-aimée. Sa passion se traduit physiquement : il « tremble » (p. 21), il a « la
larme à l’œil » (p. 49).
Marton, elle aussi, tombe amoureuse
bien vite. Dès la scène 4 de l’acte I, elle
se prête au jeu des fiançailles et avouera
ses sentiments à sa maîtresse : « Pourquoi
avez-vous eu la cruauté de m’abandonner
au hasard d’aimer un homme qui n’est pas
fait pour moi, qui est digne de vous (…). »
(III, 10)
Le corps n’est donc pas absent de ce théâtre dit intellectuel. La sensualité et le désir sont les moteurs de l’intrigue.
Pistes de travail
Analyser le jeu des acteurs. Après le spectacle, on demandera aux élèves de réfléchir
sur la façon dont les acteurs ont incarné
le désir et la passion. Ils donneront des
exemples précis de gestes employés, des
déplacements des acteurs et des expressions de leur visage. Ils verront si la mise
21
MAISON DE L’ÉDUCATION
en scène de Didier Bezace a souligné cet
aspect, donnant à cet amour une dimension
charnelle.
L’argent
L’originalité de cette pièce, en la comparant à celles qui l’ont précédée, est liée
sans doute à l’ancrage « réaliste » c’està-dire concret dont elle témoigne. Comme
de coutume chez Marivaux, il est question d’argent et de condition sociale. Dès
le début, on comprend que l’amour entre
Araminte et Dorante semble impossible à
cause de ce qu’ils valent respectivement ;
« Elle a plus de cinquante mille livres de
rentes » soupire Dorante, « vous en avez
bien soixante » (I, 1) s’exclame Dubois.
Cette différence fait tout car pour Dorante : « je ne suis rien, moi qui n’ai point de
bien » (I, 1). L’argent, c’est la puissance
et le pouvoir. C’est la clé qui ouvre presque toutes les portes, même celle de la
noblesse puisque Araminte peut épouser
le Comte sans qu’il considère cette union
comme déshonorante au XVIIIe. Elle rappellera cette différence de rang cependant : « je ne suis pas d’un rang qui vous
convienne » (III, 13).
Si Dorante aime Araminte passionnément, elle est aussi un bon parti comme
le rappelle Dubois : « Vous êtes actuellement dans votre salle et vos équipages sont
sous la remise » (I, 2, p. 20). Même Dorante ne peut être totalement détaché de
ces contingences matérielles ; il répondra
d’ailleurs à son oncle qui lui demande de
se préoccuper de son avenir : « Vous avez
raison, Monsieur, et c’est aussi à quoi je
vais travailler » (I, 3, p. 23).
L’argent est aussi le lien qui le lie à
Araminte : il est employé comme intendant
pour s’occuper de ses affaires. Il usera ce
prétexte dans l’acte III pour demander à
être reçu par Madame : « un de vos fermiers
est venu tantôt, Madame (…) Et j’ai de
l’argent à vous remettre (…) ne serait-il
pas temps de vous l’apporter ce soir ou demain, Madame ? » (III, 12).
L’argent est donc existentiel dans la
mesure où celui qui n’a rien, n’est rien, ce
qui explique que tous les personnages – à
part Araminte et Dubois qui ne travaille
pas pour lui – s’en préoccupent et parlent chiffre. Marton s’occupe de pourvoir
son « fiancé » d’un appartement dont elle
pourrait bénéficier s’ils se mariaient ; elle
rappelle que le Comte lui donnera « mille
écus » si le mariage se fait. Elle est intéressée mais ne s’en cache pas : « Au contraire,
c’est par réflexion qu’ils me tentent. Plus j’y
rêve, et plus je les trouve bons (…) Méditez sur cette somme, vous la goûterez aussi
bien que moi » (p. 41).
Arlequin s’inquiète de servir « gratis »
(p. 34), d’être « un valet à meilleur marché ».
Madame Argante évoque « une terre
considérable » sa fille « fort riche ». Elle
rêve noblesse, rang et regrette que sa fille
se contente d’être une petite bourgeoise,
même aisée.
Monsieur Remy ne voit dans les jeunes
femmes que ce qu’elles possèdent : Marton
est valable car elle héritera d’une tante, sa
maîtresse veillera à la marier, c’est-à-dire
à la doter ; la « dame de trente-cinq ans »
(p. 62 , II, 2) a « quinze mille livres de
rentes pour le moins ». C’est donc une affaire à ne pas manquer pour Dorante. Son
refus ne s’analyse que comme un acte de
fou : « Dorante, sais-tu bien qu’il n’y a pas
de fou aux Petites-Maisons de ta force ? »
(II, 3 p. 64)
Le Comte pense que l’on obtient tout
avec de l’argent ; il est prêt à « acheter »
Dorante : « s’il ne faut que de l’argent pour
le mettre dans nos intérêts, je ne l’épargnerai pas » (II, 4, p 68). S’il est moins
obsédé par l’argent, c’est tout simplement
qu’il n’en manque pas.
On donnera à titre indicatif quelques équi-
22
MAISON DE L’ÉDUCATION
valents :
1 000 écus
28 000 €
15 000 livres
141 000 €
50 000 livres
470 000 €
Monsieur Remy conclut fort justement
à la scène 8 de l’acte III : « s’il était riche,
le personnage en vaudrait bien un autre ; il
pourrait bien dire qu’il adore. Et cela ne serait point si ridicule ». Ce qui est étonnant,
c’est que pas un des personnages n’ait mis
en doute la sincérité de l’amour de Dorante pour Araminte. Aucun n’imagine que
Dorante ait séduit Araminte pour se faire
épouser et jouir de sa richesse.
La dramaturgie
Les intentions
du metteur en scène
Lors d’une rencontre avec le public organisée au Théâtre de Saint-Quentin le
6 janvier 2010, Didier Bezace, le metteur
en scène, s’explique d’abord sur les raisons
qui l’ont poussé à choisir cette pièce :
« Le projet de monter Les Fausses Confidences de Marivaux date de deux ans. C’est un
auteur classique qui semblait moins joué
depuis quelque temps et avec qui j’avais envie de renouer. C’est aussi donner à voir un
texte classique dans un théâtre populaire
et rassembleur. Cela fait partie des missions
du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers.
Par ailleurs, j’avais aussi le désir de réunir des comédiens avec qui j’aime travailler :
Pierre Arditi ou encore Anouk Grinberg. »
On se souvient qu’en 2001, Didier Bezace a ouvert le Festival d’Avignon dans
la Cour d’Honneur avec L’École des Femmes
de Molière qu’il a mis en scène avec Pierre
Arditi dans le rôle d’Arnolphe. Les deux
hommes se sont encore partagés l’affiche
dans Elle est là de Nathalie Sarraute.
Didier Bezace rappelle qu’il a joué dans
cette pièce le rôle de Dubois en 1992-93
avec Nathalie baye.
Les Fausses Confidences représentent
pour le metteur en scène la somme de toutes les autres pièces de Marivaux : le dramaturge y a assemblé tout ce qu’il savait,
il transgresse les tabous et les convenances sociales en osant marier deux êtres de
conditions différentes. Il met en scène son
double : Dubois, le valet instigateur dans
la lignée de Figaro. Il apparaît comme
« un metteur en scène, un régisseur et un
dramaturge de l’amour. »
Les Fausses Confidences est aussi la
dernière grande comédie en trois actes de
Marivaux.
La mise en scène
La scénographie
Quand le spectacle commence, le spectateur se trouve face à un gigantesque escalier en pierre, aux montants en fer forgé,
qui ne mène nulle part et se noie dans
l’obscurité du fond du plateau. Il est au
centre du plateau, comme on peut le voir
sur l’esquisse ci-dessous du scénographe…
Est-ce celui où Dorante vit Araminte pour
la première fois : « Madame, ce fut un jour
que vous sortîtes de l’Opéra, qu’il perdit
la raison ; c’était un vendredi ; il vous vit
descendre l’escalier, à ce qu’il me raconta,
et vous suivit jusqu’à votre carrosse » (I,
14) ?
23
MAISON DE L’ÉDUCATION
(huile sur toile, 1717, Louvre) ou Les deux
cousines, (huile sur toile, 1716 , Louvre).
Wikimedia Commons
Quoi qu’il en soit, il peut aussi symboliser l’ascension sociale que lui permettrait
cette union. L’entrée en scène de Dorante
se fait d’ailleurs en opposition complète
à cet escalier puisqu’il arrive du fond de
la salle de spectacle, descend les marches
qui conduisent à la scène puis monte sur
le plateau où il retrouve Dubois. Dorante
se trouve lui aussi face à cet escalier, face
à ses ambitions, à son amour.
À la fin de la pièce, l’escalier réapparaît
mais tourné côté cour. Araminte et Dorante le graviront ensemble.
Le dispositif scénique comprend aussi
l’utilisation d’un rideau noir, léger comme
de la soie qui selon l’éclairage peut devenir
totalement transparent. C’est ce même rideau qui tombe du ciel entre chaque acte.
Lorsque Dubois entre en scène à la scène 2 de l’acte I, il fait descendre ce rideau
qui masque l’escalier. Puis d’un coup rapide de la main, comme par magie, il le fait
disparaître comme si celui-ci était aspiré.
L’escalier a alors disparu, remplacé par
un paysage qui semble sortir tout droit
des tableaux de Watteau. On observera les
paysages de L’Embarquement pour Cythère,
Wikimedia Commons
Enfin, dans un dernier temps, deux panneaux descendent des cintres et constituent le décor.
Le metteur en scène et le scénographe,
Jean Haas, ont voulu une machine scénographique à la fois naïve et complexe.
Naïve dans la mesure où il s’agit de deux
panneaux qui représentent, selon qu’ils
sont d’un côté ou d’un autre, deux décors : côté jardin et côté salon. Complexe
par les problèmes techniques qu’elle peut
engendrer puisque les deux panneaux descendent des cintres et y remontent pour
disparaître totalement. Ils pivotent aussi
sur eux-mêmes.
Cette machine donne l’illusion d’un lieu
dans lequel deux êtres se cherchent dans
24
le vide. Il n’est pas question de faire croire
à la réalité. Le décor est planté dans le
fond du plateau ; il n’est pas fermé ; les
personnages rentrent et sortent, à vue du
spectateur sur les côtés de ces panneaux.
Pour Didier Bezace, Marivaux n’est pas un
auteur réaliste, il lui fallait donc un décor
qui souligne cette artificialité, cette dimension « conte de fée » ou « romance à
l’américaine » comme il se plaît à le dire.
Ces deux panneaux descendent au cours
de la scène 2 de l’acte I, comme mus par
la volonté de Dubois, metteur en scène de
l’intrigue. Ils sont parfois écartés en leur
milieu soit par Arlequin soit par Dubois à la
fin de l’acte I ou à la scène 10 de l’acte II.
Dans ce cas précis, ils découvrent une pièce, l’appartement de Dorante, dans lequel
trône au-dessus d’une cheminée le tableau
d’Araminte : « en arrangeant l’appartement
de Monsieur Dorante, j’y ai vu par hasard un
tableau où Madame est peinte, et j’ai cru
qu’il fallait l’ôter, qu’il n’avait que faire là,
qu’il n’était point décent qu’il y restât… ».
Une fois le tableau décroché par Dubois,
les deux panneaux se referment. Ils pivoteront sur eux-mêmes à la fin de l’acte II
pour passer au jardin. Dans la scène 12 de
l’acte III, scène ultime de confrontation
des amants, le panneau de gauche renvoie au jardin où se trouve Araminte tandis que le panneau de droite présente le
salon dans lequel reste Dorante. Les deux
amants se parlent donc sans se regarder
d’un espace à l’autre. Araminte, dans le
jardin, Dorante, dans le salon. La distance
est immense pour ce moment difficile. Progressivement, Araminte va rentrer par une
porte-fenêtre et faire le premier pas vers
l’homme qu’elle aime. Pour l’aveu final,
les deux personnages sont réunis dans un
même lieu, enfin face-à-face, comme on
peut le voir ci-après.
Peu d’accessoires sur le plateau : une
chaise à l’acte I et un bureau à l’acte II. La
©Brigitte Enguérand
MAISON DE L’ÉDUCATION
décoration comme le mobilier renvoient au
XVIIIe siècle. Sur cette esquisse du scénographe Jean Haas, on voit le bureau, une
chaise, une porte-fenêtre et la cheminée
qui se trouve en réalité sur le panneau découvert uniquement (II, 10) et qui représente l’appartement de Dorante.
On évoquera encore le fameux portrait,
objet du conflit de l’acte II entre Arlequin
25
MAISON DE L’ÉDUCATION
et Dubois. Ce portrait représente le buste
d’une femme, Araminte, dévêtue et dévoilant un sein timidement caché par un voile
transparent. La jeune femme est alanguie,
les bras relevés au-dessus de sa tête dans
une pose assez lascive et sensuelle.
Enfin, dernier élément de cette scénographie : une double trappe à l’avantscène, au centre. Les deux trappes sont
encastrées l’une dans l’autre et s’ouvrent
l’une vers la salle, l’autre vers le fond du
plateau. Seul Dubois utilise ces trappes
pour apparaître tel un machiniste qui règle ses rouages, un souffleur qui donne les
répliques, une marionnette qui surgit inopinément.
Pistes de travail
Imaginer un décor. Dans un premier temps,
on pourra demander aux élèves de dire comment ils se figurent le décor. Dans un second temps, on leur donnera les esquisses de
Jean Haas en leur demandant d’imaginer à
quel moment de la pièce les décors dessinés
sont utilisés. Dans un dernier temps, ils rédigeront un court paragraphe sur l’esquisse
qui représente l’escalier en expliquant ce
que peut signifier cet escalier dans la pièce.
Analyser la scénographie. Après le spectacle, on reprendra à l’oral avec les élèves tout
ce qu’ils auront perçu du dispositif scénique.
Une fois le relevé effectué, ils réfléchiront sur
les effets recherchés par le metteur en scène.
Histoire des arts, art du visuel. On
présentera aux élèves les deux tableaux
de Watteau et on leur demandera d’en
proposer une description et une analyse. Après une courte recherche sur Watteau, ils expliqueront pourquoi le metteur en scène fait référence à ce peintre.
L’univers sonore
On distinguera deux pistes. L’utilisation
d’une bande-son musicale entre chaque
acte et l’utilisation d’une bande-son de
bruitages.
La bande-son musicale propose des interprétations de Vivaldi qui nous disent
ce que ne veulent pas trahir les personnages.
Début de l’acte I : Vivaldi, adagio du
Concerto pour deux violons et violoncelles
RV 578 a ; Gli Incogniti/Amandine Beyer
Entre l’acte I et II : Vivaldi, presto de l’été
des Quatre saisons : même réf. ci-dessus.
Entre l’acte II et II : Vivaldi, Concerto en
mi mineur pour violon RV 273 ; Giuliano
Carmignola (violon), Venice Baroque
Orchestra, Andrea Marcon (direction).
À la fin : Vivaldi, allegro du Concerto pour
deux violons et violoncelles RV 578 a ; Gli
Incogniti/Amandine Beyer.
La bande-son de bruitages permet de
rythmer la journée : chant du coq pour
commencer, puis pépiements d’oiseau diurnes pour les actes I et II, trot d’un cheval
accompagné d’un hennissement, chants
d’oiseaux nocturnes pour l’acte III.
Pistes de travail
Histoire des arts, art du son. On invitera les
élèves à repérer les moments où les intermèdes
musicaux interviennent et à s’interroger sur
leur fonction. Puis on leur fera réécouter
les extraits et on leur demandera de justifier d’une part le choix du compositeur, Vivaldi, et d’autre part le choix des morceaux.
Les personnages en jeu
Didier Bezace ne conçoit les personnages
qu’en costume. Ce costume va de pair avec
la langue du XVIIIe. « Sans vouloir faire
d’archéologie, je n’ai pas souhaité me priver
du plaisir et de la beauté du XVIIIe siècle.
Un plaisir et une beauté qui trouvent notamment des échos sur scène à travers des
mises en perspectives d’œuvres de Watteau.
J’ai élaboré une représentation qui s’appuie
sur des possibilités de réalisme conçues
comme des citations et non comme un en-
26
MAISON DE L’ÉDUCATION
2. Si on veut découvrir l’ensemble des costumes, on se
rendra sur le site du Théâtre
de la Commune (dossier pédagogique) : http://www.theatredelacommune.com/index.
php/spectacles/saison-09-10/
les-fausses-confidences.
vironnement figuratif. On est ainsi dans un
théâtre qui donne l’illusion du réel tout en
laissant surgir une dimension de féerie. Un
théâtre que je voudrais faire sortir du simple
jeu intellectuel, de la simple mécanique de
l’esprit, pour donner naissance à un conte
sensuel et amoureux. » s’explique-t-il dans
un entretien avec Manuel Piolat Soleymat
pour le journal La Terrasse.
Si on se réfère à L’Histoire de la mode
et du costume de James Laver, édition
Thames and Hudson, « Les bourgeois, eux,
se contentaient de leurs cheveux naturels,
portés longs et coiffés d’un large feutre orné
d’une touffe de rubans. Comme les nobles,
ils adoptèrent la veste, le justaucorps, un
rabat de lingerie et pour cravate, un nœud
de cravate. » (p. 127). Seul le Comte Dorimont et Monsieur Remy portent une perruque blanche dans la pièce. Les autres
personnages portent leurs cheveux naturels, bouclés et relevés pour les femmes,
agrémentés de rubans et petites plumes.
Les chevelures des hommes sont longues
et sont nouées sur la nuque par un ruban
discret.
On lit encore page 132 du même ouvrage :
« le justaucorps, garni d’une rangée de
boutons sur toute la langueur, reste généralement ouvert ; il est serré et froncé à la
taille ; les deux pans latéraux sont plissés ;
celui du dos, droit. La forme des manches
est très révélatrice […] la longueur des
poignets diminuait au fur et à mesure que
le siècle avançait. Très large au début, et
retournés, ils se boutonnaient jusqu’au
coude, découvrant les parements et dentelles de la chemise, assortis au jabot ou au
col […] La veste était quasi aussi longue
que le justaucorps et comme lui, garnie de
boutons de haut en bas, bien que les derniers ne soient jamais utilisés. Ajustée à
la taille, la veste s’évase en plusieurs pans
plats, parfois doublés de bougran pour une
meilleure tenue. Le dos est taillé dans un
tissu moins coûteux. Les culottes froncées
arrivent au genou et sont souvent invisi-
bles sous l’habit. ». Quant aux femmes,
elles portent des robes dites ouvertes ou
fermées. Les premières comportaient une
jupe et un corsage ouvertes en V sur le
devant, laissant voir le jupon en dessous
(costume d’Araminte). Les secondes comportaient un corsage et une jupe fermée
(costume de Marton). Le corsage est parfois rembourré d’« une pièce d’estomac »,
sorte de plastron rigide maintenu par du
carton. Les manches laissent passer les
parements de dentelle de la chemise. Si le
corset d’Araminte traduit le joug de la société, les décolletés des femmes indiquent
que leur corps existe, que la sensualité est
là, même emprisonnée dans des costumes
encombrants.
Madame Argante porte une robe semblable à la robe dite « volante », une robe
lâche aussi flottante qu’une robe d’intérieur ; dans le dos, à la hauteur des épaules, des gros plis se perdent dans la jupe et
forment comme un début de cape.
L’ensemble des costumes offre une palette élégante et harmonieuse : du noir de
Dubois, un gris perle légèrement tirant sur
le parme pour Madame Argante, du lie de
vin pour Monsieur Remy, un marron glacé
pour Dorante, une robe bleue et ivoire pour
Araminte, jaune et cuivre pour Marton…
Comme le scénographe pour les décors,
la costumière Cidalia da Costa s’est inspirée des tableaux de Watteau.
On verra les esquisses de certains costumes réalisées par Cidalia Da Costa et les
tissus choisis pour chacun des personnages. On pourra ensuite les comparer avec
les costumes réalisés et que l’on peut voir
sur les photos qui suivent.2
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©Brigitte Enguérand
©Brigitte Enguérand
MAISON DE L’ÉDUCATION
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©Brigitte Enguérand
MAISON DE L’ÉDUCATION
Le jeu
©Brigitte Enguérand
Dubois en savant metteur en scène passe
et repasse derrière les portes fenêtres, s’arrête un temps pour vérifier que les choses
avancent puis repart. Il est partout, une
ombre qui passe, entre deux panneaux,
entre deux personnages. Dans l’acte I, où
il est peu présent, il surveille toutes les
réactions d’Araminte. Dans l’acte II, alors
que le Comte, Madame Argante, Marton et
Araminte se disputent au sujet du portrait
– sur l’objet représenté et son commanditaire –, Dubois se prépare avec le tableau
d’Araminte sous le bras, prêt à porter un
coup de grâce.
©Brigitte Enguérand
Il apparaît par les entrées et sorties
classiques mais aussi par une trappe ménagée sur l’avant-scène qui lui permet
de jouer ce rôle de conspirateur et de
souffleur. Il sait dire à Araminte en chuchotant : « il vous adore » et à Dorante :
« Quand l’amour parle, il est le maître ; et
il parlera ». Il joue en permanence un rôle
29
MAISON DE L’ÉDUCATION
©Brigitte Enguérand
Marton et Arlequin, III, 3.
©Brigitte Enguérand
Madame Argante est un personnage
assez drôle dans la mesure où elle arrive
sur scène, majestueuse dans un fauteuil
roulant, portant son petit chien, mais à
la première colère ou contrariété, elle se
lève fort vivement de ce fauteuil et trouve
une grande énergie pour invectiver sa fille
ou Dorante.
©Brigitte Enguérand
face à Araminte surtout. Il prend un air
effaré en évoquant son ancien maître, faisant craindre le pire, pour mieux le louer
ensuite. Il feint d’être offusqué en décrochant le tableau d’Araminte, feint encore
en évoquant des maîtresses qui le pourchasseraient de leurs ardeurs.
Araminte tressaille à chaque parole,
évite les regards de l’autre quand elle est
troublée, se réfugie alors dans sa broderie,
sait marquer un temps d’arrêt quand elle
découvre Dorante… Les sentiments sont
perceptibles par tous les pores de sa peau
et par chaque intonation.
Dorante est omniprésent mais assez silencieux puisqu’il ne doit pas parler de son
amour. Il sourit souvent, regardant celle
qu’il aime et qu’il peut désormais voir tout
le jour. Il est gêné de mentir à Marton,
se veut ferme face au Comte et à Madame
Argante, devient maladroit dès lors qu’il
s’adresse à Araminte. On le sent qui souffre, qui hésite, qui doute.
Marton est jouée comme une jeune femme enjouée, sautillante et souriante. Elle
est la joie de vivre. Elle ne perd sa gaieté
que lorsqu’elle a bien compris qu’elle avait
perdu Dorante mais qu’elle risquait aussi
de perdre le soutien de sa maîtresse. Elle
devient amère quand elle observe le couple monter les escaliers dans la lumière.
Elle reste en bas, dans la pénombre.
Arlequin est lui aussi interprété comme
un être vif, emporté. Il est taquin et intéressé.
Elle apparaît à la scène 9 de l’acte II,
raide dans sa chaise, crispée à son ombrelle alors qu’elle est au salon. Dans la
scène 5 de l’acte III, on la revoit tenant
tête à Monsieur Remy.
Monsieur Remy, solidement campé sur
ses pieds, inspire le respect. Il est un brave homme, un peu impétueux : morigénant
son neveu quand il refuse un bon parti
mais prenant sa défense dès lors qu’on
l’attaque.
Quant au Comte, il est joué comme un
être calme et digne.
30
MAISON DE L’ÉDUCATION
Quelques textes critiques
La réception du temps de Marivaux
Texte 1 - D’Alembert
Cette éternelle surprise de l’amour, sujet unique des comédies de Marivaux, est la principale critique qu’il ait essuyée sur le fond de ses pièces ; car nous ne parlons point encore
du style : on l’accuse, avec raison, de n’avoir fait qu’une comédie en vingt façons différentes, et on a dit assez plaisamment que si les comédiens ne jouaient que les ouvrages
de Marivaux, ils auraient l’air de ne point changer de pièce. Mais on doit au moins convenir que cette ressemblance est, dans sa monotonie, aussi variée qu’elle le puisse être, et
qu’il faut une abondance et une subtilité peu communes pour avoir si souvent tourné,
avec une espèce de succès, dans une route si étroite et tortueuse. Il se savait gré d’avoir
le premier frappé à cette porte, jusqu’alors inconnue au théâtre.
D’Alembert, Éloge de Marivaux, 1785.
Pistes de travail
Après
vous
être
renseigné
en
bibliothèque
sur
d’Alembert,
reformulez
les principales critiques qu’il adresse à Marivaux. Pourquoi les pièces de
Marivaux
donnent-elles
l’impression
qu’il
s’agit
toujours
de
la
même ?
Texte 2- Marmontel
L’affectation de Marivaux consiste, du côté de la pensée, dans des efforts continuels
de discernement pour saisir des traits fugitifs, ou des singularités imperceptibles de la
nature ; et du côté de l’expression, dans une attention curieuse à donner aux termes les
plus communs une place nouvelle et un sens imprévu ; souvent aussi, dans une continuité
de métaphores familières et recherchées, où tout est personnifié, jusqu’à un oui qui a la
physionomie d’un non. C’est un abus continuel de la finesse et de la sagacité de l’esprit.
On a été trop sévère lorsqu’on a dit de Marivaux, qu’il s’occupait à peser des riens dans
des balances de toile d’araignée ; mais lorsqu’on a dit de lui, qu’en observant la nature
avec un microscope, il faisait voir des écailles sur la peau, on n’a dit que la vérité, et on
l’a dite de la manière la plus ingénieuse. Pour bien peindre la nature aux yeux des autres,
il faut ne la voir qu’avec ses yeux, ni de trop près, ni de trop loin. C’est avoir beaucoup
d’esprit, sans doute, que d’en avoir trop ; mais c’est n’en avoir pas assez.
Jean-François Marmontel, Éléments de littérature, (1787), Desjonquères, 2005.
Quelques critiques du XXe
Texte 1- Michel Deguy
Une chose demeure, donc, assez étonnante : la « réception » des contemporains [...] Ce
que ne comprend pas le critique contemporain de Marivaux, c’est précisément le mécanisme marivaldien, toute l’horlogerie des obstacles et des retards, les ressorts de la vanité piquée piquante dans l’élément du langage, qui est au milieu de l’aveu et de la (dis)
simulation, du dire et du dédire. [...] Une nouvelle recherche du « naturel » se confronte
avec une image que la critique, surprise et oubliant d’analyser le dispositif artificieux,
conjure en la déclarant plus artificielle. Quelle menace ? L’amour serait affaire de dire, de
discours, de précipitation parolière, voilà qui est dangereux.
31
MAISON DE L’ÉDUCATION
L’expressivité ne peut-elle être feinte ? Les codes appris et simulés ; la confidence
fausse confidence ; la fourberie récompensée au lieu d’être punie ; le milieu de communication troublé par la fonction « phatique » même de la sincérité qui veut en garantir la
transparence ; et par la médisance, et le commérage… ?
Michel Deguy, La Machine matrimoniale ou Marivaux, Gallimard, 1981.
Texte 2 – Georges Poulet
Comment trouver dans le langage quelque chose d’équivalent à ce multiple tournoiement
intérieur qu’est le moment vécu, et à ce glissement vertigineux qu’est le temps vécu ?
Sinon en inventant une langue assez naïve qui exprime tous les élans, une langue qui par
sa spontanéité serait actuellement toutes les variations du cœur. Du sentir au penser, et
du penser au dire, point de traduction ni d’intervalle.
Georges Poulet, Études sur le temps humain, tome Il (1952).
1. Vie de Marianne, Œuvres,
Tome VI, de Marivaux
2. Vie de Marianne, Œuvres,
Tome VI, de Marivaux
3. Le dénouement imprévu de
Marivaux
4 Spectateur français, 4e
feuille, Œuvres, Tome IX, de
Marivaux
Texte 3 – Georges Poulet
Pour Marivaux, si l’amour nous fait sortir de nous, il nous ramène à nous. Car le sentiment
qu’on éprouve pour un autre, ne trouve sa rapide perfection qu’en se transformant en le
sentiment qu’on éprouve pour soi-même. Il n’atteint sa complétion (accomplissement)
que dans le moment où il devient, par-delà la découverte de l’autre, une connaissance
de soi. […] Aperception de soi, connaissance confuse mais connaissance, la pensée
s’épanouit donc chez Marivaux à la pointe de toute émotion. Si celle-ci est d’abord un
trouble, un étourdissement où disparaît toute connaissance rationnelle, c’est dans le
trouble que l’être a la chance de se trouver tel qu’il est vraiment, c’est-à-dire tel qu’il est
spontanément. Il y a deux sortes d’esprits, l’un qui « n’apprend rien qu’à discourir »1 et
qui « ne sait rien qu’avec le temps ». Il ne nous sert de rien pour nous connaître, parce
que nous sommes des êtres instantanés, que ne saurait jamais rattraper une pensée
discursive et par conséquent temporelle. Mais à cette connaissance gauche et lente, qui
est la connaissance intellectuelle, s’en oppose une autre, agile et prompte, qui est plutôt d’ailleurs un sentir qu’un connaître. […] Pour Marivaux donc, comme pour Pascal, la
vraie connaissance est une connaissance du cœur. « Je pense, pour moi, qu’il n’y a que
le sentiment qui nous puisse donner des nouvelles un peu sûres de nous. »2 L’esprit ne se
superpose donc pas au cœur. Il n’est point quelque chose qui s’introduirait dans la réalité
des passions pour en tirer, par on ne sait quelle opération, la vérité, substance nouvelle.
Il n’y a pas, à rigoureusement parler, de connaissance rationnelle de l’être. Du moins pour
les êtres que nous sommes. Il n’y a qu’une expérience immédiate où l’on se sent tel qu’on
sent : « On ne met rien dans son cœur ; on y prend ce qu’on y trouve. »3 Être actuel, le
personnage marivaudien se saisit pour ainsi dire au vol et par hasard. Il se saisit par le
même mouvement qui le fait vivre. Et si, comme le prétend Marivaux, « il n’y a que le
sentiment qui nous puisse donner des nouvelles un peu sûres de nous, » c’est parce que
nous sommes sentiment, et que de l’être au connaître il n’y a aucune différence quand
il s’agit d’un être qui n’est que ses passions, et d’une pensée qui se confond avec les
mouvements du cœur. Par suite, cette pensée instinctive, immédiate et fortuite complète
triomphalement l’actualité de l’être marivaudien.
Ma pensée prolonge mon être et mon sentir. Elle les accompagne dans leur essor instantané. Jamais elle ne s’en détache : « Je me reprocherais d’écarter la situation d’esprit
où je me trouve ; je me livre aux sentiments qu’elle me donne. »4
Georges Poulet, La distance intérieure, Librairie Plon, 1952.
32
MAISON DE L’ÉDUCATION
Texte 4 – Jean Rousset
Les Fausses Confidences font de Dubois, meneur de jeu virtuose, un équivalent masculin
de Flaminia et le type accompli de l’acteur témoin ; il est l’œil, omniprésent et omniscient, prévoyant tout ce qui se produira dans les sensibilités de ces amoureux dont il
est le vrai maître : « Je m’en charge, je le veux, je l’ai mis là… je connais l’humeur de
ma maîtresse… je vous conduis ». Son diagnostic est péremptoire et sans défaut : « Elle
[Araminte] se débattra tant, elle deviendra si faible, qu’elle ne pourra se soutenir qu’en
épousant ; vous m’en direz des nouvelles » (I). Les événements semblent lui donner tort,
Araminte excédée rabroue Dorante, Dubois jubile : « Voici l’affaire dans sa crise » (II).
Dorante croit tout perdu, lui se frotte les mains, il voit plus profond et plus loin que
ces cœurs en émoi que leur émotion empêche de rien voir ; il est si sûr de son affaire,
il pénètre si bien les ressorts des passions en cours qu’il peut se permettre les gaffes
volontaires, les stratagèmes hasardeux, tous ses coups portent juste.
[…] De la sorte, avec de nombreuses variantes, chaque pièce se développe sur un
double palier, celui du cœur qui « jouit de soi » et celui de la conscience spectatrice. Où
est la vraie pièce ? Elle est dans la surimpression et l’entrelacement des deux plans, dans
les décalages et les échanges qui s’établissent entre eux et qui nous proposent le plaisir
subtil d’une attention binoculaire et d’une double lecture.
Mais revenons au double registre. Les communications entre les deux paliers sont
multiples, les personnages témoins ne se bornent pas à regarder les héros aller leur train,
ils interviennent pour diriger leur progression quand elle menace de stagner. Toute pièce
de Marivaux est une marche vers l’aveu ; elle est faite d’aveux graduels et voilés ; la scène
dominante de chaque acte est toujours la scène d’aveu, c’est autour d’elle que l’acte
s’organise. Aussi le rôle des acteurs témoins sera-t-il de faciliter ou de provoquer sans en
avoir l’air un aveu qui tarde, parce que les cœurs marivaudiens sont lents, ou un aveu qui
se refuse, parce que les cœurs se dérobent ou se dissimulent. Un amour destiné à durer a
des débuts si imperceptibles, il est tellement invisible à ceux qui l’éprouvent, « si caché,
si loin d’eux, si reculé de leur propre connaissance, qu’il les mène sans se montrer à eux,
sans qu’ils s’en doutent » (III). Comment viendrait-il au jour sans l’action stimulante de
ces observateurs sagaces qui, eux, s’en doutent ?
[…] La conscience spectatrice ne se borne pas à surprendre les « hasards » qu’elle
épie, il lui arrive aussi, comme à tout auteur, même s’il est Marivaux, de « composer »,
d’orienter la marche trop hésitante du cœur mis en observation.
De ce point de vue, toute pièce de Marivaux pourrait se définir : un organisme à
double palier dont les deux plans se rapprochent graduellement jusqu’à leur complète
jonction. La pièce est finie quand les deux paliers se confondent, c’est-à-dire quand le
groupe des héros regardés se voit comme les voyaient les personnages spectateurs. Le
dénouement réel, ce n’est pas le mariage qu’on nous promet au baisser du rideau, c’est la
rencontre du cœur et du regard. De fait, au fond des scènes d’aveu qui dominent ce théâtre, il y a toujours un peu de comédie et de jeu, qu’on joue à soi-même en même temps
qu’au partenaire, un jeu où se rencontrent la connaissance et l’ignorance, le camouflage
inconscient et la conscience du camouflage. […]
Chaque pièce, chaque scène d’aveu combine différemment ces alliages microscopiques : savoir, ne pas savoir, savoir qu’on ne sait pas, dérober qu’on sait et cacher qu’on
le dérobe.
[…] L’Araminte des Fausses Confidences, pour garder auprès d’elle l’intendant amoureux qu’elle aime ou va aimer sans se l’avouer, ne cesse de se donner des raisons qui sont
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MAISON DE L’ÉDUCATION
autant de petits mensonges, mais mensonges de bonne foi, où se glisse pourtant une
pointe de mauvaise foi ; ce sont les mélanges indiscernables de la simulation et de la
sincérité, de la méprise et de la duperie ; c’est toujours, plus ou moins, une comédie que
le cœur se joue et nous joue. C’est la comédie des amoureux, des tendres, de ceux que le
cœur mène – où ils veulent aller, tout en disant qu’ils ne le veulent pas.
Jean Rousset, Forme et signification, José Corti, 1966.
Texte 5 – Jacques Scherer
Ce qui sépare Araminte de Dorante est uniquement la différence de leurs fortunes. Dorante est un bourgeois comme Araminte, il est honorable, il a même toutes les vertus ;
mais il est pauvre. Cet obstacle est-il jugé par les contemporains de Marivaux comme
insurmontable ?
Une trentaine d’années avant Les Fausses Confidences, Lesage avait proclamé dans son
Turcaret que le règne de l’argent avait commencé. Pourtant ce nouveau dieu n’avait pas
encore balayé toutes les résistances morales ou sociales. De nos jours, une femme dans
la situation d’Araminte pourrait estimer qu’elle a assez d’argent pour deux ; l’héroïne de
Marivaux n’ose rien de semblable. Nous nous sommes aperçus aussi que la pauvreté n’est
pas une maladie nécessairement incurable, et qu’on peut s’enrichir : avec Diderot, puis
avec Balzac, le commerce, par exemple, pourra rendre riche un personnage de théâtre ou
de roman. Mais Dorante est né trop tôt pour que cette solution littéraire lui soit accessible. La pauvreté au temps de Marivaux n’est pas seulement sentie comme un manque ;
elle est aussi, sans qu’on ose trop le proclamer, un défaut moral ; on éprouve encore le
besoin de répéter que pauvreté n’est pas vice ; elle ne laisse pas d’être un vice inavoué
dans la mesure où la fortune, au même titre que la noblesse, est respectée comme une
valeur que seule la naissance devrait donner. Pour épouser Dorante, Araminte doit donc
vaincre une sorte de pudeur sociale. C’est à quoi les artifices de Dubois vont l’aider. L’obstacle à surmonter n’est pas objectivement réel, à la manière d’un fait ; il est de l’ordre du
sentiment. Il suffira donc à Dubois, pour donner à Araminte la force d’imposer son désir
à une société qui le réprouve, d’employer des moyens sentimentaux. Ces moyens sont au
nombre de quatre : des Fausses Confidences, des visages d’autres femmes, un portrait ou
un tableau, une lettre.
Jacques Scherer, Dramaturgies du vrai-faux, PUF, 1994.
Texte 6 – Jean-Louis Bory
Chez Marivaux pour les Italiens, le miracle du théâtre joue au maximum. Le miracle, c’està-dire cette métamorphose qu’imposent les règles du jeu. L’expression se fait mimique, le
mouvement danse, on cabriole : dès que l’on pense à Marivaux, et plutôt que de penser
à « marivaudage », pensons que Marivaux s’adressait à des acteurs pour qui le corps
compte - le jeu du muscle, le feu du regard, la torsion des lèvres, l’envol de mains, des
« gestueux » pour qui le théâtre est exercice physique. À cette métamorphose du geste
répond une métamorphose du langage. [...] Cette fête du geste et du langage, cette
poésie, sert la pudeur.
La métamorphose est alors travestissement, masque. Les Italiens de Marivaux ne
jouent plus réellement masqués (sauf peut-être Arlequin) tant la mimique, les regards
sont nécessaires à la totale expression du texte - mais c’est précisément derrière cette
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MAISON DE L’ÉDUCATION
mimique, ces regards, ces phrases, cette vivacité qu’ils se dissimulent. La surprise et
l’alarme se déguisent en bouderie, les vrais pincements d’un vrai cœur en sourires ironiques. [ ... ] L’erreur consiste à confondre cette pudeur avec la coquetterie glacée.
Jean-Louis Bory, Cahiers Renaud-Barrault, janvier 1960.
La réception du spectacle monté par Didier Bezace
Les Fausses Confidences ou l’exquise cruauté de Marivaux
Par Armelle Héliot le 28 février 2010 pour le Blog du Figaro.
Didier Bezace a réuni une magnifique distribution et donne à la comédie de l’écrivain
une tonalité mystérieuse et très vénéneuse. C’est magnifiquement interprété, par Anouk
Grinberg, Pierre Arditi, Robert Plagnol, Marie Vialle, Isabelle Sadoyan, Christian Bouillette,
Jean-Yves Chatelais, Alexandre Aubry.
Un escalier. On ne voit tout d’abord que cet escalier qui ne mène nulle part… Au
centre de la scène, face à nous… Il y a un escalier et dans la pièce, celui dont on parle
est celui de l’Opéra où, selon Dubois, grand manipulateur, Dorante aurait pour la première
fois vu Araminte et en aurait été saisi. C’est l’escalier du coup de foudre. À la fin, tourné
vers cour, il sera celui de l’apaisement. Araminte et Dorante le graviront… au désespoir
de la jeune Marton. Mais eux deux, seront-ils alors heureux puisqu’ils n’auront plus rien
à rêver, à désirer… […]
Cela commence comme un conte philosophique, un homme pénètre sur le plateau,
fait tomber un rideau de soie sombre, dévoile au loin des arbres, parc envoûtant sitôt
caché par les murs d’une maison bourgeoise qui descendent des cintres… On devine que
ce qui va nous être raconté là est très intime, très profond… et que l’on va entendre
confidences, manigances et aveux que nous ne devrions pas connaître…
Les Fausses Confidences datent de 1737. C’est une comédie en trois actes dont l’intrigue peut être résumée ainsi : Araminte (Anouk Grinberg), jeune et riche veuve est au
centre. Sa mère, Madame Argante (Isabelle Sadoyan) veut qu’elle épouse un Comte (JeanYves Chatelais) ainsi aura-t-elle le titre de noblesse qui lui manque ; le valet d’Araminte,
Dubois (Pierre Arditi) veut pour sa part que son ancien maître, le beau mais sans fortune
Dorante (Robert Plagnol), engagé comme intendant, en vienne à épouser sa belle maîtresse… Dorante est le neveu de Monsieur Rémi (Christian Bouillette) qui l’introduit dans
la maison mais veut lui donner en mariage la jolie Marton (Marie Vialle), immédiatement
séduite par le jeune homme… Ajoutons Arlequin (Alexandre Aubry) et laissons les mensonges glisser comme un poison, un pharmacon qui détruit et rassérène…
Didier Bezace s’appuie sur une équipe artistique parfaite pour donner à la représentation son élégance XVIIIe, celle des Lumières et celle de Sade… De Dubois, tout de
noir vêtu, il fait plus que le double de l’auteur, le manipulateur, il fait aussi un diable
qui surgit d’ailleurs d’une trappe, des dessous de la scène. Mais, tel que l’interprète avec
un art infini des nuances, Pierre Arditi, Dubois n’est jamais cynique. Il a un certain sens
des réalités de la vie. Un sang-froid, une détermination sans faiblesse. Question de classe
nous suggère Marivaux. Il sera toujours du côté de ceux qui doivent agir !
Et le supplément bouleversant du jeu, ici, c’est que l’on devine la tendresse du comédien Pierre Arditi pour ses jeunes partenaires, le trio Araminte, Dorante, Marton. Cette
tendresse est pour toute la troupe. La grande Isabelle Sadoyan et ses amis, Christian
35
MAISON DE L’ÉDUCATION
Bouillette, Jean-Yves Chatelais, Alexandre Aubry. Arditi est un comédien de troupe, qui
partage, échange. Il est généreux. Cela se voit.
Entre les actes, tombe le rideau de soie anthracite et s’élève, brillante jusqu’à un emportement certain, la musique. Des interprétations très radicales, baroques et nerveuses
de Vivaldi (Amandine Beyer, Andrea Marcon). Cette couleur musicale nous dit ce que ne
veulent pas trahir les personnages…
Didier Bezace ne lâche à aucun moment les différents fils de sincérité à calcul à
manœuvre à trahison à ivresse à désenchantement… etc.Tout se renverse tout le temps.
On croit tenir une vérité, mais elle est recouverte. Nul ne sait plus rien. Marivaux s’amuse
qui aime ménager des suspens… La vie est ainsi.
La difficulté, lorsque l’on interprète Araminte, présente tout le temps, jamais en paix,
c’est de ne pas anticiper. D’un tressaillement infime, d’un regard, d’une paupière qui
se lève, d’un tremblement de la lèvre, et de sa voix originale et belle, Anouk Grinberg
donne à Araminte toutes les humeurs différentes par lesquelles elle passe. En fait ce
personnage est sans cesse criblé de paroles, mensongères ou non, qui la font réagir. Et
bien toutes ces infimes variations, hésitations et aussi ces moments où elle fait semblant
de ne pas savoir, la comédienne les traduit. C’est fascinant.
Grand et beau personnage, celui de Marton. Marie Vialle est merveilleuse, une fois
de plus et on suit à livre ouvert, par ce visage expressif et fin, ce jeu tout en retenue,
de la joie au chagrin, mais sans jamais que la petite servante n’abdique sa dignité. Remarquable.
Robert Plagnol, comédien que l’on suit depuis longtemps, a tout du jeune premier,
mais il sait laisser monter en lui autre chose, plus inquiétant, moins pur. Il garde un côté
vif et désordonné de jeune homme qui se laisse porter par Dubois. Mais on peut aussi
le soupçonner de bien gérer les événements… jusqu’au point où l’on se demande s’il a
vraiment été saisi d’un coup de foudre sur les marches de l’opéra.
Isabelle Sadoyan, en mère bourgeoise qui rêve d’une particule pour sa fille, est très
drôle et touchante en même temps, flanquée du petit chien des tableaux du XVIIIe. Si
douce est la comédienne, que même quand le personnage se braque, s’entête, on lui
trouve de justes raisons… Christian Bouillette est parfait en Monsieur Rémi. Il sait lui
aussi donner les couleurs différentes du personnage tout comme le fait, dans la difficile,
presque ingrate partition du comte, Jean-Yves Chatelais, singulier et précis.
Enfin, Arlequin, Alexandre Aubry, qui s’amuse, taquin et très intéressé et qui repartira tout à l’heure avec son casque de mobylette… petite plaisanterie de troupe qui allège
le dénouement tellement déchirant. Si Marton ne vous fait pas pleurer c’est que vous êtes
un cœur sec ! Et si la montée de l’escalier par Araminte et Dorante ne vous laisse pas un
goût d’amertume, c’est que vous ne regardez pas bien…
Il y a longtemps sur nos scènes classiques que l’on n’avait pas vu une mise en scène
aussi intelligente, discrète et accomplie et un spectacle si bien interprété.
Sombre et beau Marivaux par Philippe Chevilley pour Les Échos, le 4 avril 2010.
Il n’a rien d’un Scapin, cet ex-valet au service de l’amour : un homme en noir, un homme
de l’ombre, pas fanfaron pour un sou, machiavélique et très organisé ; prêt à prendre
des coups, mais pas plus qu’il n’en faut, pour arriver à ses fins. Le Dubois des Fausses
Confidences mise en scène par Didier Bezace au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers
est un « tueur ». Avec une dureté sans faille, un débit vif, coupant comme une lame et
36
MAISON DE L’ÉDUCATION
une sobriété remarquable, Pierre Arditi métamorphose le « faux confident » en Méphisto
de glace. Et lui conserve tout son mystère. Pourquoi, sans mobile apparent, tient-il à ce
point à marier son ancien maître ruiné, Dorante, à sa nouvelle maîtresse, la belle veuve
fortunée Araminte ? Parce qu’il aime l’un et l’autre ? Parce qu’il espère tirer un intérêt de
cette fusion-acquisition des cœurs ? Ou simplement pour la beauté du geste ? Bezace
n’essaie pas de dissiper l’étrange folie du valet de Marivaux, bon, brute et truand à la
fois. Et c’est tant mieux. La pièce n’en apparaît que plus forte et troublante.
Le metteur en scène réussit à maintenir une tension parfaite entre les deux forces contraires de cette comédie cinglante : l’amour et l’argent. Les Fausses Confidences
(1737) marquent bien (une nouvelle fois) sans conteste le triomphe de l’amour ; mais
l’intérêt financier y est omniprésent. Dorante, sans le sou, est tombé - miraculeusement
- amoureux de la bonne personne. Araminte, au début de la pièce, hésite à épouser le
Comte, pour s’éviter un procès qui pourrait lui coûter cher. Mme Argante soutient les
intérêts du Comte parce qu’elle rêve d’un titre pour sa fille, la pauvreté de Dorante, qui
n’a aucune monnaie d’échange, la fait sortir de ses gonds. Marton, la jeune servante
innocente, tombe amoureuse de Dorante, après avoir été convaincue par M. Rémi – le
procureur, oncle du jeune homme – que leur union serait fructueuse… Arlequin ne cesse
de quémander de l’argent pour ses services. Quant au diabolique Dubois, il ne met pas en
cause la pureté des sentiments de Dorante. Au contraire, c’est son atout maître. L’amour
vaut plus cher que de l’or : « Point de bien ! Votre bonne mine est un Pérou. »
Le spectacle de Didier Bezace est d’une grande noirceur. Drôle et âpre. Lorsque Dubois
et Arlequin se querellent, ils grognent et aboient comme des pitbulls. L’avidité, l’intérêt
sont personnifiés par Mme Argante, qu’Isabelle Sadoyan porte à des sommets de méchanceté. La comédienne est formidable dans ce rôle de dragon terrifiant, réussissant un
« mix » explosif entre comique et tragique. À la fois mère lionne qui protège farouchement les intérêts de son petit et monstre d’égoïsme qui ne rend jamais les armes : « Qu’il
soit votre mari tant qu’il vous plaira ; mais il ne sera jamais mon gendre. » Dans sa bouche,
la réplique paraît plus menaçante que grotesque.
Violence électrique
Même les scènes d’amour (refoulées) entre Araminte et Dorante apparaissent - jusqu’à
la délivrance finale - douloureuses, presque sauvages. La scène cruelle de la lettre, où
Araminte fait croire à Dorante qu’elle s’est résolue à épouser le Comte pour le forcer à
se démasquer, atteint une rare violence électrique. Anouk Grinberg développe un jeu
très subtil, très intérieur, avec la majesté d’une reine prête au plus grand des sacrifices :
mettre son cœur à nu. Robert Plagnol s’en sort plutôt bien en amoureux transi, donnant
à Dorante un look et une façon de s’exprimer très modernes - voix brisée, fièvre dans le
regard…
Toute la troupe joue sa partition à l’unisson (jusqu’au craquant petit chien de Mme Argante, qui ne se dissipe qu’aux saluts). La plupart des comédiens ont déjà travaillé avec
Bezace. Du théâtre de troupe, c’est du cœur et de l’esprit à revendre… Un mot enfin
du décor, écrin parfait de ce spectacle sombre et beau : Jean Haas a réalisé une de ses
meilleures scénographies, en quelques gestes symboliques : grand escalier de la réussite
sociale, murs tournoyants, trappes et chambres secrètes, grands voiles moirés qui rythment le passage aux « actes » Il contribue à la grâce de ce Marivaux d’exception.
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Pistes de travail
Lire et comprendre l’enjeu des articles critiques. Après avoir lu les articles du Figaro et des Échos, les élèves pourront réfléchir sur la notion de critique : qu’est-ce qu’un texte critique ? Quel synonyme peut-on lui donner dans
ce cas ? Les élèves s’interrogeront sur l’objectivité de ces textes. Dans un second temps, ils pourront analyser ces critiques comme des textes argumentatifs.
Comparer des articles. On invitera les élèves à comparer ces deux articles
et à expliquer sur quel(s) aspect(s) de la pièce chaque journaliste a insisté.
Écrire une critique. Les élèves, après avoir vu le spectacle, produiront un court texte argumentatif en employant des modalisateurs, ce texte présentera leur vision du spectacle
soit méliorative soit péjorative.
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Ressources
Bibliographie
Les textes de Marivaux
– Théâtre complet, éd. Henri Coulet, Michel Gilot, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1993-1994, 2 vol.
– Théâtre complet, éd. Frédéric Deloffre, Françoise Rubellin, Paris, LGF, « La
pochothèque. Classiques modernes », 2000.
– Les Fausses Confidences, éd. Catherine Naugrette-Christophe, Paris, Flamma-
rion, « GF », 1999.
– Les Fausses Confidences, éd. Michel Gilot, Paris, Gallimard, « Folio théâtre »,
1997.
– Les Fausses Confidences, prés. et comm. Emmanuel Martin, Annie Collognat,
Paris, Pocket, « Pocket. Classiques «, 2002, nouv. éd.
Sur Marivaux
– Paul-Laurent Assoun, Georges Bafaro, Michèle Bénabès, Michel Borrut, Ana-
lyses et réflexions sur Marivaux, Les Fausses Confidences : l’être et le paraître,
Paris, Ellipses, 1987.
– Deguy, Michel, La Machine matrimoniale ou Marivaux, Paris, Gallimard, 1981
(rééd. 1986, coll. « Tel »).
– Deloffre, Frédéric, Une préciosité nouvelle : Marivaux et le marivaudage, Paris,
Belles Lettres, 1955 (réédition Slatkine, 1993).
– Gilot, Michel, L’Esthétique de Marivaux, Paris, SEDES, 1998.
– Lagrave, Henri, Marivaux et sa fortune littéraire, Saint-Médard en Jalles, Du-
cros, 1992.
– Poulet, Georges, « Marivaux », dans Études sur le temps humain, t. II : La Dis-
tance intérieure, Paris, Plon, 1952, p. 1-34.
– Démoris, René, Lectures de Les Fausses Confidences de Marivaux. L’être et le
paraître, Paris : Belin, 1987 (notamment pour les pages 9 à 37)
– Robert Tomlinson, La Fête galante : Watteau et Marivaux, Genève, Droz, « His-
toire des idées et critique littéraire » 1981.
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Filmographie
– 1955, film français réalisé par Marcel l’Herbier avec Madeleine Renaud et Jean-Louis
Barrault
– 1984, film français réalisé par Daniel Moosmann avec Brigitte Fossey, Jean-Pierre Bouvier et fanny Cotençon
Droits iconographiques
1. Tableaux de Watteau
Les images proviennent toutes de Wikimedia Commons, qui propose des documents multimédias libres de droit.
Cette image est dans le domaine public car son copyright a expiré.
Ceci est valable aux États-Unis d’Amérique, en Australie, ainsi que dans l’Union Européenne et dans les pays où le copyright a une durée de vie de 70 ans ou moins après la
mort de l’auteur.
2. Les photos du spectacle sont prises par Brigitte Enguerand, libres de
droit.
Photos © Brigitte Enguérand (DR)
3. Affiche spectacle
photo : © Marc Daniau
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