Apprentissage sociétal dans une société qui stupéfie – version brève des thèses Elaboré par Sandro Cattacin en collaboration avec Jakob Huber et Iwan Reinhard Définitions Les processus d’apprentissage collectif sont à la base du développement humain. Dès l’enfance commence la confrontation au monde social. Dans cette confrontation, qui ne signifie pas seulement adaptation, mais aussi affrontement de l’autre, se développe, de manière autonome, la société des femmes et des hommes. La logique argumentative inhérente à ces processus est d’autant plus orientée vers la transformation de nos sociétés que les différences entre les personnes qui y participent est grande. Quand ces processus d’apprentissage collectif sont orientés vers un changement social (en d’autres termes, vers un apprentissage sociétal), ils correspondent souvent à des formes de souffrance humaine. Si cette souffrance est partagée collectivement, la société se trouve confrontée à un défi moral. Ce défi engendre inévitablement un espace public discursif de justification argumentative des acteurs sociaux. Le résultat de cette confrontation dans l’espace public est un processus d’apprentissage collectif. Les processus d’apprentissage sociétal correspondent à des institutionnalisations consécutives à un éclaircissement collectif de l’apprentissage collectif. De telles institutionnalisations stabilisent les résultats du processus d’apprentissage, et libèrent ainsi les sociétés de l’élaboration continuelle d’une problématique. Elles sont organisées en deux temps : premièrement, elles se basent sur des consensus ponctuels (ou des opinions majoritaires), qui se forment dans l’espace public, et deuxièmement, sur des décisions qui changent des logiques systémiques. De telles logiques systémiques peuvent avoir la forme de nouvelles lois, de changements constitutionnels ou de nouveaux produits. [email protected] Uni Mail - 40 bd du Pont-d’Arve - CH-1211 Genève 4 Tél. 022 379 83 02 - Fax 022 379 83 25 - www.unige.ch/ses/socio Apprentissage collectif et émancipation 1. La transgression de règles et les comportements à risque sont, dans le processus de formation identitaire des jeunes, constitutifs de sociétés ouvertes, capables d’apprendre. Ce sont des signes de renouvellement sociétal qui peuvent tout à fait être soutenus par la mise à disposition des jeunes, en quête d’une identité propre, d’espaces d’expérimentation. (Ceci explique les mouvements transgressifs des jeunes, l’attractivité de substances illégales, les résultats contradictoires de la recherche sur la consommation du cannabis ou sur les jeux électroniques. Cela permet également d’expliquer que des espaces urbains autogérés par des jeunes conduisent à une amélioration de la qualité de vie, et à une diminution des formes de consommation excessives). 2. La crédibilité du savoir et du comportement moral se forme à l’intérieur de groupes. Les modifications des comportements de dépendance sont ainsi en corrélation avec les identités immanentes de ces comportements. (La détermination des « justes formes » de consommation dépend ainsi de processus d’apprentissage à l’intérieur des groupes : par exemple, l’héroïne est devenue la drogue de la critique postfordiste et l’ecstasy la substance de la société flexibilisée et individualisée de la performance et du temps libre). 3. La recherche d’expériences-limites qui ne se borne plus à l’âge jeune nous conduit dans une société dans laquelle tout le monde est tout le temps à la recherche de stabilité et de différence. Le besoin individuel de sécurité augmente dans une société sans frontières où l’ambivalence entre différence (liberté) et stabilité (sécurité) augmente. (Dans le quotidien des adultes le comportement juvénile se normalise de deux façons : premièrement, par des mécanismes de spécification, correspondant au fait de rechercher et de repousser les limites, que l’on peut comprendre comme la recherche de la reconnaissance de l’individualité ; deuxièmement, par la suradaptation, qui se comprend comme une quête de normalité par la démesure, en regard de normes de santé, comme lors de consommation excessive d’alcool, d’orgie alimentaire, de sport excessif. Des scénarii de « tolérance zéro » sont, d’un côté, favorisés par la société, mais, de l’autre, sont irréalisables. L’ambivalence entre liberté et sécurité doit être endurée). Apprentissage sociétal et espace public 4. Si les résultats d’un processus collectif d’apprentissage ne sont pas stabilisés par des lois, ils peuvent de nouveau être mis en cause. (Comme le montre, par exemple, le consensus sur la politique en matière de drogue de la fin des années 1990 qui n’a pas été institutionnalisé). 5. Des processus collectifs d’apprentissage ne peuvent plus s’orienter vers un seul espace public, si le désire de les rendre pertinents pour toute une société existe. Les confrontations argumentatives doivent avoir lieu dans de multiples espaces d’autonomie, mais aussi dans de multiples lieux de débats. (Ceci signifie que des thèmes comme l’interdiction de fumer, ou celui des comportements alimentaires problématiques, ne doivent pas seulement être discutés dans l’arène politique, mais aussi dans les écoles, dans les groupes formés sur Internet, et sur les scènes occupées par les jeunes). 6. Le passage de l’apprentissage collectif à l’apprentissage sociétal est multidimensionnel. En particulier, il est impératif de collaborer entre les diverses unités territoriales pour stabiliser les résultats du processus d’apprentissage collectif. (Un acteur au niveau national, par exemple, n’est plus maître de la régulation du comportement addictif. Il doit entrer dans un jeu complexe de régulation à multiples niveaux territoriaux pour stabiliser des processus d’apprentissage collectif). Processus évolutifs 7. De nouvelles formes de comportement, comme la consommation de nouvelles substances psychoactives, de nouveaux styles de danse ou de nouvelles formes de jeu, sont reproduits et généralisés par la publicité, ce qui peut transformer des phénomènes marginaux en mode. De telles modes qui se fondent originairement sur des identités peuvent se diffuser dans d’autres systèmes et accroître ainsi leurs effets sur les masses. (Par exemple, le jeu du poker peut être vendu comme un jeu pour tous, ou bien la publicité pour des cigarettes, qui montre des personnes « cool » fumant une marque précise, peut être diffusée dans le système politique par un style d’habillement reflétant la publicité et qui associe ce style à une orientation politique). 8. Pour stabiliser le système, de nouveaux produits sont régulièrement introduits sur le marché. Ils fonctionnent comme des équivalents fonctionnels. (Comme les divers dérivés d’amphétamines ou les boîtes de cigarettes qui changent d’image visuelle). 9. Les systèmes ne peuvent pas déclencher des processus d’apprentissage collectif. Ils ne peuvent que les soutenir ou les renforcer. (Ainsi, le dégoût dans la société à l’égard de l’industrie du tabac peut être repris par le système politique qui peut renforcer les mesures contre la fumée). 200309/sc 2