Salamandre. Fonds de plaques de verres photographiques François-Franck. Juillet 2013. Sarah Rey Le fonds François-Franck – Janet - Dumas L’invention de la psychologie moderne Les archives FFJD, composées de près de 780 images, ont été rééxaminées à la lueur des recherches récentes sur l’histoire de la psychiatrie et de la photographie. Elles dévoilent l’émergence d’une discipline qui a attendu le début du XXe siècle pour être pleinement reconnue : la psychologie. expérimentale à la Sorbonne 2, lequel a été l’élève de François-Franck. Ces archives, conservées dans la Bibliothèque générale du Collège de France, sont longtemps tombées dans l’oubli. Après plusieurs recoupements et quelques déductions 1, elles peuvent être rattachées à trois personnages qui se sont parfois retrouvés sur le même terrain scientifique : Charles-Émile François-Franck (1845-1921), professeur de physiologie comparée au Collège de France de 1905 à sa mort ; Pierre Janet (1859-1947), qui détenait, lui, la chaire de psychologie expérimentale comparée au Collège de France de 1902 à 1934 ; et Georges Dumas (1866-1946), professeur de psychologie Au point de départ de ce fonds, il y a la série de cours donnés par ce dernier en 1900 et 1901 (« L’expression des émotions à l’état normal et pathologique », et « Le langage articulé et la mimique dans leurs rapports avec les émotions »). Dans ces années-là, François2 Les ouvrages de Janet et Dumas ont connu peu de rééditions, jusqu’à une date récente. C’est grâce à Serge Nicolas, professeur de psychologie à l’Université Paris V-Descartes, que certains livres de Janet et Dumas ont été réédités chez L’Harmattan, entre 2004 et 2009. Voir les sites : https://sites.google.com/site/pierrejanet18591947 et https://sites.google.com/site/georgesdumas18661 946/travaux 1 Cf. lettre de donation conservée dans les archives du Collège de France et signée par la veuve de G. Dumas. 1 Salamandre. Fonds de plaques de verres photographiques François-Franck. Juillet 2013. Sarah Rey Franck n’est que le suppléant d’Étienne-Jules Marey (chaire d’histoire naturelle des corps organisés), déjà précurseur dans l’usage médical de la photographie. Médecin de formation comme son aîné, François-Franck prend une direction nouvelle lorsqu’il s’oriente vers la psychologie. médecine 4. Il intéressera non seulement les psychologues et les psychiatres soucieux de remonter aux origines de leurs pratiques, mais aussi les historiens de l’« enfermement » et de la « folie » à la suite de Michel Foucault. Les spécialistes de la photographie, de ses techniques et de ses usages, découvriront des portraits qui s’inscrivent dans la veine du travail accompli par Duchenne de Boulogne ou Albert Londe, pionniers des clichés médicaux 5. Ces archives FFJD contiennent de surcroît de quoi susciter l’attention des historiens du théâtre « fin de siècle », puisque de nombreuses passerelles semblent jetées entre les poses prises par des comédiens et les visages des « aliénés ». Dans ce fonds FFJD, des photographies 3 d’« aliénés », représentés en repos ou en état de « catalepsie », côtoient des planches d’anatomie, des portraits d’acteurs professionnels, d’aveugles et de sourds-muets, ainsi que des reproductions d’œuvres d’art. Les traits du visage et les expressions corporelles, prises sur le vif, semblent une des préoccupations centrales des savants qui ont réuni ces images, François-Franck au premier chef. Représenter la folie et les émotions Depuis des siècles, la psychiatrie et l’art ont fait bon ménage. Qu’on se souvienne des portraits de « monomanes » peints par Théodore Géricault au début du XIXe siècle, à la demande d’Étienne-Jean Georget, médecin qui exerçait à la Salpêtrière, comme Charcot après lui : Géricault a consacré, entre autres, une de ses toiles au monomane du vol, une autre au monomane du commandement militaire, etc. Cet intérêt pour la représentation du « fou » doit être replacé dans le temps long. La physiognomonie antique, qui incite à déduire le caractère des individus d’après leur apparence, est déjà une forme d’observation psychiatrique avant l’heure : dès l’Antiquité, la « caractériologie » a son pendant imagé. Au XIXe siècle, la phrénologie, autre pseudo-science, veut de même reconnaître dans les formes du crâne les tempéraments de chacun. De fil en aiguille, on pense que l’affection neurologique se voit. C’est ce qui ressort des premiers ouvrages sur l’hystérie : on dessine ou on photographie volontiers des patientes en crise (on croit alors que ce mal n’est que féminin). Les Ce fonds iconographique représente une mine de renseignements sur cette époque où la psychologie essaie de se frayer une voie singulière, au confluent de la philosophie et de la 4 Dumas et Janet sont normaliens, agrégés de philosophie et docteurs en médecine. Ils cofondent en 1903 le Journal de psychologie normale et pathologique. 5 Des reproductions de photographies de Duchenne et Londe figurent dans le fonds Janet. 3 Il s’agit de plaques de verre que François-Franck pouvait projeter pendant ses cours. 2 Salamandre. Fonds de plaques de verres photographiques François-Franck. Juillet 2013. Sarah Rey images des hystériques sous hypnose, arcboutées, délirantes, grimaçantes sont promises à un grand succès, tout particulièrement dans L’ Iconographie photographique, puis La nouvelle Iconographie de la Salpêtrière. artistique des images d’animaux. Ou encore des œuvres d’art « premier » (des masques asiatiques, des statuettes amérindiennes). Poursuivant cette réflexion « optique », l’équipe de Charcot se propose d’étudier des tableaux anciens de grands maîtres figurant des pathologies pour en tirer des diagnostics a posteriori. Dans cette même logique, les archives FFJD font se rencontrer, par exemple, une reproduction de La vision de Saint Jérôme du Guerchin, image d’une double hallucination (visuelle et auditive), et Le prêteur et sa femme de Quentin Metsys, pour repérer un simple trait de caractère (l’avarice), et peut-être l’amorce d’une maladie. La consultation des images réunies dans le fonds FFJD, rendue possible par une mise en ligne complète, peut être profitable à un large spectre de chercheurs. Ces archives revêtent une indéniable valeur historique et aident à comprendre un certain état de la médecine psychiatrique, de la neurophysiologie et de la psychologie au carrefour du XIXe et du XXe siècle. Mais l’essentiel de ce fonds est constitué de photographies de patients 6, représentés en gros plan, plan rapproché ou moyen, dans des attitudes le plus souvent apaisées. François-Franck a poussé la curiosité visuelle jusqu’à joindre à ce répertoire clinique et 6 Probablement photographiés à Villejuif. 3