L`Encéphale Hors série Septembre 2013

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ISSN 0013-7006
5es Journées de neurologie
et de psychiatrie
de Saujon Royan 2012
24 novembre 2012
Rédacteurs en chef
H. Lôo, J.-P Olié, R. Gaillard
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Hors-série 1, Septembre 2013
SOMMAIRE
5es Journées de neurologie et de psychiatrie
de Saujon Royan 2012
24 novembre 2012
Éditorial
O. Dubois, B. Frèche, N. Jaafari ...................................................................................
1
Nouvelles approches et nouvelles méthodes de gestion du stress
D. Servant .............................................................................................................
3
Éducation thérapeutique du patient en médecine thermale
P. Carpentier, O. Dubois ............................................................................................
6
La dépression en médecine générale, une approche spécifique
P.-L. Druais ............................................................................................................
10
Avancées thérapeutiques dans la dépression résistante
N. Jaafari .............................................................................................................
15
Nouveautés thérapeutiques dans le traitement du trouble bipolaire : l’asénapine
F. Mouaffak ...........................................................................................................
18
Cannabis et schizophrénie
J. Costentin ...........................................................................................................
22
L’Encéphale (2013) 39, 1-2
5es Journées de neurologie et de psychiatrie
de Saujon Royan 2012
Pour sa 5e édition, les journées psychiatriques de Saujon
Royan ont bénécié d’un programme dense et riche.
Après une soirée inaugurale, ouverte au grand public et
consacrée aux « Avancées neurobiologiques sur le cerveau »,
présentée par Jean-Didier Vincent et Bruno Dubois devant
800 personnes, ce sont 15 universitaires, de 11 facultés différentes, qui ont animé la journée de formation qui s’est
déroulée le 24 novembre 2012 et qui a réuni 300 médecins : 36 % de généralistes, 39 % de psychiatres et 25 %
d’autres spécialités médicales.
Ces journées de formation consacrées à la psychiatrie
et à la neurologie, sous la présidence de Jean-Pierre Olié,
ont été ouvertes par l’intervention du directeur de l’ARS
Poitou-Charentes, M. François-Emmanuel Blanc, qui a mis
en valeur le lien original tissé entre la clinique de Saujon
et le corps universitaire et hospitalier de Poitou-Charentes.
Il a encouragé la poursuite des relations professionnelles
entre secteurs public et privé.
Le Dr Olivier Drevon, président de l’Union nationale
des cliniques psychiatriques privées, s’est félicité du
dynamisme des cliniques privées et des liens noués tant
avec l’université qu’avec les acteurs de santé régionaux.
La matinée, coprésidée par Bruno Dubois (Hôpital de
la Pitié-Salpêtrière, Paris), a été consacrée à la motivation et ses troubles.
La motivation se dénit comme un processus qui
pousse à l’action. Richard Lévy (Hôpital Saint-Antoine,
Paris) a rappelé que 2 types de mécanismes sous-tendent
préfrontal, répond à un système plus complexe intervenant sur les prises de décision ou encore l’autoanalyse et
permet une planication de l’action (région dorsolatérale
du cortex préfrontal).
David Belin (LNEC, INSERM U 1084, Université de
Poitiers) a présenté le problème de l’addiction en le positionnant dans le cadre anatomique des boucles striatocorticales. Dans l’addiction, les processus qui commandent
la planication de l’action fusionnent avec certains systèmes réexes de telle sorte que le comportement du
patient peut, dans certains cas, lui échapper ; le contrôle
des pulsions peut donc court-circuiter les processus explicites. Les boucles striatales permettent ainsi un lien entre
les affects et les comportements motivationnels sans passage systématique par le cortex. La pulsion chez l’addict
peut ainsi répondre à un système réexe (par shunt cortical) qui pourrait être la traduction anatomique du déni.
Bruno Dubois a évoqué les liens existants entre démence
frontotemporale (DFT) et perte de motivation. La DFT est
un trouble lié à la dégénérescence du lobe frontal avec
2 principales conséquences : une altération des fonctions
cognitives dites « exécutives » par atteinte de la partie dorsolatérale du cortex préfrontal ; un trouble du comportement par atteinte de la partie orbitofrontale, se traduisant
en particulier au plan clinique par une indifférence, une
inertie et d’importants désordres d’ordre alimentaire ou
comportemental. Il importe d’évoquer ce diagnostic devant
une apathie sans dimension dépressive associée.
2
dépressif est associé à un dysfonctionnement du cortex
préfrontal et des ganglions de la base. Les traitements
tricycliques auraient une action supérieure aux autres
antidépresseurs sur le ralentissement psychomoteur, de
même que les électro-convulsivo-thérapies.
Manuel Bouvard (CH Charles-Perrens, Bordeaux) a évoqué les liens entre TDAH et bipolarité. La relation TDAHbipolarité peut être rapprochée de celle entre cognition
et émotion ou encore entre dimension motivationnelle et
émotionnelle. Les facteurs de confusion entre ces 2 pathologies sont en particulier l’agitation, le trouble de l’attention ou l’impulsivité. Le TDAH est une incapacité à
attendre (avec persistance d’un certain degré de contrôle),
alors que le trouble bipolaire se traduit par une sorte
d’explosivité (sans possibilité de contrôle). Certains
auteurs considèrent que l’association d’un TDAH à un
symptôme thymique est, par dénition, un trouble bipolaire : ceci concerne près de 90 % des cas et pose le problème d’une augmentation, discutable, des diagnostics de
trouble bipolaire avec utilisation au long cours de traitements thymorégulateurs.
L’après-midi a d’abord été dédiée aux troubles liés au
stress. Ont été présentés par Dominique Servant (Hôpital
Fontan, CHRU, Lille) les nouvelles approches des thérapies
cognitives et comportementales (TCC), de gestion du
stress ainsi que certains modèles d’éducation thérapeutique mis en place en station thermale ces dernières
années, dont un pour assurer le sevrage de benzodiazépines (Patrick Carpentier, CHU, Grenoble).
Puis, un débat a été initié sur la place des benzodiazépines en pratique clinique par Michel Bourin (Université
O. Dubois et al.
de Nantes) : doit-on continuer de les prescrire en 2012 ?
Comment assurer le sevrage ?
Jean Costentin (Université de Rouen) a présenté les
liens entre utilisation de cannabis et développement de la
schizophrénie.
La seconde partie de l’après-midi a été consacrée à
la question de la gestion de la maladie mentale à travers
le regard et l’expérience des spécialistes de médecine
générale. Pierre-Louis Druais (Paris), président du Collège
de médecine générale, a présenté les spécicités de
l’approche psychothérapique en médecine générale et
José Gomes (professeur de médecine générale, Université
de Poitiers), l’utilisation des thérapies cognitives et comportementales.
L’enquête de satisfaction a révélé que 96 % des
congressistes ont été satisfaits du programme et des interventions. Nous remercions tous ceux qui ont contribué à
ce succès, les intervenants et congressistes, la clinique de
Saujon et l’AFMER (Association de FMC et EPP des médecins du Pays royannais), ainsi que les partenaires institutionnels (les laboratoires Lundbeck, Euthérapie, Astra
Zeneca, Lilly et Brystol Meyer Squibb, le Conseil général
de Charente-Maritime, les mairies de Saujon et Royan).
Nous sommes heureux de pouvoir éditer un certain
nombre des interventions de ces 5es Journées et remercions les conférenciers qui ont bien voulu transmettre la
transcription de leur intervention.
Le Comité d’organisation
Dr Olivier Dubois (psychiatre, Clinique de Saujon)
Dr Bernard Frèche (médecin généraliste, Royan)
Dr Nemat Jaafari (psychiatre, MCU-PH,
Université de Poitiers)
L’Encéphale (2013) 39, 3-5
Nouvelles approches et nouvelles méthodes
de gestion du stress
D. Servant
Consultation spécialisée sur le stress et l’anxiété, CHU de Lille, hôpital Fontan,
Rue Verhaeghe, 59037 Lille Cedex, France
De plus en plus de patients vus en médecine générale
ou consultant des psychiatres et psychologues présentent une symptomatologie anxieuse marquée, réactionnelle à des événements et situations stressants. Une
étude récente, en médecine générale, révèle que les
patients répondants aux critères diagnostiques de
trouble de l’adaptation avec anxiété (TAA) incriminent
à l’origine de leur trouble, en premier lieu, le travail.
Viennent ensuite la famille, la vie sentimentale et la
santé. Chez ces patients, le niveau d’anxiété et de
ruminations mentales est comparable à celui retrouvé
dans l’anxiété généralisée [1]. Le TAA correspond donc
à un authentique problème de santé important, compte
tenu de sa fréquence et des risques de complication
(pathologies somatiques et psychiques).
Le stress apparaît comme un mal-être de civilisation
lié en partie aux exigences de la société et aux ressources
individuelles et collectives insufsantes pour tolérer les
passages difciles de l’existence.
Quelles réponses pouvons-nous proposer
à ces patients en souffrance qui
tique et d’accompagnement psychologique. C’est une
démarche active qui tend à mobiliser le sujet pour dépasser une souffrance mais aussi pour mettre en place de
nouvelles attitudes utiles lorsqu’il sera confronté à de
nouvelles situations stressantes. C’est aussi une réexion
et une approche que l’on pourrait qualier d’« humaniste » pour le patient mais également pour le thérapeute
qui s’engage lui aussi dans l’alliance thérapeutique qu’il
propose. Les nouvelles approches des TCC, associées à des
techniques psychocorporelles et de gestion des émotions,
s’inscrivent dans cette démarche et apparaissent comme
une proposition utile pour ces patients dont le risque de
complication vers des troubles affectifs est élevé [2].
Les modèles actuels
et leurs conséquences thérapeutiques
La réponse au stress à la fois physiologique et psychologique est bien connue [3]. Les recherches actuelles tentent de mieux évaluer certaines dimensions de la réaction
au stress qui représentent de nouvelles cibles thérapeutiques. Les tableaux rencontrés en clinique sur le plan
4
D. Servant
montre que la baisse du tonus parasympathique serait responsable de la difculté à revenir à l’état basal [4]. Le
modèle sympathique a été davantage étudié par des
mesures physiologiques et biologiques. Les avancées technologiques permettent de mesurer la variabilité de la fréquence cardiaque (VFC) qui apparaît comme un marqueur
du tonus parasympathique permettant de suivre la réactivité physiologique au stress et d’agir sur elle par des techniques comme le biofeedback de VFC [5].
Les ruminations envahissantes, peu efcientes face au
stress, apparaissent comme un élément crucial, une inefcace tentative de régulation des émotions. Elles correspondent à une forme d’évitement comparable à
l’évitement comportemental qui empêche une certaine
habituation aux émotions et, loin de les soulager, les
entretient [6]. L’approche cognitive ne se limite pas à la
modication des pensées et des schémas abordant aussi la
fonctionnalité de ces pensées, pour tenter de les réorienter vers des activités mentales davantage centrées sur
l’ici et maintenant et les recherches de solutions actives.
Les émotions sont au cœur de nombreuses recherches
en psychologie et dans le domaine psychothérapeutique [7]. Dans les états de réaction au stress, les émotions négatives ne sont pas accessibles au raisonnement :
elles paraissent échapper au contrôle. Les émotions positives peuvent être stimulées par des approches thérapeutiques qui s’intègrent dans le courant de la 3e vague des
TCC et de la psychologie positive.
sur soi-même, d’anticiper des conséquences négatives du
stress, n’apparaît pas fonctionnel. Il s’agit de mettre en
évidence que, bien que légitimes, certaines ruminations
ne servent pas à grand-chose. Pourquoi dans ce cas ne pas
s’engager autrement que par le raisonnement qui présente parfois des limites dans des situations à problèmes
ou du stress de l’existence sur lesquels il n’est pas possible d’agir immédiatement ?
Travailler son mental
Plusieurs exercices sont proposés comme le contrôle respiratoire et la cohérence cardiaque avec l’utilisation d’un
appareil de biofeedback de variabilité de fréquence cardiaque qui permettent au sujet d’utiliser la respiration
comme ancrage et gestion des pics anxieux, l’exploration
des sensations, la maîtrise de la fréquence respiratoire, la
centration, l’attention portée à la respiration et l’induction d’une sensation de calme et de lâcher-prise.
Le modèle cognitif de Beck, qui repose sur la théorie des
schémas, postule que le sujet anxieux présente des biais
d’interprétations de son environnement qui le conduisent
à maximaliser le danger et à amplier les menaces à
venir [8]. Ceci se traduit par des pensées répétitives, circulaires, qui font partie du tableau clinique de TAA. Dans
le cas d’une anxiété réactionnelle à un stress actuel et
réel, il est légitime de ruminer et de se soucier des conséquences. Le problème est de savoir si ces ruminations sont
fonctionnelles ou non et si elles ne jouent pas un rôle
dans l’évolution du trouble.
Plus que de chercher à changer ses pensées à tout
prix, on va tenter d’analyser à la fois le contenu et le rôle
Relaxation et méditation :
un moyen de gérer les émotions
La relaxation est intégrée à tous les programmes de gestion
du stress. Elle apparaît comme la technique la plus accessible. Mais la relaxation fait référence à de nombreuses
méthodes dont certaines sont utilisées depuis très longtemps (yoga, sophrologie, relaxation musculaire ou training
autogène de Schultz, hypnose, etc.). Une approche récente
appelée « nouvelle relaxation » est une démarche intégrative qui a consisté à identier les techniques principales, à
en préciser les indications notamment dans la gestion du
stress et de l’anxiété et à protocoliser l’entraînement indispensable aux effets thérapeutiques [10].
Différentes techniques proposées
Relaxation par la respiration
Relaxation musculaire
La relaxation musculaire reste une méthode utile tant
pour réduire la tension musculaire associée à l’anxiété
que pour induire secondairement un état de relâchement
global. Les protocoles sont aujourd’hui simpliés. Ils utili-
Nouvelles approches et nouvelles méthodes de gestion du stress
cédé, le sujet peut s’exposer à beaucoup de situations
stressantes abordées par visualisation de façon graduée et
conduire progressivement à une habituation de situations
stressantes auxquelles le sujet sera confronté.
Enn la visualisation permet de générer des émotions
positives et de trouver à la fois un mode de coping face à
l’anxiété et une activation d’expériences bénéques dans
la résolution de situations de stress.
Lutter ou accepter
Beaucoup de situations de stress sont en lien avec un
décalage entre attentes et réalité. La confrontation à certaines situations met à mal le système de valeurs et de
croyances du sujet, et s’oppose à une démarche de
recherche de bien-être. La notion d’acceptation apporte,
dans des situations où le patient est littéralement enlisé
dans une lutte stérile, une autre approche pour améliorer
l’état affectif qui résulte de la confrontation au stress [2].
Dans la démarche de gestion du stress, l’analyse fonctionnelle ne se limite pas à l’évaluation des symptômes ;
elle aborde aussi le stress dans ses valeurs, les ressources
du patient, les attentes et va l’amener à s’engager dans
des attitudes, des pensées et des actions qui l’écartent
d’une lutte génératrice de souffrance [9]. L’acceptation
de beaucoup de situations stressantes, sur lesquelles on
ne peut agir, paraît comme une attitude utile même si
elle n’est pas un mode de fonctionnement du sujet habitué à lutter, à rééchir et à planier.
L’apport de la méditation dite « de pleine conscience »
est un des moyens de parvenir à cette démarche. Paradoxalement, cette approche est la plus ancienne. Elle est
très inspirée des techniques zen et bouddhiste dont la plus
récemment intégrée au domaine médical est connue sous
la dénomination de Mindfulness. Des programmes structurés ont montré un intérêt dans la réduction du stress [11]
et l’association de la pleine conscience dans les programmes de gestion du stress semble complémentaire des
techniques plus classiques comme la résolution de problèmes, ou la thérapie cognitive ou la relaxation [9].
Conclusion
Les techniques de gestion du stress correspondent à un
ensemble de techniques accessibles à tout praticien qui
5
souhaite se former et les appliquer. Différentes approches
récentes ont élargi l’arsenal thérapeutique pour répondre
à des prols différents de patients.
Ces nouvelles pratiques axées sur les thérapies
cognitivo-émotionnelles méritent d’être validées scientiquement, tant dans une approche préventive que curative. Un protocole en 7 séances a été élaboré et fait
l’objet d’études collaboratives notamment d’un projet
commun entre la consultation pour stress et anxiété du
CHU de Lille et de l’École thermale du stress de Saujon.
Liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.
Références
[1]
Servant D, Pelissolo A, Chancharme L, et al. Le Trouble de
l’adaptation avec Anxiété (TAA). Caractéristiques cliniques
et psychométriques chez des patients consultant en médecine générale. Encéphale (sous presse).
[2] Behar E, DiMarco ID, Hekler EB, et al. Current theoretical models of generalized anxiety disorders (GAD): conceptual review and treatment implications. J Anxiety Disord
2009;23:1011-23.
[3] Lôo P, Lôo H, Galinowski A. Le stress permanent. Réactionadaptation de l’organisme aux aléas existentiels. 3e éd., Masson, Paris, 2003.
[4] Thayer JF, Lane RD. A model of neurovisceral integration
in emotion regulation and dysregulation. J Affect Disord
2000;61:201-16.
[5] Servant D, Logier R, Mouster Y, et al. La variabilité de la
fréquence cardiaque. Intérêt en psychiatrie. Encéphale
2009;35:423-8.
[6] Borkovec TD, Ruscio AM. Psychotherapy for generalized anxiety
disorder. J Clin Psychiatry 2001;62(Suppl. 11):37-42.
[7] Barlow DH, Lehman CL. Advance in the psychosocial treatment of anxiety disorders. Arch Gen Pychiatry 1996;53:727-35.
[8] Beck AT, Emery G. Anxiety disorders and phobias: a cognitive
perspective. Basic Book, New York, 1985.
[9] Servant D. Gestion du stress et de l’anxiété. Elsevier Masson, Paris, 2012.
[10] Servant D. La relaxation. Nouvelles approches, nouvelles pratiques. Elsevier Masson, Paris, 2009.
[11] Kabat-Zinn J, Massio AO, Kristeller J, et al. Effectiveness of
meditation based stress reduction programme in the treatment of anxiety disorders. Am J Psychiatry 1992;149:936-43.
L’Encéphale (2013) 39, 6-9
Éducation thérapeutique du patient en médecine
thermale
P. Carpentiera, O. Duboisb,*
aProfesseur
bDirecteur
de Médecine vasculaire au CHU de Grenoble et président de la Société française de médecine thermale
médical des Thermes de Saujon et secrétaire général de la Société française de médecine thermale
Le but de l’éducation thérapeutique est de permettre au
patient atteint de maladie chronique d’améliorer ses comportements de santé, de l’aider à s’adapter à ses handicaps
et de le rendre actif dans la prise en charge de sa maladie,
le tout dans l’optique d’améliorer son état de santé et sa
qualité de vie [1]. L’agrément des programmes d’éducation
thérapeutique par les ARS requiert que ces programmes
soient structurés, comportent des ateliers de groupes mais
aussi des entretiens éducatifs individuels, soient mis en
œuvre de façon pluridisciplinaire par des professionnels de
santé formés à l’éducation thérapeutique avec un volet
d’évaluation [2].
La cure thermale : un environnement
idéal pour les actions d’éducation
thérapeutique
La cure thermale représente une opportunité exceptionnelle pour le développement de l’éducation thérapeutique
du patient (ETP) [3] :
• elle rassemble en un même lieu et un même temps un
grand nombre de patients atteints d’affections chro-
pratique thermale pour son caractère humain et global,
donc culturellement prêts à s’investir dans l’éducation
thérapeutique, à laquelle ils doivent cependant se former spéciquement ;
• l’organisation de l’établissement thermal et la sensibilisation de tous les agents thermaux, au-delà des professionnels de santé, contribuent à créer un environnement
favorable à cette ETP ;
• enn, l’expérience des soins thermaux constitue, dans
bon nombre de pathologies, un outil pédagogique permettant de faciliter la compréhension des messages
éducatifs, de favoriser leur mémorisation et de renforcer la motivation à modier les comportements de santé
qui leur sont attachés.
Sur cette base, différents programmes d’éducation
thérapeutique spéciquement thermaux ont été développés et expérimentés, notamment grâce à l’Association
française de recherche thermale (AFRETh). Certains sont
déjà validés par des agréments ARS : « Veinothermes »
pour les patients atteints d’insufsance veineuse sévère ;
« En thermes de santé et de rondeurs » pour l’obésité et
le surpoids ; « École de l’asthme ». D’autres sont en cours
de développement : « Fibr’Eaux » pour les patients bro-
Éducation thérapeutique du patient en médecine thermale
7
par la faculté de médecine de Grenoble. Elles proposent
une sensibilisation pour l’ensemble du personnel thermal,
une formation pratique pour les professionnels de santé et
un niveau de formation-action, couplé avec la conception
d’un programme spécique.
des participants quant à leur rôle dans la prise en charge
de leur maladie. En outre, l’interaction de ces séances
avec les soins thermaux est mise à prot : c’est ainsi que
la connaissance du fonctionnement de la pompe veineuse
du mollet, dans le retour veineux des membres inférieurs,
facilite la participation active du patient au « couloir de
marche en eau profonde », alors que, dans l’autre sens, la
perception des effets de la pression de l’eau sur les téguments des membres inférieurs, lors des différentes balnéations, aide le patient à comprendre l’intérêt de la
contention élastique et, bien sûr, la répétition des soins
facilite sa mémorisation.
Ces ateliers sont complétés par une consultation
d’éducation thérapeutique en tête à tête, qui permet de
valider les acquis du patient, de choisir avec lui les objectifs concrets d’amélioration de ses comportements de
santé, qu’il pourra mettre en œuvre au retour de cure
dans sa vie quotidienne, et d’évaluer avec lui les points
sur lesquels il pourra s’appuyer, et les difcultés qu’il
risque de rencontrer pour que ce choix d’objectifs soit
réaliste et efcace.
Enn, un entretien téléphonique à 3 mois, réalisé par
le même éducateur de santé permet d’évaluer si les
objectifs choisis ont été atteints, le cas échéant, d’en
choisir d’autres, et sinon, d’analyser les raisons de l’échec
total ou partiel pour remotiver le patient à la conquête de
ces mêmes objectifs, ou d’autres mieux adaptés à la
situation.
L’expérimentation initiale de ce programme, chez
150 patients dans les 3 stations de La Léchère, Barbotanles-Thermes et Argeles-Gazost, a permis de vérier sa faisabilité avec un très haut niveau de satisfaction des
acteurs comme des patients, dont 97 % pensaient à l’issue
du séjour que cela allait les aider « à mieux vivre avec
leur maladie », et 97 % qu’ils allaient « être plus actifs
dans la prise en charge de leur santé au quotidien ».
Environ 60 % des objectifs de comportement étaient totalement atteints à 3 mois, et 86 % des patients avaient
atteint au moins un objectif. Cela allait de pair avec une
amélioration de la qualité de vie (échelle CIVIQ2 spécique de l’insufsance veineuse) signicative à 3 mois qui
se maintenait à 9 mois.
Ce programme est actuellement agréé dans les 3 stations qui l’ont expérimenté et utilisable dans toutes les
stations à orientation phlébologique à condition qu’elles
« Veinothermes », premier programme
d’éducation thérapeutique accrédité
en milieu thermal
Le programme « Veinothermes » [4] s’adresse aux quelques
40 000 patients atteints d’insufsance veineuse chronique
qui bénécient chaque année en France d’une cure thermale spécique de leur pathologie, et en particulier aux
plus sévères d’entre eux, qui présentent des troubles trophiques cutanés préulcéreux. Il s’agit donc d’un programme
qui s’attaque à un redoutable problème de santé publique
du fait du caractère invalidant de la pathologie et du coût
de sa prise en charge estimé à plus de 1 milliard d’euros
annuellement en France, mais aussi d’une pathologie dont
le pronostic dépend en grande partie des comportements
du patient en matière d’activité physique, d’alimentation
et de compliance à la contention élastique, pierre angulaire du traitement.
Le programme « Veinothermes » a été conçu et expérimenté grâce à un nancement de l’AFRETh. Sa conception
a eu lieu au cours de l’hiver 2008-2009 par un groupe de
travail multiprofessionnel formé de 15 participants représentant l’ensemble des stations thermales ayant un agrément en phlébologie, animé par le Dr Brigitte Sandrin du
Centre régional d’éducation thérapeutique LanguedocRoussillon et l’équipe de Médecine vasculaire du CHU de
Grenoble (Dr Bernadette Satger, Pr Patrick Carpentier).
Les ateliers et outils pédagogiques ont été validés par un
groupe de patients atteints d’insufsance veineuse chronique. L’expérimentation a été réalisée auprès de
150 patients dans les stations de La Léchère, Barbotanles-Thermes et Argeles-Gazost, après que les équipes soignantes de ces stations ont reçu la formation appropriée.
Ce programme d’éducation thérapeutique a été agréé par
l’ARS Rhône-Alpes le 12 janvier 2011.
Ce programme est intégré à la cure thermale et prescrit par le médecin thermal qui suit le patient, en même
temps que les soins thermaux, lors de la première visite.
8
thérapie cognitive et comportementale validé par un
groupe d’experts associé à une étude avec suivi de cohorte.
Il s’agissait de patients consommateurs chroniques de benzodiazépines (> 6 mois), en échec antérieur de sevrage et
motivés par l’arrêt de leur consommation. Quatre centres
thermaux ont participé à la mise en place de ce protocole
d’éducation psychothérapique.
Pour rappel, 20 % des consultations de médecins généralistes aboutissent à la prescription de benzodiazépines [5]. Environ 10 % des Français en sont des
consommateurs réguliers. La France est ainsi, d’après
l’ANSM, le 2e plus important consommateur européen de
benzodiazépines, à la fois utilisées comme anxiolytique et
comme hypnotique [6]. La surconsommation de benzodiazépines est donc un problème bien identié de santé
publique [7-9].
La médecine ambulatoire, de par son fonctionnement
en cabinet, a des difcultés à assurer la prise en charge
d’un sevrage aux benzodiazépines qui nécessite une réactivité et une complémentarité d’actions thérapeutiques.
La prise en charge d’un tel problème ne justie généralement pas un séjour en milieu hospitalier, trop lourd et
régressant pour ces patients.
Ces dernières années, l’efcacité du service médical
rendu par le thermalisme a été démontrée dans le cadre
de l’étude STOP-TAG [10-12]. Cette étude a mis en évidence une supériorité signicative de la crénothérapie
dans l’anxiété généralisée comparée à un médicament de
référence, la paroxétine. Cette étude contrôlée en double
aveugle a été validée au plan méthodologique par la HAS
(Haute autorité de santé) en 2006.
Suite à cette étude, un protocole psychoéducatif ayant
pour but d’accompagner le sevrage de benzodiazépines de
patients surconsommateurs chroniques a été mis en place.
Ce protocole a été validé par un groupe d’experts1.
L’objectif a été de proposer, dans le cadre de séjours de
3 semaines en cure thermale à des sujets présentant un
trouble anxieux, l’arrêt progressif des benzodiazépines. La
cure, du fait de son activité anxiolytique démontrée [10-12]
et de l’existence d’un certain nombre d’acteurs de soin de
proximité, peut en quelque sorte servir de « traitement
substitutif » chez ces patients consommateurs chroniques
de benzodiazépines depuis plus de 3 mois, stables thérapeutiquement et ayant préalablement tenté d’arrêter leur
traitement sans y réussir. Ces patients, motivés par l’arrêt
P. Carpentier, O. Dubois
psychoéducatif ont été assurés par un psychologue spécialisé
en thérapie cognitive et comportementale, sous la forme
d’une formation spécique de 72 heures. Quatre stations
thermales psychiatriques françaises se sont engagées dans la
formation à ce programme d’éducation thérapeutique
(Bagnères-de-Bigorre, Néris-les-Bains, Saujon, Ussat-lesBains). À l’issue de cet enseignement, un kit spécique
reprenant l’ensemble des programmes d’enseignement spéciques a été remis à chaque station, servant de référence
et de guide pour l’ensemble des psychologues et formateurs.
Outre ses effets anxiolytiques démontrés, la cure thermale et la crénothérapie présentent plusieurs atouts complémentaires :
• la possibilité de réunir en un lieu spécique pendant une
durée de 3 semaines des groupes de patients présentant
des pathologies comparables ;
• la présence sur place d’une équipe paramédicale, ellemême encadrée par des médecins généralement psychiatres exerçant en station thermale ou à proximité de
celle-ci formés à la prise en charge des troubles anxieux ;
• l’existence d’une ou plusieurs personnes formées à
l’éducation thérapeutique, ce qui assure un niveau de
compétence et de sécurité pour le patient.
Les patients sont réunis en groupe de 6 à 12 personnes
présentant un TAG avec éventuellement une comorbidité
dépressive.
Le programme psychoéducatif fait l’objet de l’association de 4 modalités thérapeutiques différentes, toutes
complémentaires, dans l’objectif d’assurer à la fois l’anxiolyse du patient et la réduction de la consommation des
benzodiazépines :
• soins crénothérapiques le matin, à raison de 4 soins par
jour (forfait thermal prescrit de manière conventionnelle par le médecin thermal) ;
• suivi médical visant à accompagner le programme de
réduction de la consommation de benzodiazépines. Le
rythme et les règles de prescription relatifs à ce sevrage
ont fait l’objet d’un protocole préétabli, servant de
référence aux médecins thermaux. Un programme de
poursuite de la réduction thérapeutique à l’issue de la
prise en charge est proposé lors de la consultation médicale, bilan de n de cure ;
• deux entretiens psychothérapeutiques individuels étaient
réalisés par le psychologue en cours de séjour :
– un entretien motivationnel, en début de prise en charge,
Éducation thérapeutique du patient en médecine thermale
9
– comment vaincre la dépendance aux anxiolytiques ?
– quelles sont les alternatives thérapeutiques au médicament ?
À l’issue de la cure, une consultation d’éducation thérapeutique avec le psychologue vise à évaluer les bénéces de la prise en charge et à xer les objectifs de
post-cure en termes de gestion de l’anxiété et des troubles
du sommeil, à travers les exercices enseignés dans le
cadre de la formation psychoéducative. En n de cure, le
médecin thermal xe un programme de poursuite de la
réduction thérapeutique.
Quand la cure thermale prend n, un suivi clinique et
thérapeutique est assuré pendant les 6 mois qui suivent
cette prise en charge pour accompagner le patient dans son
objectif d’arrêt de la consommation. Une correspondance
est adressée au médecin traitant pour l’informer de l’évolution du patient et de l’objectif de poursuite du sevrage.
Soixante-dix patients ont participé à ce protocole dans
le cadre des 4 stations thermales françaises à orientation
psychosomatique.
Les évaluations ont consisté en une échelle HAD, un
questionnaire de dépression de Beck, une échelle ECAB,
une échelle analogique d’évaluation du sommeil et divers
questionnaires de consommation médicamenteuse.
À côté du critère principal, on retient comme critères
secondaires la consommation de benzodiazépines à J15,
J30, J60, J90 et J180, l’évolution de l’état anxieux au
cours de ces différents temps, de l’état dépressif, de la
perception du sommeil et du sentiment de dépendance.
Quatre-vingt-quatorze pour cent des patients ont été
satisfaits de la prise en charge et 93 % ont estimé ce programme efcace pour traiter leur consommation.
Ce protocole a été formalisé par une étude de suivi de
cohorte sur 6 mois (Tableau 1).
En conclusion, ce protocole a permis de vérier la faisabilité pour les stations thermales de mettre en place
une telle modalité de prise en charge de patients présentant une consommation excessive et chronique de médicaments anxiolytiques.
Les résultats permettront de savoir s’il y a un intérêt
médical à poursuivre cette expérimentation. D’ores et
déjà, devant les taux de satisfaction élevés, certaines stations à orientation psychosomatique continuent à organiser un accompagnement structuré, soit dans le cadre de
groupes, soit dans le cadre de suivi individuel de patients
présentant une consommation excessive et chronique de
benzodiazépines.
Les stations thermales se penchent sur d’autres programmes d’éducation thérapeutique pouvant utilement servir à la santé des personnes séjournant en cure thermale.
Certains de ces modèles intéressent particulièrement la
santé mentale : la gestion du stress, la gestion de la douleur chronique, notamment dans le cadre des douleurs de
type bromyalgique ou encore chez les patients présentant
des troubles des conduites alimentaires avec surpoids.
Liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en
relation avec cet article.
Références
[1]
[2]
[3]
[4]
[5]
Tableau 1 Étude de suivi de cohorte sur 6 mois
70 patients
Femmes
Moyenne d’âge
Évaluation à
Taux de satisfaction
[6]
79 %
54 ans 9 mois
J15, J30, J60, J90 et J180
94 %
[7]
[8]
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des patients à la conception d’un programme d’éducation thérapeutique. Santé publique 2007;19:313-22.
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2006.
Lapeyre-Mestre M, Palmaro A. Comparaison des données d’uti-
L’Encéphale (2013) 39, 10-14
La dépression en médecine générale,
une approche spécique
P.-L. Druais
Professeur de Médecine générale, UFR Paris-Ile-de-France ouest, Président du Collège de la médecine générale
« La dépression est une pathologie fréquente, dans laquelle
le médecin généraliste est le premier recours, le point
d’entrée dans le système de soin. »
Premier recours… : être présent pour le patient quel
que soit le motif qui l’amène à consulter. Premier recours
et souvent seul recours du patient qui identie la médecine à son médecin de famille, celui qui le connaît depuis
si longtemps, qui connaît les parents, les amis, les voisins.
Une relation forte, une relation construite au l du temps,
le très long temps de la médecine générale. Une relation
mise à l’épreuve sur des années par une multiplicité de
situations de soin, d’écoute, d’aide, d’accompagnement.
Alors, on se tourne vers « son » docteur qui saura bien,
encore une fois, trouver la solution. Et il la trouve, si on
en croit les chiffres : 80 % de dépressions quotidiennement prises en charge par le médecin généraliste.
Mais quels sont ses outils ? Où et comment les a-t-il
acquis ?
tivement aux tricycliques. Les IMAO ne sont quasiment
jamais utilisés [1].
À noter que, pendant longtemps, on a considéré que les
médecins généralistes prescrivaient trop souvent des antidépresseurs à des patients non dépressifs… sans explorer la
raison de ces pratiques de terrain, nées de la fréquentation
quotidienne de tous les types de souffrance. Les recommandations françaises de 2006, sur « Le bon usage des médicaments antidépresseurs dans le traitement de la dépression et
de l’anxiété » [2], ont légitimé et recommandé les conduites
pragmatiques de prescription d’antidépresseurs, initiées par
les médecins généralistes, face aux phénomènes masqués ou
anxieux auxquels ils étaient confrontés.
Face à des dépressions résistantes ou récurrentes, si
l’augmentation des doses de l’antidépresseur ou le changement de molécule n’ont pas été efcaces, le médecin
généraliste cone volontiers le patient au psychiatre : il
n’a pas la pratique d’associer plusieurs antidépresseurs ou
d’adjoindre neuroleptiques ou thymorégulateurs.
Les traitements psychotropes
Lorsqu’il le juge nécessaire, le médecin généraliste utilise
classiquement les antidépresseurs à sa disposition.
Les prises en charge
psychothérapeutiques
La dépression en médecine générale, une approche spécique
Les psychothérapies structurées
On les distingue des « attitudes psychothérapeutiques »,
inhérentes à la fonction de médecin généraliste, aussi
appelées « psychothérapies de soutien ».
« Pour qu’il y ait psychothérapie, il faut que le médecin soit conscient de la nature des moyens psychologiques
mis en œuvre, et qu’il exerce un contrôle sur leur déroulement et leurs effets. Le contrôle implique donc une
action rééchie et la référence à une théorie psychologique, garantie de la cohérence de l’approche » [4].
Différentes thérapies peuvent être associées an de
réaliser une prise en charge multifocale, agissant à différents niveaux de fonctionnement du sujet.
Le travail sur le terrain conrme chaque jour que de
nombreuses dépressions modérées sont accessibles à une
prise en charge psychothérapeutique. D’autant que de
nombreux patients sont réticents à la prise de psychotropes, soit par crainte d’accoutumance et/ou de dépendance, soit par crainte des effets secondaires, soit, le plus
souvent, par conviction, mêlée de culpabilité, que leur
« passage à vide » est un signe de faiblesse qu’ils doivent
surmonter sans aide médicamenteuse. Conviction qui
n’est qu’un des symptômes de la maladie…
Dans ce contexte, les médecins généralistes adressent
leurs patients nécessitant une psychothérapie structurée à
des correspondants, psychothérapeutes non-médecins ou
psychiatres. Ici, nous devons aborder quelques difcultés.
Le problème démographique : la répartition des correspondants « psys » est largement inégale géographiquement, et globalement le nombre de psychiatres est
insufsant pour couvrir les besoins de la population.
Majoritairement, les médecins ont peu le choix des correspondants et s’adressent au thérapeute auquel ils ont
accès, sans pouvoir toujours choisir en fonction d’un projet thérapeutique lié à un mode de prise en charge. Enn
la formation ne permet pas au médecin d’avoir sufsamment la compréhension des caractéristiques et des indications des différentes psychothérapies an d’afner
l’adressage.
La prise en charge psychologique du patient
dépressif par le médecin généraliste
11
patient a d’autres demandes, celles-ci risquent de passer en
priorité et masquer le principal motif de consultation… d’autant plus que le patient va avoir du mal à aborder ce sujet
difcile.
Le temps de l’accompagnement
Une fois le diagnostic posé, les recommandations ofcielles
semblent baliser le terrain de la prise en charge. La littérature détaille essentiellement des solutions médicamenteuses mais n’explicite pas le soutien psychologique qui est
pourtant préconisé.
La HAS précise toutefois que les psychothérapies
cognitivo-comportementales, les thérapies de soutien et
les thérapies interpersonnelles « ont fait l’objet d’études
contrôlées dans les dépressions d’intensité légère à modérée. Les psychothérapies d’inspiration analytique, instituées au mieux à distance de la phase aiguë, constituent,
pour certains patients, un recours utile ». Malheureusement,
aucune recommandation ne précise quel accompagnement
psychologique peut être réalisé par le médecin généraliste.
La place du médecin généraliste dans la
prise en charge du patient dépressif
Une position privilégiée
Par rapport aux autres spécialistes, le médecin généraliste
a une position privilégiée :
• Soit, il connaît déjà le patient, son vécu, son environnement, ses éventuels conits personnels ou professionnels… Cela lui permet de voir les choses de façon plus
globale, de percevoir aussi les choses que le patient ne
dit pas, mais qu’une écoute attentive au l des consultations lui aura fait comprendre dans le cadre d’une
relation de conance déjà établie. Le patient va donc se
coner plus facilement et plus spontanément.
• Soit, le médecin ne connaît pas le patient, et c’est le
début d’une longue histoire. Le médecin est dans la position de soigner non pas une dépression mais un patient qui
souffre de dépression. Potentiellement, il aura aussi à soigner les autres problèmes du patient. Il est donc implicite
entre le patient et le médecin que le médecin « entre »
12
• Attentes ainsi que besoins du patient.
• Représentations de santé, croyances, préjugés…
• Préférences et sens que le patient accorde à la vie.
• Émotions et affects.
• Nature du patient, caractéristiques biomédicales.
• Temps : capacité du patient à évoluer dans la durée.
• Être : personnalité du patient.
La communication
Le médecin généraliste communique « naturellement »
avec son patient en utilisant les outils habituels de la communication, qu’il va adapter à sa fonction.
L’écoute active
C’est la première étape du dialogue. « Écouter quelqu’un,
c’est écouter le silence » [6]. Il s’agit de prêter attention à
ce que dit le patient, mais aussi à ce qu’il ne dit pas, à ce
qu’il dit à moitié, et tout ce que les mots signient pour
lui. Il faut saisir les moments de silence et les comprendre [7]. Cet exercice difcile est implicite pour le
médecin qui connaît depuis plusieurs années le patient et
son entourage. C’est l’histoire partagée du patient avec
son médecin qui intervient dans la consultation [8].
L’écoute active va permettre au patient de percevoir une
« attitude facilitatrice, impliquée et compréhensive » [7].
Le patient, mis en position de s’exprimer, peut aussi s’écouter, s’approprier ses propres réexions et cheminer en
même temps qu’il verbalise les choses.
Le non-verbal
Percevoir le non-verbal du patient, c’est observer ses
gestes, ses mimiques, son agitation ou son calme plus ou
moins approprié. En retour, l’attitude physique du médecin
fait également passer des messages. Par sa posture, ses
gestes, les expressions de son visage, le regard, etc., le
médecin fait passer les différentes dimensions du discours.
La gestion de l’espace
C’est un des éléments du non-verbal. Les relations sociales
sont régies par la distance que l’on instaure entre son
interlocuteur et soi-même. C’est cette gestion de l’espace
P.-L. Druais
clinique. Charge à lui de gérer correctement cette intimité
pour mettre le patient en conance, sans le braquer par
une intervention non souhaitée [6].
Le médecin généraliste,
un psychothérapeute ?
Une rencontre
Dans le cadre d’une maladie dépressive, la première
consultation a pour but d’évaluer les symptômes, an de
poser un diagnostic et d’évaluer le degré de gravité. Mais
cette consultation permet aussi une véritable rencontre
avec le patient [6].
Un projet thérapeutique
À l’issue, une sorte de contrat s’établit entre le patient et
son médecin.
Il s’agit d’abord d’un projet à court terme : « il y a
actuellement une pathologie, nous allons ensemble
essayer de vous soigner ». Il peut exister des projets intermédiaires, comme des objectifs de consultation, une hiérarchisation des problèmes à régler. En médecine générale,
il y a aussi un projet à plus long terme : le suivi du patient
sur plusieurs années, et souvent même celui du reste de
la famille. Dans cette continuité s’instaure un projet thérapeutique qui va dépasser la gestion de la consultation
présente, qui va conrmer l’importance de la relation de
soin établie, pour permettre une évolution du patient plus
approfondie que celle limitée à un problème précis. Il
s’agit de l’aider à accéder à l’espace d’autonomisation,
ce que l’on ne peut imaginer dans le cadre d’une prise en
charge ponctuelle.
Un accompagnement psychologique
Le médecin généraliste a une fonction spécique, il possède des outils propres à sa fonction. Il est donc en mesure
de développer une thérapeutique, souvent appelée « psychothérapie de soutien du médecin généraliste ».
Voici un extrait du rapport « Itinéraire des déprimés »,
dirigé par le Pr Parquet en février 2001 :
• en dehors des thérapies structurées, il existe une théra-
La dépression en médecine générale, une approche spécique
ment de la dépression et cet accompagnement améliore
l’observance médicamenteuse.
La psychothérapie de soutien est implicite au rôle de
médecin généraliste : sa formation et son expérience professionnelle le préparent à cela.
Une revue de la littérature faite en 2000 en
Angleterre [10] a recherché le noyau commun de toutes
les psychothérapies. Elle a dégagé les éléments suivants :
• l’établissement d’une relation thérapeutique positive
basée sur une écoute active, une empathie authentique
et un médecin concerné par la problématique ;
• le développement d’une compréhension partagée de la
problématique du patient ;
• la promotion d’un changement comportemental, affectif
ou émotionnel.
Comme le rappelle Balint, le médecin engagé dans une
démarche de psychothérapie « ne doit pas jouer au psychiatre » [11]. Mais il dispose d’un éventail très large de
relations possibles, bien plus que dans toute autre branche
médicale. « Dans le doute, ne vous hâtez pas, mais écoutez » (Balint).
Les techniques spéciques en médecine générale
Le médecin généraliste peut utiliser ces techniques dans la
continuité, aussi bien au cours du suivi de ses patients dans
le temps que lors des différentes phases de la consultation,
en tenant compte de la famille et du milieu socioprofessionnel [7].
La directivité
C’est une technique utile pour rassurer les patients qui se
sentent maintenus dans un cadre protecteur. Elle est parfois
nécessaire pour des personnalités immatures. Elle est souvent utile en début de prise en charge, lorsque le patient, à
cause de sa maladie dépressive, régresse dans un espace primaire de dépendance. Les Anglo-Saxons utilisent le terme de
counselling, que l’on peut traduire par « conseils directifs »
ou « guidance ». Il s’agit en réalité de thérapies brèves [12]
dérivées des psychothérapies structurées, nécessitant une
formation courte, et réalisable par les médecins généralistes [13]. La stratégie de délivrance du conseil en médecine générale fait maintenant l’objet d’une standardisation
des pratiques comme tout autre acte de soin [14].
13
La suggestion
Il s’agit d’une afrmation qui est médicale mais qui prend
aussi une dimension « magique » du fait du transfert effectué. C’est l’effet « médecin/médicament », effet placebo
par excellence décrit par Balint. Il faut bien sûr encore une
fois s’adapter à la suggestibilité du patient, bien plus
importante dans l’espace primaire. Elle peut aider à diminuer des plaintes somatiques fonctionnelles, ou à renforcer
l’efcacité d’une prescription pharmaceutique.
La reformulation
Il s’agit d’exprimer le « ressenti » du patient, ses sentiments, son état d’esprit plutôt que le résumé des faits évoqués. Il faut le faire sous la forme d’un constat, en
employant des expressions équivalentes à celles du patient.
Il ne faut pas y ajouter d’expressions d’accord ou de désaccord et donc laisser au patient la responsabilité de ce qui
est dit. Pour le médecin, cela permet de créer un climat de
conance et d’acceptation, de s’assurer qu’il a bien compris le point de vue du patient et de le clarier si besoin
est. Une fois ses propos reformulés par le médecin, le
patient va trouver l’occasion de se réexprimer, développer
ses idées, réduire l’écart entre ce qu’il a dit et ce qu’il
veut dire, abandonner une éventuelle attitude défensive et
ainsi arriver à se prendre progressivement en charge [6].
La réassurance
Le médecin peut alors remettre les éléments dans leur
contexte et aider le patient à prendre du recul face à la
situation. Parfois, c’est par l’examen clinique que la réassurance est possible, le médecin montrant ainsi que le
patient ne va pas si mal sur le plan somatique, tout en prenant ses plaintes au sérieux. Ce rapport au corps conjointement à l’expression psychologique est un privilège de la
fonction de soin du médecin généraliste.
La restauration de la conance en soi
Le patient étant encadré, rassuré, va pouvoir reprendre
conance en lui. Il s’agit du « renforcement du moi », décrit
par Freud. Le médecin généraliste va accompagner le patient
dans un changement comportemental et social, nécessaire à
14
taire du mal-être du patient et se retrouve investi du rôle
de condent, de référent ou de « gure bienveillante »,
image maternante ou paternaliste décrite par Winnicott.
Cette image est un réconfort ponctuellement lors d’un
suivi d’une dépression, mais peut aussi rester une image
récurrente, au l des années, véritable point de repère
pour le patient qui sait qu’il peut à tout moment retrouver
un espace d’expression libre et d’écoute empathique.
Une formation spécique ?
Nous avons décrit une partie des éléments utilisés,
consciemment ou non, dans la prise en charge des patients
dépressifs. L’« attitude psychothérapeutique » décrite par
Balint [16] se construit, comme le reste du métier de
médecin généraliste. Car si l’impact du médecin généraliste peut être positif, il peut aussi être négatif si l’on
n’en maîtrise pas tous les enjeux. Selon Balint, la formation du médecin implique un « changement limité, bien
que considérable, de la personnalité du médecin » [11].
Notons bien qu’il ne s’agit pas ni de « jouer au psychiatre », ni d’inventer des psychothérapies structurées
spéciques. Il s’agit de prendre conscience de ce que l’on
peut avoir comme impact sur le patient, et de s’en aider
pour le bien de celui-ci, en maîtrisant les effets négatifs
que cela peut avoir.
P.-L. Druais
générale, UFR Paris-Ile-de-France ouest, publié dans le
manuel Les états dépressifs sous la direction de Michel
Goudemand, édité par Médecine Sciences Publications,
Lavoisier, en 2010.
Liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation
avec cet article.
Références
[1]
[2]
[3]
[4]
[5]
[6]
[7]
[8]
État des lieux
Les données disponibles dans la littérature concernant l’accompagnement psychologique des patients déprimés en
médecine générale sont relativement pauvres.
Une étude récente [17], enquêtant sur les pratiques de
prise en charge psychologique des patients dépressifs par
les médecins généralistes, montre une nette homogénéité
des pratiques, même s’ils n’ont pas forcément conscience
des outils qu’ils utilisent. Ils effectuent au nal une prise
en charge adaptée, personnalisée et complète des patients
déprimés, même s’ils n’ont pas les mots pour la décrire.
L’absence de cette compétence d’explicitation, qui n’entrave en rien la qualité de la prise en charge, semble
responsable de la dévalorisation, imposée ou ressentie, à
laquelle ils doivent parfois faire face.
Ce travail est issu d’un article réalisé en collaboration
[9]
[10]
[11]
[12]
[13]
[14]
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[16]
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Avancées thérapeutiques
dans la dépression résistante
N. Jaafari
INSERM U 1084, Experimental and Clinical Neurosciences Laboratory, Team Psychobiology
of Compulsive Disorders, Poitiers, F-86022, France
CIC INSERM U 802, Poitiers, F-86022, France
Université de Poitiers, F-86022, France
CHU Poitiers, France
Unité de recherche clinique intersectorielle en psychiatrie du Centre hospitalier Henri-Laborit, France
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) rapporte que la
dépression touche environ 121 millions de personnes dans
le monde. L’OMS prédit que d’ici 2020, la dépression sera la
première cause de handicap au niveau mondial. La prévalence vie entière de la dépression est de 5 à 15 % [1]. Des
épisodes ultérieurs surviendront chez 50 % des patients
ayant fait un premier épisode dépressif. La complication
majeure d’une dépression est le passage à l’acte suicidaire. Le nombre de morts par suicide en France est de
l’ordre de 12 000 par an, le nombre de tentatives serait
10 fois supérieur. La dépression multiplie par 30 le risque
suicidaire et le décès par suicide survient dans 15 % des
cas [2].
Le DSM-IV-TR dénit l’épisode dépressif majeur (EDM)
par la présence d’au moins 5 symptômes sur 9, durant une
période d’au moins 15 jours, parmi lesquels les 2 principaux concernent la tristesse de l’humeur et la perte d’intérêt ou de plaisir [3]. Fava et al., en 2003, ont estimé
que 20 % de ces épisodes dépressifs se chronicisent (c’est-
2 antidépresseurs appartenant à 2 classes différentes
prescrits à durée et à posologie efcaces. La notion de
dépression résistante implique donc obligatoirement la
notion d’intervention thérapeutique. Elle implique également d’écarter, par un bilan médical rigoureux, les facteurs de comorbidité médicale et/ou psychiatrique
(troubles anxieux, troubles psychotiques, troubles de la
personnalité, abus et dépendance aux substances, etc.)
susceptibles de favoriser l’absence de réponse thérapeutique à un antidépresseur.
L’objectif du traitement dans l’EDM est la rémission,
dénie comme la quasi-absence de symptômes dépressifs ;
or elle n’est pas fréquemment obtenue. En réalité, un des
problèmes rencontrés dans la littérature est l’utilisation
des différences de dénitions et d’outils d’évaluation de
la réponse thérapeutique. Frank et al. ont proposé des
dénitions des différentes modalités évolutives de l’EDM
et des notions de réponse, de rémission, de rechute, de
guérison et de récurrence [5]. La rémission partielle est
16
une amélioration d’une qualité sufsante pour que l’individu soit considéré comme asymptomatique. La guérison
est une rémission complète pendant une durée sufsante
(en théorie, 6mois). Une rechute dépressive se caractérise par la réapparition d’une symptomatologie dépressive
après rémission symptomatique dans un délai de 6 mois.
Un épisode dépressif survenant au-delà de cette période
est une récurrence et correspond donc à un nouvel épisode dépressif après guérison.
La notion de dépression résistante ne peut être retenue
que si les différentes phases de traitement ont été bien
conduites. Les 3 phases de prise en charge d’un patient dans
le traitement des épisodes dépressifs majeurs sont [3] :
1) traitement d’attaque : cette phase a pour objectif
d’induire une rémission symptomatique an que les
patients ne répondent plus aux critères diagnostiques
de l’EDM ;
2) traitement de consolidation : à cette phase, l’objectif
est de consolider la rémission et d’empêcher la rechute,
c’est-à-dire la réapparition du même épisode ; cette
phase de traitement dure au minimum de 4 à 6 mois ;
3) traitement de maintenance : cette étape est réservée
aux patients ayant déjà fait plusieurs EDM.
En dépit d’un traitement bien conduit, 30 % des
patients ne répondent pas à la médication antidépressive
et nécessitent d’autres prises en charge. Thase et Rush
ont proposé une classication dimensionnelle permettant
de dénir plusieurs niveaux de résistance dénis en fonction du nombre d’essais d’antidépresseurs et de leur
classe médicamenteuse [6]. Ces niveaux sont :
• stade I : échec au moins d’un traitement adéquat par un
antidépresseur d’une classe principale ;
• stade II : résistance de stade I plus échec d’un traitement adéquat par un antidépresseur d’une classe différente de celle utilisée dans le stade I ;
• stade III : résistance de stade II plus échec d’un traitement adéquat par antidépresseur tricyclique ;
• stade IV : résistance de stade III plus échec d’un traitement adéquat par antidépresseur IMAO ;
• stade V : résistance de stade IV plus échec d’une série
d’ECT bilatérales.
De nombreuses techniques de psychothérapies ont été
utilisées dans le traitement de la dépression. Sagar et al.,
en 2009, rapportent que seules la thérapie cognitivocomportementale et la psychothérapie interpersonnelle ont
N. Jaafari
limitations et des effets secondaires de ces molécules. Ceci
est très utile chez les patients qui ne répondent pas aux
ISRS, aux ISRNA ou aux antidépresseurs tricycliques, ainsi
que dans le traitement de la dépression atypique. Une
étude récente a conclu que les IMAO, et particulièrement
la phénelzine, demeurent le traitement de référence pour
les dépressions résistantes [8].
La combinaison de 2 antidépresseurs de classes différentes pour traiter la dépression résistante est devenue
une pratique courante. Rocha et al., en 2012, dans une
revue systématique de la littérature, ont montré qu’une
rémission totale est plus sûrement obtenue par l’association de 2 antidépresseurs que par l’utilisation d’un seul
antidépresseur [9]. Ils considèrent que la meilleure association serait la combinaison de mirtazapine avec un ISRS.
Ces auteurs proposent les associations suivantes : mirtazapine avec un ISRNA ; un ISRS avec le bupropion ; un antidépresseur tricyclique avec un ISRS ou le bupropion, ou la
venlafaxine, ou la mirtazapine.
L’association d’un antidépresseur avec un antipsychotique est une autre stratégie utile dans le traitement de la
dépression résistante. L’utilisation d’un antipsychotique avec
un effet antagoniste sur les récepteurs 5HT2a/5HT2c pourrait
potentialiser l’efcacité des antidépresseurs. L’association la
plus utilisée est la combinaison d’un ISRS avec un antipsychotique atypique [10]. La prise de poids et la sédation sont
les effets indésirables fréquemment observés. D’autres associations médicamenteuses permettraient une potentialisation d’effet d’un antidépresseur, comme par exemple le
lithium, la triiodothyronine et l’acide gras aminé oméga-3.
La sismothérapie est un traitement efcace dans la
dépression mélancolique avec une réponse thérapeutique
comprise entre 80 et 90 %. Cependant, 30 à 40 % des
dépressions résistantes (stade IV [6]) ne répondent pas à
cette option thérapeutique et nécessitent une prise en
charge par d’autres techniques thérapeutiques telles que la
stimulation magnétique transcrânienne ou la stimulation
cérébrale profonde [3]. Ces techniques basées sur le
concept de la neuromodulation sont en cours d’évaluation.
Dans la stimulation cérébrale profonde, les électrodes
sont implantées dans le cerveau et contrôlées à l’aide
d’un neurostimulateur placé sous la peau au niveau du
thorax. Cette technique thérapeutique peu invasive,
adaptable, réversible avec une faible morbidité, offre
l’opportunité d’une approche thérapeutique novatrice,
Avancées thérapeutiques dans la dépression résistante
Liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation
avec cet article.
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L’Encéphale (2013) 39, 18-20
Nouveautés thérapeutiques dans le traitement
du trouble bipolaire : l’asénapine
F. Mouaffak
Service hospitalo-universitaire de santé mentale et de thérapeutique, faculté de médecine Paris-Descartes,
université Paris-Descartes, Centre hospitalier Sainte-Anne, 7 rue Cabanis, 75674 Paris Cedex 14, France
Introduction
L’asénapine (Sycrest®) est un antipsychotique de deuxième
génération (AP2G) qui vient s’ajouter à l’arsenal thérapeutique dans l’indication épisodes maniaques et mixtes dans
le trouble bipolaire de type I (Rapport EMEA) [1].
Le trouble bipolaire de type I est une pathologie sévère
et complexe qui touche 1 % de la population et se caractérise par la survenue d’épisodes dépressifs, mixtes et
maniaques [2].
Depuis quelques années, les AP2G ont rejoint les thymorégulateurs (lithium, valproate de sodium) dans la prise
en charge de cette maladie.
Quelle place peut avoir l’asénapine par rapport à ces
molécules ? Pour répondre à cette question, nous présentons une synthèse des données pharmacologiques et cliniques de tolérance et d’efcacité de ce nouveau produit.
Pharmacologie
Prol pharmacodynamique
L’asénapine est un puissant antagoniste sur un cluster
de récepteurs sérotoninergiques 5HT2a, 5HT2c, 5HT6, 5HT7c
mais aussi dopaminergiques notamment D3, D2 et D4, adrénergiques alpha-2 et histaminergique surtout H1. L’afnité
pour les récepteurs muscariniques est limitée [3].
L’afnité marquée pour les récepteurs sérotoninergiques rapproche l’asénapine de la clozapine, de la quetiapine et de l’olanzapine, molécules qui via leur action
sur les récepteurs sérotoninergiques modulent la transmission dopaminergique [4]. L’antagonisme 5 HT1a combiné à
l’antagonisme 5HT2a induit une augmentation de la libération de dopamine dans le cortex frontal du rat [5].
L’antagonisme de l’asénapine sur les récepteurs 5HT2C
semble produire le même effet. La dynamisation de la
transmission dopaminergique se traduit au niveau clinique
par une amélioration des fonctions cognitives. L’action sur
les récepteurs 5HT6 et 5HT7 pourrait être à l’origine d’une
efcacité sur l’anxiété et la régulation de l’humeur [6].
Le blocage des récepteurs alpha-1 a été mis en rapport
avec une amélioration des fonctions cognitives.
L’antagonisme alpha-2 favorise la transmission noradrénergique, ce qui potentialise l’action procognitive, antidépressive et anxiolytique. L’absence d’antagonisme
Nouveautés thérapeutiques dans le traitement du trouble bipolaire : l’asénapine
19
L’action antipsychotique optimale est associée à un
taux d’occupation des récepteurs D2 de 65 à 80 % dans le
striatum. Les études au PET scan ont montré qu’une
concentration plasmatique à 2,2 ng/ml, qui correspond à
une dose de 6 mg/j, est nécessaire pour réaliser une occupation à 75 % au moins des récepteurs D2. An d’obtenir
un rapport efcacité/tolérance optimal, la posologie
recommandée se situe entre 5 et 10 mg/j [8,9].
l’insu. Les patients sous olanzapine et asénapine ont été
maintenus sous leurs traitements et les patients sous placebo ont reçu de l’asénapine et ont été inclus pour l’évaluation de la tolérance [12].
À 12 semaines, la non-infériorité de l’asénapine par
rapport à l’olanzapine était démontrée dans la mesure où
aucune différence signicative n’a été retrouvée dans
l’évolution des scores à l’YMRS entre les 2 groupes.
Pharmacocinétique
Phase d’extension à 40 semaines
Administrée par voie sublinguale, l’asénapine est rapidement absorbée avec un pic de concentration plasmatique
entre 0,5 et 1,5 heure. La biodisponibilité est mesurée à
35 % après une prise de 5 mg. Elle chute à 2 % si le comprimé est avalé en raison d’un important effet de premier
passage hépatique. L’absorption et la biodisponibilité sont
également réduites en cas d’ingestion d’eau ou d’aliments
dans les 10 minutes qui suivent la prise.
L’asénapine possède un large volume de distribution et se
lie fortement aux protéines plasmatiques (environ 95 %) [8].
Elle est initialement métabolisée par glucuronidation directe
via l’UGT 1A4. L’oxydation est assurée par les isoenzymes du
cytochrome P450 : CYP1A2 principalement, CYP3A4 et
CYP2D6. Les métabolites, les N-glucuronide asénapine et
N-desméthyl asénapine, sont inactifs.
La demi-vie d’élimination est d’environ 24 heures [8].
Les voies hépatiques et rénales contribuent également à
l’élimination de l’asénapine et de ses métabolites.
Deux cent dix-huit patients ayant terminé la phase d’extension à 9 semaines sous olanzapine versus asénapine ont
été inclus dans la phase d’extension de 40 semaines.
L’analyse des données, au terme de l’étude, a montré l’absence de différence signicative (scores à l’YMRS) entre les
2 groupes. De même, les taux de rémission dans les 2 bras
étaient comparables à 52 semaines [13].
Données cliniques dans le trouble
bipolaire
Études en monothérapie versus placebo
Deux études, ARES 3A et 3B [10,11], ont comparé en double
insu, pendant 3 mois, 3 groupes de patients souffrant d’un
trouble bipolaire de l’humeur en phase maniaque ou mixte
avec un score à la Young Mania Rating Scale (YMRS) 20.
Neuf cent soixante-dix patients ont été randomisés
pour recevoir de l’asénapine (10 mg, 2 fois par jour à J1,
puis 5 à 10 mg, 2 fois par jour), olanzapine (15 mg/j à J1
puis 5 à 20 mg/j) ou placebo.
Dès le deuxième jour de traitement, une amélioration
Étude d’adjonction de l’asénapine
à un thymorégulateur
Les patients inclus dans cette étude, en phase maniaque ou
mixte, étaient considérés comme non répondeurs au terme
d’une séquence de traitement de 2 semaines au moins par
thymorégulateur à dose sufsante [14].
Les patients ont été randomisés pour recevoir en plus
du thymorégulateur de l’asénapine ou un placebo.
À 3 comme à 12 semaines, l’amélioration du score à
l’YMRS était signicativement supérieure dans le groupe
asénapine + thymorégulateur.
L’extension de cette étude à 40 semaines, dans le but
d’évaluer la tolérance, n’a pas permis de retrouver une
supériorité de l’association asénapine + thymorégulateur.
Ce résultat est à nuancer car les effectifs à 52 semaines
étaient de 13 patients dans chaque groupe.
Analyse post-hoc
L’analyse post-hoc des résultats des études ARES indique
que l’amélioration des symptômes maniaques sous olanzapine ou asénapine est fortement corrélée aux taux de
réponse et de rémission à 3 semaines [15]. Cette association est davantage marquée pour l’asénapine.
Pour évaluer l’impact de l’asénapine sur la dimension
20
F. Mouaffak
Tolérance
[2]
Les effets indésirables associés avec l’asénapine sont par
ordre de fréquence : la sédation (9,1 %), la somnolence
(8,4 %), l’akathisie (5,4 %), l’hypoesthésie orale (5 %) et la
prise de poids (3,5 %) [9].
Bien tolérée au niveau neurologique, l’asénapine est
associée à une incidence de 10 % de symptômes extrapyramidaux vs 4 % pour le placebo et 9,4 % pour l’olanzapine.
L’incidence des dyskinésies tardives associées à l’asénapine
est de 0,4 % vs 0,2 % chez les patients sous placebo [9].
Sur le plan métabolique, la prise pondérale, sous asénapine, est estimée en moyenne à 0,8 kg vs 3,5 kg sous
olanzapine [13]. Le prol métabolique des patients traités
par asénapine en monothérapie montre des différences
marquées en faveur de l’asénapine versus olanzapine : les
moyennes de cholestérolémie et de triglycéridémie sont
2 fois moins élevées dans le groupe asénapine par rapport
au groupe olanzapine. L’incidence de l’hyperglycémie et
du diabète est de 1 %.
[3]
[4]
[5]
[6]
[7]
[8]
[9]
[10]
Conclusion
Les résultats des études cliniques sur l’efcacité et la tolérance de l’asénapine dans la prise en charge de la phase
maniaque ou mixte du trouble bipolaire de l’humeur conrment l’intérêt suscité par son prol pharmacodynamique.
L’asénapine constitue une option thérapeutique intéressante. Son action sur des récepteurs impliqués dans la
régulation de l’humeur se traduit dans les études cliniques
par un meilleur contrôle de la dimension dépressive. La
tolérance métabolique constitue un avantage important
par rapport aux autres AP2G.
[14]
Liens d’intérêts
[15]
[11]
[12]
[13]
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation
avec cet article.
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Cannabis et schizophrénie
J. Costentin
Professeur émérite de pharmacologie ; directeur de l’Unité de neuropsychopharmacologie, CNRS (1984-2008) ;
président de l’Association française de psychiatrie biologique (AFPB, 2000) ; directeur de l’Unité de neurobiologie
clinique, CHU de Rouen (1999-2010) ; membre titulaire des Académies nationales de médecine et de pharmacie ;
président du Centre national de prévention, d’études et de recherche sur les toxicomanies (CNPERT)
On savait, dès 1845, grâce à Jacques-Joseph Moreau (de
Tours) et son livre Du haschisch et de l’aliénation mentale,
que le cannabis a des connivences avec les troubles psychotiques. Les problèmes sont devenus préoccupants avec la diffusion de cette drogue, l’accroissement de sa teneur en
tétrahydrocannabinol (THC, son principe psychotrope majeur)
et le rajeunissement des premiers usages. Cette situation a
été désignée « pandémie cannabique ». Elle concerne particulièrement notre pays, puisque, nous sommes, parmi les
27 états membres de l’Union européenne, les plus gros
consommateurs : avec 1 500 000 usagers réguliers et
600 000 usagers quotidiens (le plus souvent multiquotidiens).
Outre sa toxicité somatique (cancérogenèse des sphères
ORL et respiratoires, effet immunodépresseur, toxicité
cardiovasculaire avec risque d’artérite, AVC, déclenchement d’infarctus, perturbations de la grossesse et troubles
du développement psychomoteur de l’enfant, cancer du
testicule, etc.), le THC a des effets psychiques délétères. Il
engendre une dépendance psychique et physique ; perturbe
la cognition ; induit anxiété, dépression, toxicomanies à
d’autres drogues et, surtout, ce qui fera l’objet de notre
exposé, a des relations avérées avec la schizophrénie.
Les 2 alertes princeps à cet égard furent celle exprimée
psychique de 50 000 conscrits suédois et qui constatèrent
que ceux ayant fumé plus de 50 joints avant l’âge de la
conscription avaient multiplié par 6 le risque de devenir schizophrène [2]. Cette cohorte, revisitée par Zammit et al. sur
une plus longue période (15 ans), les t aboutir à des conclusions similaires, exprimant qu’une société sans cannabis
compterait 13 % de schizophrènes de moins [3]. En France,
sur les 650 000 cas de schizophrénie attendus (dont on ne
connaît comme tels que 250 000), cela ferait près de
85 000 individus épargnés ! Depuis lors, des dizaines d’études
épidémiologiques ont conrmé ces études séminales.
Comment ne pas être surpris quand on sait que le THC induit
intrinsèquement des délires, hallucinations, troubles de la
perception, troubles de l’attention, décit de la mémoire de
travail et de la mémoire épisodique qui sont consubstantiels
à la schizophrénie [4] ! Il est montré une considérable surreprésentation de sujets dépendants au cannabis dans la population des schizophrènes, jusqu’à 60 % dans certaines études
versus moins de 15 % dans la population générale. Les études
ont montré que :
• le premier épisode est souvent contemporain d’une
consommation plus élevée de cannabis ;
• la poursuite de la consommation de cannabis crée une
22
• l’agressivité est souvent reliée à la consommation de
cannabis ;
• l’antipsychotique perçu comme le plus efcace, la clozapine, était le seul à développer un antagonisme des
récepteurs CB1 du cannabis…
« Plus tôt l’essayer, c’est plus vite l’adopter et plus
intensément se détériorer. » Ce raccourci exprime que la
rencontre précoce avec la drogue accroît son pouvoir d’accrochage et que le cerveau de l’adolescent, en pleine maturation, peut mal vivre sa rencontre avec le THC. Dans l’étude
d’Arsenault, 10 % des 1 000 sujets ayant commencé leur
consommation de cannabis entre 12 et 15 ans étaient schizophrènes à 18 ans [5].
Évoquons les aspects mécanistiques de l’action du
THC. Dans l’aire du tegmentum ventral (mésencéphale),
la stimulation des récepteurs CB1 (récepteurs des endocannabinoïdes) accroît l’activité électrique des neurones
dopaminergiques mésostriataux, ce qui perturbe le ltrage des stimuli, modiant leur tonalité et perturbant
ainsi leur interprétation. De ce fait ,des stimuli normalement non signiants prennent une importance démesurée : « la tache rouge de l’extincteur se mue en un
incendie dévastateur » ; c’est un des mécanismes des hallucinations. Cette stimulation des récepteurs CB1 accroît
aussi l’activité électrique des neurones dopaminergiques
mésolimbiques, suscitant les expressions positives de la
schizophrénie (délire, hallucinations, agitation). La vulnérabilité que révèle le THC paraît procéder d’un trouble
neurodéveloppemental (per gravidique, d’origine virale ?)
affectant le système méso-cortical : elle est à l’origine
d’une hypoactivité qui (par le jeu de boucles cortico-souscorticales, glutamatergiques) susciterait une hyperactivité
des neurones mésolimbiques. Un facteur de vulnérabilité
a été identié par la présence d’une enzyme impliquée
dans le catabolisme de la dopamine, la catéchol-O-méthyltransférase (COMT) : la méthionine en position 158 étant
remplacée par une valine.
Caspi et al. ont montré que, comparés aux homozygotes Met-Met, les consommateurs de cannabis, hétérozygotes Val-Met ont un risque 2,5 fois plus élevé de
développer une schizophrénie, et les homozygotes Val-Val,
un risque multiplié par 10 [6].
La concentration de certains endocannabinoïdes est
anormalement élevée dans le liquide céphalorachidien des
schizophrènes [7].
J. Costentin
Le système endocannabinoïde et ses médiateurs
(anandamide, diarachidonoyl glycérol [DAG], noladin ether,
N arachidonoyl dopamine [NADA], etc.) jouent un rôle
important sur différents aspects de la maturation cérébrale
(la prolifération des ramications cylindraxiles ou sprouting ; la synaptogenèse ; l’élagage des synapses non sollicitées par l’établissement d’une fonction ou pruning, etc.).
Les récepteurs CB1 peuvent être désensibilisés lors de sollicitations produites par le THC qui, loin de mimer l’action
des endocannabinoïdes, les caricature. Ils perturbent en
particulier leurs rôles dans la maturation cérébrale, laquelle
peut s’étendre jusqu’à l’âge de 20 ans [10,11].
Il appartient au monde médical, dût-il déranger les
lobbies qui militent pour la légalisation du cannabis,
d’exercer toute sa pédagogie pour empêcher nos adolescents de consommer cette drogue, pas douce du tout !
Liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation
avec cet article.
Références
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