224
Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 45 (1), 2015, pp. 221-242. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez.
Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 45 (1), 2015, pp. 221-242. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez.
miscellanées
frederico delgado rosa aux archives de l’animisme
Il y avait en particulier deux conceptions fondamentales qui dérivaient
directement de l’idée d’âme et qui permettaient de comprendre le surgissement
de toutes les autres catégories, y compris les diérents types de dieux. D’un côté,
c’était l’animation ou la personnication de la nature, c’est-à-dire l’attribution
d’une âme à des animaux, à des plantes, à des montagnes ou à tous autres
objets extérieurs. D’un autre côté, c’était la formation quasiment spontanée de
la notion d’esprit à partir de la notion d’âme détachée du corps. En somme, ce
n’est pas Dieu qui a créé l’homme à son image, mais l’inverse5. Il n’était guère
surprenant que les ancêtres préhistoriques eussent inventé tout ce qu’il y avait
à inventer en cette matière. Il était même dicile d’admettre que les choses
eussent pu se passer autrement.
Ce qu’il faut relever, c’est que Tylor ne voyait pas le concept d’âme et ses
dérivations comme des étapes de l’évolution religieuse de l’humanité; et qu’il
n’a jamais utilisé l’ethnographie contemporaine dans ce sens-là. Les croyan-
ces élémentaires n’étaient pas remplacées par des créations nouvelles suivant
un ordre séquentiel. Au contraire, toutes les ramications de l’animisme
avaient eu lieu à l’époque préhistorique, c’est pourquoi on pouvait les déceler
parmi les populations les plus primitives encore existantes. L’un des prin-
cipes fondamentaux de l’anthropologie de Tylor était précisément l’idée
de «développement» des diérents articles de foi sauvages. Au lieu d’une
séquence d’étapes, il était question d’une permanence d’idées préhistoriques,
soumises à de nombreuses adaptations progressives, d’ordre moral, philoso-
phique, esthétique, etc. Tylor avait conscience que ces parcours répondaient
aux idiosyncrasies historiques des diérents peuples, mais l’objet principal de
sa recherche était autre. Primitive Culture était avant tout une encyclopédie
des catégories religieuses de l’humanité, à chaque fois repérables à tous les
niveaux de civilisation et, dans ce sens, nous devons en extraire l’image puis-
sante d’un vaste patrimoine idéologique d’origine préhistorique.
Il s’agissait ainsi d’une accumulation originelle de toutes les idées animis-
tes de l’histoire humaine, de la notion d’âme jusqu’aux diérents types de
divinités, en passant par quelques dizaines de catégories qui concernaient la
nature, les fonctions et les attributs d’êtres animés ou spirituels, du totem au
vampire, du fétiche à l’esprit du volcan, de l’ange gardien au dieu de la mer.
La table des matières de Primitive Culture représentait à elle seule une entre-
prise classicatrice6. Malheureusement, cette spécicité de l’évolutionnisme
tylorien a échappé à nombreux de ses lecteurs (aussi bien au e qu’au e
siècle), alors qu’il ne faut pas mettre sur le même pied Tylor et, par exemple,
5 Voir S Jr., 1987, p.195.
6 Le cadre était complété par une référence à la magie, qui n’était point, il faut préciser, un
phénomèneanimisteou religieux, puisqu’elle n’impliquait pas en elle-même des êtres spiri-
tuels. Elle dérivait toutefois d’un processus d’association d’idées tout aussi élémentaire, pour
ne pas dire inéluctable, faisant partie intégrante du patrimoine idéologique préhistorique au
même titre que les manifestations animistes.