LES FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES DE L’ETHNOLOGIE Roger SOMÉ 1 INTRODUCTION La réflexion autour des fondements philosophiques de l’ethnologie s’entend en termes d’histoire de la discipline anthropologique. Il s’agit d’indiquer les principales étapes conceptuelles de la constitution de l’anthropologie, une discipline somme toute relativement récente. Définir les grandes étapes de l’anthropologie c’est, en effet, établir son histoire qui, en l’occurrence passe par la définition de l’objectif de la discipline ou plus exactement de ses motivations. En effet, l’anthropologie sociale et culturelle, dans la mesure où cette science a l’Homme pour objet d’étude, s’ouvre avec la détermination des chercheurs, de reconstituer les différents stades du développement humain, c’est-à-dire de restituer l’histoire humaine à partir de l’étude des hommes contemporains. Il s’agit donc d’étudier la diversité humaine, diversité qui s’entend non seulement sur le plan culturel mais encore sur celui des degrés de développement. Cette perspective suppose une référence au modèle paléontologique en ce sens que l’objectif est de déterminer l’origine des hommes contemporains. En cette orientation, l’anthropologie commence selon une dimension historique fondée sur l’idée du progrès. Il s’agit donc de déterminer l’évolution des hommes. Ainsi, le premier fondement de l’ethnologie fut une philosophie naturaliste, une pensée dominante au XVIIIème siècle. Cette même pensée qui fut nommée évolutionnisme et qui touche à divers domaine, sera appliquée à l’homme, initiant ainsi la science ethnologique. PLAN DU COURS I Les origines de l’évolutionnisme A. Darwin et la théorie de la sélection naturelle B. Les précurseurs de Darwin II L’évolutionnisme A. Objet et méthode B. Les auteurs 2 a. Lewis Henry Morgan b. Edward Burnett Tylor III Le diffusionnisme A. Théories et méthode B. Les auteurs a. F. BOAS et l’anthropologie culturelle américaine b. H. Baumann et D. Westermann c. Leo Frobenius I Les origines de l’évolutionnisme Amorcé dès le XVIIème siècle, le thème du progrès s’impose au XVIIIème siècle comme étant le thème majeur de la réflexion philosophique. Marqués par leur emblème, Les lumières, les philosophes pensent l’humanité sur le mode du mouvement. Celle-ci évolue de manière constante d’un état moindre vers un état meilleur, d’un stade inférieur vers un stade supérieur. Partant de cette philosophie générale de son temps, Turgot (1727-1781) en vient à établir une théorie des stades du développement clairement fondée sur la succession des étapes. Ainsi, le premier stade est celui de la chasse et de la cueillette, le second l’élevage et le troisième l’agriculture. Remarque Ce découpage de l’évolution de l’histoire humaine n’est pas sans rapport au mythe d’origine de la culture judéo-chrétienne selon laquelle l’acquisition des moyens d’existence de l’homme est allée du simple au complexe de l’absence d’effort à la condition d’un effort. On le sait : ce mythe comporte bien évidemment l’argument de la faute originelle commise par Adam et Eve. Cependant, grâce ou à cause de cette faute, il y a dans le processus de l’existence humaine l’idée du progrès. Pour revenir à Turgot, il est à noter qu’il soutient l’existence d’une inégalité dans le principe du progrès qui est général en toute humanité. Si tout « esprit humain renferme 3 le principe des mêmes progrès, la nature a donné à certains une abondance de talent qu’elle a refusée à d’autres ». En outres « les circonstances développent ces talents ou les laissent enfouis dans l’obscurité ». De là viendrait l’inégalité entre les nations (Cf. « Le progrès de l’esprit humain », in Écrits économiques). Cette position de Turgot manifeste un mélange de deux philosophies : celle de Descartes (1596-1650) et celle de Montesquieu (1689-1755) son contemporain. En effet, Descartes affirmait comme principe de la bonne conduite du raisonnement en vue de l’accession à la vérité que le « bon sens » ou raison est la chose la mieux partagée. Chaque sujet en a reçu en part égale. Toutefois, ce qui introduit la différence, voire l’inégalité entre les sujets vient de ce que certains en font bon usage et d’autres un mauvais usage. Les uns l’appliquent bien et les autres mal. Mais on notera que pour Turgot l’inégalité n’est pas le fait unique de la nature qui dispense les talents à certains hommes et en refuse à d’autres. L’inégalité vint aussi des circonstances qu’il faut entendre comme étant aussi bien sociales que physiques. Et, en cette dernière occurrence, sa pensée est proche de celle de Montesquieu, en particulier le Montesquieu de la théorie des climats. Pour lui, en effet, les mœurs, les coutumes, les lois et les caractères des peuples sont déterminés par la nature des climats. Ainsi en Chine « des causes tirés de la plupart du physique du climat ont pu forcer les causes morales dans ce pays, et faire des espèces prodiges. Le climat de la Chine est tel qu’il favorise prodigieusement la propagation de l’espèce humaine » (cf. De l’esprit des lois L. VIII, chap. 21, Œuvres Complètes, Gallimard p. 366-367, Pléiade). De même « les Indiens sont naturellement sans courage : les enfants même des Européens nés aux Indes perdent celui de leur climat » Ibid., p. 478. Mais en quoi le climat des Indes ne serait-il pas le leur ? Pourrait-on rétorquer à Montesquieu. Conformément à la pensée naturaliste, l’histoire humaine est le fait d’un déterminisme naturel. Aussi, ces thèses qui soutiennent l’idée d’une influence de la nature, du milieu, sur le devenir de l’homme trouvent un appui du côté de la biologie et notamment dans le transformisme lamarckien (1744-1829). Pour Lamarck, l’action du milieu sur les êtres vivants, contraint ceux-ci à s’adapter. En s’adaptant à l’environnement, ils résistent à une perturbation exogène grâce à une modification de leur structure biologique. D’où cette loi selon laquelle « rien ne se perd rien ne se crée ; tout se transforme ». Le transformisme induit ceci que l’existence des différents êtres vivants résulte d’un processus de transformation provoqué par 4 l’interaction entre le milieu et le vivant. Mais cette interaction est inéluctable et nécessaire ; c’est le principe-même du déterminisme. Le modèle biologique qui sera déterminant pour la formation des sciences sociales, en particulier la sociologie avec Herbert Spencer, trouve son accomplissement dans la pensée de Darwin qui devient la référence inévitable. A. Darwin et la théorie de la sélection naturelle Avant-dernier fils d’une fratrie de six, Charles Darwin est né à Shrewsbury en 1809. Il étudia à Edinburgh puis à Cambridge où il obtient ses grades universitaires en 1831. Il avait alors 22 ans. Âge auquel il embarqua sur le Beagle du Capitaine Fitzroy partit explorer l’Amérique du Sud et les Îles du Pacifique. Dans cette expédition qui dura 5 ans (1831-1836), Darwin avait la qualité de naturaliste. C’est ce qui justifia sa participation à l’expédition. Au cours de ce voyage, il fit de nombreuses observations notamment aux Îles Galápagos où il découvre des animaux vivants qui ressemblent à des fossiles trouvés ailleurs dans le monde. Il envisagea alors l’hypothèse d’une mutation des espèces animales s’opposant ainsi à la thèse de la « fixité » et de la « création séparée » soutenue par l’Église. Bien qu’ayant commencé la rédaction des notes de son voyage en 1837, soit un an après le retour, il ne réalisa aucune publication majeure touchant la théorie de l’évolution. Et pour cause, Darwin voulait vérifier toutes les hypothèses, rassembler toutes les preuves avant de porter son œuvre à la connaissance du public. Il était un savant d’une grande méticulosité. Cependant, un événement non négligeable viendra mettre en cause son humilité. En effet, le 18 juin1858 il reçut d’Alfred Wallace un bref essai qui contenait l’essentiel de sa propre théorie, celle de l’origine des espèces. Darwin. Ce dernier devait soumettre le manuscrit à l’appréciation de son maître devenu son ami et dénommé Lyell qui avait lui-même proposé une interprétation naturaliste de l’origine des espèces dans ses Principes de géologie. Darwin qui raconte cet épisode dans l’introduction à l’origine des espèces, affirme avoir communiqué l’essai à Lyell ainsi qu’à Hooker, ses amis qui avaient connaissance des travaux de Darwin pour les avoir lus en manuscrit et pour en avoir demandé sans succès la publication. 5 Après la lecture du texte de Wallace, Lyell et Hooker présentèrent à la Linnean Society, un texte cosigné par Darwin et Wallace. Cet écrit portait sur la théorie de l’évolution par la sélection naturelle avec une brève référence aux travaux antérieurs de Darwin (de 1840 à 1843 il eut les notes de voyage ; 1851 une monographie des Cirripèdes1). Depuis cette publication collective, son nom est attaché à la théorie de l’évolution par la sélection naturelle. Dans le fond ceci n’est que justice rendue car un an plus tard, c’est-à-dire après l’épisode qui lui fit prendre conscience du risque qu’il prenait à ne pas publier ses travaux, Darwin offre au public une version abrégée de ce qu’il appelait l’œuvre de sa vie. 1859 est en effet l’année de la parution de l’ouvrage intitulé : Sur l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle où la préservation des races favorisées dans la lutte pour la survie. C’est ce texte que nous connaissons désormais sous le titre réduit de : L’origine des espèces. En 1868 paraît la Variation chez les animaux et les plantes domestiques, soit 3 ans après l’ouvrage d’Edward Burnett Tylor consacré à l’analyse des mythes comme origine de l’histoire humaine et du développement de la civilisation. En 1871 Darwin publie La descendance de l’homme, ouvrage dans lequel il applique à l’espèce humaine sa thèse du changement des variétés animales dans le temps. Dès lors, il devient un criminel aux yeux de l’Église, situation qu’il avait bien pressentie car en 1859, à l’occasion de la parution de L’Origine des espèces, il déclara : « Je me fais l’effet d’avouer un meurtre ». Ce meurtre est celui de Dieu car si l’homme descend de l’animal, la source de création de l’être en général est unique. Elle a, en dépit de la diversité des espèces, une origine commune et n’est pas l’œuvre de Dieu puisque nous en avons des preuves dans la nature. Mais avant tout commentaire de cette théorie voici en résume les principales hypothèses de la théorie darwinienne : 1. Les espèces évoluent sans interruption. Les unes disparaissent et les autres naissent. Le vivant est soumis à des perpétuels changements dont la cause est distincte de toute intervention divine. 2. Les processus évolutifs sont lents et il n’est pas utile de supposer l’émergence d’un phénomène exceptionnel qui viendrait supprimer la plupart des espèces puis la création de nouvelles. Ces deux hypothèses reviennent à son prédécesseur Lamarck à qui Darwin rend hommage avant de développer la suite de sa théorie. 1 Ce terme désigne des crustacés marins possédant 3 à 6 paires de pattes. 6 3. Darwin affirme le postulat d’ascendance commune qui confère à la vie sur terre une origine unique. Ainsi, tous les vivants ont un ancêtre, le même, l’unique. Par ce postulat se trouve affirmé la descendance animale de l’humain. L’homme est donc le résultat de l’évolution d’un autre animal en l’occurrence le primate. Affirmer que l’homme est un animal n’est pas nouveau, nous le savons depuis Aristote (Zoov politikov). Mais l’affirmer avec des preuves à l’appui c’est-à-dire en tant que scientifique et non pas comme philosophe, c’est une position révolutionnaire pour l’époque. C’est une vérité qui remet totalement en cause les fondements de la société occidentale qui sont profondément religieux. Autrement dit, c’est contesté la vérité religieuse et, par conséquent, les valeurs sociales en vigueur. En prenant cette position révolutionnaire, Darwin affirme l’autonomie de sa pensée à l’égard de ses prédécesseurs. Et comme pour le confirmer davantage, il va étayer son argumentation à l’aide des travaux d’autres disciplines en l’occurrence la démographie. En effet, pour avoir lu Thomas R. Malthus [par exemple Principes de la population (1798)] Darwin sait que le rythme de procréation des animaux surpasse leur moyen de subsistance. C’est exactement la théorie de Malthus selon laquelle la population connaît une croissance géométrique (rapide) tandis que les subsistances ont une croissance arithmétique (lente). Cette disparité des progressions provoque un déséquilibre qui conduit à la famine. Confrontés à cette situation et à la compétition pour la vie, les faibles sont ceux qui périssent. Ainsi, il peut formuler la quatrième hypothèse. 4. L’évolution ne résulte pas d’une quelconque tendance à la perfection et à l’adaptation ; elle résulte d’une sélection. Il en donne la preuve par la pratique des éleveurs qui, pour acquérir de nouvelles variétés, opèrent un tri systématique et prolongé parmi les organismes créés et à chaque génération. Si les éleveurs agissent selon leurs goûts et besoins, la nature sélectionne selon les exigences du milieu c’est-àdire selon un principe de nécessité qui, ainsi, assure la continuité de la vie. B. Les précurseurs de Darwin Comment des hypothèses de Darwin en est-on arrivé à l’homme ? Comment d’une théorie biologique en est-on venu à en déduire une théorie sociale ? La tradition de l’histoire de la pensée en sciences sociales attribue à Herbert Spencer (1820-1903) la responsabilité d’une application du darwinisme à la société. Mais 7 certains reprocheront à Spencer d’avoir réalisé une lecture biaisée de Darwin extrayant ainsi chez lui ce qui l’arrange. C’est le propos que défendent Françoise Parot et Marc Richelle dans leur introduction à la psychologie, PUF Paris (1992) 1998, p. 142. Ces auteurs affirment, une absence, chez Darwin, de l’idée de progrès et « de toute ambition d’une application de sa théorie biologique aux phénomènes sociaux ». Pourtant, il est clair, comme nous l’avons vu à travers les quatre hypothèses darwiniennes, que l’homme est l’aboutissement de la transformation d’un vivant parti d’un stade inférieur à un stade supérieur, celui de l’homme. Dans ce processus, il est inévitablement exprimé l’idée de progrès. En effet, il est impossible de soutenir l’absence d’une idée de progrès chez Darwin dans la mesure où l’homme descend du primate qui lui-même descend d’un vivant précédent. C’est le propos de la Descendance de l’homme (1871) où Darwin expose les similitudes entre les processus mentaux des animaux et ceux des hommes pour finir par distinguer les autres animaux de l’homme en établissant en celui-ci la présence d’une conscience morale. Par ailleurs, il n’est pas possible de nier le principe de la sélection naturelle qui consiste à ne préserver que le plus fort. C’est un principe fondé sur la nécessité. Il n’y a aucun choix. Pour le dire plus précisément le choix est celui de la nature. Selon la règle de la sélection naturelle, fondée par ailleurs sur le motif de la lutte pour la vie, ce qu’affirme bien Darwin (hypothèse 4), seul le plus fort qui est aussi le plus apte à l’adaptation, c’est-à-dire le mieux armé pour vaincre l’adversité, survit. Cette thèse est celle de Darwin et non pas une certaine lecture de Darwin par Spencer. Voici ce qu’écrit Darwin : « Je crois devoir ajouter ici quelques remarques relatives à la sélection naturelle sur les nations civilisées. M. W. R. Greg et antérieurement Wallace et Galton ont admirablement discuté sur le sujet. J’emprunterai donc la plupart de mes remarques à ces trois auteurs. Chez les sauvages, les individus faibles de corps ou d’esprit sont promptement éliminés, et les survivants se font remarquer par leur vigoureux état de santé. Quant à nous, hommes civilisés, nous faisons, au contraire, tous nos efforts pour arrêter la marche de l’élimination. (…) Nous devons donc subir, sans nous plaindre, les effets incontestablement mauvais qui résultent de la persistance et de la propagation des êtres débiles » La descendance de l’homme, éd. Librairie C. REINWALD, 1874. Préface de Carl Wogt, p.145-146. Ce passage est très explicite. Il témoigne bien de l’idée de progrès et qui, plus est, de l’idée de perfectibilité, voire de perfection, idée maîtresse qui sera au fondement de la science de l’amélioration des « races » ou eugénisme, œuvre de son cousin Francis Galton que Darwin cite par ailleurs. 8 En conséquence, nous devons reconnaître à Spencer (1820-1903), et en dépit des critiques, sa contribution à la construction de la théorie évolutionniste. En effet, Herbert Spencer affirma avant même la publication de L’Origine des Espèces, c’est-à-dire en 1852, l’hypothèse d’une évolution de la matière. Pour lui, la matière évoluait du simple au complexe passant d’un stade homogène à un stade hétérogène. Spencer a formulé cette hypothèse d’abord à partir de la lecture de Lyell, le maître de Darwin, et non pas en celle de Darwin. En effet, c’est à la lecture des principes de géologie de Lyell en 1840 que Spencer découvre ceci que « les formes organiques étaient le résultat de modifications progressives, héréditaires et d’origine physique » (Kardiner& PREBLE, 1966 : 50). Ensuite à partir de la loi de Baer – c’est la plus importante référence pour la naissance de sa théorie – selon laquelle la matière passe de l’homogénéité à l’hétérogénéité, il va conforter sa théorie. Autrement dit, la matière va de la cellule embryonnaire uniforme qui assure toutes les fonctions de l’organisme à un organisme plus élaboré composé d’une variété de structures aux fonctions multiples. À ce stade, la vie de l’organisme dépend des rapports et des interactions entre les différentes structures qui les composent. À ces rapports s’ajoutent ceux qui s’établissent entre l’organisme et le milieu extérieur. Comprenant que l’évolution de l’homogène (l’individu) en hétérogène (la collectivité) est un processus de multiplication tant de la grandeur que de la complexité, Spencer réalise que cette loi est applicable à tous les phénomènes et peut-être plus particulièrement aux phénomènes sociaux. C’est le propos qu’il soutient dans Hypothèse de développement, et au nom duquel Jacques Lombard le classe parmi l’un des pionniers à utiliser les « termes comme « corps social » ou « organes sociaux » et même celui, si vulgarisé par la suite, de structure pour désigner la complexité d’un ensemble » (1994 : 33). En résumé, Spencer fut pour certains, un penseur peu original, un penseur pourtant considéré en son temps comme étant un éclaireur. Travailleur infatigable, Spencer sut offrir au public dans une langue accessible, la synthèse de la pensée dominante de l’époque. Et il aurait si bien fait que certains en son venus à l’installer sur un piédestal comme le fit un journal en Angleterre, Le spectateur chrétien : « Comme Moïse descendant de la montagne, cette philosophie positive [il s’agit de la Philosophie synthétique, ouvrage achevé en 1896 et comprenant Les premiers principes (1862), la biologie, la sociologie et une philosophie morale] nous vient avec un voile sur le visage, qui dissimule un moment son rayonnement trop divin. C’est la science qui ayant 9 conversé avec Dieu, porte à la main Sa loi, gravée sur la pierre. » (Kardiner&Preble, 1966 : 52-53). En somme, Spencer, comme les penseurs de son temps, fut marqué par la tendance de l’époque, principalement orientée vers la question du progrès et, par conséquent, de l’évolution du vivant. Dans cette préoccupation générale que fut celle de la provenance et du devenir des êtres vivants, il souscrit à la direction dominante en affirmant, plus que d’autres, l’application des théories naturalistes aux sociétés. Autrement dit, la société est un corps organique, un vivant. Par conséquent elle est soumise à l’évolution. Cette hypothèse présuppose l’existence d’un stade inférieur de la société. Ce stade inférieur ou archaïque, comme nous le verrons, est celui que l’on retrouve au sein des peuples dits sauvages. Du coup, l’homme civilisé de la moitié du 19ème siècle est le contemporain de l’homme sauvage qui vit hors d’Europe, en Afrique, en Amérique ou encore en Océanie. C’est alors la naissance de l’ethnologie qui aura bien évidemment pour premier courant l’évolutionnisme. II. L’ethnologie et son objet dans l’évolutionnisme A. Objet et Méthode a. Objet La jeune science qui naît sous l’égide de l’évolutionnisme à partir du début de la seconde moitié du 19ème siècle (1850-1910) est l’ethnologie. Elle se donne pour objet l’étude des différents peuples qui se sont succédé dans le temps et que l’on retrouve dans le monde entier à des niveaux inégaux de développement culturel entendu comme progrès général de l’humanité. Autrement dit, l’homme existe dans différentes aires géographiques et appartient à des civilisations qui se distinguent et, de fait, appréhendées comme inférieures ou supérieures les unes des autres. Autrement dit encore, il est posé comme hypothèse de départ, voire comme postulat, que certains hommes sont civilisés et que d’autres ne le sont pas. D’où cette grande idée évolutionniste selon laquelle l’homme contemporain des sociétés archaïques est le reflet de nos ancêtres et leur société celle que nous avons connue jadis (Lombard, p. 33). En cette perspective, l’objet principal de l’ethnologie ne peut être envisagé autrement que relativement à l’histoire. Il s’agit donc, pour la recherche ethnologique, 10 d’expliquer historiquement les conditions qui sont à l’origine de la transformation des institutions et des faits sociaux. Qu’est qui, sur les plans naturel, technique, social ou encore intellectuel, a pu déterminer le sens de l’évolution de l’humanité ? Comment les transformations se sont-elles opérées ? Comment se manifestent-elles dans les différentes organisations sociales, les formes politiques, les croyances ou encore les systèmes de parenté. L’objet ainsi défini contient la méthode de la jeune science. b. La méthode Conformément à son objet, la méthode ethnologique dans cette moitié du 19ème siècle est nécessairement historique. Elle est de type archéo-logique. En d’autres termes, la définition de la logique ontologique et de la structure des sociétés du présent s’élabore, se construit, à partir d’une maîtrise du passé. Nous ne pouvons avoir une meilleure connaissance du contemporain que dans la mesure où nous avons connaissance du processus d’élaboration de ce même contemporain comme état présent de la chaîne de l’évolution. Mais cette méthode contient dès le départ, c’est-à-dire dès le moment même de la définition de l’objet, une difficulté qui s’avèrera être sa principale faiblesse. En effet, pour l’évolutionniste, les sociétés archaïques nous indiquent le chemin suivi par les sociétés civilisées. Or celles-là se distinguent géographiquement de celles-ci. Dit autrement, les sociétés archaïques sont les sociétés lointaines relativement aux nôtres. Ce sont celles des contrées d’Afrique, d’Asie, des Amériques et d’Océanie. Outre cette distinction d’ordre spatial, il faut bien évidemment ajouter ce critère dénotatif d’un bas niveau d’évolution, l’une des marques de leur archaïsme, qu’est l’absence d’une écriture. En somme, l’application d’une méthode historique à un environnement dépourvu de l’écrit, ou plus exactement considéré comme tel, est de fait condamné à être autre chose qu’elle-même. Ainsi, l’histoire chez l’évolutionniste devient une conjecture. Les hypothèses ne franchissent pas le seuil de la supposition. En cela elles demeurent franchement incertaines, ne pouvant être vérifiées en raison du manque des moyens de vérification (voir La descendance de l’homme p. 156-157). Ainsi la supposition étant le fondement de la méthode évolutionniste celle-ci aboutit à l’établissement d’un schéma évolutif archaïque unilinéaire. Une conclusion qui bafoue toute logique du bon sens. Car, si la ligne de l’évolution est linéaire et identique 11 pour toutes les sociétés (les archaïques contemporaines indiquant le stade par lequel sont passées les civilisées) comment expliquer la diversité, l’inégalité des niveaux de développement des sociétés contemporaines. Ce constat interrogatif insoluble témoigne du caractère inapproprié de la méthode évolutionniste dont l’intérêt, c’est-à-dire sa contribution à la construction de l’ethnologie, est à chercher ailleurs. Par exemple dans la pensée des différents auteurs qu’il nous faut examiner à présent. B. Les auteurs a) Lewis Henry Morgan Né en 1818 et mort en 1881 (sur la biographie se reporter à Leslie A. White in Introduction à Ancient Society, Cambridge 1964), Morgan est sans aucun doute un des plus grands théoriciens de l’évolutionnisme en anthropologie. Pour Alain Testart, auteur de la « préface » à La société archaïque son ouvrage est « probablement le livre le plus important de toute l’histoire de l’anthropologie sociale » (p. 1) et son auteur « le fondateur de l’ethnologie en tant que science » (p. IX), selon Raoul Makarius qui présente la société archaïque. Créateur de la première chaire d’anthropologie à Rochester dans l’État de New York, Morgan s’intéressa assez tôt aux populations dites primitives au point de publier dès 1851 La ligue des Iroquois, ouvrage dans lequel il traite des systèmes sociaux et politiques fondés sur les relations de parenté entre les groupes. Ainsi, par son hypothèse, il ouvrit la voie à une réflexion qui permettra d’établir que le politique n’est pas un fait réservé aux organisations étatiques et que l’idée d’une société acéphale, par exemple, est insoutenable comme cela s’est imposé au XXème siècle. Fondateur donc de la science ethnologique, Morgan pense la discipline sur le mode historique même si cette histoire n’est faite que de conjectures malgré une observation directe des faits. En effet il a vécu parmi les Iroquois appliquant ainsi sans le savoir, une méthode de recherche qui verra le jour après lui. Défenseur de la théorie évolutionniste, Morgan affirme cette vérité première selon laquelle « L’histoire de l’humanité est une, quant à la source ; une quant à l’expérience ; une quant au progrès ». (cf. Avant-propos de La société archaïque, Anthropos, Paris, 1985, p. 46). Ainsi, le 12 principal auteur de l’évolutionnisme anthropologique ne saurait déroger à la règle : l’évolution de l’homme ne connaît qu’une seule origine et épouse une forme linéaire. D’où l’antériorité du simple par rapport au complexe que Morgan illustre par la linguistique. Selon lui les mots monosyllabiques auraient précédés les mots plurisyllabiques. Selon sa conception, du reste conforme à la pensée générale de l’époque, l’être présent renvoie à une forme antérieure, à une existence précédente. Dès lors, l’évolution de l’humanité chez Morgan se conçoit selon trois états qui sont liés et qui vont du plus primaire au plus élaboré. Ces états sont : le sauvage, le barbare et le civilisé. À l’intérieur des deux premiers états, Morgan distingue trois sous états qui sont : l’ancien, le moyen et le récent. Dans le dernier il voit deux états : ancien et moderne. À chacun de ces sous états il fait correspondre un stade de la société. Ainsi à l’état sauvage il y a le sauvage ancien auquel correspond le stade inférieur ; puis le sauvage moyen auquel correspond le stade moyen et le sauvage récent qui a le stade supérieur en correspondance. Il en est de même de la barbarie. Le stade inférieur de l’état sauvage ou sauvage ancien est, dit Morgan, « l’enfance de la race humaine » (cf. La société archaïque, p. 8). C’est l’époque de la cueillette : les hommes se nourrissent de fruits et de noix. Cet état qui n’existe plus, car aucun exemple de populations connues ne peut être cité a connu sa fin avec l’apparition du feu et de l’utilisation du « poisson comme moyen de subsistance » La fin du sauvage ancien donne naissance au sauvage moyen qui débute avec le feu et se termine avec l’invention de l’arc et de la flèche. Ce stade a pour exemple d’hommes connus « les Australiens et presque tous les Polynésiens », écrit Morgan (p. 9). Le sauvage supérieur commence avec l’invention de l’arc et de la flèche, d’où la chasse, et se termine avec l’apparition de la poterie. Les tribus de la vallée de la Colombie, des côtes d’Amérique du Nord et du Sud sont les hommes de cette période. Avec eux prend fin la période sauvage à laquelle succède la période barbare. Le barbare inférieur n’est pas fondamentalement distinct du dernier stade de la sauvagerie. Toutefois, la logique de l’évolution du genre humain est conservée car, dit Morgan, les peuples qui ont connus la poterie mais qui « n’ont jamais possédé d’alphabet phonétique ni utilisé l’écriture seront considérés comme barbares ». Autrement dit, l’écriture et/ou l’alphabet est un facteur discriminant qui, selon qu’on la possède ou non, fait passer le sauvage dans l’état de la barbarie ou le maintient en son 13 état. Mais dans le fond, il n’existe pas une différenciation entre le barbare inférieur et le barbare moyen. Remarque : On sent dès ici la difficulté pour l’évolutionnisme d’affirmer une origine unique et linéaire de l’évolution humaine. En effet, si une logique se dégage clairement dans le passage du sauvage inférieur au sauvage moyen puis au sauvage supérieur, malgré une absence de démonstration avec preuve, on notera que le début du sauvage ancien n’est pas indiqué ou pour être précis, il est vaguement suggéré. Celui-ci remonte à « l’enfance de l’humanité ». De même, le barbare inférieur ne découle pas nécessairement du sauvage supérieur et on constate l’hésitation de Morgan par la présentation peu éclairante du premier stade de la barbarie. Écoutons Morgan : Toutes choses bien considérées, l’invention et l’usage de la poterie constituent probablement le critère le plus sûr et le plus décisif qu’on puisse choisir pour fixer une ligne de démarcation, nécessairement arbitraire, entre la sauvagerie et la barbarie. La distinction entre les deux états a été faite depuis longtemps [quand ? Cela est assez vague comme on peut le constater], mais on n’a trouvé jusqu’à présent aucun critère permettant de définir le progrès que marque le passage du premier au second [alors par quoi constate-t-on que « la distinction a été faite depuis longtemps » ?]. Par suite, toutes les tribus qui n’ont jamais connu l’art de la poterie seront considérées comme sauvages, et celles qui l’ont pratiqué mais n’ont jamais eu d’alphabet phonétique ni utilisé l’écriture seront considérées comme barbares »2 Ainsi pour distinguer cette période du barbare moyen il y a une difficulté, celle de l’inégalité des ressources entre ce que Morgan appelle les hémisphères, orientale et occidentale. Par ce découpage général et le choix arbitraire de la domestication et de l’irrigation des champs il parvient à distinguer le stade inférieur du stade moyen de la barbarie. En conséquence les peuples qui connaissent la domestication des animaux, l’irrigation et l’usage de la brique et de la pierre dans la construction des habitats appartiennent au stade moyen de la barbarie. Celui-ci se termine avec les techniques de fusion du minerai en l’occurrence le fer. À ce stade les exemples sont disséminés un peu partout en Amérique centrale, en Europe, avec les Bretons anciens notamment. Mais au même moment, certaines tribus demeurent au stade inférieur toute en appartenant à l’espace de celle du stade moyen. C’est le cas des Indiens des États-Unis 2 La société archaïque, p. 9. Les passages entre crochets sont nos commentaires. 14 qui vivent à l’Est du Missouri ainsi que certaines tribus d’Europe et d’Asie qui connaissent la poterie mais ignorent la domestication des animaux. Où situer cette linéarité de l’évolution ? Pourquoi dans un même espace certains sont-ils plus évolués que d’autres ? L’arbitraire apparaît comme étant le seul véritable critère par quoi les distinctions sont établies. Ainsi le stade supérieur de la barbarie est marqué par la fabrication du fer par quoi il débute pour s’achever avec l’invention d’un alphabet phonétique et l’usage de l’écriture dans les œuvres littéraires. Notons tout de même que ce stade qui clôt le barbare supérieur et ouvre le monde civilisé est marqué à la limite supérieure par un critère (l’écriture) qui, au stade inférieur de la barbarie, distinguait le monde sauvage du monde barbare sans pour autant être un critère de la période barbare. En somme, il y a dans cette première présentation générale de l’évolution du genre humain des difficultés logiques quant à la clarté du système. Pour mieux comprendre la thèse de Morgan quant à l’évolution, il faut examiner la famille comme mode d’organisation des groupes sociaux. .L’organisation sociale selon Morgan Partant toujours de l’existant pour rechercher les formes antérieures de l’évolution, Morgan voit dans la famille le 1er niveau d’organisation. Aussi, la famille monogame qui nous est familière, correspond à l’ultime stade d’une forme première. Mais cette affirmation n’est pas sans fondement contrairement à la théorie des stades qu’expliquent les degrés d’invention des peuples. Cette affirmation est le résultat d’une observation sur le terrain chez les Indiens Iroquois. S’étant intéressé à la langue, Morgan constate l’utilisation de termes qui désignent plusieurs personnes. Il en déduit le fonctionnement des relations entre les individus. Ces relations s’effectuent dans une unité sociale qu’est la famille. Ainsi, Morgan distingue 5 types de famille : 1. La famille consanguine : elle est fondée sur le mariage entre frères et soeurs dans un même groupe. Selon la logique de pensée évolutionniste, nous pourrions soutenir aujourd’hui que le mariage croisé matrilatéral est une survivance de la famille consanguine. 15 2. La famille punaluenne3 : elle st fondée sur le mariage entre les sœurs germaines avec les maris de chacune d’elles ou sur le mariage entre frères germains avec les femmes de chacun d’eux. Autrement dit, le groupe des hommes, ayant entre eux une relation de parenté, est collectivement marié à celui des femmes dont les membres ont aussi entre eux une relation de parenté. Dans ce sas, le mariage reste endogamique mais comporte néanmoins des éléments exogènes. Remarque : On peut noter ici une préfiguration du lévirat comme continuité de la relation de parenté entre deux frères après la mort de l’un d’eux. En effet, et aujourd’hui encore en Afrique, par exemple, la femme d’un homme est aussi celle de son frère. Du point de vue de la terminologie de parenté, elle appelle mari chacun des deux hommes. À la mort du mari qui était désigné mari socialement peut devenir un mari conjugalement (c’est donc la pratique du lévirat). Toutefois, de nos jours, cette pratique à tendance à disparaître. 3. La famille syndiasmienne ou famille formée par un seul couple dont les époux n’habitaient pas seuls ensemble. Le mariage durait aussi longtemps que les conjoints le désiraient. 4. La famille patriarcale : un homme avec plusieurs épouses suivi de la réclusion des femmes. 5. La famille monogame : elle est fondée sur le mariage d’un seul couple. Les époux habitant ensemble, seuls. C’est la famille occidentale qui est encore en vigueur aujourd’hui et qui semble s’étendre au monde entier malgré les chocs des cultures. Observations : le premier type (famille consanguine) et le second (punaluenne) relèvent de la période sauvage et peuvent être regroupées dans la catégorie de la famille consanguine. Les peuples chez qui nous la trouvons sont les Australiens et les polynésiens. La 3ème et la 4ème sont deux types intermédiaires qui n’auraient aucune influence sur le progrès humain. Enfin les trois autres sont les formes familiales qui ont eu une influence considérable sur l’humanité car ayant crée des systèmes de consanguinité qui ont subsisté. 3 Cette expression vient du terme punalua qui, chez les Hawaïens, de l’époque de Morgan, désigne une relation dans laquelle « des frères ou des sœurs avaient tendance à mettre en commun leurs femmes ou leurs maris respectifs » (cf. La société archaïque, p. 490-491) 16 Remarquons pour terminer que Morgan établit les types de famille non pas en étudiant la structure organisationnelle des groupes mais en observant les appellations des individus entre eux. Ainsi, pour avoir constaté que « père » ou « mère » servent à désigner les frères du premier et les sœurs de la seconde, Morgan en déduit que ce système de terminologie est la survivance d’un état antérieur de promiscuité familiale et de communauté sexuelle. D’où l’existence de la famille consanguine. Autrement dit, ce n’est pas le mariage qui induit les relations de parenté mais l’inverse. Du moins au départ dans le système de Morgan. L’importance de la découverte de Morgan à partir de l’étude des Iroquois, réside dans la fondation de la parenté comme socle de la science ethnologique. En effet, le système de parenté découvert par Morgan avec les Iroquois lui a permit de construire une théorie de la parenté en deux pôles que sont : le système classificatoire et le système descriptif. Dans le système classificatoire, ego désigne le père, le frère du père et certains cousins par le même terme. Il en est de même de la mère de la grand-mère, du grandpère, etc. Autrement dit, à chaque fois qu’ego désigne son père il désigne non seulement un individu mais encore une collectivité c’est-à-dire une catégorie ou « classe » pour reprendre le terme de Morgan d’où le système classificatoire. La désignation est donc toujours une classification. À ce système classificatoire, Morgan a opposé un autre que l’on trouve dans des populations à des niveaux culturels élevés. Il a appelé « descriptif » ce système car il s’attache à décrire le niveau individuel de la relation de parenté. Dans ce second système les termes « père », « mère », « fils », « fille » ou encore « sœur », par exemple, désignent chacun des relations individuelles de parenté. La combinaison de ces termes permet de désigner les parentés pour lesquelles la langue n’offre pas un terme précis. Cette combinaison est en effet une description de la nature et/ou du degré de relation qu’ego entretient avec la personne concernée. Par exemple puré pog ya bié en dagara devient : fils de la fille de la sœur du père (FsFlSP). Dans ce cas il s’agit d’une personne mâle de la lignée maternelle du père. Dans cette description il y a au fond une classification. Chacun des termes renvoie à une classe qui, ainsi, regroupe plusieurs individus ayant chacun et collectivement la une relation de parenté avec ego. On pourrait donc dire que le système descriptif classe en décrivant. En somme le système de parenté que propose Morgan, semble inhérent aux 17 sociétés matrilinéaires où le système classificatoire ne peut être appliqué qu’à des classes excluant tout apparenté ce qui est impossible. Dans cette découverte de système de parenté en cette époque marquée par la théorie évolutionniste et en raison d’une maîtrise insuffisante de la structure et des attitudes des sociétés étudiées, Morgan en est venu à proclamer la promiscuité familiale et la communauté sexuelle. Le fait que le fils du frère d’ego appelle ce dernier père ne prouve pas qu’il a aussi pour femme la mère de l’enfant. Ce qui est déterminé dans cette appellation est bien évidemment le rôle social que joue ego auprès de l’enfant. À l’exception de cette méprise excusable à Morgan, il faut lui reconnaître le mérite d’avoir fondé l’ethnologie avec le système de parenté demeuré depuis le domaine classique de la discipline. Domaine classique certes mais aussi central d’où procèdent les autres champs : l’échange matrimonial, la succession ou transmission des biens, la structure sociale des sociétés lignagères, etc. Morgan, comme bien d’autres évolutionnistes, a défendu la théorie du progrès de l’humanité soutenant ainsi l’existence de peuples inférieurs. Nous savons désormais les conséquences, encore aujourd’hui, de l’influence des idées évolutionnistes sur les rapports humains et notamment de l’idée que l’on se fait de l’Autre, du Différent, y compris du Différent proche. Notre devoir est donc de connaître ses idées. Et notre responsabilité est de les combattre en ne retenant d’elles que ce qui est profitable à l’homme d’où la nécessité de les examiner. b. Edward Burnett Tylor (1832-1917) ou la relativité anthropologique à l’époque évolutionniste. Né à Camberwell (Angleterre le 2 octobre 1832), Tylor appartient à une famille quakers dont de mœurs libres. Quakers désigne, en effet, une société religieuse fondée par Georges Fox au 17ème siècle. Considérée comme étant une secte, ces membres subirent une persécution qui les conduira à s’installer en Amérique à partir de 1654. Philanthropes, pacifistes, et rejetant le clergé, les quakers pratiquent un culte silencieux, sans rites, qui met l’accent avec la rencontre directe avec Dieu. D’où le refus du clergé qu’ils perçoivent comme une médiation entre Dieu et les croyants. On estime aujourd’hui à 200.000 Quakers dans le monde dont 110.000 aux États-Unis et 40.000 en Afrique notamment au Kenya. 18 Façonné par une éducation libre, loin du formalisme, Tylor ne parviendra pas à intégrer l’université qui n’accueillait que les jeunes de foi orthodoxe. D’ailleurs sa scolarité qui s’achève à l’âge de 16 ans n’a eu lieu qu’au sein d’une école dirigée par les Quakers. Ainsi, Tylor se retrouve dans la vie active en travaillant dans l’entreprise familiale, une fonderie de cuivre. Mais cette activité professionnelle s’arrête à 23 ans en raison d’une santé fragile. Il décide alors d’aller découvrir le monde et à commencer par les États-Unis. En 1856, il se rend à Cuba où, dans un autobus de la Havane il fit la connaissance de Christy, un archéologue et quakers qui l’invite à l’accompagner au Mexique. Ce voyage au qui ne durera que 6 mois fut pourtant fort instructif pour Tylor. Les découvertes de l’expédition archéologique de cultures anciennes lui ont suggéré le développement de la société. Il remarqua l’existence de pratiques et de coutumes toujours vivaces et comparables aux us et coutumes de peuples anciens. C’est l’idée qu’il se fit de l’auto-flagellation des pénitents mexicains exhortés par un moine à l’Église. L’expérience mexicaine et l’observation de la persistance de certaines croyances et pratiques dans les sociétés modernes conduisent Tylor à formuler la « doctrine des survivances ». Ainsi, avec la publication des Recherches sur le début de l’histoire de l’homme, Tylor formule son adhésion à la thèse évolutionniste. Toutefois, son esprit libertaire, sa volonté d’être un penseur autonome, va le conduire à s’écarter de l’idée d’une évolution unilinéaire de l’humanité. Cette intuition se trouvera confortée par la tentative d’une affirmation d’une théorie par les ecclésiastiques contre la thèse évolutionniste. En effet, ces derniers soutiennent, avec l’espoir de réfuter l’idée du progrès humain ayant une source animale, la thèse de la dégénérescence de l’espèce humaine. Pour l’Église, l’idée d’une humanité en évolution progressive avec pour ancêtres des animaux n’était pas supportable. De même, il était inconcevable que le “sauvage avec ses milles femmes et sa croyance en une multitude de dieux païens”, puisse être une créature de Dieu. Aussi, cet homme ne pouvait être que le produit dégénéré d’une créature supérieure, civilisée, dotée des bonnes valeurs chrétiennes. L’affirmation de cette thèse de la descendance dégénérée d’un homme supérieur eut pour effet l’apparition d’un front d’opposition prêt à en découdre avec l’Église pour la préservation de la thèse évolutionniste. Dans ce front on trouve Tylor. Son combat contre la thèse des ecclésiastiques fut sans doute à l’origine d’une pensée qui donnera un nouveau souffle à la théorie évolutionniste. Cette pensée s’articule principalement autour de deux hypothèses : 19 1. Quelque soit la « race », les cerveaux humains se ressemblent. 2. L’homme “primitif” est le premier d’une série chronologique. Ces hypothèses contiennent l’idée selon laquelle l’humanité ne progresse pas selon un schéma unilinéaire. D’où l’importance, pour Tylor, de l’idée de la similarité entre les « races » et, en l’occurrence, celle du développement intellectuel ou « l’unité psychique de l’humanité » selon son expression. Ces hypothèses trouvent un développement dans La culture primitive, l’œuvre majeure de Tylor. Cet ouvrage comporte un exposé sur la théorie des survivances et un autre sur la théorie de l’animisme. 1. La théorie des survivances. Cette théorie défend l’idée selon laquelle les coutumes et croyances qui nous apparaissent comme étranges dans les sociétés civilisées sont comparables à des objets archéologiques, c’est-à-dire à des vestiges. En tant que tels, elles sont les reliques d’une société qui n’est plus mais donc certains des traits persistent dans le comportement de l’homme contemporain. Ainsi, pour Tylor, la hachette du paysan européen moderne, l’utilisation du feu de bois pour la cuisson, les histoires de maisons hantées ou encore de personnes ensorcelées ne différencient guère le laboureur anglais du noir d’Afrique centrale. Cette doctrine des survivances venait ainsi faire le constat de l’existence du “primitif” si non, pour le moins, de la primitivité dans la modernité comme civilité. Le “primitif” n’était plus forcément l’homme nu des contrées lointaines mais celui vêtu de la porte et ou de la rue voisines. En cela la doctrine des survivances apporta un souffle nouveau à la construction de l’ethnologie et fut ainsi à l’origine de l’ethnologie du folklore qui connaîtra un essor considérable au XXème siècle. La continuité de cette ethnologie du folklore est aujourd’hui perceptible dans ce qui est appelé ethnologie du contemporain (Marc Augé). L’ethnologie du folklore a conduit à la création, en Europe, des Musées des Arts et Traditions populaires, une terminologie qui, pour des raisons idéologiques, permit et permet toujours de distinguer faussement l’ethnologique du non ethnologique. Une observation autour de soi permet de constater qu’il y a des musées dit ethnographiques 20 dont les collections sont constituées d’objets africains, américains, océaniens, ou plus rarement, asiatiques et des musées d’art et tradition populaire dont les collections rassemblent des objets européens et dans certains cas régionaux (Musée Alsacien). Aujourd’hui, la tendance est à la suppression du terme ethnologie. On parle volontiers de musées d’arts et de civilisations. Cette mutation sémantique observable dans la variation terminologique inaugure une mutation disciplinaire dans laquelle l’ethnologie semble condamnée à n’être plus comme si elle avait atteint sa destinée. Ou encore comme si son apparition puis son existence dépendait d’une cause désormais caduque. À quoi sert l’ethnologie dans la post-colonie pourrait-on dire. Hier, elle était effectivement fille de la colonisation ; ce qui, aujourd’hui, explique en partie son rejet en Afrique à l’exception de quelques universités où elle est enseignée de façon explicite et sa condamnation par certains intellectuels africains. Pour revenir à Tylor, la promotion de l’ethnologie du folklore par celui-là-même qui s’intéressait aux jeux d’enfants dans la rue, aux couteaux de boucher, ne fut pas le fait du hasard. Elle fut la conséquence logique de la thèse de la reconstitution du passé à partir de l’observation des pratiques quotidiennes. Pour Tylor, le passé est dans le présent. L’épreuve la plus difficile consiste dans sa découverte. D’où son intérêt pour les mythes. 2. De l’analyse des mythes à la théorie animiste Selon Tylor, le mythe appartient à la période enfantine de l’humanité ; il n’est pas le résultat d’une forme élaborée de la pensée. Considérant ainsi le mythe, il en donne une lecture au 1er degré. Dans cette lecture, les mots du texte n’ont pas d’autres sens que celui qui paraît imminent aux choses désignées. D’où il suit que les mythes polynésiens, par exemple, expriment, selon lui, un naturalisme tel que toute la pensée qui s’y trouve est immédiatement accessible ; elle est donnée comme telle, transparente et ne requiert aucune interprétation qui ferait appel à quelque contexte que ce soit. Cette perception du mythe au sein des populations dites primitives conduira Tylor vers la formulation de la théorie de l’animisme. Pour Tylor, l’homme d’une manière générale, croit en des êtres spirituels. C’est le premier aspect de sa théorie. Cette croyance est à l’origine de toutes les religions, deuxième moment de sa théorie. Cette affirmation d’une origine commune des religions 21 qui est la croyance en la spiritualité est une formidable gifle à l’Église que seul un Quakers pouvait se permettre car le sauvage aux milles dieux païens devenant le fondateur lointain de la foi en un Dieu unique et tout puissant était une position bien évidemment révolutionnaire en cette époque de l’évolutionnisme triomphant. C’est précisément en cette théorie qui pose le principe d’une évolution selon une certaine équité entre les hommes que Tylor se donne les moyens de la reconstitution de l’évolution. Si, en effet, il faut partir des survivances pour comprendre le passé et que l’animisme est une survivance des croyances, alors il permet de démontrer que le monothéisme vient de cette croyance animiste et n’a donc rien d’une révélation divine. Par conséquent, aux yeux de Tylor, la donation sur le Sinaï n’a absolument rien de divin. Elle relève d’un aboutissement logique d’une pensée humaine. Pour expliquer cet affront redoutable fait à l’Église, suivons la démonstration du savant : L’animisme comprend deux parties : la première est fondée sur la croyance en la vie de l’âme. La seconde est fondée sur la croyance aux autres esprits. Considérant que la pensée primitive est inséparable des mythes, il présente une conception primitive de l’existence de l’âme comme étant simpliste mais raisonnable. Cette conception fut l’occasion, pour le primitif, de résoudre une question métaphysique. Cette question peut être ainsi énoncée : comment comprendre et accepter la dualité de l’existence à laquelle il est confronté quotidiennement ? Mais pour Tylor, et c’est ce qui constitue sa position relative dans l’évolutionnisme, cette question n’est en rien spécifique aux “primitifs” ; elle est aussi celle de tous les hommes. Ainsi, le “primitif”, malgré une spécificité de sa pensée, participe de l’essence de tous les hommes. Cette dualité qui constitue une question existentielle est bien évidemment celle de la vie et de la mort. Que se passe-t-il après la mort d’un individu ? Y a-t-il après la disparition d’un homme la possibilité d’une vie et quelle serait-elle ? À cette question fondamentale, la réponse du “primitif” est claire. La mort est le moment de l’existence d’un homme où se produit une dissociation définitive entre le corps et l’âme. Mourir renvoie donc au départ, sans retour possible, de l’âme du corps. Cette clarté de la réponse du “primitif” est, en effet, éblouissante car elle dit que ce qui donne vie au corps est l’âme. Celle-ci est ce qui empêche au corps d’être inerte. Il suit donc de là que le sommeil est un état de repos pour l’âme. Cette position est expliquée par l’expérience. La présence de l’âme en état de veille est, en effet, donnée par l’ombre portée du corps considérée comme étant la forme matérielle de ce double de l’homme qu’est l’âme. Cette ombre portée n’est pas visible au moment du sommeil. 22 Dans la même logique de l’explication, le malade, est l’individu dont l’âme a été capturée par un sorcier malfaisant appelé mangeur d’âmes. Mais cette âme, pour diverses raisons peut aussi quitter momentanément sa demeure et hésiter à revenir. Conformément à cette réponse du primitif, il se déduit que la mort est un passage, un changement d’état. Avec la mort, l’homme passe du visible à l’invisible. Dans le fond, il continue de vivre mais sous une autre forme ou d’une autre vie, celle des êtres invisibles. On pourrait dire qu’il retourne ainsi à son état initial. À cette conception de l’âme des hommes, Tylor ajoute celle des âmes des animaux, voire des végétaux. Il en donne la justification par ceci que si les animaux étaient dépourvus d’âmes, les offrandes aux morts n’auraient aucun sens. Cette position implique que les offrandes d’animaux aux morts pendant les cérémonies funéraires sont des cadeaux à ces derniers par leurs amis vivants. Ces offrandes sont donc emportées par le défunt grâce à l’âme de chaque animal sacrifié. Quant à l’existence de l’âme dans les végétaux, elle est vérifiée par la perception en certains arbres de pouvoirs surnaturels qui en font des dieux. Remarque : Jusqu’ici, la théorie de Tylor est cohérente et correspond parfaitement à ce qui est connu dans la pensée occidentale notamment dans la philosophie aristotélicienne et en particulier dans sa théorie du mouvement. En effet, dans la philosophie d’Aristote, l’âme est un principe de mouvement ; elle est ce par quoi la génération est possible. En tant que principe de mouvement, l’âme est le critère distinctif des êtres qui sont capables de ce qu’Aristote appelle le mouvement interne. Ce mouvement est cette force par laquelle un corps est mu sans intervention extérieure. Ainsi, tous les êtres dotés de cette force sont dits animés (hommes, animaux, végétaux) et se distinguent de ceux qui en sont dépourvus et qui sont dits inanimés (pierre, statue, table, etc.). Cette force en tant que cause du mouvement interne des êtres qui en sont pourvus est l’âme. Grâce à ce rappel historique qui présente un fait connu de Tylor, on peut affirmer que la première partie de la théorie animiste se nourrit fortement d’une conception antique de la théorie du mouvement, ce qui, en un certain sens, procure à sa thèse une dimension universelle. Toutefois, et par ce critère d’universalité, Tylor prive momentanément à sa pensée primitiviste, sa spécificité. Si en effet, l’animisme se réduit à une théorie du 23 mouvement, pourquoi aller le chercher chez les “primitifs” lointains alors qu’il est présent chez les “primitifs” proches que furent les Grecs de l’antiquité ? Bien évidemment il y a une spécificité de la théorie de Tylor et elle est à chercher dans la seconde phase de sa conception de l’animisme. En cette deuxième phase, Tylor pose que l’âme qui quitte le corps de l’homme après sa mort, peut habiter un autre corps humain, un corps animal ou un corps végétal. Dans cette partie de la théorie on est dans l’ordre de la réincarnation. Ainsi, lorsque l’âme retrouve un corps humain, de fait préalablement occupé, elle sème le trouble car elle vient occuper un espace déjà occupé. C’est alors la possession, la deuxième âme étant, pour Tylor, un intrus, un démon. Lorsque l’âme se retrouve dans le corps d’un bébé, c’est le retour d’un membre de la famille parmi les siens. Avec la thèse de la réincarnation, Tylor commence à quitter la théorie du mouvement. L’envol définitif viendra avec la réincarnation de l’âme humaine dans des objets inertes. En effet, lorsque l’âme prend possession d’un corps d’objet, elle transfigure cet objet qui, de sa nature inanimée passe à une nature animée. D’un objet sans vie, sans possibilité de mouvement par soi-même, il devient un être vivant, c’est-à-dire capable de se mouvoir sans intervention extérieure. On est résolument dans un ordre religieux. L’animisme n’est plus une simple théorie scientifique du mouvement, une théorie explicable par preuve et par expérience. Il devient désormais une doctrine religieuse. Une doctrine dont la croyance est fondée sur l’existence d’esprits puissants allant de ceux des morts à ceux des objets de la nature, voire des phénomènes. Avec cette deuxième phase de la théorie, Tylor a bien défini l’animisme au sens moderne et contemporain du terme à savoir qu’il désigne la croyance aux esprits dont la manifestation matérielle de certains d’entre eux a lieu dans l’existence phénoménale des éléments de la nature considérés, de ce fait, comme dotés d’une force spirituelle. C’est pourquoi sa définition de l’animisme est particulièrement appropriée. En effet, la « croyance en des êtres spirituels » s’entend de tous les êtres ayant ou reconnus comme ayant un caractère spirituel. C’est précisément par cette définition que l’animisme de Tylor présente cet autre aspect qu’il désigne du nom de fétichisme qui, chez Auguste Comte renvoie à la religion primitive dans toute sa généralité. Mais l’animisme serait incomplet sans le culte des ancêtres qui forment la catégorie des esprits d’un ordre supérieur. 3. Le culte des ancêtres 24 Selon la pensée de Tylor, le culte des ancêtres dérive de celui des mânes ; il serait la forme répandue de celui-ci. Pour Tylor, les mânes sont les âmes de certains individus qui, dans la vie terrestre, avaient une autorité sur l’adorateur. Plus largement, le culte des ancêtres trouve ses principes dans les rapports sociaux du monde réel. C’est pourquoi tout individu n’est pas forcément ancêtre après sa mort. Tylor a vu juste et aujourd’hui encore c’est un principe en vigueur au sein de certaines sociétés africaines [les Dagara, les Moose (Burkina Faso) ou encore les Fang (Gabon, Cameroun, Centrafrique, Congo, par exemple)]. Devenir ancêtre, c’est-à-dire acquérir un statut divin suppose le respect de principes éthiques qui confèrent à l’âme de l’individu défunt une propreté, voire une pureté qui la rend apte à acquérir des caractères divins. Si le culte des ancêtres est fondé sur les principes des rapports sociaux, c’est parce qu’il conçoit une continuité entre le monde des vivants et celui des morts. Autrement dit, il n’y a pas de rupture dans les rapports sociaux des membres d’un groupe donné malgré la mort de certains d’entre eux. La mort ne constitue donc pas un obstacle à la continuité de la vie. Alors, vie et mort ne sont pas deux phénomènes opposés mais deux facettes de la même réalité qui est la Vie. Par cette conception unitaire de la vie et de la mort, les “primitifs” semblent avoir résolu la question de la dualité de l’existence. Cette résolution passe par l’affirmation d’une éternité, c’est-à-dire d’un rapport de l’être au temps qui est hors de toute soumission au changement, à la durée. L’éternité, contrairement à la définition couramment admise, n’est pas le fait d’être « hors du temps ». L’éternité est le fait d’être dans le temps, c’est-à-dire d’avoir un rapport au temps sans toutefois être soumis à la finalité. Dans l’éternité, l’être possède un rapport au temps mais échappe absolument à la finitude. Dans cette absence de finitude acquise par l’ancêtre, celui-ci est apte à maintenir une relation perpétuelle avec les siens vivants ou plutôt demeurés dans cette forme d’existence matérielle, empirique, phénoménale qui est, pour nous, la vie. Il peut ainsi continuer de leur apporter son concours et son secours chaque fois que nécessaire. Lorsque la relation entre les ancêtres et les adorateurs est définie par des rapports de parenté, on a affaire à des ancêtres familiaux ; très souvent des pères devenus ancêtres auxquels s’ajoutent d’autres individus accédant à cette catégorie d’êtres en raison du rôle social assumé dans les familles de leur vivant. Lorsque la relation ancêtresadorateurs a des rapports sociaux de l’individu à la collectivité, l’ancêtre a un statut 25 communautaire. Dans ce cas, il s’agit le plus souvent d’un chef à l’égard de ses administrés. Ainsi, le chef défunt, devenu ancêtre, continue d’exercer son autorité sur l’ensemble de la communauté villageoise. Il est le garant de la continuité de l’autorité politique de la collectivité. En effet, dans les sociétés à chefferie, la mort du chef n’est pas l’occasion d’un chaos indépendamment des dispositions souvent prévues pour une succession rapide. En continuant de veiller sur la communauté, étant donné que celle-ci adhère à l’idée de la continuité de son pouvoir, l’ordre est maintenu jusqu’à la désignation du successeur qui gouverne avec toujours l’aide de tous ses prédécesseurs devenus ancêtres. D’où l’existence d’espaces dédiés aux ancêtres, par exemple la chambre des masques destinée à la conservation des masques en général et particulièrement ceux dont la fonction est de danser à l’occasion des funérailles d’un dignitaire ou d’un chef dans les sociétés à chefferie qui connaissent la tradition des masques et qui sont fondées sur la structure lignagère (c’est le cas des Kurumba au Burkina Faso, chez qui le masque antilope danse à l’occasion de la levée du corps du chef du village. 26 Cimier de masque kurumba, Burkina Faso, collection Musée du Quai Branly Le même fait est observable dans les sociétés à structure royale où la référence au roi-ancêtre est donnée par la figure commémorative du roi défunt. On le note avec le royaume Fon du Bénin-city (dans l’actuel Nigéria), un royaume qui a vécu jusqu’à la fin du XIXème siècle, époque de sa disparition sous les feux des troupes britanniques (1898). Dans la cour de ce royaume, on trouvait un sanctuaire regroupant les bustes renvoyant à chacun des souverains disparus. Chez les Ashantis au Ghana, le roi en exercice tient une partie de son pouvoir de l’ensemble de ses prédécesseurs. Par exemple, il ne peut aller sur un champ de bataille sans avoir au préalable consulté les rois-ancêtres. Qu’il s’agisse des sociétés à structure horizontale (fondée sur le lignage), semiverticale (fondée sur le lignage et la chefferie) ou verticale (fondée sur le royaume ou 27 ayant une intervention limitée de l’organisation lignagère), le culte des ancêtres renvoie à une relation entre le divin et le profane et, plus fondamentalement, instaure un rapport de dépendance entre le pouvoir divin et le pouvoir humain. Le politique est alors lié au religieux et, en cela, le postulat Tylorien de la source primitive, sauvage, de l’humanité est préservé. De même que le primitif exerce le pouvoir politique en référence au pouvoir divin, de même l’homme moderne ne peut séparer le politique du divin (une impossibilité rompue institutionnellement, en France au moins, à partir des Lumières). Ou encore cette autre analogie : de même que le culte des ancêtres est un culte des morts, de même le culte des Saints est une vénération des morts. En effet, seuls des morts sont sanctifiés et à la Toussaint succède les défunts (2 novembre), ces Saints potentiels à qui nous dédions nos prières pour que le seigneur les accueille dans les meilleures conditions possibles. Remarque : La nécessité du culte des ancêtres dans l’animisme conduit à la production d’objets matériels, une production qui traduit un passage, celui de l’invisible au visible qui, ainsi, permet de maintenir dans l’espace du sensible l’être qui a perdu cette qualité. Dans la figure de l’ancêtre s’élabore une mise en forme de la mort. L’effigie du défunt-ancêtre représente l’absent. Celui qui a disparu et présentifie la mort au-delà du corps inerte qui est voué à s’inscrire irrémédiablement dans le néant. La figure de l’ancêtre est l’expression sensible de la mort ; la figure de l’ancêtre est la forme sensible de l’idée de mort ; elle est l’affirmation d’une absence accomplie qui, paradoxalement, n’a aucun autre choix que de se montrer par la présence. La figure de l’ancêtre familial, c’est-àdire le père défunt ou de l’ancêtre-roi-chef présente l’absence de la personne individuelle et la présence de la mort. La présence ou plus exactement la présentation de l’absence de l’individu est, de fait, une présentation de la mort qui, ainsi, se fait sensible. Par conséquent, l’ancestralisation comme rituel de consécration de l’individu absent, condition de sa présence éternelle – un statut socialement vital pour lui et les siens – est un processus d’artialisation, c’est-à-dire de mise en art de la mort. La personne qui sait pouvoir bénéficier de ce rituel à sa mort est une personne comblée. Par ce rituel, l’individu fait l’expérience de sa propre mort avant la lettre. En cela, la mort biologique se distingue de la mort sociale. La première est disparition, 28 retour au néant, à « l’organique » comme dirait Blanchot. La seconde est une rupture avec les vivants, une impossibilité de poursuivre la symbiose avec les siens à l’occasion de ce changement d’état considéré comme mort. Autrement dit, la mort sociale n’advient que lorsque l’individu défunt n’a pas bénéficié du rite d’ancestralisation. Dans ce cas, à sa mort biologique n’a pas suivi son inscription dans l’ordre divin, inscription qui lui aurait conféré la possibilité de poursuivre une vie avec les siens. Ainsi, la mort biologique est suivie d’une mort sociale qui, de fait, est le véritable néant pour l’individu. La conscience de la possibilité de cette seconde mort est ce qui crée en l’homme une angoisse. En résumé, et pour en finir avec cette remarque, la conception de l’âme dans la pensée “primitive” est une philosophie de la vie. Une vie qui, certes, commence mais ne s’arrête jamais dans la mesure où certaines conditions sont remplies. Cette vie est éternelle, au moins pour certains, puisqu’il se trouve toujours des personnes remplissant les conditions d’éligibilité au statut d’ancêtre. Ainsi, la pensée “primitive” répond à la question de la dualité de l’existence en récusant cette dualité par la création d’un pont entre le visible et l’invisible. Grâce à cette liaison, il n’y a plus que la Vie. N’y a-t-il pas en cette pensée de la vie l’émergence d’une pensée religieuse ? En effet, qu’est-ce que la religion sinon ce lien entre le monde divin, ordre de l’invisible et le monde humain, lieu du visible ! Par cette conception de l’animisme dans le culte des ancêtres, Tylor touche à quelque chose d’essentiel et prouve que le “primitif” est bien capable d’élaborer une pensée religieuse. Cette pensée dans son développement, chez Tylor, se construit à partir d’une analogie entre l’être humain et la nature. De même que le corps humain vit par l’âme qui l’habite, de même la nature est animée par des agents du même ordre. Alors les esprits de la nature sont les causes des phénomènes naturels. Ils font souffler le vent, tomber la pluie, couler les fleuves, érupter les volcans. De ces considérations découle l’idée d’une existence des dieux des espèces : Forêt, Ciel, Terre, Soleil, Eau. À ces dieux des espèces s’ajoutent des dieux propres à des faits déterminés : Agriculture, Guerre, Feu, Paix, etc. À ce stade, l’animisme n’est plus une simple croyance ; il est une religion constituée atteignant ainsi son paroxysme avec l’instauration d’un polythéisme comme nous le présentent ces vers du poète sénégalais Birago DIOP (1906-1989) : Souffle, in Les comtes d’Amadou Koumba, 1947 29 Écoute plus souvent Les Choses que les Êtres La Voix du Feu s’entend, Entends la Voix de l’Eau. Écoute dans le Vent Le Buisson en sanglots : C’est le Souffle des ancêtres. Ceux qui sont morts ne sont jamais partis : Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire Et dans l’ombre qui s’épaissit. Les Morts ne sont pas sous la Terre : Ils sont dans l’Arbre qui frémit, Ils sont dans le Bois qui gémit, Ils sont dans l’Eau qui coule, Ils sont dans l’Eau qui dort, Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule : Les Morts ne sont pas morts. Écoute plus souvent Les Choses que les Êtres La Voix du Feu s’entend, Entends la Voix de l’Eau. Écoute dans le Vent Le Buisson en sanglots : C’est le Souffle des Ancêtres morts, Qui ne sont pas partis Qui ne sont pas sous la Terre Qui ne sont pas morts. Ceux qui sont morts ne sont jamais partis : Ils sont dans le Sein de la Femme, Ils sont dans l’Enfant qui vagit Et dans le Tison qui s’enflamme. Les Morts ne sont pas sous la Terre : Ils sont dans le Feu qui s’éteint, Ils sont dans les Herbes qui pleurent, Ils sont dans le Rocher qui geint, Ils sont dans la Forêt, ils sont dans la Demeure, Les Morts ne sont pas morts. Écoute plus souvent Les Choses que les Êtres La Voix du Feu s’entend, Entends la Voix de l’Eau. Écoute dans le Vent Le Buisson en sanglots, C’est le Souffle des Ancêtres. 30 Il redit chaque jour le Pacte, Le grand Pacte qui lie, Qui lie à la Loi notre Sort, Aux Actes des Souffles plus forts Le Sort de nos Morts qui ne sont pas morts, Le lourd Pacte qui nous lie à la Vie. La lourde Loi qui nous lie aux Actes Des Souffles qui se meuvent Dans le lit et sur les rives du Fleuve, Des Souffles qui se meuvent Dans le Rocher qui geint et dans l’Herbe qui pleure. Des Souffles qui demeurent Dans l’Ombre qui s’éclaire et s’épaissit, Dans l’Arbre qui frémit, dans le Bois qui gémit Et dans l’Eau qui coule et dans l’Eau qui dort, Des Souffles plus forts qui ont pris Le Souffle des Morts qui ne sont pas morts, Des Morts qui ne sont pas partis, Des Morts qui ne sont plus sous la Terre. Écoute plus souvent Les Choses que les Êtres La Voix du Feu s’entend, Entends la Voix de l’Eau. Écoute dans le Vent Le Buisson en sanglots, C’est le Souffle des Ancêtres. Ces vers du poète africain donnent raison à Tylor. Ils lui indiquent l’existence d’une pensée africaine conforme à sa théorie. Une pensée qui admet la pluralité des dieux, une religion polythéiste donc. Ce polythéisme qui apparaît selon un schéma progressif dans la pensée de Tylor et allant de l’âme de l’individu à celui des plantes ainsi que des objets, permet à Tylor d’affirmer la possibilité d’une pensée religieuse chez les “primitifs”. Cette pensée se développe bien évidemment selon le schéma de l’évolution, c’est-à-dire de la croyance des âmes à celle des ancêtres puis des esprits de la nature et enfin des dieux des espèces et des activités particulières. Cette progression permet à Tylor de soutenir que le “primitif” n’est pas le résultat d’une dégénérescence de l’homme. Bien au contraire, il est ce à partir de quoi l’homme s’est construit et que la religion est possible. Par conséquent, la religion primitive est l’origine du monothéisme. Les cléricaux, avec leur théorie de la dégénérescence, sont battus et l’animisme apparaît comme le point de départ d’une histoire des religions. Avec cette conclusion, Tylor n’est pas un évolutionniste comme les autres. Certes, il part de la considération de l’existence d’éléments présentés comme vestiges des 31 sociétés. Certes, il élabore ses hypothèses selon le mode historique à partir des sociétés dites primitives. Toutefois, la linéarité de l’évolution n’est pas aussi marquée qu’elle ne l’est chez Morgan. Le progrès chez Tylor n’est pas circonscrit à l’intérieur de chaque société et en fonction de sa capacité d’inventivité. L’évolution ne se fait pas selon des strates ou stades dont l’accession au stade supérieur dépend de la capacité de la société à inventer une technique supérieure considérée comme caractéristique de son évolution. L’évolution, chez Tylor, ne se mesure pas non plus au type d’organisation sociale. L’évolution est donnée par la nature des phénomènes culturels des peuples. Pour le dire autrement, l’affirmation de l’évolution de l’humanité est donnée par la détermination du rapport entre ce qui relève du monde moderne et ce qui est trouvé chez les “primitifs”. C’est pourquoi l’étude de Tylor ne porte pas sur la société en tant que structure, organisation ; elle s’intéresse à la société en tant que productrice de culture. D’où ce titre hautement explicite de son ouvrage : Primitive culture : Researches into the development of Mythology, philosophy, religion, language, art and custom. Ce titre est traduit en français sous l’intitulé de Civilisation primitive, Reinwald, Paris, 18761878. Par son intérêt pour l’étude des cultures, Tylor a posé les bases d’une autre école de l’ethnologie ; celle du diffusionnisme. En voyant dans les faits culturels des peuples dits primitifs l’origine de ceux du monde moderne, il touche au principe du diffusionnisme sans pour autant l’affirmer. Si en effet – et pour ne prendre que cet exemple – la religion primitive est l’origine du monothéisme, cela indique une évolution selon le schéma de Tylor. Mais cela suppose qu’à un moment donné de l’histoire, le contact entre les “primitifs” et les peuples du monde moderne est concrètement observable. Ce que Tylor ne dit pas, bien évidemment, tout comme Morgan ne dit pas comment une société passe d’un stade inférieur à un stade supérieur, à l’exception bien évidemment de l’acquisition de techniques dont le mode n’est pas expliqué. De fait, le système évolutionniste fonctionne par conjecture. Comme Morgan, Tylor pose l’animisme comme origine du monothéisme sans pour autant le démontrer autrement que par l’existence de la pluralité des esprits ayant des degrés différents. D’où il suit la possibilité d’un Dieu unique qui, même s’il n’existe pas toujours dans la conception primitive qui est par ailleurs multiple du reste, se trouve dans les religions monothéistes du monde moderne. En cela, Tylor demeure un évolutionniste mais non classique ou, pour le dire autrement, un évolutionniste relatif, c’est-à-dire un 32 évolutionniste qui ne conçoit pas l’évolution selon un mode autarcique. Par cette conception ouverte de l’évolution, il a préparé, par ricochet, la voie du diffusionnisme. III LE DĐFFUSĐONNĐSME A. Théorie et Méthode Inscrit dans la continuité de l’évolutionnisme, le diffusionnisme maintient l’usage de l’histoire comme outil explicatif de l’évolution de l’humanité. En cela, cette école garde quelque chose de l’évolutionnisme. En revanche, elle récuse l’idée d’une progression par invention et d’un développement de l’homme en cercle fermé, replié sur soi. Le développement n’est donc pas, pour cette école, l’affaire d’une autonomie, voire d’une individualité communautaire ou d’une communauté isolée. Par conséquent, le progrès s’effectue à la faveur d’une expansion des savoirs, des techniques, des éléments culturels d’une société à l’autre. Ainsi, pour l’école diffusionniste, l’objet de l’anthropologie n’est pas la recherche des causes de l’inégalité entre les cultures. L’objet de l’anthropologie est la recherche des modes de diffusion d’une culture à une autre. Il s’agit alors de déterminer comment des éléments d’une culture donnée deviennent ceux d’une autre. Le présupposé est donc clair : le développement de l’humanité est fondé sur l’emprunt et l’imitation des cultures entre elles et à la faveur des contacts. Le voyage et l’immigration peuvent alors être considérés comme étant les vecteurs du changement. Outre ces événements, il convient de noter aussi les guerres et les autres formes de dominations, par exemple le fait colonial. Par cette entrée, le changement reste soumis au temps, à l’histoire mais intègre une autre donnée : l’espace, c’est-à-dire la géographie. Dans cette perspective, la diversité des cultures apparaît problématique : si en effet, le développement des cultures s’effectue par emprunt, comment expliquer la diversité culturelle ? N’y a-t-il pas le risque d’aboutir à une homogénéité ? Mais on pourrait déjà répondre à l’objection en ces termes : comment ne pourrait-il pas y avoir de la diversité dans la mesure où l’emprunt suppose un effort d’adaptation et probablement une inévitable transformation de ce qui est reçu par la culture accueillante ? Pour tenter de comprendre ces hypothèses, partons des origines. 33 Il est attribué à Franz Boas (1858-1942), fondateur de l’école américaine de l’anthropologie, la responsabilité de la naissance du diffusionnisme. En effet, comme nous l’indique Jacques Lombard, Boas adressa à James Frazer dès 1896, une critique selon laquelle il est fortement « aléatoire de rechercher une histoire uniforme du développement » des phénomènes culturels car l’esprit humain est susceptible de ne pas obéir aux mêmes lois partout. Par conséquent, les phénomènes peuvent se développer indépendamment sans obéir à une logique supposée être la même pour tous ; celle d’aller nécessairement du moindre vers le meilleur. Cette critique de l’évolutionnisme initia le diffusionnisme qui va se maintenir principalement aux États-Unis, en Allemagne et subsidiairement en Grande-Bretagne. En Allemagne, ce courant restera fort influant jusqu’aux environs des années 30 (XXème siècle). En effet, c’est le géographe allemand, Ratzel (1844-1904) qui souligne l’importance des mouvements migratoires comme étant à l’origine de la diffusion des inventions et des techniques. Puis ses disciples Graebner (1877-1934) et Leo Frobenius (1873-1938) développent cette théorie à partir du concept de Kulturkreis (cercle culturel) que Jacques Lombard définit comme « un ensemble géographique, présentant une similitude de traits culturels, institutions, croyances, et techniques, traits culturels diffusés à partir d’un foyer ou d’un centre dans une zone de dimensions variables » (1994 : 63). Suivant cette approche fondée sur le concept de « cercle culturel », H. Baumann et D. Westermann dans leur ouvrage, Les peuples et les civilisations de l’Afrique, présentent le continent en « cercles de civilisations » regroupant chacun un certain nombre de traits culturels caractéristiques communs. Parmi ces traits, on peut relever les souches ethniques, l’économie (chasse élevage, agriculture), l’organisation familiale et politique ou encore la religion. On a donc les thèmes majeurs de l’ethnologie qui sont ainsi abordés. La méthode diffusionniste consiste donc à diviser la culture en traits ou éléments culturels (techniques, institutions) ou en complexes culturels (ensemble d’éléments culturels associés appartenant à une même culture). Ainsi, il sera établi dès le départ des traits culturels essentiels par exemple sur le plan technique l’arc et les flèches, la lance, l’agriculture, le travail et l’utilisation de la peau, l’absence ou la présence d’une production artistique. À partir d’une observation de la répartition des différents traits dans une région, on en conclut une distribution dans l’espace des mêmes traits. Il sera alors déterminé les lieux où ils sont nombreux ou rares. Cette dernière observation permettra alors d’établir 34 des aires culturelles plus ou moins homogènes. Selon cette méthode, une aire culturelle désigne une zone géographique dont les frontières sont définies par la présence d’un ou de plusieurs traits culturel(s) commun(s) à plusieurs populations qui occupent le territoire. En Afrique, par exemple, et en se référant à cette méthode, il est légitime de parler d’aire culturelle manding définie par une communauté linguistique et une activité économique (le commerce ambulant). Cette aire culturelle dont le foyer est situé dans la Guinée actuelle (capitale Conakry) s’étend à la quasi-totalité de l’Afrique de l’Ouest avec les Jula comme population dominante quant au nombre. Ces commerçants Jula qui ont été très tôt islamisés, connaissaient l’arabe et furent, pour cette raison, employés comme interprètes par les explorateurs puis par les coloniaux à la fin du XIXème siècle. Une fois la distribution dans l’espace des traits culturels repérée, il est possible d’observer les détails : par exemple le cheminement de la diffusion de telle ou telle technique ou encore de telle ou telle institution et ce en fonction de l’histoire des relations entre les différentes cultures. Cela signifie donc que l’histoire n’est pas sans intérêt pour cette école. Comment pourrait-il en être autrement dans la mesure où le fondateur de cette école de pensée ethnologique associa toujours l’histoire à ses investigations culturelles. B. Franz Boas et le relativisme culturel en ethnologie Né le 9 juillet 1858 à Minden en Allemagne, Boas était d’une fratrie de six. À 20 ans il entre à l’université. Il fit ses études à Heidelberg, Bonn et Kiel. Après une spécialisation en mathématique et en physique, il obtint son doctorat de physique à Bonn à 23 ans. Le sujet de sa thèse de physique était : contribution à la compréhension de la couleur de l’eau. Mais le physicien est aussi un géographe, en particulier celui de la physique et de la culture. En d’autres termes, l’homme des sciences de la nature est aussi celui des sciences humaines et sociales. Aussi, il n’est pas étonnant que sa deuxième thèse, comme l’exigeaient les normes académiques de son temps, ait porté sur l’art et fut ainsi intitulée : Que l’on doit condamner l’opérette contemporaine pour des raisons artistiques et morales Cet intérêt pour les sciences de l’homme sera confirmé dès 1883, année de son voyage en Baffinland chez les Inuits appelés Eskimos. Ce voyage fut déterminant pour son engagement scientifique. En effet, il déclarera à propos de ce peuple polaire : « j’ai 35 vu qu’ils aimaient la vie, même dure, tout comme nous ; qu’ils trouvaient la nature belle ; que l’amitié a aussi ses racines dans le cœur d’un Eskimo ; que si sa vie est rude en comparaison de la nôtre, si civilisée, il est pourtant un homme comme nous : que ses sentiments, ses vertus et ses défauts sont fonction de sa nature humaine comme les nôtres ». Cette description de l’homme Eskimo en cette fin du XIXème siècle est une révolution dans le courant ethnologique dominant qui prouve déjà la relativité de Boas. Si cet homme d’ailleurs, appartenant à un environnement peu “civilisé”, n’échappe pas à une idée de l’Homme, sa culture est attachée à cet environnement et à son mode de représentation des choses. Ainsi, pour Boas, toute culture a sa propre spécificité et c’est la raison pour laquelle il s’opposa à l’évolutionnisme avec ses explications d’ordre universaliste. Dans cette perspective, Boas ne peut que préconiser une approche inductive pour l’étude de la culture des peuples. Pour lui, il faut tout d’abord réaliser une expérimentation répétée et vérifiée du phénomène puis de plusieurs phénomènes identiques avant de procéder à une généralisation. D’une manière générale, voici le déroulement de la méthode de Boas telle que nous le présente Jacques Lombard (op, cit, p. 67) : 1. Il faut procéder à une « étude détaillée des coutumes et de leur place [dans l’ensemble de la culture de la société envisagée] ». Dans cette orientation, l’étude séparée des phénomènes culturels est proscrite au profit d’une étude systématique, c’est-à-dire une étude qui appréhende l’objet en fonction des autres phénomènes dans le système général de la société. En cette méthode, Boas est un fonctionnaliste qui rappelle la position de Mauss et, en particulier le Mauss du « fait social total ». 2. Ensuite, il faut entreprendre une enquête auprès des sociétés voisines afin d’observer l’état de la ou des coutume(s) étudiée(s). Il s’agit de vérifier leur existence ou non dans les sociétés voisines et si oui d’observer les éventuelles transformations. 3. Si l’enquête conduit à la détermination de l’existence, chez les voisins, des coutumes étudiées, il sera recommandé de rechercher puis d’identifier « les causes historiques qui ont conduit à leur formation et les processus psychiques qui les ont rendues possibles. » Ainsi, l’histoire permet de constater comment les contacts historiques entre les sociétés ont pu modifier les cultures. Comment les traditions originelles se mêlent à des éléments culturels venus d’ailleurs pour créer la nouveauté qui n’est pas toujours 36 perçue comme telle, c’est-à-dire souvent considérée inconsciemment comme n’étant que du traditionnel. Le diffusionnisme à la manière de Boas est une véritable anthropologie de la culture qui a pour principe, la conjonction de l’altérité et de l’identité. Dans cette anthropologie de la culture, il s’agit moins de prendre l’Autre comme objet d’étude que de voir en cet Autre la condition de possibilité du changement de soi. L’Autre n’est donc pas à étudier en tant que monade mais en tant qu’il entre en rapport, éventuellement avec une autre altérité ou avec l’étudiant. Si à l’époque de Boas cette approche s’appliquait d’abord à l’altérité comme entité sociale lointaine – et dans ce cas, l’Autre s’entendait dans son rapport avec une altérité du même ordre que lui – aujourd’hui il est parfaitement légitime d’envisager cette altérité d’ailleurs dans son rapport à soi-même. Autrement dit, peut-on considérer que l’adoption de gré ou de force des cultures européennes à l’extérieur des frontières dudit continent est-elle oui ou non le fait du diffusionnisme ? Inversement, les pratiques non occidentales perceptibles aujourd’hui en Europe peuvent-elles, oui ou non, être considérées comme relevant d’un processus diffusionniste ? Formellement ce n’est évidemment pas le diffusionnisme tel que l’a proposé Boas. Mais du point de vue du principe, les faits que nous connaissons aujourd’hui dans nos sociétés obéissent à certains principes du diffusionnisme. En effet, en considérant l’histoire, il est possible d’affirmer que dans les deux cas, la présence de comportements sociaux nouveaux au sein des sociétés répond à un processus diffusionniste. Dans le premier cas, la diffusion s’est opérée à la faveur d’une force, voire d’une violence inouïe dont les séquelles sont encore aujourd’hui tenaces. Cette violence renvoie bien évidemment à l’odieux et ignoble commerce que fut celui de la Traite négrière pieusement dénommée « commerce triangulaire » en référence au circuit accompli (Europe, Afrique Europe) dessinant, en effet, un triangle. Grâce et à cause de cette tragédie, des traditions africaines ont été implantées dans les Caraïbes et en Amérique latine. De même avec le fait colonial, des cultures européennes ont gagné l’Afrique et la transformation a été si forte qu’aujourd’hui certains parlent d’inculturation là où il est question d’une recombinaison des différents éléments afin d’obtenir une synthèse. Dans le second cas, la diffusion est le résultat de la conséquence du premier cas. Pour avoir assimilé, même partiellement, la culture occidentale, l’Autre a subi une transformation suffisante pour adhérer à cette culture occidentale mais pas assez pour oublier ou perdre totalement sa culture initiale. Devenu 37 favorable à l’aire occidentale où il vit parfois, il continue d’épandre des éléments de sa culture d’origine que la culture dominante semble ignorer. À partir de cet exemple, on pourrait dire que le diffusionnisme à l’époque contemporaine s’entend comme étant le processus du devenir de l’être humain. Un devenir dans lequel le sujet est illusoirement conscient de l’unité de son identité et réellement inconscient de la pluralité (multiplicité) de la même identité. D’où l’idée absolument illusoire d’un patrimoine un. Si l’unité d’un patrimoine ne peut s’entendre que du donateur, sa composition est, de fait, plurielle. On peut donc affirmer qu’il n’y a de patrimoine que du plurielle car le patrimoine entretien un rapport intime avec l’histoire qui, pour une société, n’a jamais une source unique. Soutenir l’idée d’un patrimoine un, c’est défendre un anachronisme qui s’entend, par ailleurs, comme négation de l’histoire. Pour revenir au diffusionnisme à l’époque contemporaine, défini comme devenir de l’être humain, il est appelé, selon la terminologie actuelle, mondialisation, c’est-à-dire un processus du devenir dans lequel l’Un oublie ou feint d’oublier la part plurielle qui est en lui. C’est pourquoi la mondialisation, tout en ayant un modèle dominant, n’est pas une domination. Elle est d’autant moins une domination que le modèle que l’on dit s’imposer au monde entier (l’Occident) est modèle poreux qui n’a aucune étanchéité. Par conséquent, il ne peut résister à l’assaut des modèles dits dominés. Est-il besoin de donner des exemples ? Le retour au “primitif” entrepris par le monde occidental est manifeste et symptomatique de sa porosité : Dans le secteur des arts plastiques, chaque nation européenne possède ses “primitifs”, c’est-à-dire son musée d’art “primitif” qui, hier, se confondait avec le jardin zoologique et la préhistoire. Dans le domaine des arts du corps et de la parure, les piercings et autres tatouages sont adoptés comme mode d’identification et d’appartenance identitaire. Dans le champ alimentaire, les recettes exotiques sont désormais et quasiment les nôtres et certains produits (Igname, patate douce, banane douce, banane aloco, gingembre, et…) ne sont plus réservés aux magasins spécialisés. Ils se trouvent quotidiennement dans les supermarchés, y compris ceux des quartiers. La mondialisation est donc le diffusionnisme des temps contemporains et il l’est d’autant mieux qu’il n’échappe pas aux principes énoncés au début du XXème siècle. D’où l’importance de la psychologie par quoi une société fonde son acceptation ou son rejet des coutumes étrangères. 38 Par exemple, le rejet récurrent du voile islamique en France n’est pas fondé sur des raisons religieuses contrairement à l’opinion commune. Il existe bien des religions monothéistes en France, y compris le catholicisme, qui exigent le port d’un couvre-chef qui selon les circonstances, concerne aussi bien les femmes que les hommes. Ce qui fonde réellement ce rejet a à voir avec le statut de la femme en Occident, un statut acquis au prix de longues luttes même s’il est vrai que des progrès restent encore à acquérir. On peut donc affirmer que la société n’est pas dans une disposition psychologique favorable à l’accueille d’une pratique susceptible de porter atteinte aux libertés acquises par la femme en particulier. Au fond le rejet du voile n’est pas celui de l’islam. Le rejet est inconsciemment fondé sur l’histoire culturelle de la société française comme société d’accueil des personnes qui portent le voile. Pour la conscience occidentale, le voile comme vêtement, intégré au costume féminin, manifeste une soumission de la femme et ainsi rappelle une certaine époque du reste si peu éloignée qu’il ne paraît. Le rejet est donc l’expression d’une crainte, celle d’une remise en cause du statut de la femme dans la société4. Dans cet exemple, se trouve réunies l’histoire et la psychologie pour l’explication du rejet d’un fait culturel par la société d’accueil. 4. Pour compléter la méthode de Boas, il faut ajouter à ce qui précède, la géographie ou, plus précisément, le déterminisme écologique. Pour Boas, en effet, toute culture s’élabore en fonction de son milieu, de son environnement physique. Cela implique que 4 Aussi, l’attitude de l’actuelle ministre de la justice en France est absolument scandaleuse et vivement condamnable. En tant que représentante de l’autorité dans une société qui a conquis, au prix de fortes luttes, des libertés spécifiques à la femme et continue de lutter toujours, elle a la responsabilité de l’exemplarité. Or en reprenant son poste cinq jours seulement après l’accouchement alors que la loi lui offre 16 semaines de congé adaptables selon ses besoins, elle remet en cause le droit des femmes quant à l’association du travail salarié et de la maternité. Jusqu’à preuve du contraire, il n’appartient qu’à la femme d’assurer la reproduction de la société. Malgré les avancées technologiques, il n’est pas encore possible de se passer de la femme pour la reproduction humaine. D’ailleurs, faut-il le souhaiter ? Tenter d’éviter les éventuelles dérives de l’utilisation des progrès technologiques n’est-il pas fondamentalement la raison d’être de la commission bioéthique ! Par son acte, la ministre de la justice incite, par ricochet, les chefs d’entreprises à la désobéissance qui consisterait à ne pas octroyer les congés nécessaires aux femmes en couche ou à les sanctionner d’une manière ou l’autre ce qui existe déjà sous des formes non avouées. En termes d’exemplarité, c’est l’État au plus haut sommet qui manque à sa responsabilité : donner l’exemple. De fait l’État commet une infraction par inaction et mériterait d’être condamné pour n’avoir pas fait respecter la loi par un de ses agents en ne refusant pas à la ministre de reprendre le travail aussi tôt. Se soumettre à la volonté générale, c’est accéder à la liberté comme respect de la loi que je me suis prescrite. C’est le sens du contrat social que défend Rousseau. En ce sens nul n’est au-dessus de la loi. C’est pourquoi le premier magistrat dans toute république est le législateur qui est aussi soumis à la loi qu’il a lui-même promulguée. Dans cette perspective, la ministre reste une citoyenne. 39 les sociétés s’organisent selon les contraintes ou les faveurs de la nature auxquelles elles sont confrontées. En résumé, la méthode diffusionniste est fondée sur les approches : systémique, comparatiste, historique, psychologique et écologique. On pourrait la trouver disparate, éclectique. Mais cela n’a aucune connotation péjorative ; bien au contraire, c’est une richesse. En effet, cette méthode est imposée par l’objet même de l’étude qui est la culture. Étudier une culture ne peut avoir de pertinence que dans la considération de plusieurs domaines qui peut exiger la convocation de différents secteurs disciplinaires. C’est aussi en cette pluralité de la perspective méthodologique que Boas, l’anthropologue culturaliste est un fonctionnaliste. CONCLUSION Cette conclusion ne doit pas être considérée comme étant l’aboutissement de ce qui a été annoncé en introduction mais comme un point d’arrêt, c’est-à-dire une suspension car le chemin est encore long dans la présentation des fondements philosophiques de l’ethnologie. Il aurait fallu exposer les travaux de Frazer, entrer dans les détails de ceux de Baumann, Westermann et Frobenius. Mais le temps consacré à ce cours est limité. Aussi, cette conclusion en tant que suspension se contentera d’abord d’une synthèse de l’exposé qui a permis de présenter une histoire de la discipline des débuts à l’époque contemporaine même s’il manque le XXème siècle avec l’école structuraliste. Selon cette histoire, l’ethnologie commence avec le darwinisme, une théorie biologique fondée sur l’évolution des espèces. Mais cette ethnologie qui s’ouvre sur un mode négatif, celui du primitivisme par quoi l’homme moderne détient la preuve de son évolution aboutit à l’énonciation du principe heuristique de la discipline. Ce principe trouve son fondement dans le concept d’altérité. Cette notion, en s’imposant, donne une inflexion à la recherche ethnologique. Cette inflexion qui insiste sur la diversité, laisse apparaître la notion de relativité et trouve sa source, ses racines, dans l’origine même de la discipline. En effet, avec Tylor, l’état présent de l’évolution de l’humanité a son point de départ dans les sociétés dites primitives ou archaïques. Ainsi, la sorcellerie, par exemple, n’est pas le fait des seules sociétés dites primitives ; elle est aussi observable dans les sociétés dites civilisées et que l’animisme est l’origine de toutes les religions. Avec cette position tylorienne, nous sommes aux antipodes d’un Morgan qui, bien 40 qu’ayant établi la parenté, domaine privilégié de l’ethnologie, a affirmé une évolution unilinéaire du genre humain allant ainsi à l’encontre de la nature même du genre humain car l’unilinéarité suppose une absence d’adaptation, ce qui est contraire au principe biologique de l’existence. Dans la position de Morgan, on note un parti pris ethnocentrique qui introduit une incohérence dans la philosophie de la discipline. Il faudra attendre le courant culturaliste pour voir émerger une relativité. Le relativisme anthropologique s’affirmera avec l’école diffusionniste ou culturaliste. L’ethnologie devient, avec le culturalisme, une science contre le racisme, une orientation cultivée principalement par l’école française à partir de Marcel Mauss et particulièrement développée par Marcel Griaule, son élève. À partir des éléments de cette histoire, on peut affirmer que le défi ethnologique aujourd’hui consiste : 1. Procéder en une déconstruction de la discipline. Cela veut dire que le corpus conceptuel réclame une critique fondamentale. Élaborer cette critique exige une vigilance, une attention tenue à l’égard de ce qui nous entoure. Comment et dans quelles condition est-il possible, en ethnologie, de reprendre par exemple les termes d’indigène et d’autochtone pour désigner la spécificité d’hommes qui nous sont contemporains quand on sait la connotation que ces termes ont connue au début de la discipline ? En quoi les Occidentaux sont-ils moins autochtones, moins indigènes qu’eux ? Tout homme est, de fait, un indigène, un in et gena (né de), un autochtone, c’est-à-dire celui qui est issu du sol, comme sorti de le terre sur laquelle il vit. Tout homme est donc toujours un autochtone d’ici ou d’ailleurs. Il n’y a pas d’individu natif de nulle part. Par conséquent, la désignation d’autochtone, pour des populations non occidentales (par, exemple, « the indigenous people », pour désigner les Indiens des réserves américaines et canadiennes), n’est pas anodine, y compris celle énoncée par les peuples concernés eux-mêmes. C’est pourquoi, toute ethnologie qui se veut, se dit engagée, doit d’abord affirmer son engagement en cette déconstruction. Autrement, elle demeurera engagée dans un évolutionnisme à l’époque contemporaine. 2. À la réflexion, on constate que l’altérité est une notion complexe, notamment avec l’évolution des sociétés. En effet elle a tendance à se fondre dans l’identité de sorte que de nos jours, les notions « eux » et « nous » n’ont plus strictement les mêmes limites qu’hier. Le modèle de la société occidental étant fortement installé en « eux », il s’agit moins d’étudier le Différent que d’analyser le Même dans l’Autre et vice versa. En cela, la méthode diffusionniste en tant qu’approche culturelle du genre humain semble avoir 41 pris le dessus. En effet, les cultures s’interpénètrent. Ce mouvement est accéléré par l’essor technologique de sorte que le défi anthropologique consiste non plus à préserver les cultures mais à analyser les transformations qui s’effectuent. C’est dans cette orientation que se construit l’anthropologie du contemporain promue par Marc Augé. 42 BĐBLĐOGRAPHĐE SPÉCĐFĐQUE ADAM, J-M, BOREL M-J, CALAME, C, KILANI, M 1990 Le discours anthropologique, Méridiens Klincksieck, Paris. BAUMANN, H. et WESTERMANN, D. 1948 Les peuples et les civilisations de l’Afrique, Payot, Paris. BOAS, Franz 1966 Race, language and culture, Paperback, New York. 2003 L’art primitif, traduit de l’anglais par Catherine Fraixe et Manuel Benguigui, Adam Biro, Paris. DARWIN, Charles 1874 La descendance de l’homme, éd. Librairie C. REINWALD, Paris. 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