Dossier pédagogique lesfidèles-large©C.Léna les fidèles histoire d’annie rozier texte et mise en scène Anna Nozière Représentations du mardi 18 au samedi 22 janvier 2011 Dossier pédagogique réalisé par Rénilde Gérardin, service éducatif de la Comédie de Reims : [email protected] Contacts relations publiques : Margot Linard : [email protected] Jérôme Pique : [email protected] Page 1 texte et mise en scène Anna Nozière Catherine Bœuf la Grand-mère Virginie Colemyn la Mère Fabrice Gaillard le Curé Camille Garcia Annie Rozier Martial Jacques l’Oncle Julie Lesgages Monique Marina Moncade Sœur Marthe Pascal Thétard le Père assistante à la mise en scène Geneviève Thomas collaboration artistique Denis Loubaton scénographie Cécile Léna lumière Antonin Liège son Loïc Lachaize régie plateau Gilles Muller costumes Cécile Léna et Patricia de Petitville fabrication accessoires er décor Marc Valladon fabrication de « Petit Jacques » Stéphanie Dumont et Cécile Venier-Alla assistante auditions Rebecca Bonnet assistante stagiaire Marine Baldini Cuisine Catherine Lavigne production Cie Anna Nozière / production déléguée TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine / coproduction Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN, La Comédie de Reims – CDN, L’OARA – office artistique pour la région Aquitaine, l’Essaim de Julie – lieu de création et de résidence artistique / avec le soutien de la DRAC Aquitaine – Ministère de la culture et de la communication /avec l’aide à la création du CNT, et le soutien de la SACD à l’auteur / mécénat d'entreprise Cabinet Synthesis / Mécènes privés Marie-Victoire Bergot, Marie-Laure Brigand, Nathalie Di Francesco, Patricia Leloup, Florence et Yann MinardMarmorat, Danièle Pierre, Sandrine Vilanova / remerciements à Joël Jouanneau, la Compagnie Daniel Larrieu, Le Samovar, Marc Valladon, Hélène Salat. Page 2 les fidèles histoire d’annie rozier dossier pédagogique sommaire Présentation du spectacle page 4 LE PROJET ARTISTIQUE Note d’intention(s) page 5 Entretiens avec Anna Nozière page 7 LES FIDELES, une autofiction au service de la mémoire familiale Liste des personnages principaux page 10 Extraits de les fidèles histoire d’Annie Rozier page 10 Autofiction et mémoire familiale page 13 ÉCHOS dans la presse page 16 DECOUVRIR un autre AUTEUR ET METTEUR EN SCENE contemporain : page 20 extrait de Pôles de Joël Pommerat BIOGRAPHIE de l’auteur et metteur en scène page 22 Anna Nozière Bibliographie, Sitographie Page 3 page 24 Présentation Annie Rozier vient de naître. On la baptise. On lui offre des casseroles et toutes sortes de gamelles, le portrait d'un aïeul atteint de la gangrène, sa jambe de bois, et Petit Jacques, enfant momifié, mort à la naissance et que l'on se passe d'une génération à l’autre. Annie découvre sa famille : des personnages « fidèles » (à eux-mêmes, à leurs croyances, à l’histoire et aux injonctions familiales…), qui se refourguent des fantômes et se cherchent des poux jusqu'à la mort entre deux prières pour conjurer le destin. Annie trouve les moyens de sa survie dans des fantasmes et d’étranges rêves. Dans une pièce à la fois intime et burlesque, l’auteur et metteur en scène convoque au théâtre des figures de la mémoire. La mère, le père, l’oncle, la grand-mère, la sœur, etc. L’histoire d’Annie Rozier et de sa famille, racontée dans une suite de scènes brèves où accouchement, baptême et veillée mortuaire ressemblent à d’absurdes cauchemars autant qu’ils sont jubilatoires. Car la mémoire porte en elle son incroyable énergie, et cette comédie noire, menée tambour battant par une excellente troupe d’acteurs, est avant tout traversée par une théâtralité débridée. Ici on se refourgue des fantômes, des enfants morts et des jambes de bois, et l’humour et la cocasserie le disputent sans arrêt à l’effroi. Alors seulement, de temps en temps, comme une respiration dans cette histoire trépidante, comme une parole suspendue, on nous murmure un chant d’alcôve, cœur profond et refuge de l’enfance. Page 4 LE PROJET ARTISTIQUE Note d’intention(s) « Ecrire ce texte a été pour moi l’occasion d’aborder la question de la mémoire familiale, de toute forme de fidélité aux générations qui nous précèdent, mais aussi de parler du drame de l’enfance abîmée, qui existe de tout temps et dans tous les milieux. Peut-être est-ce une pensée étrange, mais j’ai toujours pensé que le rôle de l’artiste avait quelque chose à voir avec la protection de l’enfance. Non pas sur un plan social, et pas seulement sur un plan symbolique, mais sur un plan existentiel. L’artiste et l’enfant sont frères de sang. Et Les Fidèles est sans doute l’endroit des retrouvailles entre l’artiste que je suis et l’enfant que j’ai été. Mais lorsque je mets en scène, je ne pense pas à tout cela, ni à moi-même. Je ne fais pas de psychologie, ni de sociologie, je ne suis évidemment ni juge ni parti d’aucun des personnages, et je ne m’engage jamais autour du sujet de la pièce. Le théâtre militant ne m’intéresse pas. Je me contente de faire mon travail, c'est-à-dire de raconter une histoire. Et de « monter le son », car l’histoire que je raconte est, je le crois profondément, l’histoire de chacun. Ce qui me bouleverse alors, c’est de comprendre la nature du geste artistique qui va enfanter un spectacle. La réalité charnelle de notre travail sur Les Fidèles est de ressusciter au théâtre des figures de la mémoire. Nous recevons l’incroyable énergie qu’elles portent en elles et sentons ce qu’elles pourraient libérer de notre propre énergie. C’est une expérience très excitante pour un metteur en scène et pour son équipe. Actuellement, je songe beaucoup à la meilleure façon d’amener concrètement le public à partager avec nous cette expérience. Comme je crois beaucoup à l’élaboration progressive d’une vision sur le plateau, ce n’est pas très facile d’écrire une note d’intention. Ce que je peux dire néanmoins, c’est qu’instinctivement je place l’enjeu majeur du texte dans la confrontation des deux écritures qui la composent. Je peux dire aussi, le plus simplement possible, ce que je vois en écrivant. L’endroit du dialogue, trivial et burlesque, me ramène la mécanique de cette famille, à l’horlogerie de ses déplacements dans la maison – un lieu sans fond qui n’a pour lui que sa mémoire ; d’où l’on surgit, où l’on disparaît. Où les corps chutent. Je vois des ombres qui vacillent dans la flamme des cierges. Les non-dits des espaces qu’on ne voit pas, mais qu’on devine. Je pense aussi à Kantor, de plus en plus. Je me dis « S’il avait monté un vaudeville, à quoi ça aurait ressemblé ? », et je me réjouis d’assister à des choses étranges et qui ont l’air très drôles. Drôles et noires, toujours tendues. Sans une once de naturalisme. Je me demande comment faire surgir làdedans la parole. Comment aller toucher au plus près sa naissance, dans ce vide existentiel auquel chacun est suspendu – c’est dans ce qu’ils se disent, même lorsque cela ressemble à du non-sens, Page 5 que les personnages essayent d’exister. Pas de psychologie, du rythme ; cette partition organique doit dire sans relâche la collusion qui entretient la violence et, dans le même temps, creuser le sillon de l’humour. L’effroyable et le rire cohabitent, parfois tentent de prendre le pouvoir l’un sur l’autre (mais aucun des deux ne devrait l’emporter). L’écriture narrative, plus grave et plus contemporaine, qui vient suspendre les dialogues, m’amène au dépouillement, à la lenteur. Elle n’interrompt jamais l’action mais doit l’étirer à l’extrême. Elle télescope les temps dans un temps infini. J’entends une voix nue, simple, frontale, dire le prologue de la pièce, et j’imagine que petit à petit, en partant du sens sans jamais l’illustrer, arrive quelque chose d’onirique. Avec des mouvements ciselés, jamais dansés mais presque. Cela reste pur et franc. Je vois de temps à autre quelque écho au récit ; une tempête de grêle silencieuse, une petite fille traînant le couvercle d’un cercueil avec la lenteur d’une danseuse de Butô. Pas de pathos évidemment, public témoin et non voyeur. Ce qui est essentiel, sur ces parties narratives, ce n’est pas seulement de travailler à ce qui est dit mais à la nécessité de le dire. Dans tous les cas – et la forme devrait le montrer – c’est parce que cette nécessité existe que le rêve ou le fantasme disent eux aussi la vérité. Vérité comme un fil qui ne lâche pas, qui s’épaissit, sur lequel on pourrait finir par courir et sauter. Là encore, ce qui m’importe n’est pas seulement de raconter l’histoire mais de convoquer au théâtre des figures de la mémoire, et de voir l’énergie libératrice qu’elles apportent avec elles. Je veux une pièce vivante, vitale ! Une pièce chorale, où la singularité de chacun s’éclaire à la lumière du groupe. Mon travail est centré sur l’acteur, sa dynamique, la rencontre de ses engagements individuel et collectif. Le second univers devrait trancher avec le premier. Puis le nourrir. Et de frontières obscures en glissements fantasmatiques, j’imagine qu’ils finiront par se fondre. Quelle forme à naître de la rencontre des écritures, des temps passé et présent, réels et imaginaires ? Quel sens ? C’est par là que nous allons chercher. Et je suis persuadée que ce que nous découvrirons nous ouvrira très simplement au monde cette fois encore, car je suis de ceux qui pensent et vérifient sans cesse qu’on peut pratiquer un théâtre exigeant et tout à la fois populaire. » Anna Nozière Page 6 Entretiens avec Anna Nozière Entretien pour le théâtre de Sartrouville et des Yvelines Les Fidèles, Histoire d’Annie Rozier est-ce un texte autobiographique ? Non, je ne peux pas dire cela. L’histoire d’Annie Rozier puise principalement son inspiration dans des mémoires familiales – la mienne, celle de mes parents et celle de mes grands-parents – mais elles sont passées à la moulinette de mon imaginaire. Cela ne m’intéresse pas de raconter ma vie au sens événementiel du terme. Je ne me situe pas dans une démarche autobiographique. Par contre, je peux dire que sur le plan des sensations, et aussi sans doute d’un point de vue émotionnel, Les Fidèles traduit assez bien l’idée que j’ai gardée de l’enfance. Pourquoi le nom du personnage principal est-t-il si proche du vôtre ? Pour garder la trace de cette mémoire singulière. Pour ne pas la noyer jusqu’au bout dans la fiction, ne pas l’arracher trop tôt à son identité. Peut-on partager la mémoire émotionnelle ? Qu’est-ce que cela libère, chez celui qui raconte, mais aussi chez celui qui écoute ? Ces questions me passionnent et sont au cœur de l’acte artistique. En contenant une partie de moi, le personnage leur confère une vérité supplémentaire. J’aime que l’artiste rende au monde quelque chose qu’il retenait jusque-là. Ce passage de l’intime à l’univers, dans ce lieu si particulier qu’est le théâtre, et en présence des témoins que sont les spectateurs, renvoie à la dimension rituelle de la représentation. Cette dimension me touche particulièrement. Je travaille dessus depuis longtemps, bien qu’ayant mis quelques années à m’en rendre compte. J’aimerais aller un peu plus loin avec Les Fidèles. Avec toute la pudeur nécessaire, l’ambiguïté auteur personnage peut m’y aider. Comment traitez-vous la violence ? Le spectacle dans son ensemble n’est pas traité de façon naturaliste. Nous nous immergeons plutôt dans une forme onirique. Les rêves d’Annie Rozier sont très présents, et l’histoire se balade à la frontière de la réalité et du cauchemar. On ne sait pas vraiment ce qui a lieu, ce qui est imaginé, ou encore fantasmé par Annie. Il y a aussi dans ces scènes quelque chose de décalé qui engendre une certaine drôlerie. Prendre du recul, c’est aussi « en rire ». Justement, peut-on rire de tout ? De tout, je ne sais pas. Mais de ce que j’ai écrit, oui ! C’est du moins ce qu’on me dit. Il n’y a aucun cynisme dans cette pièce. Il y a je crois une grande vitalité, et quelque chose de trépident qui peut être assez jubilatoire. J’aime la dimension rythmique d’un spectacle parce qu’elle s’adresse à tout le monde. Je suis pour un théâtre immensément exigeant tout autant que populaire. Lorsqu’ils trouvent ensemble le rythme juste, quelle que soit la difficulté du texte, les acteurs ont une prise sensible sur les spectateurs. Ce ne sera pas un spectacle léger, tout de même ? Léger, je ne pense pas. Il y a de l’effroyable dans cette cocasserie. Mais régénérant, ça oui je l’espère. Le théâtre que je pratique peut confronter ou déranger, et j’assume cela totalement, mais Page 7 s’il n’était pas une bouffée d’oxygène pour le spectateur, alors j’estimerais que j’ai manqué quelque chose. Comme spectatrice, je ne vais pas au théâtre pour m’asphyxier. J’attends d’un artiste qu’il m’aide à ouvrir en moi un espace nouveau. Et si je ris, c’est encore mieux. Comme metteur en scène, j’essaye dans la mesure de tous les possibles d’offrir cela au public. Vous est-il vraiment possible d’avoir assez de recul pour mettre en scène votre propre texte ? On me pose très souvent cette question, et cela m’étonne, à l’heure où des metteurs en scène comme Joël Pommerat ou Wajdi Mouawad ont commencé à jouir d’un très grand succès en montant leurs propres textes. Un peu comme eux, je crois, je n’envisage pas l’écriture et la mise en scène comme étant deux démarches tout à fait distinctes. J’écris en pensant à la scène, puisque je suis avant tout metteur en scène, et je peux transformer l’écriture si quelque chose résiste à l’épreuve du plateau. Il m’est aussi arrivé d’écrire directement à partir du travail de plateau. A la question du recul plus précisément, il est important de répondre que je ne travaille pas seule. Il y a les comédiens, bien sûr, qui sont toujours de formidables révélateurs, et peuvent transformer l’idée que je me fais d’une scène en matérialisant sur le plateau leurs intuitions singulières. Il y a Cécile Léna et Antonin Liège (scénographie et lumière), dont les propositions formelles réinterrogent le texte de leurs sensibilités respectives. Il y a enfin Denis Loubaton (collaboration artistique) qui agit comme un éclaireur de sens, le plus souvent en me retournant mes questions ! Mon écriture est instinctive, elle va vite, je ne fais pas de plan, je ne sais pas à l’avance ce que je vais raconter si bien que lorsque je me relis, je m’étonne toujours de ce que j’ai écrit. Je me demande « d’où ça sort ». En fait, je suis confrontée à mon propre mystère. Denis m’accompagne dans la traduction de mon œuvre : là commence mon chemin de metteur en scène. Vitez disait que l’œuvre dramatique est une énigme que le théâtre doit résoudre, et que la solitude, l’inexpérience et l’irresponsabilité de l’auteur sont précieuses, dans ce sens que plus l’œuvre est difficile à traduire sur le plateau, plus on est contraint de s’arracher à ce qu’on connaît pour inventer un nouveau langage, spatial, physique, vocal. Alors voilà, je suis un metteur en scène qui se coltine son propre texte d’auteur irresponsable. Et je travaille en équipe. Comment avez-vous choisi les comédiens qui vont incarner cette « famille »? En prenant beaucoup de temps ! Je les ai choisis autant pour leur singularité respective que pour leur capacité à jouer ensemble la même partition. Je les ai choisis aussi pour leur désir de partager mon exigence. Je les ai choisis enfin parce qu’ils viennent d’horizons très différents. Cela m’a toujours paru indispensable. La petite musique qui s’installe chez les comédiens d’un même réseau, il faut la combattre. Entretien réalisé au printemps 2010 Page 8 Entretien avec Anna Nozière pour le journal La Terrasse Jeux de mémoire entre réel et fantasme. La mère, le père, l’oncle, la grand-mère, la sœur : la famille… En un chapelet de saynètes tranchées à vif, l’auteur et metteur en scène Anna Nozière conte l’histoire des Fidèles, entre réalité et cauchemar. Qui sont ces « fidèles » ? Des gens attachés par leurs fidélités à la religion, à leurs croyances, à la famille, aux injonctions de la lignée. Ils sont tenus et empêchés par les figures du passé, par une histoire familiale qui les entraîne dans un engrenage infernal, comme une malédiction. Cette pièce parle de la mémoire et de la façon dont chacun tente de vivre avec, de nos liens aux générations qui nous précèdent, du drame de l’enfance abîmée. En fait, la narration importe moins que les réactions déclenchées par les situations, souvent abruptes. Elle n’obéit pas à une logique discursive mais fonctionne plutôt par digressions et ricochets, à la manière des rêves. Le sens se joue au niveau symbolique et convoque des thèmes archaïques, comme dans un conte. Vous vous libérez aussi de tout réalisme. Vos personnages, assassinés au détour d’une réplique, ressuscitent à la didascalie suivante. Passé et présent, réel et fantasme s’entremêlent dans un jeu de projections qui brouille en permanence les lisières de la réalité et du cauchemar. L’écriture s’amorce chez moi par un flot qui me submerge, qui se déverse en un écoulement touffu, que je trie et ensuite compose. C’est le rythme qui guide ma main, plus encore que le sens. Le rythme et l’énergie portée par les mots permettront ensuite d’être en prise sensible avec le public. L’émotion provoquée par les situations touche en effet le spectateur mais sans agression car vous poussez la violence des relations entre les membres de cette famille vers le burlesque. Certaines situations, très dures, évoquent la maltraitance ou la pédophilie. Je les traite en décalage, hors de toute psychologie, et les pousse à l’extrême incongruité pour en faire sortir l’insupportable drôlerie. Pour reprendre la réflexion du philosophe Boris Cyrulnik sur la résilience, l’artiste qui ne parvient pas à transcender la violence est un agresseur supplémentaire. Vous avez puisé dans votre vécu intime. Comment articuler le « je » et le « nous » ? J’ai convoqué ma propre mémoire pour déclencher l’écriture, les sensations que m’a laissées mon enfance, mais ce texte n’est pas autobiographique. Très vite, la fiction est venue s’en mêler, les personnages ont pris vie à mon insu, m’ont emmenée dans leurs histoires… et je les ai suivis. Comment s’est effectué le passage de l’écriture solitaire au travail collectif sur le plateau ? J’ai commencé par me débarrasser des visions qui avaient guidé l’écriture et je me suis confrontée au texte, à mon propre mystère. Avec les comédiens, nous avons exploré la pièce, pour en fouiller tous les sens, tous les possibles. A mesure de nos discussions et des improvisations, j’ai vu des couleurs différentes, des nuances que je n’avais pas discernées auparavant. L’inconscient de l’écriture devient lisible sur le plateau, car il se trouve matérialisé. Nous allons ensuite travailler une énergie commune malgré les individualités différentes, chercher le passage de nos intimités vers celles des spectateurs. Propos recueillis par Gwénola David en septembre 2010. Page 9 LES FIDELES, une autofiction au service de la mémoire familiale Liste des personnages principaux ANNIE. Éponge familiale. MONIQUE. Orpheline adoptée. Quasi muette. Souffre-douleur de la mère. GRAND-MÈRE. Gâteuse et poétique, un peu surréaliste. LE PÈRE. Patriarche à oeillères. LA MÈRE. Machine à claques. Inépuisable. SOEUR MARTHE. Terrienne. Sert un peu de bonne, un peu d’infirmière. L’ONCLE. Pervers, gentil et ténor. LE CURÉ. Mystique immature. PETIT JACQUES. Enfant mort né, momifié par la famille. UN ACCOUCHEUR. En sueur. UN PETIT GARCON DE L’ORPHELINAT. Ne reste pas. LE PÉPÉ. Malade. On ne le voit jamais, on entend seulement la clochette qu’il sonne pour appeler. Il croupit dans une pièce à côté. Extraits de les fidèles, histoire d’Annie Rozier Tableau 1 Un long râle d’épuisement. Suivi de deux respirations bruyantes. Suivies d’une nouvelle contraction. L’accoucheur se penche sur les cuisses écartées de la mère qui pousse tant qu’elle peut. Les cuisses se tendent, la mère pousse encore ; les cuisses se raidissent jusqu’à la tétanie, un cri de bête déchire le peu d’air qui reste. Mais rien ne vient. La mère est en sueur. L’accoucheur est en sueur. Le linge, la table, la pièce entière sont en sueur – et rien ne vient. Soudain l’accoucheur se redresse: quelqu’un est là qui regarde la scène. L’accoucheur – Qui êtes-vous ?!! Annie – Annie Rozier. A ce nom la mère s’évanouit. L’accoucheur est abasourdi. Il regarde Annie, puis l’entrejambe de la mère, puis de nouveau Annie, puis l’entrejambe de la mère, puis de nouveau Annie. Annie – J’avais trop chaud. Page 10 Tableau 2 Dans la lumière vacillante des cierges blancs. Le curé – Reçois, par cette eau que je bénis, sa force et sa bonté, et demeure éternellement en sa miséricorde. Tous – S’il vous plaît. Le curé – Que veille en toi cette lumière, Annie, et à tes côtés, ta grand-mère Madeleine, que ton père t’a choisie pour marraine. Et que le Seigneur vous protège. Tous – S’il vous plaît. Le curé, aux parents – Vous pouvez à présent vous avancer pour les offrandes. Les parents s’avancent, des gamelles plein les bras. Poêles, cocottes, sauteuses, casseroles s’entrechoquent. Soeur Marthe, à mi-voix, se signant – Le ciel protège de la tuberculose cette petite fille. On remet les gamelles à Annie. Le curé, à l’oncle – Que faites-vous ? L’oncle – J’offre, moi aussi ! Je n’ai pas de petit ! Un temps. Le curé – Ça sent la saucisse. L’oncle – Je n’ai pas eu le temps de les laver. Une clochette sonne dans une pièce voisine, Soeur Marthe sort. L’oncle – Mais, mon Père, je les ai bénies ! Grand-mère, portant un paquet – Voilà le portait du grand-père. La mère – Le cochon ! Il a les dents jaunes ! Le curé – Ce n’est pas de sa faute, voyons ! C’est à cause des médicaments. Soeur Marthe revient, apportant une canne. Grand-mère, à Soeur Marthe – Et j’offre aussi la jambe de bois. Soeur Marthe – Seigneur Dieu ! Grand-mère – C’EST DU CHENE ! On peut s’en servir comme d’une bûche ! Ou la découper en rondelles, pour fabriquer des sortes de petits jetons en bois ! Un temps. C’est curieux, on croirait que ça sent l’andouillette. L’oncle a découvert le portrait. L’oncle, à la mère – Regardez, Radegonde ! On n’y verra pas les dents jaunes, la photo est en noir et blanc ! La mère – Et les caries ? Le curé – Allons. Page 11 Un temps. Grand-mère – Avec la jambe elle peut assommer des bêtes ! Soeur Marthe – Quelles bêtes, grand-mère ? Grand-mère – Des sangliers. Un temps, Soeur Marthe donne la canne à Annie. Soeur Marthe – De la part du pépé. L’oncle, au père – Ça ne va pas lui faire double emploi, avec la jambe ? On se tait. La mère s’est avancée. Elle tient dans les bras un bébé inerte, entouré de bandelettes fanées. Le curé – Annie, je te présente Petit Jacques, de 1908. Laissé en son temps par ta grand-mère Adélaïde, la pauvre mère de ta maman. Il est moitié mort dans son ventre, moitié mort au dehors. Solennel – À ton tour nous te le confions. Veille sur lui comme ta marraine veille sur toi, et le Seigneur veillera sur vous. Tous – S’il vous plaît. Le curé – Allons à présent dans la paix et la joie. Par Jean-Christophe, notre Seigneur. Tous – Nous rendons grâce à Dieu. Tableau 4 Les petites mangent une soupe. Les adultes graissent leurs bottes. Le père, à Annie – 1824 ? Annie – Angèle Frémont épouse Rozier. Morte de la tuberculose en 1844. Le père – Bien, Monique. Annie – Non, Monique ce n’est pas moi. Le père – Boutique ! Un temps. 1908 ? Annie – Roger Mailleux, descendant Rozier par la branche Dijonneau. Mort de la tuberculose à 36 ans. L’oncle, pour lui, graissant sa botte – Je vais la fourrer, et lui astiquer le fion. Un temps. Le père – Qui est Marie-Lucienne ? Annie – Ta cousine par alliance, décédée à la naissance. Le père – De quoi ? Annie – De naissance. Le père – NIGAUDE ! TU CONFONDS AVEC ARLETTE ! Annie – De tuberculose. Le père – Tout de même ! Page 12 Jouer sur la frontière entre réel et imaginaire : l’autofiction1 S’inspirant de sa mémoire familiale, Anna Nozière traduit dans Les Fidèles une volonté de s’émanciper d’une mémoire factuelle et réaliste pour tendre vers une mémoire plus subjective et émotive, une mémoire faisant la part belle aux constructions inconscientes et aux divagations imaginaires : « Cela ne m’intéresse pas de raconter ma vie au sens événementiel du terme. Je ne me situe pas dans une démarche autobiographique. Par contre, je peux dire que sur le plan des sensations, et aussi sans doute d’un point de vue émotionnel, Les Fidèles traduit assez bien l’idée que j’ai gardée de l’enfance. ». Ainsi, des scènes du quotidien côtoient un univers onirique, cauchemardesque, semblant tout droit jailli de l’inconscient de la petite Annie. Le nom du personnage principal est d’ailleurs très proche du nom de l’auteur, Anna Nozière, qui pousse la confusion jusqu’à dire le prologue en direct et en off, lors des représentations : « Je parle à toi Ma petite fille du dedans : (…) Patiente encore un peu Je tiendrai ma promesse. Patiente je t’écrirai une pièce, et des chansons Et l’on dira de nous « quelle imagination ! » Un trouble demeure, une ambiguïté est préservée, le réel et la fiction se croisent, se mêlent et se confondent : « c’est le vertige de la confusion mentale quand le réel ne se distingue plus de toutes les formes de l’imagination. Quand se brouillent les lieux, les époques, les choses même et les gens. Se trouve supprimé l’arbitraire des mesures et des séparations. On ne sait plus où s’arrête le corps. Cette psychose qui fait mal est pourtant si proche de l’écriture : des pans de réel entraînés, perdus, dans un champ d’imagination. » Claude Régy, L’état d’incertitude. Ces franchissements, ces interpénétrations, cet état d’incertitude maintenu entre réel et imaginaire, nous ramènent à interroger la source même de toute mémoire et de toute écriture, nous rappelant, de la sorte, que mémoire et création sont, par essence, indissociables. Loin d’être une autobiographie, Les Fidèles, correspondrait alors davantage à un genre plus contemporain : l’autofiction. C’est l’écrivain Serge Doubrovsky, le premier, qui, en 1977, emploie le néologisme. Comme son nom l’indique, l’autofiction suggère une fusion entre autobiographie et fiction. Au départ, le genre autofictionnel s’applique au récit qu’un auteur fait d’événements de sa vie, sous une forme romancée. Dans Les Fidèles, les quatre instances auteur - metteur en scène – narrateur - protagoniste sont réunies en une seule, qui constitue la colonne vertébrale du projet, sa structure. En effet, dans le genre autofictionnel, le nom propre n’est plus seulement un critère de l’écriture, il en devient la matière. En se remémorant, l'auteur se réinvente, le souvenir n'est plus 1 Extraits du dossier pédagogique proposé par le TnBA, Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine Page 13 derrière lui, mais devant lui. Ce moi invasif, loin de créer un enlisement en soi-même, suggère une ouverture, un manque et un appel à ce que l’autre, le lecteur, le spectateur, viennent partager cette mémoire personnelle. Par l’expérience sensible qu’il en fait, le spectateur ressuscite ce passé subjectif. Ainsi, la mémoire est amplement interrogée, dans ce genre, et rendue à son inextricable complexité. L’autofiction, ou fabulation de soi, est donc un genre hybride, qui joue avec la notion même de frontière. Dans Les Fidèles, on navigue sans cesse entre le réel et l’imaginaire, mais aussi entre le passé et le présent, le conscient et l’inconscient, la normalité et la folie, soi et les autres. Si une nouvelle autofiction peut naître et croître, elle pourrait s'inspirer d'une déclaration de Jacques Derrida, dans le quotidien Libération : « Plus j'avançais, plus je me suis autorisé à me mettre en scène, mais de façon fictive. C'est à la fois irréductiblement singulier, mais exemplaire de situation universelle. » La mémoire familiale : transmission, déterminisme et liberté1 Lors de son baptême, on donne à Annie des vieilles casseroles, un enfant momifié, une jambe de bois et d’autres objets hérités des différents membres de la famille et transmis de génération en génération. Ce sont des objets vecteurs de la mémoire familiale. Plus tard dans la pièce, on fait réciter, à Annie, la généalogie de sa famille : qui est mort de la tuberculose, qui d’une autre maladie, qui s’est fait amputer… Chez la famille Rozier, il existe une mémoire familiale que l’on se transmet de génération en génération. Anna Nozière met à jour les rouages de cet héritage, d’ordinaire tacite et inconscient. Exaltant ce que l’on a coutume de nommer, dans le langage courant, « des casseroles » ou « des valises », Anna Nozière les met en scène au sens littéral. La petite Annie croule, dès sa naissance, sous les objets emblématiques familiaux, symboles des traumatismes passés. Ici les souvenirs racontés, répétés, appris par cœur, sont ceux des morts, des disparitions, des maladies : le genre d’évènements que l’on a l’habitude de cacher, d’oublier, de transformer. Dans Les Fidèles, la mémoire familiale se transmet oralement, ouvertement. Le passé obsédant, martèle le présent et vient asphyxier les individus. On se sent très proche de la théorie psychogénéalogique, approche thérapeutique de la mémoire familiale, qui se penche sur l’origine de l’individu et l’histoire de ses ancêtres. Pour expliquer certains faits de son histoire actuelle (angoisses, psychoses, maladies…), l’individu peut ainsi retrouver des souvenirs familiaux cachés dont il aurait hérité inconsciemment. Dans son livre Comment paye-t-on les fautes de ses ancêtres ? Nina Canault cite le psychanalyste Didier Dumas : « Quand il existe des traumas importants dans une famille, des morts par suicide, ou des bébés morts, ces histoires restent vivantes dans l’inconscient et si ceux qui leur survivent n’en parlent pas, c’est alors qu’elles se transmettent d’inconscient à inconscient sous forme de fantômes ». Page 14 Ainsi, ces « casseroles », ces « fantômes » font, selon le psychologue Hermann Hesse, partie d’un ensemble d’éléments qui vont constituer notre personnalité. « La seule chose qui compte, c’est le fait que chacun de nous est le dépositaire d’un héritage et le porteur d’une mission : chacun de nous a hérité de son père et de sa mère, de ses nombreux ancêtres, de son peuple, de sa langue, certaines particularités bonnes ou mauvaises, agréables ou fâcheuses, certains talents et certains défauts, et tout cela mis ensemble fait de nous ce que nous sommes, cette réalité unique. Or cette réalité unique, chacun de nous doit la faire valoir, la vivre jusqu’au bout, la faire parvenir à maturité et finalement la restituer dans un état de perfection plus ou moins avancé. » Hermann Hesse, Lettre à un jeune artiste. Contrairement à la psychanalyse, où le patient est amené à parler principalement de lui-même, la psychogénéalogie considère que l’individu ne se limite pas à sa simple personne : il est aussi fils ou fille, petit-fils ou petite-fille, arrière-petit(e)-fils (ou fille)… L’enjeu du travail psychogénéalogique est alors de prendre conscience de ce passé familial, de le comprendre et de se détacher de ce fardeau pour venir à bout d’une crainte, d’un traumatisme… en quelques sortes trouver les « fantômes » qui nous parasitent et nous en débarrasser. A titre d’exemple, on peut citer Anne Ancelin Schutzenberger, théoricienne pionnière de la psychogénéalogie, qui écrit dans son livre Aïe, mes aïeux ! : « J’ai commencé à m’intéresser à ce sujet, il y a une dizaine d’années, à partir d’une réflexion de ma fille : « Tu te rends compte, Maman, que tu es l’aînée de deux enfants, dont le deuxième est mort, que Papa est l’aîné de deux enfants dont le deuxième est mort, que moi je suis l’aînée de deux enfants, dont le deuxième est mort…et que depuis la mort d’oncle Jean-Paul, je craignais en quelques sorte celle de mon frère… » (jusqu’à ce qu’elle survienne) ». Révéler l’histoire de la famille, dans la construction de la personne, est la base de la psychogénéalogie, dans le but de savoir ce qui, lui appartient et ce qu’il subit. C’est justement ce bagage inconscient qui prend corps dans Les Fidèles et en constitue le nœud dramatique, ouvrant la voie vers une libération possible par la sublimation propre à l’élan artistique et par le rire. Page 15 ECHOS dans la presse Les Fidèles au TnBA : famille je vous hais. Les Fidèles est une histoire de famille. De vivants » qu'on aimerait croiser plus souvent sur mémoire et de généalogie, de la trace laissée le plateau. Au Théâtre national de Bordeaux par les anciens sur les nouvelles générations, de Aquitaine jusqu'au 22 octobre. fantômes qui hantent les rêves au présent, de l'impact des bons et mauvais souvenirs et plus généralement de l'enfance abîmée. Annie Rozier n'a pas échappé à cette lignée, une hérédité dont elle subit chaque jour le poids. La famille d'Annie est fidèle à ses racines, des ancres malodorantes et rouillées qui empoisonnent toute forme de vie. Cette pourriture qui émane de l'écriture d'Anna Nozière, prend toute sa force sur scène, dans une performance chorale éclatante servie par une troupe de « mortsLe poids de l'hérédité Dans la famille Rozier, il y a la mère, personnage central de la pièce, figure de la maternité hystérique et violente, qui impose chaque jour son monde de la terreur. Secondée dans sa tâche par l'oncle d'Annie et ses grosses mains de Général qui pensent un peu trop au "fion", elle vit aux côtés d'un mari passif mais tout autant destructeur par son silence et son aveuglement. A eux trois, ils sont une tornade qui broie les existences d'Annie et de sa sœur adoptive Monique, la" bâtarde", celle qui subit les coups et les humiliations sans sourciller. Terrible défouloir. Un tableau de famille obscur, s'il n'y avait la présence de la grand-mère, seule once de douceur, abri de fortune qui sent bon le lait chaud pour quelques heures. L'histoire d'Annie Rozier et de ses "fidèles" n'est pas belle. Elle est une intrusion dans le pathétique, les vérités indigestes et dérangeantes, les réalités sociales qu'on sait taboues. Elle est racontée par Annie, le regard extérieur porté sur son propre malheur, la parole franche et crue, pour ne rien cacher, y compris ses plus bas instincts. Un conte de la cruauté, autant effroyable que drôle, terriblement cynique et hilarant parfois, distancié de la réalité. Sans doute la clé de ce détachement qui traverse la pièce et nous laisse à notre place de spectateur, sans empathie ni compassion. Les Fidèles n'est pas une écriture de l'émotion, n'a pas pour ambition de porter un jugement, ne se place pas dans la catégorie des Page 16 témoignages. Elle est un regard singulier sur le poids de l'hérédité, le hasard de la naissance, la question de l'enfance: celui d'Anna Nozière qui imagine une pièce entre vivants et revenants, entre visions cauchemardesques et réalité abrupte, entre cocasserie et atrocité. Un style très particulier qu'elle met en scène pour mieux illustrer sa façon de voir, son propre répertoire. Une insanité perfide et comique Éloignée du naturalisme, Les Fidèles est une pièce intégrale qui pour reproduire sur le plateau cette dualité formelle, narrative et discursive, porte un soin infini à chaque pan de l'œuvre. Si la pièce jouée manque encore un peu de maturité, notamment dans la première partie qui peine à trouver son rythme, la finalité prend son sens dans cette minutie apportée aux éléments: texte, jeu et scénographie. La langue brute et poétique, viscérale, est d'un impact sans retenue, limpide. Annie: « Jetée là, j'ai erré dans un mauvais rêve: ma longue vie de 10900 jours » / Ma mère laissait crever tout raide nos rêves... Des vipères sortaient de sa bouche » / "Mon oncle faisait de moi un haut le cœur à l'infini. » La fantasmagorie présente dans l'écriture ne prend vie que sur scène, à travers les visions de l'auteur, la direction qu'elle indique aux comédiens. Sur le plateau, la folie domine, une insanité perfide car comique. Les scènes de meurtres fantasmés côtoient l'hilarité d'un enterrement déjanté. Un grand écart servi par une troupe de comédiens d'exception, à commencer par la mère - Virginie Colemyn -, incroyable incarnation de la déraison, qui offre ici un moment de comédie jubilatoire. Baignés dans cet enfer rouge et marron, les personnages se détruisent au son de l'accordéon, virevoltent et s'écroulent, morts ou fous, peut-être les deux. Happés par les entrailles de la terre, les fidèles devront céder à la spirale qu'ils ont engendrée, et rejoindre leur lignée comme le veut leur destinée. Tuberculose, leucémie, maladie de pique plancher... rien n'est trop pourri pour ces fantômes du présent dont Annie doit se débarrasser encore et encore. Un fardeau lourd à porter pour ce gabarit réduit, dont on ne sait où mènera sa lutte acharnée et vitale. Hélène Fiszpan, le 19/10/10 sur http://www.aqui.fr Les esprits de famille Anna Nozière écrit et met en scène « Les Fidèles » ; un vaudeville familial hanté, onirique et sombrement burlesque. Première ce soir au TnBA. « Je viens de la troupe, c’est important de le dire ». Anna Nozière a le souci du groupe, cette seconde famille. C’est pourtant en son nom propre qu’elle a écrit « Les Fidèles », sa première pièce éditée (aux Solitaires Intempestifs), c’est elle qui signe la mise en scène et c’est encore elle qui semble se mettre en Page 17 jeu dans cette « Histoire d’Annie Rozier ». Mais peut-être que c’est précisément là, entre mémoire intime et travail collectif, que se tient l’enjeu théâtral de cette chronique familiale noire et déjantée, jouée pour la première fois ce soir au TnBA. Anna Nozière n’est pas du sérail. Pourtant, elle a découvert le théâtre il y a presque 25 ans, au début de l’adolescence, dans « un petit village perdu au fin fond du Limousin ». Ca a donné Peer Gynt, une troupe de copains faisant « un théâtre bricolé, coupé des références », une aventure qui a pris une ampleur considérable et a duré 20 ans », menée avec d’autres expériences – Samovar de Bagnolet, fac de sciences humaines, théâtre en milieu psy… Elle a coupé le cordon il y a quelques années pour débuter l’écriture des « Fidèles ». Elle s’est installée à Bordeaux, a peaufiné le texte et la production, « ce chemin de croix ». Revenants et bondieuseries « Les Fidèles », c’est donc une histoire de famille. Entre autobiographie et fiction, c’est entendu, puisqu’il s’agit de brouiller les pistes, ou plutôt de faire de la scène le lieu du « partage d’une mémoire émotionnelle », entre fidélité et trahison. D’où la similitude entre Anna et Annie, ou encore le choix de disposer – à la manière d’un Jan Lauwers dans sa « Chambre d’Isabella » - des objets personnels dur le plateau. « Je m’inscris dans un travail de mémoire familiale, mais je n’ai pas le sentiment de raconter ma vie. Et le travail des acteurs donne encore une autre dimension, un autre imaginaire, éloigné du mien. » Il s’agit alors de fantasme, et ça nous rassure. Parce que la famille décrite ici effraie jusqu’au rire, avec ses parents tyranniques, ses enfants et ses vieux martyrisés, son curé et sa nonne, ses naissances, ses assassinats et ses revenants. Avec la violence des rapports et l’enfance « fatalement maltraitée », la cohabitation entre morts et vivants est un thème récurrent de la pièce, littéralement surréaliste. « C’est sans doute parce que je me sens moi-même assez hantée. Mais ce n’est pas forcément flippant, ni désagréable », dit l’auteur, qui a achevé le texte dans une abbaye, ce qui lui a inspiré, « des bondieuseries et pas mal de cloches ». L’omniprésence du rituel, l’iconoclasme en plus du fantasme rappellent encore Buñuel. Ni cynique, ni naturaliste « Ce côté onirique prend beaucoup d’ampleur sur le plateau », dit Anna Nozière, qui assure encore qu’elle a écrit sa partition « comme un vaudeville », et qu’elle rêve de le jouer ainsi. Car c’est tout l’enjeu du passage sur scène : donner une forme légère à un propos sombre, tout en faisant de ces improbables figures de papier des personnages de chair. « On peut rester sur un registre décalé, cynique, mais si on n’accroche pas quelque chose de l’humain, on est précisément sur du mauvais vaudeville. Il faut produire un jeu sincère, concret, mais pas naturaliste. Ca passe par un travail sur le corps et l’imaginaire des huit comédiens ». Page 18 Dernière originalité : pour boucler sa création, coproduite par le TnBA, l’OARA, les CDN de Sartrouville et de Reims (ce qui n’est pas mal), l’auteur a eu aussi recours au mécénat : une douzaine de donateurs, « pas forcément fortunés », qui croyaient assez en elle pour lui donner quelques dizaines de milliers d’euros. Anna aussi a déjà ses fidèles. Serge Lapaty, le 13/10/10, sur http://www.sudouest.fr Onirique ironie « LES FIDÈLES » (THÉÂTRE). Anna Nozière n’est pas sûre d’être apparentée à Violette, mais elle assure que, depuis l’enfance, elle a toujours eu l’impression que toutes deux étaient de la même famille. Et comme chez Violette, la famille d’Anna - enfin celle d’Annie Rozier, hétéronyme héroïne des « Fidèles», pièce écrite et mis en scène par Anna jouée pour la première fois au TnBA- la famille donc, est un cauchemar, un jeu de massacre. Sauf qu’ici les morts se relèvent toujours, qu’ils soient victimes de leucémie, syphilis, coup de poignard, chevrotine ou peau de banane. En famille, rien ne se perd, tout se conserve, c’est d’ailleurs le sujet de la pièce, l’encombrante fidélité à l’héritage, ce vilain paquet qui plombe tout le monde, surtout les derniers arrivés, les enfants. Sur scène, on pense à la messe pour les odeurs d’encens et la réverbe, à Buñuel pour le blasphème, aux Flamands pour la lumière, à Kantor pour les morts, à Copi pour les vivants, à Pommerat pour le son, à Artaud pour la cruauté mais on est bien chez Anna, avec sa drôle de langue surréelle et son univers d’aujourd’hui, drôlement suranné. La scène comme espace mental, boîte noire avec épiphanies et disparitions de fantoches, fantômes convoqués par la mémoire ou le rêve, les cordes oppressantes de Julie Läderach, et surtout huit comédiens danseurs, chacun avec sa partition, sa grammaire corporelle–mention spéciale à Virginie Colemyn, despote hystérique jusqu’au délire et à Camille Garcia, cendrillon et tueuse en série, rétive à tous les exorcismes. L’auteur avait aussi promis un vaudeville onirique et ironique. Tout n’est pas réglé, c’est plus étrange que drôle, mais ça y ressemble. Serge Latapy, le 15/10/10 sur http://www.sudouest.fr Page 19 DECOUVRIR un contemporain : autre AUTEUR ET METTEUR EN SCENE extrait de Pôles de Joël Pommerat Scène 1 Soir. Un appartement. Une grande pièce. Une grande et haute fenêtre, donnant sur la rue. Une femme en robe de soirée, immobile, regarde par la fenêtre. Elle est d’humeur joyeuse. Un homme, en manteau, est assis un peu e retrait, un bouquet de fleurs posés sur les genoux. On entend de la musique provenant d’une radio, dans une pièce voisine : un air classique d’opéra. ELDA OLDER. Cette année non plus ne sera pas une année ordinaire. Je ne pourrai sans doute pas échapper à ma première opération chirurgicale de toute mon existence. Ce qui me déstabilise le plus dans l’intervention chirurgicale c’est l’endormissement, l’anesthésie. L’intervention je m’en fiche comme de ma première dent de lait. Mais cet endormissement me trouble sans que je puisse l’interpréter… Je n’ai pas envie qu’on m’endorme. Même si je sais très bien que je vais me réveiller… Depuis vingt ans la nécessité de cette opération je n’en ai jamais parlé avec personne avant vous. Jean. (Solennité.) Même à mon frère et encore moins au magasin. J’ai une tête qui dysfonctionne si on peut dire. J’ai simplement de plus en plus de difficultés pour retenir ou bien enregistrer ici. (Elle montre sa tête.) Alors on me pousse à cette opération chirurgicale. Pour éviter que ça ne s’aggrave. Ils vont ouvrir et puis regarder parce que maintenant on peut ouvrir et puis regarder à l’intérieur si facilement qu’on peut rentrer et puis sortir de sa maison… On présume que là-dedans (elle montre sa tête une chose infime comme un caillou, comme une poussière qu’on ne verrait pas me joue un tour à sa façon. Un peu comme un caillou qu’il sera possible, une fois ouvert, là, évidemment, de déloger ou de détruire… (Sursautant.) J’ai entendu l’ascenseur ! (Silence. Déçue et inquiète.) Mon frère n’aime pas être à l’heure. Ils nous auraient prévenus s’ils avaient finalement renoncé lui et son modèle qui pose pour sa sculpture ? Ça va bientôt faire un temps inquiétant qu’ils devraient être ici. L’atelier de mon frère est à deux pas… JEAN (inquiet). J’aurais aimé vous dire que j’appréhende un malentendu… Elda se retourne vers Jean comme si elle remarquait sa présence pour la première fois. Elle se dirige vers lui, en silence. ELDA OLDER (sur le ton du secret). J’avais entrepris moi une carrière d’actrice autrefois qua j’aurais sans doute prolongée jusqu’à m’y épanouir certainement si je n’avais pas connu ces défaillances donc du côté d’ici avec ma tête dès ma première expérience sur des planches théâtrales. Ce jour-là, Page 20 jamais je n’ai réussi finalement à retenir à l’intérieur le peu de mots qu’on m’avait attribués pour la représentation… Je suis restée cristallisée en face de la fosse des spectateurs… Au cours des dernières répétitions précédant le jour J, les autres comédiens menaçaient de finir par en venir aux mains si je ne décidais pas de faire marcher davantage l’apprentissage du texte. Pourtant je travaillais tout mon possible et mon personnage ne contenait que quelques lignes. A cette occasion il a fallu conclure que je ne pourrais jamais retenir trois lignes. Il faut dire que cette situation a encore empiré ces derniers temps. Je ne sais jusqu’où cela pourrait mener si cela devait continuer à évoluer de cette manière dans le mauvais sens… (Temps.) Depuis toujours cette situation je n’en ai jamais parlé Jean… et je ne sais pas pourquoi… j’aimerais que vous le gardiez en vous seul. Que vous ne le ressortiez jamais à quiconque. Dans n’importe quelle circonstance. Temps. JEAN. Oui. Noir. Page 21 BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR ET METTEUR EN SCENE Anna Nozière Anna Nozière a 13 ans lorsqu’elle met en scène pour la première fois, dans un village de 800 habitants en Limousin. Des tréteaux, une bétaillère transformée en coulisses, des phares de voitures soudés à d’énormes boîtes de conserve en guise de projecteurs - que manipulent des techniciens grimpés sur des chaises d’arbitre de tennis, avec des gants de cuisine pour se protéger de la chaleur ! -, une console d’éclairage fabriquée par le génie du coin avec un programmateur de lave linge et des boutons-poussoirs de vieilles Citroën… sont la marque de fabrique de sa troupe d’adolescents. Nul ne se doute alors que cette aventure humaine et théâtrale se renouvellera chaque année et durera… 18 ans : du groupe - peu à peu dispersé - est resté un noyau dur, passionné, dont le travail évolue dans une rigueur croissante (formation des comédiens au conservatoire, concours d’intervenants extérieurs…) et une dimension de recherche (ateliers expérimentaux sur l’écriture, la mise en scène, la scénographie et la lumière…). La troupe de gamins devenus adultes grandit avec un public toujours plus nombreux et des liens de plus en plus étroits avec sa région (subventions et partenariats, presse), des invitations à venir jouer un peu partout en France (Cahors, Limoges, Pau, Rennes, Nantes, Toulouse, Cholet, Tours, Cherbourg, Clermont-Ferrand, Marseille, Poitiers, Lyon…), puis à l’étranger (Kiev et Tanger), et dans les festivals de théâtre amateur nationaux ou internationaux où ses spectacles remportent toutes sortes de récompenses (premiers prix, prix spéciaux, prix de mise en scène, prix techniques, prix du public, prix d’interprétation collective, etc.…). Dans le même temps, Anna Nozière complète cette passionnante expérience de terrain par une formation à l’International Visual Theatre, intègre pour deux ans les ateliers de recherche du théâtre-école Le Samovar à Bagnolet, dans les classes de Patrick Haggiag (avec qui elle travaillera ensuite sur Dialogue des carmélites de Bernanos) et Philippe Dormoy (avec lequel elle dirigera ensuite un atelier de recherche théâtre-écriture pour les élèves du Samovar), et de Catherine Dubois (Théâtre du Mouvement). Puis elle se forme à la direction d’atelier d’écriture (Aleph, Paris), et commence à travailler avec des compagnies professionnelles, autour de projets de création divers. Elle s’intéresse particulièrement à la direction d’acteur et à celles de recherches collectives, au théâtre muet et au théâtre de chœur. Page 22 Elle met également en scène deux projets très personnels : Harms (d’après Daniil Harms), qui a rencontré un grand succès au Centre national d’art et d’essai Le Lucernaire, et Petites pièces macabres (textes de Noëlle Renaude, Hervé Blutsh, Louis Calaferte, et deux de ses propres textes), repris en tournée nationale : « redoutable, puissant, remarquable » (La Presse de La Manche), « ambigu et dérangeant, sans carcans » (Midi Libre), « une création magnifique et troublante » (La Dépêche), « un spectacle glacial… et totalement jubilatoire ! » (La Nouvelle République), « d’une maturité captivante » (L’Echo), « une découverte rare» (Le Populaire), « un spectacle violent, puissant, qui fait rire jaune, qui tord les boyaux, qui déménage le cœur » (Sud Ouest), « un jeu très physique, une mise en scène en forme de feu d’artifice noir et vivant » (La Nouvelle République du Centre), « Anna Nozière et ses complices exécutent la mort avec une assurance jubilatoire» (Ouest France). Elle a travaillé au Centre Dramatique Régional de Tours pendant deux ans, et créé sur des commandes (Alliance française de Wroclaw en Pologne, France Culture, Amnesty International…). Puis elle s’est consacrée pleinement à l’écriture de Les Fidèles, Histoire d’Annie Rozier, pièce actuellement publiée aux éditions Les Solitaires Intempestifs. Page 23 Bibliographie - Anna Nozière, les fidèles, histoire d’Annie Rozier, Solitaires Intempestifs, coll. Bleue, 2009. - Joëlle Gayot, Joël Pommerat, troubles, Actes Sud, coll. « Le Théâtre Actes Sud », Arles, 2009. - Joël Pommerat, Cet enfant, Actes Sud, coll. Actes Sud-Papiers, 2010 (2ème édition). - Anne Muxel, Individu et mémoire familiale, essai, Hachelle Pluriel Référence, coll. Pluriel, 2007. Sitographie Entretiens avec Anna Nozière : - Le contexte menant à l’écriture : http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Les-Fideles/entretiens/ - Le contexte artistique : http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Les-Fideles/entretiens/idcontent/20985 - Les difficultés d’écriture : http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Les-Fideles/entretiens/idcontent/20986 Des images du spectacle : http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Les-Fideles/enimages/ Les fidèles sur le site theatre-contemporain.net : http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Les-Fideles/ Cet enfant sur le site theatre-contemporain.net : http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Cet-enfant/ Bibliographie sur la mémoire familiale : http://www.cnrs.fr/cw/fr/pres/compress/memoire/muxel.htm LA COMEDIE DE REIMS Centre dramatique national Direction : Ludovic Lagarde 3 chaussée Bocquaine 51100 Reims Tél : 03.26.48.49.00 www.lacomediedereims.fr Page 24