SÉMINAIRE
Droit et philosophie :
Regards croisés sur la norme juridique
Le droit et une partie de la philosophie ont pour objet l’analyse des normes et à ce titre semblent avoir vocation à
se rencontrer. Pourtant, les approches philosophiques et juridiques restent très largement étrangères les unes
aux autres et semblent se déployer dans deux univers distincts. Cela signifie-t-il que le langage du droit et celui
de la philosophie entretiennent une relation d’incommunicabilité structurelle ?
La discussion entre philosophie et droit est néanmoins très actuelle.
Si le droit suscite actuellement un engouement au sein des sciences sociales et humaines, les sciences
juridiques, semblent avoir en partie délaissé une pensée fondamentale de leur objet au profit d’une technicisation
de la matière et de simples commentaires jurisprudentiels. Ce séminaire propose ainsi d’ouvrir aux juristes un
espace réflexif sur leur objet d’étude, la norme juridique du point de vue de ses fondements et de ses méthodes
d’interprétation. De son côté, la philosophie est de plus en plus sollicitée par d’autres disciplines qu’elle et porte
à son tour un intérêt croissant à la question juridique. Seulement, c’est bien souvent en dépit d’une prise réelle
sur la réalité normative.
Ce séminaire propose ainsi aux juristes et philosophes de se rencontrer autour de la norme juridique.
Séance 5
« Kelsen – Spinoza »
De prime abord, il semble délicat de rapporter la philosophie de Spinoza (1632-1677) au positivisme juridique
mis en œuvre par Kelsen (1881-1973). Mais le philosophe se démarque fortement des traditions jusnaturalistes de
son temps, ce qu’il entend par « droit naturel » n’ayant plus grand rapport avec ce que l’on entend habituellement
sous cette dénomination. En ce sens, Spinoza est très éloigné de son compatriote des Provinces-Unies : Hugo
Grotius (1583-1645). Ainsi, le « droit naturel » spinozien est-il avant tout l’objet d’une description, ou d’une
explication, et non pas le référent véritablement prescriptif attaché à l’idée de prérogatives inscrites, par exemple,
dans la nature humaine (comme c’est le cas notamment chez Locke). Si, contrairement à Kelsen, Spinoza continue
de faire jouer un en deçà du droit positif, qu’il nomme « droit naturel », il se détache avant lui du présupposé d’un
sujet métaphysiquement libre comme condition de l’imputation. Cette dernière, dès Spinoza, peut être quasiment
ramenée à la stricte connexion entre le comportement et la sanction. Lorsqu’il analyse l’opération du droit positif,
le discours spinozien se sépare en outre de toute référence à des valeurs morales transcendantes -ce qui, d’une
certaine façon, rappelle l’opposition kelsénienne du droit et de la morale. Mais si, au point de vue de l’Éthique de
Spinoza, on assiste avant tout à une déconstruction des énoncés prescriptifs, la préface à la IVe partie de l’Éthique,
et surtout le Traité théologico-politique, ainsi que le Traité politique, réintroduisent une dimension normative, à
titre opératoire. Est-il ainsi envisageable de partir d’une articulation Spinoza/Kelsen pour repenser les conditions
d’une double séparation : d’une part, du droit d’avec la notion d’un sujet métaphysiquement libre, et, d’autre part,
du droit d’avec la morale considérée comme domaine des valeurs transcendantes ? Du point de vue kelsénien, que
peut-on entendre par la « loi » lorsque l’on s’installe, comme le fait Spinoza, dans la modalité de la nécessité ?
Du point de vue spinoziste, la manière kelsénienne d’admettre la distinction entre « Sollen » et « Sein » est-elle
une approche contestable de la norme ? Et, plus généralement : quelle actualité y a-t-il pour un dialogue
Spinoza/Kelsen ?
Lundi 13 juin 2016, 11h-13h
CERSA, 10 rue Thénard, 75005 Paris
En présence de :
Otto Pfersmann (Directeur d’études, EHESS)
Charles Ramond (Professeur des Universités, Université Paris 8)
Organisateurs :
Géraldine Aïdan (CERSA), geraldineaidan@hotmail.fr
Pierre Crétois (Sophiapol), pierre.cretois@gmail.com