22-Reperes-octobre-2011:Mise en page 1 22/09/11 18:17 Page 205 Librairie film « contre » la mémoire, dont l’objet n’est pas tant « de nous apprendre quelque chose sur le passé que de nous rendre nous-mêmes, spectateurs présents, problématiques à nos propres yeux » (p. 116). À la lumière de ces échanges fructueux entre le philosophe et ces cinéastes, on regrette que le corpus de textes n’inclue pas d’autres écrits de Foucault (par exemple sur le Corps utopique et les Hétérotopies) qui, moins directement intéressés à la pensée du cinéma, contribueraient à nourrir ce dialogue. L’ouvrage de Dork Zabunyan et Patrice Maniglier entame sans nul doute une réflexion qui en appelle beaucoup d’autres et nous engage à explorer plus avant ces chemins de traverse où la pensée critique foucaldienne rencontre le cinéma. passés. Le spinozisme n’est pas une doctrine dont on peut aisément retenir tel ou tel aspect : avec elle, on entre dans une logique du « tout ou rien1 ». Il y a de nombreuses raisons à cette actualité persistante, mais elles tiennent toutes à la radicalité de Spinoza. Voilà un philosophe qui, en plein XVIIe siècle, affirme l’identité de Dieu et de la nature, rejette toutes les formes de transcendance, envisage le désir comme puissance et non comme manque, proclame la séparation entre la philosophie et la théologie, défend une conception tout à fait originale de la démocratie, énonce que le bonheur est accessible par la connaissance. La fascination ne provient pas seulement de ces thèses, mais du fait qu’elles tiennent en un système déposé dans un seul livre (l’Éthique) écrit suivant un ordre démonstratif emprunté à la géométrie d’Euclide. Si Spinoza transforme en profondeur notre manière de penser le réel, il le fait dans un style d’une rigueur implacable. En philosophie, il est l’artisan d’une révolution tranquille qui n’a pas encore fini de produire ses effets. Ce livre d’Alexandre Matheron vise à nous faire redécouvrir Spinoza derrière les spinozismes. Non que l’auteur se tienne à l’écart des interprétations contemporaines (il en a même inspiré plusieurs), mais il s’attache d’abord à restituer la cohérence d’une œuvre en l’inscrivant dans son contexte (« l’âge classique ») et en clarifiant ses thèses les plus difficiles. Ancien professeur à l’École normale supérieure de SaintCloud, A. Matheron a consacré une grande partie de sa vie à Spinoza : le présent recueil d’articles constitue le meilleur hommage que l’on puisse Alice Leroy Alexandre Matheron ÉTUDES SUR SPINOZA ET LES PHILOSOPHES DE L’ÂGE CLASSIQUE Lyon, ENS Éditions, 2011, 742 p., 35 € Depuis le début des années 1960, Spinoza n’a jamais quitté la scène philosophique française. Parmi les penseurs classiques, il est certainement le plus étudié, en tout cas le plus souvent cité par les philosophes, comme si l’épaisseur des siècles n’avait nullement altéré son actualité. Il y eut un spinozisme de Deleuze, un spinozisme d’Althusser, plus récemment un spinozisme de Toni Negri. Nous disons bien un « spinozisme », et pas simplement un « Spinoza » : cette philosophie produit de l’adhésion chez les contemporains qui l’abordent, tout comme elle a pu produire du rejet dans les siècles 1. Parmi les dernières tentatives d’appropriation de Spinoza hors du champ strictement philosophique, citons le livre du sociologue et économiste Frédéric Lordon, Désir et servitude. Spinoza et Marx, Paris, La Fabrique, 2010. 205