Traitement médical de l`hypercorticisme

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SYNDROME DE CUSHING
Traitement médical
de l’hypercorticisme
Frédéric Castinetti,
Bernard Conte-Devolx,
Thierry Brue
Service d’endocrinologie,
diabète et maladies métaboliques,
CHU La Timone,
Rue Saint Pierre,
13005 Marseille, France
Correspondance :
Thierry Brue
Service d’endocrinologie,
diabète et maladies métaboliques,
CHU La Timone,
Rue Saint Pierre,
13005, Marseille,
E-mail : [email protected]
Tél : 04 91 38 65 97
Fax : 04 91 38 45 42
Mots-clé :
Maladie de Cushing,
sécrétion ectopique d’ACTH,
corticosurrénalome,
adénomes hypophysaires,
ketoconazole,
mitotane,
mifepristone,
hypercortisolisme
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L’hypercorticisme ou syndrome de
Cushing est une pathologie rare [1]. Les traitements symptomatiques et surtout étiologiques sont indispensables du fait du risque
de complications cardio-vasculaires, métaboliques et osseuses. Les modalités thérapeutiques sont nombreuses, et varient en fonction de l’étiologie [2]. Ainsi, la chirurgie
transsphénoïdale est le traitement de référence de la maladie de Cushing, mais n’est
efficace que dans 70 à 80 % des cas, imposant une radiothérapie complémentaire ou
une surrénalectomie bilatérale. La chirurgie
reste également le traitement de première
intention des syndromes de Cushing malins,
comme par exemple les corticosurrénalomes
et les tumeurs endocrines avec sécrétion ectopique d’ACTH. Cependant chimiothérapie
et/ou radiothérapie adjuvantes sont souvent
nécessaires mais peu efficaces [2]. Les traitements anti-cortisoliques peuvent donc être
utiles dans les 4 situations suivantes :
- Pendant la phase de localisation d’une
tumeur endocrine sécrétant de l’ACTH.
- Pour diminuer l’hypercortisolisme avant
une chirurgie ou après une chirurgie inefficace.
- Après radiochirurgie ou radiothérapie en
attente de l’efficacité maximale de la procédure.
- Dans le cadre de l’association de traitements
pour une pathologie métastatique.
De nombreux traitements anti-cortisoliques sont utilisés dans le syndrome de
Cushing, chacun ayant des avantages et des
inconvénients [3]. Cette revue détaille les
résultats des principales études rapportant
l’efficacité et les effets secondaires des principaux traitements anti-cortisoliques à effets
surrénalien ou central.
Traitement à effets
surrénaliens (Tableau)
La plupart de ces traitements (à l’exception
de l’etomidate) ont fait l’objet de nombreuses
publications, avec des résultats à court et
long-terme, permettant de définir leur place
dans la prise en charge des hypercorticismes.
Leur principal inconvénient (à quelques rares
exceptions) est qu’ils ont une action purement
suspensive avec une reprise plus ou moins
rapide de l’hypercorticisme à l’arrêt du traitement. A long-terme, il est en général nécessaire
d’augmenter progressivement les doses de traitement pour éviter un échappement : la diminution des concentrations de cortisol va en
effet entraîner une augmentation des concentrations d’ACTH qui va stimuler la sécrétion
tumorale. L’effet secondaire naturel est la survenue d’une insuffisance surrénalienne, qui justifie l’arrêt transitoire du traitement, l’instauration d’hydrocortisone, puis la reprise éventuelle
de l’anticortisolique à dose plus faible.
Mitotane (o,p’-DDD)
• Mode d’action
Le mitotane inhibe la stéroïdogenèse
via le cytochrome P450scc (side chain cleavage) porteur de l’activité 20,22 lyase, et la
11ß-hydroxylase. La drogue aurait aussi des
effets atrophiants surrénaliens retardés, expliquant qu’une partie des patients (10 à 30 %)
peut présenter une insuffisance surrénalienne
définitive après arrêt du traitement. Du fait
d’une action cytotoxique sur la cellule surrénalienne, le mitotane est le traitement de choix
des corticosurrénalomes, même si son utilisation a été étendue au traitement des hypercorti-
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cismes ACTH-dépendants. L’AMM reste
limitée au traitement des corticosurrénalomes à un stade avancé.
• Posologie
Tableau. Principaux traitements à visée anticortisolique.
Mécanisme
Nom
Posologie
Efficacité
anti-sécrétoire
Effets
secondaires
Surrénalien
Mitotane
500 à 8000 mg/j
(adaptation sur
mitotanémie,
CLU)
Elevée (70 à
80 %) quelle que soit
l’étiologie
Troubles digestifs
et neurologiques,
hypercholestérolémie
Metyrapone
500 à 6000 mg/j
(adaptation sur
CLU)
Elevée (70-80 %)
quelle que soit
l’étiologie, mais
majorité des patients
rapportés traités
conjointement
par radiothérapie
Hyperandrogénie,
aggravation
de l’HTA et de
l’hypokaliémie
possibles
Ketoconazole
200 à 1600 mg/j
(adaptation sur
CLU)
Bonne (50 %) quelle
que soit l’étiologie
de syndrome de
Cushing
Risque
d’hépatite
fulminante
1/15000
Etomidate
2 à 4 mg/h IV
uniquement
(pas de voie orale
possible)
(adaptation sur
CLU)
Elevée quelle que
soit
l’étiologie
Surveillance
en réanimation;
insuffisance
surrénale
rapidement
observée
Octreotide
LP/
Lanreotide
10 à 30 mg IM/
mois
60 à 120 mg/IM
ou s-cut profond/
mois
Bonne (50 %) dans
les sécrétions
ectopiques d’ACTH
Troubles digestifs,
lithiase biliaire
SOM230
600 à 900 µg s-cut
2 fois/jour
Etudes en cours sur
l’efficacité dans la
maladie de Cushing
Cabergoline
1 à 7 mg/semaine
Bonne (50 %) mais
études avec un faible
nombre de patients
traités
Troubles digestifs,
somnolence,
hypoTA,
valvulopathie ?
Mifepristone
200 à 1200 mg/j
(ACTH et cortisol
ininterprétables)
Elevée quelle que
soit l’étiologie
Risque
d’hypokaliémie
Le mitotane se présente sous forme
de comprimés à 500 mg (Lysodren®).
La posologie varie de 0,5 à 8 g par jour
en fonction de l’efficacité et de la tolérance. La zone entre efficacité et effets
secondaires est étroite, justifiant des
dosages répétés de la mitotanémie. Le
seuil d’efficacité est variable en fonction
des étiologies entre 10 et 15 mg/l.
• Efficacité
Plusieurs études ont rapporté une
efficacité anti-sécrétoire du mitotane
dans la majorité des cas de corticosurrénalomes traités. Ce contrôle peut
être suivi d’un échappement thérapeutique en fonction du stade de la maladie. Terzolo et al. ont, en outre, rapporté
une augmentation de la survie chez les
patients traités par mitotane en tant que
traitement adjuvant après chirurgie, en
comparaison avec des patients sans traitement adjuvant [4]. Dans les tumeurs
avec sécrétion ectopique d’ACTH, une
étude française a récemment rapporté
l’efficacité du mitotane : sur 23 patients
traités en moyenne pendant environ
2 ans (posologie, 3,3 ± 1,2 g/jour), une
normalisation des concentrations de
cortisol libre urinaire a été observée
dans 90 % des cas. La tumeur endocrine
initialement non visualisable a été identifiée dans 8 cas sur 13, suggérant que
le mitotane pourrait être utilisé pour
contrôler l’hypersécrétion, en attendant d’identifier la tumeur causale [5].
Enfin, dans la maladie de Cushing,
plusieurs études ont rapporté une efficacité anti-sécrétoire dans 60 à 80 %
des cas. L’efficacité anti-sécrétoire du
mitotane est donc globalement élevée,
et ce, quelle que soit l’étiologie de l’hypercorticisme [2]. A noter cependant
que l’efficacité est retardée, le plateau
thérapeutique étant en général obtenu
après plusieurs semaines de traitement.
A l’inverse, la drogue s’accumule dans le
tissu adipeux, et a des effets prolongés
même après arrêt du traitement (demivie longue).
Central
Antagonisme
des
récepteurs
aux glucocorticoïdes
• Effets secondaires
Les effets sont variables, et en général dose-dépendants : ils associent sur
le plan clinique, des troubles digestifs
(diarrhée, nausée) et des troubles neurologiques (vertiges, confusion, paresthésies) ; sur le plan biologique, l’utilisation
de mitotane entraîne une hypercholestérolémie LDL, une hypertriglycéridémie, une cholestase, et des troubles
hématologiques (anémie, neutrocytopénie). L’étude française portant sur les
patients traités pour sécrétion ectopique
d’ACTH a également souligné la grande
fréquence de survenue d’une insuffisance surrénalienne (20 cas sur 23), et
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la survenue d’effets secondaires dans
environ 50 % des cas [5].
• Surveillance
Le traitement est adapté en fonction des mitotanémies, et des concentrations de cortisol libre urinaire (les
concentrations de cortisol plasmatique
peuvent être biaisées par l’augmentation
des concentrations de CBG par le mitotane). Une contraception efficace doit
être donnée à toute femme en âge de
procréer pendant le traitement et dans
les 2 ans qui suivent son arrêt.
Un traitement par hydrocortisone doit être associé pour éviter une
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Syndrome de Cushing
insuffisance surrénalienne : la posologie requise est en général supérieure
d’un tiers à celle donnée pour les autres
causes d’insuffisance surrénalienne, car
le mitotane accélère le métabolisme
hépatique. A noter, cette accélération
du métabolisme hépatique modifie
également la demi-vie des traitements
anti-vitamine K.
• Efficacité
• En pratique
Le mitotane est un traitement efficace du syndrome de Cushing, quelle
que soit son étiologie. Il faut cependant souligner son efficacité retardée,
qui fera préférer d’autres traitements en
cas d’hypercorticisme massif symptomatique, et sa tolérance moyenne, qui
justifie une surveillance régulière des
mitotanémies.
Kétoconazole
• Mode d’action
Le kétoconazole (Nizoral®) est un
antifungique possédant des propriétés anti-cortisoliques via l’inhibition
du cytochromes P450scc (side chain
cleavage) porteur de l’activité 20-22
lyase, de la 11ß-hydroxylase, et de la
17a-hydroxylase. Des effets extra-surrénaliens ont également été décrits : effet
antagoniste du récepteur aux glucocorticoïdes en culture de cellules hépatiques, liaison au récepteur aux glucocorticoïdes en cultures de monocytes.
En outre, une diminution des concentrations de CRH et d’ACTH a été observée en culture de cellules hypophysaires de syndrome de Nelson. Ces effets
extra-surrénaliens sont probablement
accessoires par rapport aux effets surrénaliens. Le ketoconazole a également
des propriétés anti-androgéniques, ce
qui explique son utilisation en protocole dans le traitement de cancers prostatiques.
• Posologie
Le ketoconazole se présente sous
forme de comprimés à 200 mg. La dose
d’instauration du traitement varie de
200 à 600 mg/jour avec une augmentation progressive, adaptée à l’efficacité et
46
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aux effets secondaires, jusqu’à 1600 mg/
jour répartis en 4 prises. Point important à noter, l’utilisation du ketoconazole comme anticortisolique est hors
AMM. L’association aux statines est
contre-indiquée. Un cas clinique récent
a également rapporté une potentialisation des risques hémorragiques sous
warfarine.
Plus de 100 patients traités par
ketoconazole ont été rapportés dans
la littérature [6, 7]. La majorité de ces
patients étaient porteurs d’une maladie
de Cushing. Quelques cas de patients
porteurs de corticosurrénalome ou de
sécrétion ectopique d’ACTH ont également été rapportés sous forme de cas
cliniques ou de séries comportant un
faible nombre d’individus, avec une
efficacité anti-sécrétoire dans la majorité des cas. La plupart de ces études
rapportent cependant des effets à court
terme du traitement.
Plus spécifiquement, dans la maladie de Cushing, une diminution des
concentrations de cortisol plasmatiques
a été rapportée dans 50 à 80 % des cas.
Dans notre série de 38 patients traités
en moyenne pendant 23 mois, plus de
la moitié étaient contrôlés par ketoconazole à la dernière visite de contrôle ;
un quart présentaient une diminution
majeure des concentrations de cortisol
urinaires, sans être normalisés. De façon
surprenante, il n’existait pas de relation
entre la dose et l’efficacité : l’augmentation de posologie chez les patients en
échec après 3 mois de traitement ne
modifiait pas sensiblement le taux de
contrôle de l’hypersécrétion. Quinze
patients ont été traités car aucun
adénome hypophysaire n’était visible à
l’IRM: cinq d’entre eux ont finalement
bénéficié d’un geste chirurgical (après
12 à 30 mois de traitement) du fait de
la visualisation secondaire de l’adénome (augmentation de volume liée
à la diminution des concentrations de
cortisol ?). Trois de nos patients ont été
traités pendant plus de 60 mois, avec un
bon contrôle de la cortisolémie et l’absence d’effets secondaires [8]. Enfin, une
étude portant sur 5 patients traités pour
une maladie de Cushing a rapporté une
diminution des concentrations d’ACTH
de 30 à 75 %, soulignant un effet également central de la molécule [9].
• Effets secondaires
et surveillance
Le principal effet secondaire à
redouter, bien que rare, est l’hépatite
fulminante. Elle survient dans 1/15000
cas. Une augmentation modérée des
enzymes hépatiques est fréquente (5 à
10 % des cas) en début de traitement ou
lors de l’augmentation de posologie ;
elle ne nécessite pas d’adaptation du
traitement si l’augmentation reste limitée à 2 à 3 fois la normale. Le ketoconazole peut également être à l’origine de
douleurs abdominales, de gynécomastie
ou de cycles irréguliers. La surveillance
se fait sur les concentrations de cortisol
plasmatique et le bilan hépatique. De
façon surprenante, les cas d’insuffisance
surrénalienne sous ketoconazole sont
très rares, ce qui est vraisemblablement
dû à un blocage partiel de la sécrétion
de cortisol et à l’augmentation progressive de la cortisolémie liée à l’augmentation des concentrations d’ACTH. Cette
augmentation de la cortisolémie nécessite souvent une augmentation progressive des doses de ketoconazole en cas de
traitement prolongé.
• En pratique
Le ketoconazole est un anticortisolique efficace qui peut être utilisé dans
toutes les étiologies de syndrome de
Cushing. La surveillance du bilan hépatique est indispensable en début de traitement, et lors des augmentations de
posologie. Le risque d’hépatite fulminante est faible, mais doit être craint en
cas de perturbation hépatique.
Metyrapone
• Mode d’action
La metyrapone (Métopirone ® )
inhibe la 11ß-hydroxylase. Elle réduit
ainsi les concentrations de cortisol.
L’augmentation des concentrations
de 11 desoxycortisol et corticostérone
ne provoque pas de rétrocontrôle
majeur sur la sécrétion d’ACTH.
Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-Série •
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L’augmentation d’ACTH peut être à
l’origine d’un pseudo-hyperaldostéronisme et d’une hyperandrogénie. A
noter, l’AMM concerne uniquement
le traitement des hypercortisolismes
ACTH-indépendants (hors AMM pour
le traitement des hypercortisolismes
ACTH-dépendants).
• Posologie
La metyrapone se présente sous
la forme de comprimés dosés à
250 mg. Le traitement est en général démarré à faible dose (750 mg/
jour) avec augmentation progressive jusqu’à 6000 mg/jour. Il n’existe
pas d’interaction majeure, même si
la metyrapone pourrait potentialiser
les effets toxiques du paracétamol. La
surveillance et l’adaptation du traitement s’effectuent sur les taux de cortisol libre urinaire.
• Efficacité
Le premier cas rapportant l’efficacité de la metyrapone dans le syndrome
de Cushing remonte à près de 50 ans.
Malgré cela, l’efficacité de la metyrapone à long-terme est difficile à
évaluer car la plupart des études sont
anciennes, avec des critères différents
de définition de contrôle de l’hypersécrétion, et surtout du fait d’un co-traitement fréquent par radiothérapie
fractionnée [6]. La plus grande série
publiée à ce jour porte sur 91 patients,
la majorité ayant été traitée pour maladie de Cushing [10]. A court terme (1 à
16 semaines), la metyrapone permettait
un contrôle de l’hypersécrétion dans
75 % des cas avec une dose moyenne
de 2250 mg/j. A long-terme (27 mois
en moyenne), la metyrapone permettait un contrôle de l’hypersécrétion
dans environ 80 % des cas, et ce, quelle
que soit l’étiologie. Il faut cependant
préciser que la majorité de ces patients
avaient été traités au préalable par
radiothérapie fractionnée. Même si
la période de traitement est courte en
comparaison de l’efficacité retardée de
la radiothérapie, on ne peut exclure
qu’une partie de la diminution des
concentrations soit liée à la radiothérapie (et pas seulement à la metyrapone).
• Effets secondaires et surveillance
Le risque d’insuffisance surrénale,
et d’hirsutisme modéré est lié au mécanisme de bloc enzymatique induit
par le médicament. Le pseudo-hyperaldostéronisme peut entraîner une
aggravation de l’hypertension artérielle, et théoriquement une hypokaliémie, même si ces effets dose-dépendants sont rarement rapportés dans la
littérature. A court terme, les patients
peuvent également présenter des
troubles digestifs mineurs, des céphalées et des vertiges. Un risque d’alopécie a été rapporté à long-terme [6].
• En pratique
La metyrapone n’est que peu utilisée
en France, au contraire par exemple de
la Grande-Bretagne. Elle a pourtant une
efficacité certaine dans la majorité des
cas, avec un délai d’action assez rapide
et une tolérance globalement bonne.
Etomidate
• Mode d’action
L’etomidate est un anesthésiant
dérivé imidazolé qui inhibe le cytochrome P450Scc porteur de l’activité
20-22 lyase, et la 11ß-hydroxylase. Son
activité anti-cortisolique a été rapportée dès le début des années 1980 sur des
sujets contrôles.
• Effets secondaires et surveillance
L’efficacité majeure anti-cortisolique de l’etomidate nécessite l’adjonction d’hydrocortisone pour éviter un
passage rapide en insuffisance surrénalienne. Une autre possibilité est d’effectuer une titration par des dosages
de cortisol plasmatique quotidiens et
d’adapter la posologie d’etomidate à ces
dosages [11,12]. L’effet anti-cortisolique
s’estompe rapidement après arrêt de la
molécule même si une étude a évoqué
un effet persistant [11].
• En pratique
• Posologie
L’etomidate est administré à raison
de 2 à 4 mg/h IV, en soins intensifs,
sous stricte surveillance de la pression
artérielle et de la SaO2. Le principal
inconvénient de l’etomidate est donc
son mode d’administration, par voie
intraveineuse exclusive (voie veineuse
centrale).
• Efficacité
A c e j o u r, 1 9 p a t i e n t s ( d o n t
2 enfants) traités par etomidate pour
un hypercorticisme ont été rapportés dans la littérature, sous forme
de cas cliniques ou de petites séries
(6 patients). Les 17 patients adultes
Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-Série •
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étaient traités majoritairement après
inefficacité d’autres anti-cortisoliques
(metyrapone, ketoconazole), ou dans
l’objectif de contrôler rapidement l’hypercortisolémie avant une surrénalectomie bilatérale. La diminution de la
cortisolémie était très rapide, survenant
au cours des 12-24 premières heures.
Récemment, Krakoff et al. ont traité un
patient porteur d’une sécrétion ectopique d’ACTH (sans cible identifiable)
par une alternance ketoconazole/etomidate : l’etomidate a été instauré lors
d’un épisode de septicémie avec abcès
digestif et maintenu pendant la période
de soins intensifs (8 semaines), ce qui a
permis de normaliser la cortisolémie ;
le ketoconazole a été re-instauré après
sortie des soins intensifs [11]. A noter la
survenue d’une myoclonie transitoire
au cours du traitement chez ce patient.
L’etomidate doit être réservé aux
cas sévères d’hypercorticisme avec
inefficacité ou impossibilité d’utilisation d’autres anti-cortisoliques en
phase aiguë, ou chez les patients pour
lesquels il faut obtenir très rapidement
une normocortisolémie avant surrénalectomie bilatérale.
La mifepristone,
un antagoniste
des récepteurs aux
glucocorticoïdes
La mifepristone est un antagoniste
des récepteurs aux glucocorticoïdes.
Elle se lie également avec une forte affi47
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Syndrome de Cushing
nité aux récepteurs de la progestérone
et avec une affinité faible aux récepteurs des androgènes. Le mécanisme
d’action de la mifepristone est à l’origine d’une augmentation des concentrations d’ACTH et de cortisol plasmatiques, ce qui rend impossible leur
utilisation dans la surveillance et l’adaptation du traitement [22].
Posologie
La mifepristone se présente sous
forme de comprimés à 200 mg. Le traitement doit être débuté à faible posologie (200 à 400 mg/jour) avec augmentation progressive jusqu’à 800-1000 mg/
jour, selon l’efficacité clinique (HTA,
signes cliniques d’hypercorticisme) et
la survenue d’effets secondaires.
Efficacité
Trente-sept patients (présentant
diverses étiologies de syndrome de
Cushing) ont été rapportés dans la littérature, le traitement ayant été instauré
en addition ou en substitution d’autres
anti-cortisoliques [23]. La durée du
traitement était en général inférieure
à 3 mois. Plus de 85 % des patients
ont présenté une diminution rapide
de leurs signes cliniques d’hypercorticisme au cours du premier mois. La
moitié a présenté une amélioration de
leurs chiffres tensionnels et/ou de leurs
chiffres glycémiques (avec diminution
des doses d’insuline et/ou de la posologie du traitement antidiabétique oral).
Enfin, la majorité des rares patients
présentant une forme psychiatrique
ont été améliorés dès les premiers jours
de traitement [23].
Effets secondaires
et surveillance
Le risque d’hypokaliémie est majeur,
lié à une fixation du cortisol en excès
sur les récepteurs aux minéralocorticoïdes, ou à une stimulation directe de
la sécrétion d’aldostérone par l’ACTH
en excès. Plus d’un tiers des patients ont
présenté un épisode d’hypokaliémie,
ou l’aggravation d’une hypokaliémie
préexistante au cours de leur traitement
[23]. Ce même mécanisme physiopa48
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thologique explique aussi la survenue d’épisodes d’HTA chez certains
patients. Dans ce cas, la spironolactone est en général efficace. Le second
risque est celui d’insuffisance surrénalienne, évalué à 16 % dans la littérature. Une suspicion d’insuffisance
surrénalienne sous mifepristone pose
2 problèmes : l’impossibilité de confirmation biologique du diagnostic (cortisol plasmatique non interprétable), et
l’inefficacité du traitement par hydrocortisone. Le diagnostic est donc principalement clinique, et le traitement
repose sur l’arrêt de la mifepristone,
et la prescription de dexamethasone
(1 mg pour 400 mg de mifepristone)
pendant au moins 48 heures [24]. Il
est possible de reprendre le traitement
par la suite, mais à doses plus faibles,
sous surveillance. La surveillance se fera
donc essentiellement sur la recherche
de signes cliniques d’insuffisance surrénalienne, la mesure de la TA et le dosage
de la kaliémie. Enfin, du fait de son
mécanisme anti-progestatif, la mifepristone peut être à l’origine d’une
hyperplasie endométriale avec métrorragies, à surveiller par une échographie
pelvienne annuelle en cas de traitement
prolongé.
En pratique
Du fait du faible nombre de données
publiées, en particulier sur l’efficacité à
long terme, la mifepristone ne peut pas
être recommandée en 1ere intention de
traitement anti-cortisolique. Son utilisation devrait être réservée à l’inefficacité ou la contre-indication des autres
anti-cortisoliques, ou, par exemple,
en association dans la prise en charge
d’un corticosurrénalome malin métastatique. A noter, la rapidité d’efficacité
qui pourrait être un atout majeur dans
la prise en charge des formes psychiatriques de syndrome de Cushing.
Traitements
à effets centraux
(sécrétion d’ACTH)
Les données sur les traitements
ayant une action centrale sont limitées
en comparaison avec les études publiées
sur les drogues à effets surrénaliens. La
plupart sont des cas cliniques ou des
études avec un effectif limité et/ou un
suivi relativement court.
Agonistes dopaminergiques
• Cabergoline
La cabergoline est un agoniste
dopaminergique qui constitue le traitement de référence des prolactinomes.
Quelques études récentes ont rapporté
l’efficacité de la cabergoline dans la
maladie de Cushing [13]. Pivonello
et al. ont traité 20 patients porteurs
d’une maladie de Cushing pour inefficacité d’une chirurgie transsphénoïdale [14]. La cabergoline était donnée à
raison de 1 mg/semaine avec augmentation progressive à raison de 1 mg/
mois jusqu’à 7 mg/semaine ou jusqu’à
normalisation des concentrations de
cortisol libre urinaire. A 3 mois, le cortisol libre urinaire était normalisé chez
10 patients. A 18-24 mois, 8 patients
(avec une dose moyenne de 3,5 mg/
semaine) conservaient une valeur
normale de cortisol libre urinaire sous
cabergoline. Deux patients ont présenté
un échappement thérapeutique à
12 et 18 mois de traitement. La cabergoline était généralement bien tolérée :
2 patients ont du arrêter leur traitement
pour hypotension artérielle sévère [14].
D’autres études (avec un faible effectif) ont également rapporté une efficacité dans environ 50 % des cas de
patients traités par cabergoline, ce qui
souligne le rôle potentiel de cette molécule dans la maladie de Cushing. Une
étude a rapporté l’efficacité d’un traitement conjoint cabergoline (2 à 3 mg/
semaine) – ketoconazole (200 à 400 mg/
jour) : il est cependant difficile de déterminer le rôle précis d’une molécule par
rapport à l’autre dans le contrôle de
l’hypercortisolisme.
Plusieurs études portant sur le traitement dopaminergique de la maladie
de Parkinson ont rapporté un risque de
valvulopathie [15]. Les données sont
contradictoires sur un tel risque chez
les patients traités pour un prolactinome, mais ce risque semble faible : les
doses sont très inférieures à celles utilisées pour la maladie de Parkinson. Une
surveillance échographique annuelle
Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-Série •
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(en cas de traitement prolongé à forte
dose) est cependant justifiée en cas de
traitement à forte dose. Les effets secondaires classiques associent asthénie,
hypotension artérielle, troubles digestifs… et ne justifient en général pas d’arrêt du traitement.
• Bromocriptine
Des études anciennes ont rapporté
une efficacité de la bromocriptine en
termes de diminution des concentrations d’ACTH dans 15 à 40 % des cas.
La plupart de ces études sont des cas
cliniques, ou basées sur des effectifs comportant un faible nombre de
patients [6].
Agonistes somatostatinergiques
et SOM230
• Octréotide et lanréotide
Les somatostatinergiques agissent en
se liant à des récepteurs spécifiques : ils
constituent le traitement de choix des
adénomes somatotropes. Alors que l’octréotide et le lanréotide ciblent les récepteurs somatostatinergiques de type 2,
une nouvelle molécule, le pasiréotide
(SOM230) cible plus spécifiquement les
récepteurs somatostatinergiques de type
5. Les adénomes hypophysaires corticotropes expriment préférentiellement
les récepteurs de type 5, par opposition
aux tumeurs endocrines avec sécrétion
ectopique d’ACTH qui expriment les
récepteurs de type 2. Ce profil de récepteurs somatostatinergiques explique
que quelques études aient rapporté l’efficacité de l’octréotide ou du lanréotide
dans les sécrétions ectopiques d’ACTH ;
cependant, ces cas étaient isolés, et
parfois d’autres traitements anticortisoliques étaient associés [13]. A l’inverse,
quelques cas cliniques ont rapporté l’efficacité de l’octreotide dans le syndrome
de Nelson. La tolérance des somatostatinergiques est bonne, malgré la survenue
d’intolérance digestive, et un risque de
lithiase biliaire.
• SOM230
Plusieurs études in vitro ont souligné l’efficacité du SOM230 (pasiréotide)
pour inhiber la sécrétion d’ACTH [16].
Une étude récente de phase II a rapporté
l’efficacité à court terme du SOM230
chez 39 patients (avec une maladie de
Cushing de novo ou insuffisamment
traitée par chirurgie) : le pasiréotide a
été délivré à raison de 600 ou 900 mg
sous-cutané 2 fois par jour pendant
15 jours. Le cortisol libre urinaire était
diminué dans 76 % des cas, et normalisé dans 17 % des cas [17]. Des études
sont en cours pour déterminer les effets
à long terme. Il est difficile d‘extrapoler sur la dose utilisable en forme retard
(dans l’acromégalie, la dose classique est
de 40 à 60 mg/mois).
Glitazones
Peu de données sur l’efficacité des
glitazones, et en particulier de la rosiglitazone, sont disponibles dans le
syndrome de Cushing ACTH dépendant. Les récepteurs PPARgamma sont
exprimés dans les cellules corticotropes, et surexprimés dans les cellules
d’adénomes hypophysaires corticotropes. Depuis les données publiées
dans un modèle murin de tumeurs
corticotropes (qui retrouvaient une
efficacité anti-tumorale des agonistes
PPARgamma) [18], plusieurs équipes
ont publié des résultats contradictoires
sur de petites séries de patients ou des
cas cliniques isolés. La rosiglitazone est
en général donnée à raison de 8 mg/
jour : à court terme, la série la plus
importante, portant sur 14 patients, a
retrouvé une diminution des concentrations de cortisol dans environ 50 %
des cas [19] ; d’autres équipes n’ont
cependant pas retrouvé de modification significative des concentrations
sous traitement, en particulier à long
terme [20]. Enfin, une étude versus
placebo chez des sujets sains n’a pas
retrouvé de différence en terme de
concentrations de cortisol plasmatique à 8h du matin [21]. La rosiglitazone ne semble pas avoir un effet
majeur dans le traitement de l’hypercorticisme. Cependant, les résultats
contradictoires soulignent l’intérêt
de disposer d’une étude randomisée
avec un suivi plus prolongé avant de
pouvoir émettre une conclusion définitive. La pioglitazone n’a, par contre,
Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-Série •
Cusching Brue.indd 49
jamais démontré d’efficacité dans le
syndrome de Cushing.
Conclusion
On dispose de multiples modalités de traitement médicamenteux de
l’hypercorticisme. La plupart de ces
traitements ont une grande efficacité
(au moins 50 % de patients contrôlés,
jusqu’à 70-80 %) avec une tolérance
globalement correcte. La décision de
la molécule à utiliser devra se baser sur
l’objectif de contrôle à très court terme
ou à long terme, et le pronostic global
de la pathologie (la prise en charge
spécifique de chaque étiologie d’hypercorticisme est détaillée par ailleurs).
Le point le plus intéressant est la possibilité d’agir à des niveaux différents
depuis les récepteurs aux glucocorticoïdes jusqu’aux cellules corticotropes,
ce qui, en associant les traitements,
devrait permettre de contrôler également les hypercorticismes résistants en
monothérapie.
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