SYNDROME DE CUSHING Traitement médical de l’hypercorticisme Frédéric Castinetti, Bernard Conte-Devolx, Thierry Brue Service d’endocrinologie, diabète et maladies métaboliques, CHU La Timone, Rue Saint Pierre, 13005 Marseille, France Correspondance : Thierry Brue Service d’endocrinologie, diabète et maladies métaboliques, CHU La Timone, Rue Saint Pierre, 13005, Marseille, E-mail : [email protected] Tél : 04 91 38 65 97 Fax : 04 91 38 45 42 Mots-clé : Maladie de Cushing, sécrétion ectopique d’ACTH, corticosurrénalome, adénomes hypophysaires, ketoconazole, mitotane, mifepristone, hypercortisolisme 44 Cusching Brue.indd 44 L’hypercorticisme ou syndrome de Cushing est une pathologie rare [1]. Les traitements symptomatiques et surtout étiologiques sont indispensables du fait du risque de complications cardio-vasculaires, métaboliques et osseuses. Les modalités thérapeutiques sont nombreuses, et varient en fonction de l’étiologie [2]. Ainsi, la chirurgie transsphénoïdale est le traitement de référence de la maladie de Cushing, mais n’est efficace que dans 70 à 80 % des cas, imposant une radiothérapie complémentaire ou une surrénalectomie bilatérale. La chirurgie reste également le traitement de première intention des syndromes de Cushing malins, comme par exemple les corticosurrénalomes et les tumeurs endocrines avec sécrétion ectopique d’ACTH. Cependant chimiothérapie et/ou radiothérapie adjuvantes sont souvent nécessaires mais peu efficaces [2]. Les traitements anti-cortisoliques peuvent donc être utiles dans les 4 situations suivantes : - Pendant la phase de localisation d’une tumeur endocrine sécrétant de l’ACTH. - Pour diminuer l’hypercortisolisme avant une chirurgie ou après une chirurgie inefficace. - Après radiochirurgie ou radiothérapie en attente de l’efficacité maximale de la procédure. - Dans le cadre de l’association de traitements pour une pathologie métastatique. De nombreux traitements anti-cortisoliques sont utilisés dans le syndrome de Cushing, chacun ayant des avantages et des inconvénients [3]. Cette revue détaille les résultats des principales études rapportant l’efficacité et les effets secondaires des principaux traitements anti-cortisoliques à effets surrénalien ou central. Traitement à effets surrénaliens (Tableau) La plupart de ces traitements (à l’exception de l’etomidate) ont fait l’objet de nombreuses publications, avec des résultats à court et long-terme, permettant de définir leur place dans la prise en charge des hypercorticismes. Leur principal inconvénient (à quelques rares exceptions) est qu’ils ont une action purement suspensive avec une reprise plus ou moins rapide de l’hypercorticisme à l’arrêt du traitement. A long-terme, il est en général nécessaire d’augmenter progressivement les doses de traitement pour éviter un échappement : la diminution des concentrations de cortisol va en effet entraîner une augmentation des concentrations d’ACTH qui va stimuler la sécrétion tumorale. L’effet secondaire naturel est la survenue d’une insuffisance surrénalienne, qui justifie l’arrêt transitoire du traitement, l’instauration d’hydrocortisone, puis la reprise éventuelle de l’anticortisolique à dose plus faible. Mitotane (o,p’-DDD) • Mode d’action Le mitotane inhibe la stéroïdogenèse via le cytochrome P450scc (side chain cleavage) porteur de l’activité 20,22 lyase, et la 11ß-hydroxylase. La drogue aurait aussi des effets atrophiants surrénaliens retardés, expliquant qu’une partie des patients (10 à 30 %) peut présenter une insuffisance surrénalienne définitive après arrêt du traitement. Du fait d’une action cytotoxique sur la cellule surrénalienne, le mitotane est le traitement de choix des corticosurrénalomes, même si son utilisation a été étendue au traitement des hypercorti- Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-Série • 14/12/10 14:10 cismes ACTH-dépendants. L’AMM reste limitée au traitement des corticosurrénalomes à un stade avancé. • Posologie Tableau. Principaux traitements à visée anticortisolique. Mécanisme Nom Posologie Efficacité anti-sécrétoire Effets secondaires Surrénalien Mitotane 500 à 8000 mg/j (adaptation sur mitotanémie, CLU) Elevée (70 à 80 %) quelle que soit l’étiologie Troubles digestifs et neurologiques, hypercholestérolémie Metyrapone 500 à 6000 mg/j (adaptation sur CLU) Elevée (70-80 %) quelle que soit l’étiologie, mais majorité des patients rapportés traités conjointement par radiothérapie Hyperandrogénie, aggravation de l’HTA et de l’hypokaliémie possibles Ketoconazole 200 à 1600 mg/j (adaptation sur CLU) Bonne (50 %) quelle que soit l’étiologie de syndrome de Cushing Risque d’hépatite fulminante 1/15000 Etomidate 2 à 4 mg/h IV uniquement (pas de voie orale possible) (adaptation sur CLU) Elevée quelle que soit l’étiologie Surveillance en réanimation; insuffisance surrénale rapidement observée Octreotide LP/ Lanreotide 10 à 30 mg IM/ mois 60 à 120 mg/IM ou s-cut profond/ mois Bonne (50 %) dans les sécrétions ectopiques d’ACTH Troubles digestifs, lithiase biliaire SOM230 600 à 900 µg s-cut 2 fois/jour Etudes en cours sur l’efficacité dans la maladie de Cushing Cabergoline 1 à 7 mg/semaine Bonne (50 %) mais études avec un faible nombre de patients traités Troubles digestifs, somnolence, hypoTA, valvulopathie ? Mifepristone 200 à 1200 mg/j (ACTH et cortisol ininterprétables) Elevée quelle que soit l’étiologie Risque d’hypokaliémie Le mitotane se présente sous forme de comprimés à 500 mg (Lysodren®). La posologie varie de 0,5 à 8 g par jour en fonction de l’efficacité et de la tolérance. La zone entre efficacité et effets secondaires est étroite, justifiant des dosages répétés de la mitotanémie. Le seuil d’efficacité est variable en fonction des étiologies entre 10 et 15 mg/l. • Efficacité Plusieurs études ont rapporté une efficacité anti-sécrétoire du mitotane dans la majorité des cas de corticosurrénalomes traités. Ce contrôle peut être suivi d’un échappement thérapeutique en fonction du stade de la maladie. Terzolo et al. ont, en outre, rapporté une augmentation de la survie chez les patients traités par mitotane en tant que traitement adjuvant après chirurgie, en comparaison avec des patients sans traitement adjuvant [4]. Dans les tumeurs avec sécrétion ectopique d’ACTH, une étude française a récemment rapporté l’efficacité du mitotane : sur 23 patients traités en moyenne pendant environ 2 ans (posologie, 3,3 ± 1,2 g/jour), une normalisation des concentrations de cortisol libre urinaire a été observée dans 90 % des cas. La tumeur endocrine initialement non visualisable a été identifiée dans 8 cas sur 13, suggérant que le mitotane pourrait être utilisé pour contrôler l’hypersécrétion, en attendant d’identifier la tumeur causale [5]. Enfin, dans la maladie de Cushing, plusieurs études ont rapporté une efficacité anti-sécrétoire dans 60 à 80 % des cas. L’efficacité anti-sécrétoire du mitotane est donc globalement élevée, et ce, quelle que soit l’étiologie de l’hypercorticisme [2]. A noter cependant que l’efficacité est retardée, le plateau thérapeutique étant en général obtenu après plusieurs semaines de traitement. A l’inverse, la drogue s’accumule dans le tissu adipeux, et a des effets prolongés même après arrêt du traitement (demivie longue). Central Antagonisme des récepteurs aux glucocorticoïdes • Effets secondaires Les effets sont variables, et en général dose-dépendants : ils associent sur le plan clinique, des troubles digestifs (diarrhée, nausée) et des troubles neurologiques (vertiges, confusion, paresthésies) ; sur le plan biologique, l’utilisation de mitotane entraîne une hypercholestérolémie LDL, une hypertriglycéridémie, une cholestase, et des troubles hématologiques (anémie, neutrocytopénie). L’étude française portant sur les patients traités pour sécrétion ectopique d’ACTH a également souligné la grande fréquence de survenue d’une insuffisance surrénalienne (20 cas sur 23), et Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-Série • Cusching Brue.indd 45 la survenue d’effets secondaires dans environ 50 % des cas [5]. • Surveillance Le traitement est adapté en fonction des mitotanémies, et des concentrations de cortisol libre urinaire (les concentrations de cortisol plasmatique peuvent être biaisées par l’augmentation des concentrations de CBG par le mitotane). Une contraception efficace doit être donnée à toute femme en âge de procréer pendant le traitement et dans les 2 ans qui suivent son arrêt. Un traitement par hydrocortisone doit être associé pour éviter une 45 14/12/10 14:10 Syndrome de Cushing insuffisance surrénalienne : la posologie requise est en général supérieure d’un tiers à celle donnée pour les autres causes d’insuffisance surrénalienne, car le mitotane accélère le métabolisme hépatique. A noter, cette accélération du métabolisme hépatique modifie également la demi-vie des traitements anti-vitamine K. • Efficacité • En pratique Le mitotane est un traitement efficace du syndrome de Cushing, quelle que soit son étiologie. Il faut cependant souligner son efficacité retardée, qui fera préférer d’autres traitements en cas d’hypercorticisme massif symptomatique, et sa tolérance moyenne, qui justifie une surveillance régulière des mitotanémies. Kétoconazole • Mode d’action Le kétoconazole (Nizoral®) est un antifungique possédant des propriétés anti-cortisoliques via l’inhibition du cytochromes P450scc (side chain cleavage) porteur de l’activité 20-22 lyase, de la 11ß-hydroxylase, et de la 17a-hydroxylase. Des effets extra-surrénaliens ont également été décrits : effet antagoniste du récepteur aux glucocorticoïdes en culture de cellules hépatiques, liaison au récepteur aux glucocorticoïdes en cultures de monocytes. En outre, une diminution des concentrations de CRH et d’ACTH a été observée en culture de cellules hypophysaires de syndrome de Nelson. Ces effets extra-surrénaliens sont probablement accessoires par rapport aux effets surrénaliens. Le ketoconazole a également des propriétés anti-androgéniques, ce qui explique son utilisation en protocole dans le traitement de cancers prostatiques. • Posologie Le ketoconazole se présente sous forme de comprimés à 200 mg. La dose d’instauration du traitement varie de 200 à 600 mg/jour avec une augmentation progressive, adaptée à l’efficacité et 46 Cusching Brue.indd 46 aux effets secondaires, jusqu’à 1600 mg/ jour répartis en 4 prises. Point important à noter, l’utilisation du ketoconazole comme anticortisolique est hors AMM. L’association aux statines est contre-indiquée. Un cas clinique récent a également rapporté une potentialisation des risques hémorragiques sous warfarine. Plus de 100 patients traités par ketoconazole ont été rapportés dans la littérature [6, 7]. La majorité de ces patients étaient porteurs d’une maladie de Cushing. Quelques cas de patients porteurs de corticosurrénalome ou de sécrétion ectopique d’ACTH ont également été rapportés sous forme de cas cliniques ou de séries comportant un faible nombre d’individus, avec une efficacité anti-sécrétoire dans la majorité des cas. La plupart de ces études rapportent cependant des effets à court terme du traitement. Plus spécifiquement, dans la maladie de Cushing, une diminution des concentrations de cortisol plasmatiques a été rapportée dans 50 à 80 % des cas. Dans notre série de 38 patients traités en moyenne pendant 23 mois, plus de la moitié étaient contrôlés par ketoconazole à la dernière visite de contrôle ; un quart présentaient une diminution majeure des concentrations de cortisol urinaires, sans être normalisés. De façon surprenante, il n’existait pas de relation entre la dose et l’efficacité : l’augmentation de posologie chez les patients en échec après 3 mois de traitement ne modifiait pas sensiblement le taux de contrôle de l’hypersécrétion. Quinze patients ont été traités car aucun adénome hypophysaire n’était visible à l’IRM: cinq d’entre eux ont finalement bénéficié d’un geste chirurgical (après 12 à 30 mois de traitement) du fait de la visualisation secondaire de l’adénome (augmentation de volume liée à la diminution des concentrations de cortisol ?). Trois de nos patients ont été traités pendant plus de 60 mois, avec un bon contrôle de la cortisolémie et l’absence d’effets secondaires [8]. Enfin, une étude portant sur 5 patients traités pour une maladie de Cushing a rapporté une diminution des concentrations d’ACTH de 30 à 75 %, soulignant un effet également central de la molécule [9]. • Effets secondaires et surveillance Le principal effet secondaire à redouter, bien que rare, est l’hépatite fulminante. Elle survient dans 1/15000 cas. Une augmentation modérée des enzymes hépatiques est fréquente (5 à 10 % des cas) en début de traitement ou lors de l’augmentation de posologie ; elle ne nécessite pas d’adaptation du traitement si l’augmentation reste limitée à 2 à 3 fois la normale. Le ketoconazole peut également être à l’origine de douleurs abdominales, de gynécomastie ou de cycles irréguliers. La surveillance se fait sur les concentrations de cortisol plasmatique et le bilan hépatique. De façon surprenante, les cas d’insuffisance surrénalienne sous ketoconazole sont très rares, ce qui est vraisemblablement dû à un blocage partiel de la sécrétion de cortisol et à l’augmentation progressive de la cortisolémie liée à l’augmentation des concentrations d’ACTH. Cette augmentation de la cortisolémie nécessite souvent une augmentation progressive des doses de ketoconazole en cas de traitement prolongé. • En pratique Le ketoconazole est un anticortisolique efficace qui peut être utilisé dans toutes les étiologies de syndrome de Cushing. La surveillance du bilan hépatique est indispensable en début de traitement, et lors des augmentations de posologie. Le risque d’hépatite fulminante est faible, mais doit être craint en cas de perturbation hépatique. Metyrapone • Mode d’action La metyrapone (Métopirone ® ) inhibe la 11ß-hydroxylase. Elle réduit ainsi les concentrations de cortisol. L’augmentation des concentrations de 11 desoxycortisol et corticostérone ne provoque pas de rétrocontrôle majeur sur la sécrétion d’ACTH. Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-Série • 14/12/10 14:10 L’augmentation d’ACTH peut être à l’origine d’un pseudo-hyperaldostéronisme et d’une hyperandrogénie. A noter, l’AMM concerne uniquement le traitement des hypercortisolismes ACTH-indépendants (hors AMM pour le traitement des hypercortisolismes ACTH-dépendants). • Posologie La metyrapone se présente sous la forme de comprimés dosés à 250 mg. Le traitement est en général démarré à faible dose (750 mg/ jour) avec augmentation progressive jusqu’à 6000 mg/jour. Il n’existe pas d’interaction majeure, même si la metyrapone pourrait potentialiser les effets toxiques du paracétamol. La surveillance et l’adaptation du traitement s’effectuent sur les taux de cortisol libre urinaire. • Efficacité Le premier cas rapportant l’efficacité de la metyrapone dans le syndrome de Cushing remonte à près de 50 ans. Malgré cela, l’efficacité de la metyrapone à long-terme est difficile à évaluer car la plupart des études sont anciennes, avec des critères différents de définition de contrôle de l’hypersécrétion, et surtout du fait d’un co-traitement fréquent par radiothérapie fractionnée [6]. La plus grande série publiée à ce jour porte sur 91 patients, la majorité ayant été traitée pour maladie de Cushing [10]. A court terme (1 à 16 semaines), la metyrapone permettait un contrôle de l’hypersécrétion dans 75 % des cas avec une dose moyenne de 2250 mg/j. A long-terme (27 mois en moyenne), la metyrapone permettait un contrôle de l’hypersécrétion dans environ 80 % des cas, et ce, quelle que soit l’étiologie. Il faut cependant préciser que la majorité de ces patients avaient été traités au préalable par radiothérapie fractionnée. Même si la période de traitement est courte en comparaison de l’efficacité retardée de la radiothérapie, on ne peut exclure qu’une partie de la diminution des concentrations soit liée à la radiothérapie (et pas seulement à la metyrapone). • Effets secondaires et surveillance Le risque d’insuffisance surrénale, et d’hirsutisme modéré est lié au mécanisme de bloc enzymatique induit par le médicament. Le pseudo-hyperaldostéronisme peut entraîner une aggravation de l’hypertension artérielle, et théoriquement une hypokaliémie, même si ces effets dose-dépendants sont rarement rapportés dans la littérature. A court terme, les patients peuvent également présenter des troubles digestifs mineurs, des céphalées et des vertiges. Un risque d’alopécie a été rapporté à long-terme [6]. • En pratique La metyrapone n’est que peu utilisée en France, au contraire par exemple de la Grande-Bretagne. Elle a pourtant une efficacité certaine dans la majorité des cas, avec un délai d’action assez rapide et une tolérance globalement bonne. Etomidate • Mode d’action L’etomidate est un anesthésiant dérivé imidazolé qui inhibe le cytochrome P450Scc porteur de l’activité 20-22 lyase, et la 11ß-hydroxylase. Son activité anti-cortisolique a été rapportée dès le début des années 1980 sur des sujets contrôles. • Effets secondaires et surveillance L’efficacité majeure anti-cortisolique de l’etomidate nécessite l’adjonction d’hydrocortisone pour éviter un passage rapide en insuffisance surrénalienne. Une autre possibilité est d’effectuer une titration par des dosages de cortisol plasmatique quotidiens et d’adapter la posologie d’etomidate à ces dosages [11,12]. L’effet anti-cortisolique s’estompe rapidement après arrêt de la molécule même si une étude a évoqué un effet persistant [11]. • En pratique • Posologie L’etomidate est administré à raison de 2 à 4 mg/h IV, en soins intensifs, sous stricte surveillance de la pression artérielle et de la SaO2. Le principal inconvénient de l’etomidate est donc son mode d’administration, par voie intraveineuse exclusive (voie veineuse centrale). • Efficacité A c e j o u r, 1 9 p a t i e n t s ( d o n t 2 enfants) traités par etomidate pour un hypercorticisme ont été rapportés dans la littérature, sous forme de cas cliniques ou de petites séries (6 patients). Les 17 patients adultes Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-Série • Cusching Brue.indd 47 étaient traités majoritairement après inefficacité d’autres anti-cortisoliques (metyrapone, ketoconazole), ou dans l’objectif de contrôler rapidement l’hypercortisolémie avant une surrénalectomie bilatérale. La diminution de la cortisolémie était très rapide, survenant au cours des 12-24 premières heures. Récemment, Krakoff et al. ont traité un patient porteur d’une sécrétion ectopique d’ACTH (sans cible identifiable) par une alternance ketoconazole/etomidate : l’etomidate a été instauré lors d’un épisode de septicémie avec abcès digestif et maintenu pendant la période de soins intensifs (8 semaines), ce qui a permis de normaliser la cortisolémie ; le ketoconazole a été re-instauré après sortie des soins intensifs [11]. A noter la survenue d’une myoclonie transitoire au cours du traitement chez ce patient. L’etomidate doit être réservé aux cas sévères d’hypercorticisme avec inefficacité ou impossibilité d’utilisation d’autres anti-cortisoliques en phase aiguë, ou chez les patients pour lesquels il faut obtenir très rapidement une normocortisolémie avant surrénalectomie bilatérale. La mifepristone, un antagoniste des récepteurs aux glucocorticoïdes La mifepristone est un antagoniste des récepteurs aux glucocorticoïdes. Elle se lie également avec une forte affi47 14/12/10 14:10 Syndrome de Cushing nité aux récepteurs de la progestérone et avec une affinité faible aux récepteurs des androgènes. Le mécanisme d’action de la mifepristone est à l’origine d’une augmentation des concentrations d’ACTH et de cortisol plasmatiques, ce qui rend impossible leur utilisation dans la surveillance et l’adaptation du traitement [22]. Posologie La mifepristone se présente sous forme de comprimés à 200 mg. Le traitement doit être débuté à faible posologie (200 à 400 mg/jour) avec augmentation progressive jusqu’à 800-1000 mg/ jour, selon l’efficacité clinique (HTA, signes cliniques d’hypercorticisme) et la survenue d’effets secondaires. Efficacité Trente-sept patients (présentant diverses étiologies de syndrome de Cushing) ont été rapportés dans la littérature, le traitement ayant été instauré en addition ou en substitution d’autres anti-cortisoliques [23]. La durée du traitement était en général inférieure à 3 mois. Plus de 85 % des patients ont présenté une diminution rapide de leurs signes cliniques d’hypercorticisme au cours du premier mois. La moitié a présenté une amélioration de leurs chiffres tensionnels et/ou de leurs chiffres glycémiques (avec diminution des doses d’insuline et/ou de la posologie du traitement antidiabétique oral). Enfin, la majorité des rares patients présentant une forme psychiatrique ont été améliorés dès les premiers jours de traitement [23]. Effets secondaires et surveillance Le risque d’hypokaliémie est majeur, lié à une fixation du cortisol en excès sur les récepteurs aux minéralocorticoïdes, ou à une stimulation directe de la sécrétion d’aldostérone par l’ACTH en excès. Plus d’un tiers des patients ont présenté un épisode d’hypokaliémie, ou l’aggravation d’une hypokaliémie préexistante au cours de leur traitement [23]. Ce même mécanisme physiopa48 Cusching Brue.indd 48 thologique explique aussi la survenue d’épisodes d’HTA chez certains patients. Dans ce cas, la spironolactone est en général efficace. Le second risque est celui d’insuffisance surrénalienne, évalué à 16 % dans la littérature. Une suspicion d’insuffisance surrénalienne sous mifepristone pose 2 problèmes : l’impossibilité de confirmation biologique du diagnostic (cortisol plasmatique non interprétable), et l’inefficacité du traitement par hydrocortisone. Le diagnostic est donc principalement clinique, et le traitement repose sur l’arrêt de la mifepristone, et la prescription de dexamethasone (1 mg pour 400 mg de mifepristone) pendant au moins 48 heures [24]. Il est possible de reprendre le traitement par la suite, mais à doses plus faibles, sous surveillance. La surveillance se fera donc essentiellement sur la recherche de signes cliniques d’insuffisance surrénalienne, la mesure de la TA et le dosage de la kaliémie. Enfin, du fait de son mécanisme anti-progestatif, la mifepristone peut être à l’origine d’une hyperplasie endométriale avec métrorragies, à surveiller par une échographie pelvienne annuelle en cas de traitement prolongé. En pratique Du fait du faible nombre de données publiées, en particulier sur l’efficacité à long terme, la mifepristone ne peut pas être recommandée en 1ere intention de traitement anti-cortisolique. Son utilisation devrait être réservée à l’inefficacité ou la contre-indication des autres anti-cortisoliques, ou, par exemple, en association dans la prise en charge d’un corticosurrénalome malin métastatique. A noter, la rapidité d’efficacité qui pourrait être un atout majeur dans la prise en charge des formes psychiatriques de syndrome de Cushing. Traitements à effets centraux (sécrétion d’ACTH) Les données sur les traitements ayant une action centrale sont limitées en comparaison avec les études publiées sur les drogues à effets surrénaliens. La plupart sont des cas cliniques ou des études avec un effectif limité et/ou un suivi relativement court. Agonistes dopaminergiques • Cabergoline La cabergoline est un agoniste dopaminergique qui constitue le traitement de référence des prolactinomes. Quelques études récentes ont rapporté l’efficacité de la cabergoline dans la maladie de Cushing [13]. Pivonello et al. ont traité 20 patients porteurs d’une maladie de Cushing pour inefficacité d’une chirurgie transsphénoïdale [14]. La cabergoline était donnée à raison de 1 mg/semaine avec augmentation progressive à raison de 1 mg/ mois jusqu’à 7 mg/semaine ou jusqu’à normalisation des concentrations de cortisol libre urinaire. A 3 mois, le cortisol libre urinaire était normalisé chez 10 patients. A 18-24 mois, 8 patients (avec une dose moyenne de 3,5 mg/ semaine) conservaient une valeur normale de cortisol libre urinaire sous cabergoline. Deux patients ont présenté un échappement thérapeutique à 12 et 18 mois de traitement. La cabergoline était généralement bien tolérée : 2 patients ont du arrêter leur traitement pour hypotension artérielle sévère [14]. D’autres études (avec un faible effectif) ont également rapporté une efficacité dans environ 50 % des cas de patients traités par cabergoline, ce qui souligne le rôle potentiel de cette molécule dans la maladie de Cushing. Une étude a rapporté l’efficacité d’un traitement conjoint cabergoline (2 à 3 mg/ semaine) – ketoconazole (200 à 400 mg/ jour) : il est cependant difficile de déterminer le rôle précis d’une molécule par rapport à l’autre dans le contrôle de l’hypercortisolisme. Plusieurs études portant sur le traitement dopaminergique de la maladie de Parkinson ont rapporté un risque de valvulopathie [15]. Les données sont contradictoires sur un tel risque chez les patients traités pour un prolactinome, mais ce risque semble faible : les doses sont très inférieures à celles utilisées pour la maladie de Parkinson. Une surveillance échographique annuelle Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-Série • 14/12/10 14:10 (en cas de traitement prolongé à forte dose) est cependant justifiée en cas de traitement à forte dose. Les effets secondaires classiques associent asthénie, hypotension artérielle, troubles digestifs… et ne justifient en général pas d’arrêt du traitement. • Bromocriptine Des études anciennes ont rapporté une efficacité de la bromocriptine en termes de diminution des concentrations d’ACTH dans 15 à 40 % des cas. La plupart de ces études sont des cas cliniques, ou basées sur des effectifs comportant un faible nombre de patients [6]. Agonistes somatostatinergiques et SOM230 • Octréotide et lanréotide Les somatostatinergiques agissent en se liant à des récepteurs spécifiques : ils constituent le traitement de choix des adénomes somatotropes. Alors que l’octréotide et le lanréotide ciblent les récepteurs somatostatinergiques de type 2, une nouvelle molécule, le pasiréotide (SOM230) cible plus spécifiquement les récepteurs somatostatinergiques de type 5. Les adénomes hypophysaires corticotropes expriment préférentiellement les récepteurs de type 5, par opposition aux tumeurs endocrines avec sécrétion ectopique d’ACTH qui expriment les récepteurs de type 2. Ce profil de récepteurs somatostatinergiques explique que quelques études aient rapporté l’efficacité de l’octréotide ou du lanréotide dans les sécrétions ectopiques d’ACTH ; cependant, ces cas étaient isolés, et parfois d’autres traitements anticortisoliques étaient associés [13]. A l’inverse, quelques cas cliniques ont rapporté l’efficacité de l’octreotide dans le syndrome de Nelson. La tolérance des somatostatinergiques est bonne, malgré la survenue d’intolérance digestive, et un risque de lithiase biliaire. • SOM230 Plusieurs études in vitro ont souligné l’efficacité du SOM230 (pasiréotide) pour inhiber la sécrétion d’ACTH [16]. Une étude récente de phase II a rapporté l’efficacité à court terme du SOM230 chez 39 patients (avec une maladie de Cushing de novo ou insuffisamment traitée par chirurgie) : le pasiréotide a été délivré à raison de 600 ou 900 mg sous-cutané 2 fois par jour pendant 15 jours. Le cortisol libre urinaire était diminué dans 76 % des cas, et normalisé dans 17 % des cas [17]. Des études sont en cours pour déterminer les effets à long terme. Il est difficile d‘extrapoler sur la dose utilisable en forme retard (dans l’acromégalie, la dose classique est de 40 à 60 mg/mois). Glitazones Peu de données sur l’efficacité des glitazones, et en particulier de la rosiglitazone, sont disponibles dans le syndrome de Cushing ACTH dépendant. Les récepteurs PPARgamma sont exprimés dans les cellules corticotropes, et surexprimés dans les cellules d’adénomes hypophysaires corticotropes. Depuis les données publiées dans un modèle murin de tumeurs corticotropes (qui retrouvaient une efficacité anti-tumorale des agonistes PPARgamma) [18], plusieurs équipes ont publié des résultats contradictoires sur de petites séries de patients ou des cas cliniques isolés. La rosiglitazone est en général donnée à raison de 8 mg/ jour : à court terme, la série la plus importante, portant sur 14 patients, a retrouvé une diminution des concentrations de cortisol dans environ 50 % des cas [19] ; d’autres équipes n’ont cependant pas retrouvé de modification significative des concentrations sous traitement, en particulier à long terme [20]. Enfin, une étude versus placebo chez des sujets sains n’a pas retrouvé de différence en terme de concentrations de cortisol plasmatique à 8h du matin [21]. La rosiglitazone ne semble pas avoir un effet majeur dans le traitement de l’hypercorticisme. Cependant, les résultats contradictoires soulignent l’intérêt de disposer d’une étude randomisée avec un suivi plus prolongé avant de pouvoir émettre une conclusion définitive. La pioglitazone n’a, par contre, Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-Série • Cusching Brue.indd 49 jamais démontré d’efficacité dans le syndrome de Cushing. Conclusion On dispose de multiples modalités de traitement médicamenteux de l’hypercorticisme. La plupart de ces traitements ont une grande efficacité (au moins 50 % de patients contrôlés, jusqu’à 70-80 %) avec une tolérance globalement correcte. La décision de la molécule à utiliser devra se baser sur l’objectif de contrôle à très court terme ou à long terme, et le pronostic global de la pathologie (la prise en charge spécifique de chaque étiologie d’hypercorticisme est détaillée par ailleurs). Le point le plus intéressant est la possibilité d’agir à des niveaux différents depuis les récepteurs aux glucocorticoïdes jusqu’aux cellules corticotropes, ce qui, en associant les traitements, devrait permettre de contrôler également les hypercorticismes résistants en monothérapie. Références 1. Nieman LK et al, J Clin Endocrinol Metab 2008 ; 93:1526. 2. Biller BM et al, J Clin Endocrinol Metab 2008 ; 93: 2454. 3. Nieman LK, Pituitary 2002 ; 5:77. 4. Terzolo M et al, N Engl J Med 2007; 356: 2372. 5. Donadille B et al, J Clin Endocrinol Metab; 95: 537. 6. Miller JW et al, Endocr Rev 1993; 14: 443. 7. Sonino N et al, Clin Endocrinol (Oxf) 1991 ; 35: 347. 8. Castinetti F et al, Eur J Endocrinol 2008 ; 158: 91. 9. 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