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12 Jean-Marc Hovasse
lle, entre un amateur et un auteur, etc. Aucune typologie n’est exhaustive, toutes
les combinaisons sont possibles.
À vrai dire, les catalogues d’autographes ne sont pas tout à fait les seuls ouvrages
associant les correspondances et le théâtre : comme dans le cas des lettres de Cocteau
à Jean Marais, ou encore de Colette à Marguerite Moreno (éd. Claude Pichois,
Flammarion, 1959), il existe quelques éditions de corpus particuliers. Le plus souvent,
sauf dans les cahiers Paul Claudel 5 et 6 de la NRF précisément intitulés Claudel,
homme de théâtre (correspondances avec Lugné-Poe en1964 ; avec Copeau, Dullin
et Jouvet en1966), il faut aller extraire d’une correspondance générale des lettres
sur le théâtre. Ainsi, dans la correspondance de Georges Perros, ce serait une erreur
de se limiter aux lettres à son ami de Conservatoire (et, brièvement de Comédie-
Française) Gérard Philippe. Pendant plus de dix ans en eet, de1951 à1963,
Perros a occupé l’étonnante fonction de lecteur des manuscrits reçus au TNP pour
Jean Vilar. Il en a ainsi vu déler plus de 1 650, recevant une pièce tous les trois
jours en moyenne. «C’est à vous dégoûter de lire pour l’éternité», écrit-il à l’un
de ses correspondants ; et, à un autre : «Je n’ose plus serrer la main de personne.
Je tremble qu’on me sorte un manuscrit de la poche revolver.» Dès1956, il conait
à Jean Grenier : «D’ailleurs tout ce qui ressort de l’art dramatique me sort par les
yeux.» À Michel Butor, sur un autre ton : «J’en prote pour lire des manuscrits
complètement idiots. On ne croira jamais que les hommes furent un jour aussi
bêtes. Et j’ai peur qu’on nisse par ne plus me croire au T.N.P.» Il est vrai que ses
rapports, qui ont à leur tour fait l’objet d’une publication (Lectures pour Jean Vilar,
Le temps qu’il fait, 1999), sont particulièrement caustiques. Pas toujours très diérents
de ce qu’il conait un jour à Michel Butor : «Si seulement les auteurs dramatiques
en puissance (!) voulaient me foutre un peu la paix.» Dans un tout autre genre,
la dernière grande correspondance générale de dramaturge publiée est celle de
Bernard-Marie Koltès (Lettres, Les Éditions de Minuit, 2009). Sa formation artistique y
apparaît entre autres riche d’enseignements, à l’image de ce passage du 12octobre1971
qui raconte sans enthousiasme particulier sa première rencontre avec Jean-Louis
Barrault et Ionesco, sous la houlette de son ancien professeur de Metz, le père Jean
Mambrino, alias «Max» :
Ici à Paris c’est la merde. Pas de boulot, gros loyer, je vis d’aumône et rien ne s’arrange
non plus. Le milieu théâtre m’écœure. Mambrino m’y introduit avec fougue, et j’en
prends la fuite avec encore plus d’ardeur. Je m’impose une année de pénitence dans
ce style – par masochisme –, et après je me retire. Ai fait la connaissance de Barrault
et Ionesco, «grands amis» de Max – mais je m’ennuie à mourir. Ou bien le théâtre
c’est autre chose que ce que je vois, ou bien c’est moi qui dois faire autre chose.
[« Correspondance et théâtre », Jean-Marc Hovasse (textes réunis et prés. par)]
[ISBN 978-2-7535-1787-5 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr]