quant à l'innocuité des médicaments
Au Canada, l'élaboration des politiques et des règlements en matière de médicaments est
façonnée par des forces qui semblent souvent opposées : l'industrie, d'un côté, les
mouvements en faveur de la santé publique, de l'autre, et le gouvernement qui appuie un
camp ou l'autre selon le climat politique du moment. Au fil du temps, ce sont souvent des
femmes - tant dans les pays industrialisés qu'en développement - qui se sont retrouvées à
la tête des mouvements pour la santé publique et des campagnes visant à exhorter le
gouvernement à mettre en place des règles plus sévères à l'égard de l'industrie
pharmaceutique et du marché des médicaments d'ordonnance. Ainsi, c'est le mouvement
anti-alcoolique qui, en 1908, réussit à faire passer la Proprietary and Patent Medicines
Act aux États-Unis, loi qui permit d'éliminer les médicaments contenant du coca, des
opiacés, de la strychnine et de l'arsenic4. Parallèlement au Canada, ce sont également des
femmes qui firent pression pour empêcher la publicité sur les médicaments. En 1919, la
loi américaine fut amendée de façon à interdire aux fabricants de faire des déclarations
mensongères, trompeuses ou exagérées concernant leurs médicaments - y compris les
promesses de traitements miracles. Quatre ans plus tard, une nouvelle loi fut promulguée
qui exigea que les fabricants indiquent la liste des composants des médicaments sur les
étiquettes5.
Au Canada, c'est au début des années 60, à la suite de la tragédie de la thalidomide, qu'on
mit sur pied le système de réglementation des médicaments que nous connaissons
aujourd'hui. La thalidomide avait été prescrite entre 1959 et 1962 pour prévenir les
nausées associées à la grossesse. Or, une vague de réforme réglementaire déferla en
Amérique du Nord et en Europe lorsqu'on découvrit que ce médicament affectait le
système nerveux périphérique et qu'il causait de graves malformations chez les nouveau-
nés6. En septembre 1960, la Dre Frances Kelsey, scientifique affectée au dossier sur la
thalidomide à la US Food & Drug Administration, refusa d'approuver le médicament
après avoir examiné les données cliniques présentées par le fabricant. En dépit des
pressions exercées par celui-ci, la Dre Kelsey reporta la demande suffisamment longtemps
pour que la crise soit connue dans toute l'Amérique du Nord. À l'automne 1961, la
compagnie pharmaceutique retira sa demande d'approbation après qu'une accumulation
de preuves provenant d'Europe désigne le médicament comme la cause d'une tragédie
touchant des milliers d'enfants7.
Des échantillons de thalidomide avaient circulé aux États-Unis, mais le médicament n'y
fut jamais officiellement approuvé, en grande partie grâce à la ténacité de la Dre Kelsey.
4 Mitchell, Chester N. Deregulating Mandatory Medical Prescription, American
Journal of Law & Medicine, 12 Am. J.L. & Med. 207 (1987).
5 Nonprescription Drug Manufacturers Association of Canada, The Evolution of Canada's
Self-Care Products Industry; http://www.ndmac.ca/industry/H-index.html (site accédé le
23 mai 2002)
6 Voir Robinson, Jeffrey, Prescription Games: Money, Ego and Power Inside the
Global Pharmaceutical Industry, Toronto: McClelland & Stewart, 2001.
7 Gloria Lau, « Dr. Frances Kelsey - Her Determination Saved Thousands From Birth Defects »,
Investor's Business Daily, 27 septembre 2001.