
L’alliance thérapeutique au début d’une prise en charge pour dépression par le généraliste 207
Méthode
Afin de préciser les modalités de déroulement des consulta-
tions initiales pour dépression par le médecin généraliste,
une enquête-miroir a été menée concernant la perception
et le vécu de la pathologie, la relation médecin—malade
et l’histoire et la perception des consultations initiales, en
recueillant en parallèle le point de vue du médecin et le
point de vue du patient.
Un échantillon représentatif (corrigé selon le sexe, l’âge
et la région d’exercice) de 300 médecins généralistes a
été recruté après contact par téléphone (travail mené par
l’agence TNS-Sofres Healthcare) ; il a été proposé à ceux
qui voyaient au moins cinq patients déprimés par semaine
de participer à l’enquête, chaque médecin devant renvoyer
trois à huit dossiers patients. La période d’inclusion durait
15 jours, durant lesquels les médecins participants devaient
proposer l’enquête à tous leurs patients pour lesquels ils
avaient eux-mêmes porté et communiqué le diagnostic de
dépression au cours des trois derniers mois.
Au total, 110 médecins ont renvoyé au moins un dos-
sier. Un questionnaire de pratique générale était rempli par
chaque médecin, de même qu’un registre recensant tous
les patients déprimés vus en consultation durant la période
d’inclusion. Pour chaque inclusion, le médecin et le patient
remplissaient un questionnaire en miroir, le volet patient
étant mis sous enveloppe cacheté et placé dans une urne
afin de garantir l’anonymat.
Résultats
Un total de 598 patients (172 hommes et 426 femmes) ont
été inclus. Pour 340 d’entre eux, l’épisode index était le pre-
mier épisode dépressif, pour 133 il s’agissait d’une rechute
de moins de sept ans et pour 116 d’une rechute de plus de
sept ans ; 112 patients étaient considérés comme présentant
un épisode dépressif sévère. L’âge moyen des patients inclus
était de 51 ans, avec une surreprésentation de la tranche
d’âge 35—65 ans (61 % de l’échantillon, contre 47 % dans la
population franc¸aise) ; 53 % des patients vivaient maritale-
ment, 56 % étaient en activité professionnelle.
L’origine supposée de la dépression a été recherchée chez
les patients et chez les médecins, montrant une remar-
quable concordance. Les patients déclarent connaître la
cause de leur dépression dans 76 % des cas : ils l’attribuent
alors dans 42 % des cas à un problème familial (plus fré-
quemment chez les femmes), dans 26 % à un problème
professionnel (plus fréquemment chez les hommes) et dans
13 % à une maladie somatique. De même, les médecins consi-
dèrent qu’il s’agit d’une dépression réactionnelle liée à la
famille dans 40 % des cas, liée au travail dans 24 % des cas,
liée à une pathologie médicale ou secondaire à une patholo-
gie somatique dans 12 % des cas ; ils évoquent une dépression
masquée dans 8 % des cas, une dépression récurrente dans
7 % et une dépression associée à un trouble de la personnalité
ou à un alcoolisme dans 7 % également.
L’évaluation de la sévérité de la dépression a été
demandée aux médecins et aux patients (avec des termes
légèrement différents) : 90 % des patients répondaient que
leur dépression était légère ou modérée et 9 % grave ou
très grave ; dans 81 % des cas, les médecins jugeaient la
dépression légère ou modérée, dans 19 % des cas sévère. La
comparaison des questionnaires grâce à un numéro permet-
tant de les apparier montre que les patients ont tendance à
sous-estimer le niveau de sévérité de leur maladie, puisque
30 % des patients considérés en épisode modéré ou sévère
par leur médecin jugent eux-mêmes leur dépression plutôt
légère.
Les informations anamnestiques sur le nombre d’épisodes
dépressifs antérieurs montre un parallélisme entre le décla-
ratif des patients et celui des médecins : dans 56 % des
cas selon les patients et dans 57 % selon les médecins, il
s’agissait d’un premier épisode. En cas de dépression récur-
rente, le premier épisode dépressif remontait à 10,4 ans en
moyenne selon les patients, à 8,8 ans en moyenne selon les
médecins. La même concordance est retrouvée en ce qui
concerne le nombre moyen d’épisodes antérieurs (2,8 épi-
sodes en moyenne d’après les patients comme d’après les
médecins, les patients déclarant dans 33 % des cas un seul
épisode antérieur et les médecins dans 30 % des cas).
Les médecins et la maladie dépressive
Concernant le niveau d’information sur la dépression, 39 %
des médecins généralistes participant à cette enquête se
disent très bien ou plutôt bien informés, 56 % se disent plutôt
mal ou très mal informés. Ce niveau apparaît d’autant plus
préoccupant qu’on peut considérer que les médecins partici-
pant à l’étude (un sur 15 initialement contactés) font partie
de ceux qui sont le plus sensibilisés à cette pathologie : en
effet, ces médecins sont 76 % à trouver plutôt intéressant
ou très intéressant le domaine de la dépression. En croisant
ces deux données, on constate que 40 % des médecins géné-
ralistes intéressés par la dépression se sentent mal informés
sur le sujet.
Concernant les traitements antidépresseurs, ils sont 95 %
à considérer être bien informés et 95 % également à déclarer
un intérêt pour ces traitements. Les médecins généralistes
apparaissent donc plus demandeurs de formation sur la cli-
nique de la dépression que sur les traitements. Un quart des
médecins seulement déclarent avoir très souvent des doutes
et des hésitations dans leur stratégie thérapeutique pour
les patients déprimés. De même, seuls 15 % des médecins
déclarent ne recourir aux antidépresseurs qu’après avoir
essayé d’autres alternatives thérapeutiques (comme la psy-
chothérapie, les oligoéléments...).
Chez leurs patients déprimés, ils considèrent que le diag-
nostic est pour eux difficile à porter dans un quart des cas.
Ils connaissent souvent au moins un outil d’aide au diag-
nostic sur les quatre suggérés par le questionnaire (critères
DSM-IV, critères ICD 10, échelle Ham-D, questionnaire MINI),
puisque seuls 15 % déclarent n’en connaître aucun. On peut
d’ailleurs relever que le pari de l’OMS de proposer une clas-
sification universelle, plus largement utilisable que le DSM,
est un échec, puisque 70 % des MG déclarent connaître les
critères du DSM-IV, contre 19 % ceux de l’ICD 10 (portant très
proches désormais)... Parmi ceux qui connaissent au moins
un outil diagnostique, 60 à 70 % (selon le test) l’estiment
utile et 30 à 40 % déclarent l’utiliser souvent.
Concernant la précocité du diagnostic, la majorité des
médecins (61 %) pensent que seuls les diagnostics précoces
permettent une prise en charge efficace.