La retraite à 55 ou l`hécatombe 55

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La retraite à 55 ou
l’hécatombe 55 ?
À l’orée de la retraite, les babyboomers sont d’ores et déjà
consumés par un endettement
vertigineux et une épargne
lilliputienne. Qu’en pensent les
spécialistes en planification
financière et les « gourous » des
régimes de retraite ? La liberté,
tant convoitée, risque plutôt de
virer à l’hécatombe financière.
Pierre Racine
« La retraite n’est pas une option.»
L’expression vient de Richard Dorval,
président du conseil et chef de la
direction d’Option Retraite. Un jeu de
mots, certes, mais un jeu de mots qui
occulte une réalité : pour une bonne
partie des baby-boomers, la retraite
confortable, « les doigts dans le nez »,
relève en effet plus d’un mirage cultivé
par la publicité que d’une réelle
option.
Près des trois quarts des baby-boomers,
par exemple, ont moins de 100 000 $ en
épargne, selon un récent sondage de
BMO Groupe financier qui révèle, de
plus, qu’un sur cinq n’a pas un sou de côté.
La moitié y déclarent, par ailleurs, passer
plus de temps à planifier leurs séances
d’exercice physique que leur retraite. On
ne s’étonnera pas de constater qu’une
minorité (28 %) se disent très confiants de
pouvoir faire face à leurs besoins financiers
lorsqu’ils seront retraités, selon ce même
sondage. Cette génération de rockers en
herbe qui, naguère, se déhanchait sur les
33 tours de Led Zeppelin, risque, peutêtre, de finir ses jours en déchantant plutôt
qu’en « rockant ».
Monique Tremblay, première viceprésidente, Épargnes et Fonds distincts
www.conseiller.ca
conseiller
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chez Desjardins, constate, elle aussi, la
désaffection des baby-boomers face à
l’épargne, contrairement à la génération
qui la suit : « À la suite d’une relecture de
notre sondage de 2006 sur les retraités,
je me suis aperçue que ce sont les jeunes
familles dans la trentaine qui avaient le
niveau d’actifs d’épargne le plus élevé »,
déclare-t-elle. Le cru 2007 de ce sondage
annuel du groupe financier fait, d’autre
part, un croc-en-jambe au mythe du
baby-boomer qui « veille au grain » : chez
les travailleurs de 40 ans ou plus, l’importance accordée à l’épargne en vue de
la retraite a diminué en 2007, passant de
78 % en 2006 à 69 % l’année suivante.
C’est une tendance qu’on constate partout. « Il y a une grave inertie, fait
remarquer Monique Tremblay, tant chez
les plus de 40 ans que dans l’ensemble
de la population ».
En fait, le « mal épargne » frappe
toutes les tranches d’âge de la population. Un sondage national de Desjardins
Sécurité financière réalisé en novembre
2007 auprès de 1 505 adultes canadiens
va dans le même sens : on y note que
« 80 % des répondants prévoient qu’ils
seront “dans le rouge” au moment où
ils prendront leur retraite ».
Comment concilier cette murale
déprimante avec la campagne de
Liberté 55, véritable ode à la retraite
« prêt-à-porter » ? « Lorsqu’on regarde les
statistiques, note Richard La Ferrière,
chef de région, planification financière à
TD Watherhouse, on se rend compte que
les baby-boomers accaparent une large
part des dépenses au Canada et les campagnes de publicité du genre Liberté 55
ne sont probablement qu’une stratégie de
marketing pour attirer cette clientèle.
C’est de bonne guerre, mais cela ne reflète
pas nécessairement la réalité. »
Liberté 55 ou Hécatombe 55 ?
TABLEAU 1
Bilan partiel* des ménages québécois
Richard Dorval
« Liberté 55 ? », questionne Vallerand
Galland, directeur général de l’Association québécoise des retraité(e)s des
secteurs public et parapublic (AQRP).
« Moi, je pense plutôt que cela devrait
être Liberté 125. La moyenne des placements REER des Québécois varie
entre 3 000 $ et 3 500 $ par année.
Pourquoi ? Le revenu moyen est d’environ 35 000 $ par année : les gens ne
peuvent tout simplement pas investir
7 000 $ ou 8 000 $ par année dans des
REER. La réalité, c’est qu’il y a peu de
gens qui ont la capacité d’épargner
convenablement en vue de la retraite. La
retraite dorée, cela n’existe pratiquement
pas au Québec. »
« Ce qui est préoccupant, c’est que les
Québécois arrivent à la retraite non seulement avec peu d’épargne, mais avec
Monique Tremblay
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Actif :
Valeur foncière des immeubles résidentiels (en M $)
Épargne accumulée (en M $)
Total (en M $)
Passif :
Crédit à la consommation (en M $)
Crédit hypothécaire résidentiel (en M $)
Total (en M $)
Déc. 1996
189,3
192,6
381,9
Déc. 2006
401,2
398,1
799,3
27,0
70,4
97,4
60,3
126,9
187,2
Valeur nette estimée (actif-passif)
Valeur en pourcentage des avoirs totaux
284,5 M $
74,5 %
612,1 M $
76,6 %
e bilan partiel ne tient pas compte de la valeur des éléments d’actif autres que financiers et immobiliers
* L(voitures
de luxe, œuvres d’art, etc.).
Source : Mario Couture, Études économiques du Mouvement Desjardins.
des dettes également », ajoute Monique
Tremblay. Une étude récente de BMO
Groupe financier confirme : 73 % des
baby-boomers sont encore aux prises avec
des dettes. « Et plusieurs n’auront pas les
moyens, même en travaillant à leur
retraite, de maintenir un niveau de vie
acceptable », ajoute Monique Tremblay.
Richard La Ferrière prévoit, lui, une
belle collision baby-boomers-retraite :
« Dans les années 1960, les gens travaillaient, en moyenne, jusqu’à 65 ans,
note-il, et leur espérance de vie était de
72 ans. Ils travaillaient donc en moyenne
40 ans pour se payer une retraite qui
durait 7 ans. Maintenant, les baby­boomers veulent se retirer à 55 ans alors
que leur espérance de vie sera d’environ
85 ans. Expliquez-moi comment on peut
financer 30 ans de retraite en travaillant
30 ans ? Financer un an de retraite pour
chaque année de travail ? Cela tient du
prodige. Surtout que l’immense majorité
des gens sont endettés, ne font pas de
budget et économisent peu. »
Les taux d’épargne sont en effet quasi
kafkaïens. Dans le genre « plongée », on
ne fait guère mieux… En 10 ans, soit de
1996 à 2006, ce taux est passé, au Canada,
de 8 % à 1,4 %. De l’avis de l’ensemble
des spécialistes consultés, il frise actuellement, selon toutes probabilités, les
0,5 % ! Inversement, le taux d’endetteconseiller
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ment, lui, a bondi en 25 ans (de 1981 à
2006) de 15,7 % à 34,1 % au Canada. Au
Québec, le taux d’endettement des
ménages a augmenté considérablement
et a atteint un nouveau sommet de
105,4 % à la fin de 2006, comparativement à 81,2 % au 31 décembre 1996.
Il ne faut toutefois pas sombrer dans
une sorte de « névrose de la mauvaise
nouvelle ». Comme le fait remarquer le
rapport de Mario Couture, économiste
principal, Études économiques du
Mouvement Desjardins, « le taux d’épargne personnelle ne tient pas compte des
appréciations ou des dépréciations du
bilan des ménages. Il faut le définir en
prenant en considération non seulement
l’épargne résiduelle des familles, mais
aussi les pertes ou les gains en capital
qu’elles ont réalisés avec leurs éléments
d’actifs financiers. La variation annuelle
de la valeur nette inscrite au bilan des
ménages est une mesure plus appropriée ». Et que dit ce bilan ? Que la valeur
nette des ménages québécois a augmenté
de 1996 à 2006. Bref, les Québécois sont
un peu plus riches. Si on prend leurs actifs
totaux (valeur foncière des immeubles et
épargne accumulée) et qu’on soustrait
leur passif (crédit à la consommation et
crédit hypothécaire), on se rend compte
que leur valeur nette s’est appréciée au
cours des 10 dernières années : le pour-
centage de leur actif sur leur passif a en
effet progressé de 74,5 % en 1996, à
76,6 % en 2006 (voir tableau 1).
Comment alors concilier cet apparent
bien-être et les acerbes mises en garde
des spécialistes qui, contrairement à la
publicité doucereuse, prévoient une
« Hécatombe 55 » ? La théorie qui s’échafaude de plus en plus est la suivante : les
futurs retraités, et en particulier les babyboomers, ont des actifs, mais ils n’ont pas
de cash. « Ce qui se passe est simple, révèle
Richard La Ferrière : le patrimoine qu’ils
ont à la retraite, c’est leur domicile. » Et
le cash ? « En moyenne, ma clientèle
compte sur une épargne de 100 000 $ à
150 000 $. Et ce n’est pas tout le monde !
Ma clientèle, ce n’est pas le Québec. »
Et le Québec, comme le fait remarquer
Richard Dorval, « est riche en pauvres et
pauvre en riches ». Les retraités en herbe
ont peut-être des actifs, mais le revenu ne
suit pas, particulièrement à la retraite.
Selon Vallerand Galland, le revenu moyen
d’un retraité qui jouit d’un régime collectif
du secteur privé s’établissait récemment
à 11 400 $ annuellement. Et, contrairement à ce qu’on croit, les bénéficiaires
d’un régime collectif du secteur gouvernemental ne font guère mieux : 11 900 $
par année. Voilà pour le mythe des fonctionnaires « gras durs ». En fait, plus de
40 % des retraités au Québec font moins
de 15 000 $ par année. Les couples retraités du Québec font, par ailleurs, 5 000 $
de moins par année que ceux de l’ensemble du Canada et 10 000 $ de moins que
les retraités de l’Ontario. Et rien ne laisse
croire que la situation va s’améliorer.
« La masse de retraités qui inonderont
bientôt le Québec (ils sont déjà plus d’un
million) seront peut-être plus riches que
la génération précédente, indique Vallerand
Galland, mais ils devront faire face à l’érosion rapide de leurs revenus compte tenu
de l’accroissement de l’espérance de vie
et, surtout, du phénomène de désindexation des régimes de retraite. » En effet, peu
de gens savent que la plupart des rentes
des employeurs du secteur privé et du
juillet-août 2008
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secteur public ne sont pas indexées, ou peu.
Par exemple, de 1982 à l’année 2000, le
Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics
(RREGOP), qui régit les régimes de pension des employés du gouvernement du
Québec, a aboli toute indexation, à moins
que la hausse du coût de la vie, comptabilisé annuellement, ne dépasse 3 %.
Consommation à outrance, endettement débridé, épargne en peau de
chagrin, désindexation des régimes de
pension et, par-dessus le marché, espérance de vie à la hausse : voilà la toile de
fond avec laquelle devra composer cette
génération du plaisir qui risque, à terme,
de passer sa retraite à se faire des cheveux blancs.
Comme le disait le poète Jules
Renard : « Je me mets de l’argent de côté,
mais du mauvais côté. » Avait-il déjà tout
compris des baby-boomers ?
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