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« La retraite n’est pas une option.»
L’expression vient de Richard Dorval,
président du conseil et chef de la
direction d’Option Retraite. Un jeu de
mots, certes, mais un jeu de mots qui
occulte une réalité : pour une bonne
partie des baby-boomers, la retraite
confortable, « les doigts dans le nez »,
reve en effet plus d’un mirage cultivé
par la publicité que d’une réelle
option.
Près des trois quarts des baby-boomers,
par exemple, ont moins de 100 000 $ en
épargne, selon un récent sondage de
BMO Groupe financier qui révèle, de
plus, quun sur cinq na pas un sou de côté.
La moitié y déclarent, par ailleurs, passer
plus de temps à planifier leurs séances
d’exercice physique que leur retraite. On
ne s’étonnera pas de constater qu’une
minori (28 %) se disent très confiants de
pouvoir faire face à leurs besoins financiers
lorsqu’ils seront retraités, selon ce même
sondage. Cette génération de rockers en
herbe qui, nagre, se hanchait sur les
33 tours de Led Zeppelin, risque, peut-
être, de finir ses jours en déchantant plutôt
qu’en « rockant ».
Monique Tremblay, première vice-
présidente, Épargnes et Fonds distincts
chez Desjardins, constate, elle aussi, la
désaffection des baby-boomers face à
lépargne, contrairement à la ration
qui la suit : « À la suite d’une relecture de
notre sondage de 2006 sur les retraités,
je me suis aperçue que ce sont les jeunes
familles dans la trentaine qui avaient le
niveau d’actifs d’épargne le plus élevé »,
déclare-t-elle. Le cru 2007 de ce sondage
annuel du groupe financier fait, d’autre
part, un croc-en-jambe au mythe du
baby-boomer qui « veille au grain » : chez
les travailleurs de 40 ans ou plus, l’im-
portance accordée à lépargne en vue de
la retraite a diminué en 2007, passant de
78 % en 2006 à 69 % l’année suivante.
C’est une tendance qu’on constate par-
tout. « Il y a une grave inertie, fait
remarquer Monique Tremblay, tant chez
les plus de 40 ans que dans l’ensemble
de la population ».
En fait, le « mal épargne » frappe
toutes les tranches d’âge de la popula-
tion. Un sondage national de Desjardins
Sécurité financière alisé en novembre
2007 auprès de 1 505 adultes canadiens
va dans le même sens : on y note que
« 80 % des pondants prévoient qu’ils
seront “dans le rouge” au moment où
ils prendront leur retraite ».
Comment concilier cette murale
déprimante avec la campagne de
Liberté 55, véritable ode à la retraite
« prêt-à-porter » ? « Lorsqu’on regarde les
statistiques, note Richard La Ferrière,
chef de gion, planification financière à
TD Watherhouse, on se rend compte que
les baby-boomers accaparent une large
part des penses au Canada et les cam-
pagnes de publicité du genre Liberté 55
ne sont probablement quune stragie de
marketing pour attirer cette clientèle.
Cest de bonne guerre, mais cela ne reflète
pas nécessairement la réalité. »
À l’orée de la retraite, les baby-
boomers sont d’ores et déjà
consumés par un endettement
vertigineux et une épargne
lilliputienne. Quen pensent les
spécialistes en planification
financière et les « gourous » des
régimes de retraite ? La liberté,
tant convoitée, risque plutôt de
virer à lcatombe financière.
PIERRE RACINE
La retraite à 55 ou
lhécatombe 55 ?
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Liberté 55 ou Hécatombe 55 ?
Monique Tremblay
« Liberté 55 ? », questionne Vallerand
Galland, directeur général de l’Associa-
tion québécoise des retraité(e)s des
secteurs public et parapublic (AQRP).
« Moi, je pense plutôt que cela devrait
être Liberté 125. La moyenne des pla-
cements REER des Québécois varie
entre 3 000 $ et 3 500 $ par année.
Pourquoi ? Le revenu moyen est d’envi-
ron 35 000 $ par année : les gens ne
peuvent tout simplement pas investir
7 000 $ ou 8 000 $ par année dans des
REER. La réali, c’est qu’il y a peu de
gens qui ont la capacité d’épargner
convenablement en vue de la retraite. La
retraite doe, cela n’existe pratiquement
pas au Qbec. »
« Ce qui est préoccupant, c’est que les
Quécois arrivent à la retraite non seu-
lement avec peu d’épargne, mais avec
des dettes également », ajoute Monique
Tremblay. Une étude récente de BMO
Groupe financier confirme : 73 % des
baby-boomers sont encore aux prises avec
des dettes. « Et plusieurs n’auront pas les
moyens, même en travaillant à leur
retraite, de maintenir un niveau de vie
acceptable », ajoute Monique Tremblay.
Richard La Ferrière prévoit, lui, une
belle collision baby-boomers-retraite :
« Dans les années 1960, les gens tra-
vaillaient, en moyenne, jusqu’à 65 ans,
note-il, et leur espérance de vie était de
72 ans. Ils travaillaient donc en moyenne
40 ans pour se payer une retraite qui
durait 7 ans. Maintenant, les baby-
boomers veulent se retirer à 55 ans alors
que leur esrance de vie sera d’environ
85 ans. Expliquez-moi comment on peut
financer 30 ans de retraite en travaillant
30 ans ? Financer un an de retraite pour
chaque année de travail ? Cela tient du
prodige. Surtout que l’immense majorité
des gens sont endettés, ne font pas de
budget et économisent peu. »
Les taux d’épargne sont en effet quasi
kafkaïens. Dans le genre « plone », on
ne fait guère mieux En 10 ans, soit de
1996 à 2006, ce taux est passé, au Canada,
de 8 % à 1,4 %. De l’avis de l’ensemble
des spécialistes consultés, il frise actuel-
lement, selon toutes probabilités, les
0,5 % ! Inversement, le taux d’endette-
ment, lui, a bondi en 25 ans (de 1981 à
2006) de 15,7 % à 34,1 % au Canada. Au
Québec, le taux d’endettement des
ménages a augmenté considérablement
et a atteint un nouveau sommet de
105,4 % à la fin de 2006, comparative-
ment à 81,2 % au 31 décembre 1996.
Il ne faut toutefois pas sombrer dans
une sorte de « névrose de la mauvaise
nouvelle ». Comme le fait remarquer le
rapport de Mario Couture, économiste
principal, Études économiques du
Mouvement Desjardins, « le taux dépar-
gne personnelle ne tient pas compte des
appréciations ou des dépréciations du
bilan des ménages. Il faut le définir en
prenant en considération non seulement
l’épargne résiduelle des familles, mais
aussi les pertes ou les gains en capital
qu’elles ont réalis avec leurs éléments
dactifs financiers. La variation annuelle
de la valeur nette inscrite au bilan des
ménages est une mesure plus appro-
priée ». Et que dit ce bilan ? Que la valeur
nette des ménages québécois a augmenté
de 1996 à 2006. Bref, les Québécois sont
un peu plus riches. Si on prend leurs actifs
totaux (valeur foncière des immeubles et
épargne accumulée) et qu’on soustrait
leur passif (crédit à la consommation et
crédit hypotcaire), on se rend compte
que leur valeur nette sest appréce au
cours des 10 dernres années : le pour-
TABLEAU 1
Bilan partiel* des ménages québécois
Actif : c. 1996 c. 2006
Valeur foncière des immeubles résidentiels (en M $) 189,3 401,2
Épargne accumulée (en M $) 192,6 398,1
Total (en M $) 381,9 799,3
Passif :
Crédit à la consommation (en M $) 27,0 60,3
Crédit hypothécaire résidentiel (en M $) 70,4 126,9
Total (en M $) 97,4 187,2
Valeur nette estie (actif-passif) 284,5 M $ 612,1 M $
Valeur en pourcentage des avoirs totaux 74,5 % 76,6 %
* Le bilan partiel ne tient pas compte de la valeur des éléments d’actif autres que financiers et immobiliers
(voitures de luxe, œuvres d’art, etc.).
Source : Mario Couture, Études économiques du Mouvement Desjardins.
Richard Dorval
Liberté 55 ou Hécatombe 55 ?
JUILLETAOÛT 2008
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centage de leur actif sur leur passif a en
effet progressé de 74,5 % en 1996, à
76,6 % en 2006 (voir tableau 1).
Comment alors concilier cet apparent
bien-être et les acerbes mises en garde
des spécialistes qui, contrairement à la
publicité doucereuse, prévoient une
« Hécatombe 55 » ? La torie qui s’écha-
faude de plus en plus est la suivante : les
futurs retrais, et en particulier les baby-
boomers, ont des actifs, mais ils n’ont pas
de cash. « Ce qui se passe est simple, révèle
Richard La Ferrière : le patrimoine quils
ont à la retraite, c’est leur domicile. » Et
le cash ? « En moyenne, ma clientèle
compte sur une épargne de 100 000 $ à
150 000 $. Et ce n’est pas tout le monde !
Ma clientèle, ce n’est pas le Québec. »
Et le Québec, comme le fait remarquer
Richard Dorval, « est riche en pauvres et
pauvre en riches ». Les retraités en herbe
ont peut-être des actifs, mais le revenu ne
suit pas, particulrement à la retraite.
Selon Vallerand Galland, le revenu moyen
dun retraité qui jouit d’un régime collectif
du secteur pri s’établissaitcemment
à 11 400 $ annuellement. Et, contraire-
ment à ce qu’on croit, les néficiaires
d’un régime collectif du secteur gouver-
nemental ne font guère mieux : 11 900 $
par année. Voilà pour le mythe des fonc-
tionnaires « gras durs ». En fait, plus de
40 % des retraités au Québec font moins
de 15 000 $ par ane. Les couples retrai-
tés du Qbec font, par ailleurs, 5 000 $
de moins par année que ceux de l’ensem-
ble du Canada et 10 000 $ de moins que
les retraités de lOntario. Et rien ne laisse
croire que la situation va saméliorer.
« La masse de retraités qui inonderont
bientôt le Québec (ils sont déjà plus dun
million) seront peuttre plus riches que
la génération précédente, indique Vallerand
Galland, mais ils devront faire face à l’éro-
sion rapide de leurs revenus compte tenu
de l’accroissement de l’esrance de vie
et, surtout, du pnomène de sindexa-
tion des régimes de retraite. » En effet, peu
de gens savent que la plupart des rentes
des employeurs du secteur privé et du
secteur public ne sont pas indexées, ou peu.
Par exemple, de 1982 à l’année 2000, le
Régime de retraite des employés du gou-
vernement et des organismes publics
(RREGOP), qui régit les régimes de pen-
sion des employés du gouvernement du
Québec, a aboli toute indexation, à moins
que la hausse du coût de la vie, comptabi-
lisé annuellement, ne dépasse 3 %.
Consommation à outrance, endette-
ment débridé, épargne en peau de
chagrin, désindexation des régimes de
pension et, par-dessus le marché, espé-
rance de vie à la hausse : voilà la toile de
fond avec laquelle devra composer cette
génération du plaisir qui risque, à terme,
de passer sa retraite à se faire des che-
veux blancs.
Comme le disait le poète Jules
Renard : « Je me mets de l’argent de ,
mais du mauvais . » Avait-il tout
compris des baby-boomers ?
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