La nécrose colique due au polystyrène de sodium (Kayexalate)

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La nécrose colique due au polystyrène de sodium
(Kayexalate) chez le dialysé: mythe ou réalité?
A propos de deux observations
R. Montagnac1, S. Méhaut2, D. Blaison3 et F. Schillinger1
1
Services de néphrologie-hémodialyse ; 2d’anatomie pathologique et 3de gastro-entérologie, Centre hospitalier de Troyes
Parmi les complications digestives observées chez les urémiques et les transplantés rénaux, la nécrose intestinale survenant sous association Kayexalate-sorbitol ne serait pas exceptionnelle pour les auteurs anglo-saxons. Cette lésion iatrogène
est vraisemblablement sous-estimée des cliniciens et des pathologistes, et en France, ni la littérature ni la pharmacovigilance
n’en font mention, cette association médicamenteuse étant
cependant déconseillée dans le dictionnaire Vidal.
Il nous a donc semblé opportun de rapporter deux observations ayant fait discuter le diagnostic puis, nous appuyant sur les
données de la littérature, d’appréhender les circonstances et hypothèses de survenue puis de proposer certains conseils préventifs.
Among gastro-intestinal complications reported in uremic or
transplanted patients, colonic necrosis due to Kayexalate and sorbitol is not so unusual for english authors. This iatrogenic event is
probably underestimated by physicians and pathologists. In
France, neither literature nor pharmacovigilance refer this complication but Vidal dictionnary advises against such association.
We thought of interest to report 2 representative observations
and, after reviewing literature, to discuss diagnostics circumstances and etiopathogenic hypothesis and then to give some
advices.
Mots-clés: Insuffisance rénale – Sulfonate de polystyrène sodique
(Kayexalate) – Sorbitol/lactulose – Nécrose colique.
Key words : Renal failure – Sodium polystyrene sulfonate (Kayexalate) – Sorbitol/lactulose – Intestinal necrosis.
■ Introduction
Fin novembre 1999, après quelques jours de diarrhée, apparaissent des douleurs épigastriques et abdomino-pelviennes puis
des rectorragies entraînant une déglobulisation d’environ 2 g/dl
d’hémoglobine.
La fibroscopie gastrique ne montre qu’une hernie hiatale,
l’anuscopie est normale. En revanche, la coloscopie découvre, à
45 cm de la marge anale, une vaste ulcération de 3 à 4 cm, avec
une muqueuse décapée et très fragile, surmontée de deux bourrelets inflammatoires, sans aspect tumoral évident. Les deux biopsies qui portent sur les berges de l’ulcération retrouvent une
muqueuse dystrophique, régénérative, œdémateuse et nettement congestive, infiltrée d’éléments lymphoplasmocytaires. Les
six autres biopsies concernent le fond de l’ulcération qui est comblée par un bourgeon charnu télangiectasique. En surface, on
constate un enduit fibrino-leucocytaire compact, à l’intérieur
duquel sont identifiées des particules cristalloïdes, basophiles,
manifestement non stercorales, évoquant des particules de
Kayexalate. Le diagnostic de colite ulcéreuse subaiguë est retenu.
La patiente prenait alors quotidiennement du carbonate de
calcium (6 g), de l’oxyde d’aluminium (2,4 g), deux cuillères
mesure de Kayexalate et, pour lutter contre une constipation
chronique, au moins un sachet de lactulose par jour.
L’altération de l’autonomie, du fait de l’aggravation des lésions
vasculaires périphériques, nécessite un placement en service de
Chez les insuffisants rénaux aigus, chroniques et transplantés,
quelques publications anglo-saxonnes font état de la survenue
d’une nécrose intestinale après l’administration rectale et/ou
orale d’un mélange de sulfonate de polystyrène sodique (Kayexalate) et de sorbitol.
Nous rapportons deux observations semblables chez deux
hémodialysées ayant pris du Kayexalate mais associé à du lactulose et non à du sorbitol.
■ Observations
Cas n° 1 : Mme M. est âgée de 63 ans lorsqu’elle est traitée,
en mai 1981, par hémodialyse pour une insuffisance rénale terminale sur polykystose hépato-rénale. Les faits marquants ayant
émaillé l’évolution sont des septicémies itératives à colibacilles, à
point de départ rénal, motivant une néphrectomie bilatérale en
un temps, une parathyroïdectomie pour hyperparathyroïdisme
secondaire, une hépatite C et des complications vasculaires diffuses (hypertension artérielle ancienne ; accident vasculaire cérébral ischémique et artérite sévère des membres inférieurs ayant
amené à un traitement par aspirine et vasodilatateurs).
Néphrologie Vol. 23 n° 3 2002, pp. 131-134
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articles originaux
Résumé • Summary
articles originaux
long séjour dans les semaines suivantes: le régime étant alors plus
rigoureux, le Kayexalate peut être diminué à une cuillère mesure
par jour, trois jours seulement par semaine. Presque deux ans
après, aucune récidive n’a été notée.
Cas n° 2 : Mme C.D. est hémodialysée à partir de juillet
1997, à l’âge de 72 ans, pour une insuffisance rénale sur syndrome d’Alport. Dans ses antécédents et au cours de l’évolution,
sont à retenir : une hypertension artérielle sévère qui, après
quelques temps d’hémodialyse, évolue vers l’hypotension permanente ; la pose d’un pace maker pour BAV du deuxième degré
avec épisodes de tachycardie à complexes larges ; une dyslipémie ; une artérite des membres inférieurs à prédominance droite
sur sténose iliaque modérément serrée, ne relevant que d’un
traitement médical par pentoxifylline.
A plusieurs reprises, en avril et mai 1999, elle présente des
troubles digestifs avec constipation opiniâtre, douleurs abdominales, parfois vomissements. Il n’y a aucune relation avec le
déroulement des séances de dialyse. Le bilan ne découvre
qu’une lithiase vésiculaire et l’hypothèse d’épisodes sub-occlusifs
sur bride est évoquée alors que, sous traitement symptomatique,
les choses s’amendent partiellement.
Sa constipation est favorisée par la prise, au milieu de chacun
des deux principaux repas, de Kayexalate (une cuillère mesure les
jours de dialyse et deux les jours sans séance) et de 7,5 grammes
de carbonate de calcium et, après ces mêmes repas, de 1/2
gramme d’hydroxyde d’alumine. Pour y remédier, elle prend
régulièrement un à deux sachets de lactulose par jour.
Début juin, elle est hospitalisée pour melæna et rectorragies
ayant entraîné une déglobulisation de près de 3 g/dl d’hémoglobine. Une première coloscopie permet de constater un cæcum
très déformé par un processus infiltrant et très ulcéré, englobant
la valvule de Bauhin (pouvant expliquer les épisodes sub-occlusifs
antérieurs). Le reste du côlon est normal. L’aspect histologique
des dix biopsies réalisées est celui de colite ulcéreuse subaiguë :
ulcérations coliques avec, par endroits, des macrophages plurinucléés et des cellules épithélioïdes, sans valeur spécifique car
siégeant en bordure de ces ulcérations. Celles-ci sont comblées
par un abondant exsudat fibrino-leucocytaire qui renferme des
particules pseudo-cristallines basophiles correspondant à des
particules de Kayexalate. Il n’y a aucune prolifération tumorale
infiltrante.
Le contrôle réalisé un mois plus tard est beaucoup moins
inquiétant : le bas fond cæcal n’a plus d’aspect pseudo-tumoral
et l’on identifie bien la valvule de Bauhin, lipomateuse, inflammatoire, siège de pétéchies. La muqueuse du reste du cæcum
est plus ou moins blanchâtre, atrophique, avec des érosions et
quelques pétéchies. On ne cathétérise pas complètement la valvule de Bauhin car elle est encore inflammatoire mais le grêle terminal, vu en enfilade, apparaît normal. L’aspect est celui d’une
muqueuse en cours de réparation et l’histologie proche de l’examen précédent : colite subaiguë ulcéreuse avec des ulcérations
constituées d’un tissu de granulation formé de néo-vaissaux
entourés d’un infiltrat inflammatoire polymorphe, riche en plasmocytes. Quelques particules de Kayexalate, basophiles, cristalloïdes sont encore retrouvées. En bordure, la muqueuse colique
est dystrophique.
Le Kayexalate est diminué moyennant une diététique plus
stricte visant aussi à réduire la constipation et elle n’a plus,
depuis, présenté de récidive.
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■ Commentaires
Depuis 1961, le Kayexalate, ou polystyrène sulfonate de
sodium, est le produit le plus utilisé dans le traitement de l’hyperkaliémie des urémiques, dialysés ou non. Il agit comme résine
échangeuse de cations au niveau du côlon, libérant des ions
sodium pour fixer des ions potassium qui sont alors éliminés
dans les selles.
Non absorbé, il est considéré comme dépourvu d’effets
secondaires, hormis parfois anorexie, nausées, vomissements,
diarrhées. Par contre, il peut induire fécalome, constipation parfois sévère, voire occlusion, surtout s’il est prescrit concomitamment à d’autres produits altérant le transit intestinal.1,2,3 Pour
tenter de diminuer ces effets, les prescripteurs américains l’associent quasi systématiquement, que ce soit par voie rectale ou
orale, à une suspension de sorbitol.
Non dégradé dans l’intestin grêle qui est dépourvu d’enzymes capables de le scinder en monosaccharides, le sorbitol est
transformé par les bactéries coliques en acides gras à chaînes
courtes qui, lorsqu’ils dépassent les capacités d’absorption,
deviennent osmotiquement actifs.
● Revue de la littérature
Quelques observations mentionnent la survenue de lésions
gastro-intestinales parfois graves, rattachées à l’association
Kayexalate-sorbitol. Elles auraient une incidence postopératoire
proche de 1,8%2,4,5 et entreraient également dans le cadre des
nécroses coliques « idiopathiques » de l’urémique.
Lillemoe et coll.5 sont les premiers, en 1987, à rapporter,
chez cinq patients, en postopératoire (deux après greffe rénale),
une nécrose extensive de la muqueuse et un infarcissement
transmural tant de l’iléon terminal que du côlon et du rectum.
Les lavements de Kayexalate-sorbitol administrés sont incriminés, en l’absence d’autre circonstance étiologique : les patients
(sauf un) avaient moins de 40 ans, aucun n’avait de passé intestinal et l’extension pancolique et rectale réfutait l’hypothèse d’une
anomalie du débit sanguin mésentérique. Expérimentalement,
leurs travaux chez des rats normaux et des rats urémiques aboutissent à la conclusion que le mélange Kayexalate-sorbitol induit
une nécrose colique dont le sorbitol est le principal responsable,
l’état urémique potentialisant la sévérité des lésions.
Ces auteurs rappellent qu’en 19736 et 1977,7 deux publications rapportaient des complications identiques après transplantation rénale ou néphrectomie du transplant. Dans l’une,7 il n’y
avait pas d’argument étiologique chez ces patients jeunes et
sans lésions vasculaires, en dehors d’épisodes péri-opératoires
transitoires d’hypotension artérielle. Bien que non précisés, il est
fort probable que des lavements de Kayexalate-sorbitol aient été
réalisés du fait de cette prescription routinière en matière de
transplantation.6,8 Dans la seconde,6 un certain nombre de facteurs favorisants étaient évoqués. Tous les patients ayant eu des
lavements de Kayexalate, probablement avec du sorbitol, les
auteurs, sans établir de relation formelle, décidaient d’éviter
dorénavant de tels lavements dans les suites d’une transplantation rénale.
Wootton en 19899 puis Scott en 199310 rapportent chacun
un cas de nécrose colique chez des patients ayant reçu des lavements de Kayexalate-sorbitol en post-transplantation rénale.
Néphrologie Vol. 23 n° 3 2002
● Données anatomo-histologiques
Anatomiquement, l’analyse des biopsies et des pièces opératoires ou autopsiques est identique d’une observation à l’autre.
Néphrologie Vol. 23 n° 3 2002
En endoscopie, on observe une friabilité muqueuse et des
zones érosives, voire nécrotiques, hémorragiques plus ou moins
étendues. En cas d’intervention, l’inspection note des plages de
nécrose transmurale, allant même jusqu’au stade de perforation.
On peut aussi observer des zones d’infarcissement.
Histologiquement, au niveau colique, on peut avoir des ulcérations muqueuses, des pseudo-membranes sur la muqueuse, une
nécrose muqueuse ou transmurale, et des cristaux de Kayexalate
en surface de la muqueuse. Le diagnostic différentiel est celui de
cristaux de cholestyramine, en fait aux propriétés tinctoriales différentes, la connaissance du traitement habituel aidant en fait à
conclure. Le contexte clinique, les coprocultures, l’état des vaisseaux constituent des indices diagnostiques précieux pour éliminer
d’autres pathologies car, en dehors de la présence des cristaux
médicamenteux, les aspects histologiques font principalement discuter une colite non spécifique ou une colite ischémique.
● Hypothèses étiopathogéniques
Comme pour les autres complications gastro-intestinales survenant chez les urémiques ou les transplantés, des facteurs environnementaux pouvant prédisposer le côlon à la nécrose ont été
incriminés :5,13 l’urémie elle-même ; une infection à germes
opportunistes de type cytomégalovirus ; un traitement par corticoïdes et immunosuppresseurs ; une hypovolémie et/ou une
hypotension post-dialytique ou postopératoire ; une vasoconstriction médiée par le système rénine-angiotensine et aboutissant à une ischémie intestinale.
Mais, dans certains autres cas, la nécrose est survenue de
façon inexpliquée,5 sans que soient mises en évidence colopathie
(diverticulose en particulier) et/ou vasculopathie (athérosclérose
de l’artère mésentérique) préexistantes.7,13 Une évolution spontanément favorable peut s’observer après l’arrêt du Kayexalate.12
Ceci laisse à penser5,12 que le sorbitol soit induit une ischémie
intestinale par le déplacement volémique créé par sa charge
osmotique, soit possède un effet toxique direct sur la muqueuse
intestinale en agissant sur l’activité locale des prostaglandines. Le
sorbitol est en effet un agent osmotique organique retrouvé à
forte concentration dans le cytosol cellulaire et jouant un rôle clé
dans l’homéostasie du volume cellulaire.
Mais les lésions gastriques parfois observées alors que l’effet
osmotique du sorbitol n’est que colique et la survenue de
nécrose colique en l’absence de sorbitol ont amené certains
auteurs à envisager la responsabilité du Kayexalate seul. Ses
effets toxiques locaux ne seraient pas dose-dépendants car ils
ont pu survenir pour de faibles doses 5 mais ils seraient liés à son
temps de contact avec la muqueuse digestive. D’ailleurs, alors
que l’on pourrait imaginer un rôle néfaste des lavements de
Kayexalate pour le rectum, il est intéressant de noter que celui-ci
est le plus souvent épargné car il y existe des facteurs protecteurs
locaux : vascularisation, évacuation plus rapide du lavement et
donc diminution du temps de contact.7
Il faut donc éviter toute diminution du transit intestinal12,13 qui
ne peut qu’augmenter ce temps de contact. Or, la stase stercorale
est un phénomène fréquent chez les urémiques chroniques du
fait de la restriction hydrique et des médications proposées. Ce
phénomène s’accentue en cas d’intervention chirurgicale en raison de l’alitement, de l’iléus postopératoire, du recours éventuel à
des drogues diminuant la mobilité intestinale.
133
articles originaux
Dans une étude rétrospective publiée en 1992,4 Gerstman
identifie deux cas de nécrose intestinale chez des urémiques
ayant reçu en postopératoire immédiat, uniquement par voie
orale cette fois, un mélange de Kayexalate et de sorbitol.
En 1997, Rashid11 étudie quinze patients chez lesquels ont été
retrouvés, histologiquement, des cristaux de Kayexalate, soit sur
des biopsies gastriques et intestinales faites par voie endoscopique (sept fois), soit sur des pièces de résections intestinales (neuf
fois). Une nécrose est observée chez 75% des douze patients
pour lesquels on dispose de prélèvements colo-rectaux. Quatre
ont aussi une nécrose de l’intestin grêle. Le mélange Kayexalatesorbitol avait été administré par voie orale ou par sonde naso-gastrique. Aucune autre hypothèse étiologique n’est retenue.
Pour la première fois, Roy-Chaudhury évoque en 199712 une
toxicité gastrique propre en relatant la survenue d’ulcères gastriques après prise orale de Kayexalate. Il suggère que les ulcères
serpigineux observés tant au niveau gastrique qu’intestinal pourraient représenter un type lésionnel caractéristique.
En 1997 également, Gardiner13 rapporte le cas de deux patients
urémiques ayant reçu, au décours d’une chirurgie cardiaque, l’un
de fortes doses de Kayexalate-sorbitol par sonde gastrique et lavements, l’autre seulement de petites doses par voie orale. Le premier, décédé, est autopsié et le second bénéficie d’une hémicolectomie droite avant de décéder dix-huit jours plus tard. Chez les
deux, les examens histologiques révèlent une nécrose hémorragique de la muqueuse iléale et colique mais aussi gastrique.
Schiere, toujours en 1997,14 précise qu’un hémodialysé pour
insuffisance rénale aiguë au décours d’une intervention pour un
anévrisme de l’aorte rompu, traité par Kayexalate, sans sorbitol
cette fois, développe une hémorragie rectale intarissable nécessitant une hémicolectomie.
A part se situe le cas rapporté par Bennett en 199615 d’un
enfant prématuré de 650 grammes qui, après des lavements de
Kayexalate-sorbitol, développe une perforation cæcale. Le
Kayexalate, souvent utilisé dans les hyperkaliémies de nouveaunés de très petit poids, est réputé à l’origine de fécalome voire
d’obstruction intestinale, d’autant qu’il se complexe au calcium
et que l’intestin, immature, est de mobilité réduite. Mais le sorbitol a peut-être un rôle toxique direct sur l’intestin.
Dardik, en 2000,8 observe un patient ayant présenté une
nécrose colique dont la manifestation initiale, 24 heures après la
première prise par voies orale et rectale d’un mélange Kayexalate-sorbitol, est un syndrome abdominal aigu. Les constatations
histologiques, après résection du côlon transverse, sont identiques aux précédentes.
En 2001, Susan Abraham 3 confirme les effets néfastes du
Kayexalate également sur le tractus digestif supérieur. Pour certains, les cristaux de Kayexalate ne constituent qu’une découverte
fortuite sur les coupes histologiques, sans caractère péjoratif
(d’autant qu’on peut en retrouver sur une muqueuse saine). Elle
affirme au contraire que la présence de tels cristaux est à considérer comme un marqueur des lésions muqueuses induites par cette
médication ou tout au moins par l’association Kayexalate-sorbitol
puisque ce dernier n’est histologiquement pas visible. Il s’agit
donc d’une aide précieuse au diagnostic étiologique de lésions
par ailleurs parfois non spécifiques, voire trompeuses.
■ Discussion
articles originaux
Nos deux patientes ont donc présenté une atteinte colique
pour laquelle l’absence d’étiologie évidente, la constipation
habituelle, la découverte de cristaux de Kayexalate au fond des
ulcérations coliques, l’absence de lésions ischémiques en dépit
de leur état vasculaire et l’absence de récidive à distance nous
ont fait évoquer le rôle possible du Kayexalate, voire de son association au lactulose.
Plus que le Kayexalate, c’est le sorbitol et jamais le lactulose
que la littérature, exclusivement anglo-saxonne, retiendrait comme
potentiellement responsable. Le sorbitol est moins prescrit en
France que le lactulose, et l’association d’un laxatif au Kayexalate, surtout en lavement, est loin d’être aussi systématique
qu’aux Etats-Unis. Leur métabolisme colique est cependant
proche et l’on peut penser que le lactulose peut être responsable
au même titre que le sorbitol. La pharmacovigilance française
quant à elle n’a recensé aucun accident imputable à l’une ou
l’autre de ces médications. Seul le dictionnaire Vidal déconseille
l’association, mais là encore avec le sorbitol uniquement.
A la suite de ces deux accidents, du fait de la sévérité potentielle
de telles complications, nous avons préféré redéfinir une attitude
préventive en restant aussi prudents avec l’utilisation du lactulose.
La gestion de l’hyperkaliémie peut faire appel à d’autres
mesures que le Kayexalate, en particulier diététiques. Si son indication s’avère cependant absolue, il faut d’une part limiter
autant que faire se peut la durée de son utilisation et, d’autre
part, estimer la mobilité intestinale des patients pour prévenir au
mieux toute constipation, en ne recourant aux laxatifs que de
façon prudente et mesurée, et non systématique. Selon le dictionnaire Vidal et la littérature que nous avons analysée, le
mélange Kayexalate-sorbitol, par voie orale comme en lavements, est fortement déconseillé. En péri-opératoire ou lors de
périodes de stress, la transplantation en étant une circonstance
exemplaire, il doit même être absolument proscrit.
Si certains préconisent d’administrer le Kayexalate dans du
lait avec de larges doses de lactulose,12 cette attitude nous paraît
peu souhaitable en raison des apports de phosphore que constituerait l’apport lacté et du fait qu’à la lueur de nos deux observations, l’utilisation du lactulose nous paraît devoir être prudente.
Il convient de surcroît d’éduquer les patients d’une part à ne
pas prendre en même temps toutes les médications fréquemment
prescrites et qui favorisent la constipation et, d’autre part, comme
le recommande le dictionnaire Vidal, à prendre les topiques gastro-intestinaux à distance (plus de 2 heures) du Kayexalate.
■ Conclusion
Seul ou plutôt en association avec le sorbitol, voire le lactulose,
le Kayexalate est susceptible d’induire chez les urémiques, des
nécroses gastro-intestinales parfois délétères. Son utilisation ne
doit pas être remise en cause dans la gestion de l’hyperkaliémie
mais nécessite des précautions adaptées aux patients et à leurs
pathologies associées afin de prévenir de telles complications.
134
Adresse de correspondance :
Dr Richard Montagnac
Service de néphrologie-hémodialyse
Centre hospitalier de Troyes
101, Avenue Anatole France
F-10003 Troyes Cedex
E-mail : [email protected]
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Néphrologie Vol. 23 n° 3 2002
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