atteintes glomérulaires au cours des syndromes lymphoprolifératifs

FLAMMARION
MÉDECINE
-
SCIENCES
ACTUALITÉS
NÉPHROLOGIQUES
2000
(www.medecine-flammarion.com)
ATTEINTES GLOMÉRULAIRES AU COURS
DES SYNDROMES LYMPHOPROLIFÉRATIFS
AVEC PRODUCTION EXCESSIVE DE CYTOKINES
(CASTLEMAN, POEMS)
par
P. RIEU*, L.-H. NOËL*, D. DROZ**, H. BEAUFILS***,
A. GESSAIN****, O. HERMINE***** ET P. LESAVRE*
Les mécanismes physiopathologiques des atteintes rénales au cours des syn-
dromes lymphoprolifératifs sont divers [1, 2]. L’atteinte rénale peut être secondaire
à des troubles hydroélectrolytiques tels qu’une déshydratation, une hypocalcémie
ou une hyperuricémie. Elle peut résulter d’un envahissement du parenchyme rénal
par les cellules lymphoïdes tumorales ou d’une compression des voies urinaires
par des adénopathies para-aortiques [3]. L’atteinte rénale peut être la conséquence
d’une production anormale d’immunoglobuline (ou d’un fragment d’immunoglo-
buline) monoclonale. Cette paraprotéine peut précipiter dans la lumière des tubes
(tubulopathie myélomateuse), dans les lumières capillaires (macroglobulinémie
de Waldenström, cryoglobulinémie), ou dans les cellules tubulaires proximales
(syndrome de Fanconi). Elle peut aussi se déposer le long des membranes basales
sous forme de dépôts granulaires (syndrome de Randall), de dépôts fibrillaires
(amyloïdes ou pseudo-amyloïdes) ou de dépôts microtubulaires. D’autres méca-
nismes paranéoplasiques peuvent être impliqués dans l’atteinte rénale des syndromes
lymphoprolifératifs : la formation de complexes immuns contenant un antigène
tumoral dans les glomérules, une synthèse anormale d’hormones (PTHrP, calci-
triol) ou une production excessive de cytokines.
* INSERM U507 et service de néphrologie, hôpital Necker, 149 rue de Sèvres, 75743 Paris Cedex 15.
** Service d’anatomopathologie, hôpital Necker, 149 rue de Sèvres, 75743 Paris Cedex 15.
*** INSERM U423, hôpital Necker ; service d’anatomopathologie, hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris.
**** Département des rétrovirus, Institut Pasteur, Paris.
***** Service d’hématologie, hôpital Necker, 149 rue de Sèvres, 75743 Paris Cedex 15.
atteintes glomérulaires dans les syndromes lymphoprolifératifs
150 P. RIEU ET COLL.
SYNDROMES LYMPHOPROLIFÉRATIFS
AVEC PRODUCTION EXCESSIVE DE CYTOKINES
Les cytokines sont des peptides solubles participant à la communication inter-
cellulaire. Contrairement aux hormones qui sont sécrétées par des organes spécia-
lisés (les glandes endocrines), et exercent leurs actions à distance grâce à la
circulation sanguine, les cytokines sont synthétisées par une grande diversité de
cellules présentes dans tous les tissus, et agissent essentiellement de façon locale.
Les cytokines constituent une grande famille composée par les interleukines, les
interférons, les chimiokines, les facteurs stimulants de l’hématopoïèse (colony sti-
mulating factors), les facteurs de nécrose des tumeurs et les facteurs de croissance.
Leurs fonctions régulatrices interviennent dans de nombreuses réactions biolo-
giques adaptatives telles que la réponse immunitaire, la réaction inflammatoire,
l’hématopoïèse, l’organogenèse et la cicatrisation. Ces actions multiples des cyto-
kines nécessitent que leurs sécrétions soient étroitement régulées. Au cours des
syndromes lymphoprolifératifs, certaines cytokines peuvent échapper aux méca-
nismes de régulation. La sécrétion permanente de ces cytokines peut alors, par
leurs actions autocrines, faciliter la prolifération des cellules lymphoïdes tumorales
et, par leurs actions paracrines, s’accompagner de manifestations cliniques et his-
topathologiques caractéristiques [4].
Une production intratumorale de cytokines a été mise en évidence dans de nom-
breux syndromes lymphoprolifératifs, notamment dans la maladie de Hodgkin et
dans les lymphomes T [4]. Cet excès local de cytokine explique certaines caracté-
ristiques histologiques de ces hémopathies. Par exemple, c’est l’IL-4 qui induit la
prolifération lymphocytaire T observée dans les lymphomes B riches en T ; l’IL-6
induit la prolifération plasmocytaire polyclonale au cours des lymphomes T angio-
immunoblastiques ; l’INFγ pourrait être impliqué dans la réaction épithélioïde des
lymphomes T de Lennert ; le TGFβ est associé à la sclérose nodulaire de la maladie
de Hodgkin. En plus de leur action locale, certaines cytokines synthétisées en excès
ont un effet systémique. Par exemple, l’IL-5 induit l’éosinophilie au cours de la mala-
die de Hodgkin et l’IL-6 participe au syndrome inflammatoire clinique (fièvre, asthé-
nie, sueur nocturne) et biologique de nombreux syndromes lymphoprolifératifs
(tableau I). Parmi ces syndromes, une production excessive de cytokines circulantes
semble être impliquée de façon prédominante dans la pathogénie et la symptomato-
logie de deux syndromes lymphoprolifératifs, le syndrome de Castleman et le syn-
drome de POEMS. Ces deux syndromes sont fréquemment associés à des atteintes
glomérulaires. Ils sont l’objet de cette revue.
Syndrome de Castleman
DÉFINITION ANATOMOPATHOLOGIQUE ET CLINIQUE
En 1956 Castleman et al. rapportent 13 patients ayant une tumeur bénigne
médiastinale caractérisée, en anatomopathologie, par une hyperplasie angiofolli-
culaire (fig. 1) [5]. Seize ans plus tard, Keller et al. individualisent deux types
histologiques d’hyperplasie angiofolliculaire : la forme vasculohyaline et la forme
plasmocytaire [6]. La hyalinisation des vaisseaux, l’organisation des centres
germinatifs folliculaires et la plasmocytose de la zone interfolliculaire permet de
ATTEINTES GLOMÉRULAIRES DANS LES SYNDROMES LYMPHOPROLIFÉRATIFS 151
distinguer ces deux formes (voir fig. 1). La coexistence de ces deux formes dans
un même ganglion, l’existence d’une forme transitionnelle dite « mixte », et la
transformation possible de la forme plasmocytaire en forme vasculohyaline au
cours de l’évolution ont conduit à rapprocher ces différents types histologiques.
Le type vasculohyalin pourrait n’être que la forme éteinte du type plasmocytaire,
mais aucun argument permet d’affirmer cette hypothèse. Habituellement, le
contingent lympho-plasmocytaire de ces différentes formes est polyclonale [7].
La définition du syndrome de Castleman est devenue anatomoclinique à partir
de 1978, après la description du premier cas de syndrome de Castleman multi-
centrique [8].
La forme localisée du syndrome de Castleman est la plus fréquente (80-90 p. 100).
Elle touche l’adulte jeune (70 p. 100 des cas < 30 ans). La localisation de la tumeur
est principalement médiastinale (70 p. 100 des cas) mais toute les aires ganglionnai-
res peuvent être touchées. La forme vasculohyaline est la plus fréquente (90 p. 100
des cas) des formes histologiques au cours du syndrome de Castleman localisé et
elle est presque toujours asymptomatique. À l’inverse, la forme plasmocytaire
s’accompagne souvent de signes généraux (fièvre, sueurs nocturnes, asthénie) et
d’un syndrome inflammatoire biologique (anémie, hypergammaglobulinémie poly-
clonale, augmentation des protéines de la phase aiguë, hypoalbuminémie). Le trai-
tement du syndrome de Castleman localisé est chirurgical [9].
TABLEAU I. — TAUX SÉRIQUES D’IL-6 ET DE VEGF AU COURS DE DIVERS SYNDROMES
LYMPHOPROLIFÉRATIFS
SYNDROMES
LYMPHO-
PROLIFÉRATIFS
NOMBRE
DE SUJETS
TAUX
MOYEN
D’IL-6
(pg/ml)
RÉFÉRENCES NOMBRE
DE SUJETS
TAUX
MOYEN
DE VEGF
(pg/ml)
RÉFÉRENCES
Myélome 210 5,4 [55, 129] 21 205 [57]
Hodgkin 65 2,7 [130]
ATL 59 8,2 [131]
LNH B diffus 118 4,6 [132]
POEMS 23 39 [54, 55] 22 2 533 [57, 58]
Castleman 10 83* [18, 19, 25,
79, 88, 89] 2 640 [25]
Témoins < 3,5 70-225
ATL : Leucémie/lymphome de l’adulte à cellules T ; LNH B diffus : lymphome diffus à grandes cellules
B ; * : taux sérique moyen calculé à partir d’observations isolées.
152 P. RIEU ET COLL.
Le syndrome de Castelman multicentrique est surtout de type plasmocytaire ou
mixte [9-12]. Il peut être associé à une infection par le virus de l’immunodéficience
humaine (VIH) [13]. L’âge moyen des sujets atteints est plus élevé que dans les
formes localisées avec une prédominance pour la sixième décennie (sauf pour les
cas associés à une infection par le VIH). Ce syndrome peut cependant survenir
FIG. 1. — Aspects histologiques des ganglions au cours du syndrome de Castleman.
A) Forme vasculohyaline : les centres folliculaires sont petits, les capillaires les pénètrent
d’une manière radiale. Les vaisseaux ont des parois épaisses et hyalinisées. Les centres
folliculaires sont entourés par des rangées serrées et concentriques de petits lymphocytes.
B) Forme plasmocytaire : elle est caractérisée par l’existence d’un infiltrat massif de plas-
mocytes entre les follicules. C) Immunolocalisation de vIL-6 dans des cellules de la zone
du manteau d’un follicule.
ATTEINTES GLOMÉRULAIRES DANS LES SYNDROMES LYMPHOPROLIFÉRATIFS 153
aussi chez l’enfant [14, 15]. Il est caractérisé par une polyadénopathie associée à
des signes généraux (fièvre, sueurs nocturnes, asthénie) et une atteinte multiviscé-
rale. La présence fréquente d’une hépato-splénomégalie (50 à 70 p. 100), d’œdèmes
et d’épanchements des séreuses (50 p. 100), d’une atteinte cutanée (50 p. 100) et,
plus rarement, d’une atteinte neurologique ou endocrinienne peut parfois
rapprocher ce syndrome de la forme incomplète du syndrome de POEMS [16, 17].
Un sarcome de Kaposi associé au syndrome de Castelman multicentrique est
retrouvé chez 13 p. 100 des sujets VIH négatifs et 75 p. 100 des patients VIH posi-
tifs. Le syndrome inflammatoire biologique et la présence d’une hyperglobuliné-
mie polyclonale sont habituels. L’anémie est constante, souvent associée à une
thrombopénie. Il peut exister des signes cliniques ou biologiques d’auto-immunité.
L’évolution est très variable et dépend, entre autre, du traitement [9]. Les rémis-
sions spontanées sont rares. Les traitement proposés sont divers. Les corticoïdes
sont le plus souvent donnés en première intention. En cas de corticorésistance, une
chimiothérapie (agents alkylants, antimitotiques ou polychimiothérapie) peut être
ajoutée. Elle est parfois donnée d’emblée. Le pronostic reste sombre avec une
médiane de survie à 3 ans (18 mois pour les cas associés au VIH avant la trithérapie
antivirale). Les patients décèdent d’infection, de défaillance multiviscérale ou de
cancer (sarcome de Kaposi, lymphome non hodgkinien, myélome).
CYTOKINES ET SYNDROME DE CASTLEMAN
L’IL-6 joue un rôle physiopathologique majeur au cours du syndrome de
Castleman de type plasmocytaire : i) les taux sériques d’IL-6 sont élevés (voir
tableau I) ; ii) l’ablation complète des masses ganglionnaires conduit à la guérison
et à l’effondrement des taux d’IL-6 circulants [18] ; iii) le traitement par un anti-
corps monoclonal anti-IL-6 est efficace sur les manifestations cliniques et biologi-
ques [19] ; iv) l’hyperexpression d’IL-6 chez la souris induit un tableau proche du
syndrome de Castleman multicentrique [20]. L’IL-6 provient essentiellement des
ganglions atteints. Ces ganglions produisent de l’IL-6 in vitro [18]. La présence
d’IL-6 en immunohistochimie est détectée surtout dans les centres germinatifs des
follicules hyperplasiques, et de façon plus discrète et éparse, dans les zones inter-
folliculaires [18, 21-23]. Les données concernant les cellules responsables de la syn-
thèse d’IL-6 sont encore contradictoires. Il pourrait s’agir des cellules dendritiques
ou des cellules lymphoïdes B des centres germinatifs.
L’IL-6 est un médiateur central de la réponse immuno-inflammatoire [24]. Le
récepteur de l’IL-6 est composé d’une chaîne de 80 kDa (IL6Rα) et de deux chaî-
nes de 130 kDa (gp130 ou IL6Rβ). IL-6 se lie à IL6Rα et ce complexe s’associe
à IL6Rβ, provoquant ainsi l’homodimérisation de IL6Rβ. C’est IL6Rβ dimérisé
qui induit la transduction du signal en activant les tyrosines kinases Jak-Tyk et des
facteurs de transcription nucléaire (STAT, APRF et NF-IL6). IL6Rβ fonctionne
aussi comme transducteur de signal d’autres cytokines en interagissant avec les
chaînes des récepteurs des cytokines OSM (oncostatine M), LIF (facteur leucémique
inhibiteur), CNTF (facteur ciliaire neurotrophique) et IL-11. Contrairement à
l’IL6Rβ qui est exprimé sur toutes les cellules, IL6Rα a une distribution plus res-
treinte. IL6Rα est exprimé sur les lymphocytes T, les lymphocytes B activés, les
monocytes et les hépatocytes. L’IL-6 joue un rôle important dans l’activation des
lymphocytes T, dans la différenciation des lymphocytes B en plasmocytes, dans
la croissance des cellules tumorales de plasmocytomes. IL-6 est l’inducteur principal
des protéines de la phase aiguë hépatique. Il est aussi impliqué dans l’hématopoïèse
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