La psychologie sociale au service du DD. Mars 2008. pdf

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Nous devons consommer moins d’énergies fossiles. Tout le mon-
de en convient ou à peu près. Mais entre ce consensus de plus en
plus large et le passage à l’acte, il y a un hiatus que la psychologie so-
ciale peut nous aider à comprendre, avant d’essayer de le surmonter.
De la théorie de l’action raisonnée au « Community-Based Social
Marketing » en passant par la théorie de lengagement, tous ceux
qui sont intéressés par la mise en œuvre de politiques concrètes
de veloppement durable trouveront dans cette science humaine,
promise à un bel avenir, des outils efficaces d’analyse et de produc-
tion du changement.
Le développement durable nécessitera une modification en profondeur
de nos modes de production et de consommation, et donc un changement
(probablement radical) de nos comportements quotidiens, en particulier
dans le domaine de la consommation dénergie. Les engagements pris par
les gouvernements de la planète depuis la conférence de Rio (1992) doi-
vent donc déboucher sur ladoption de politiques publiques visant, dune
part à protéger et restaurer le milieu naturel, dautre part à modifier les
comportements qui concourrent à le dégrader. La recherche de l’efficacité
La psychologie sociale
au service du
développement durable
> PAUL-MARIE BOULANGER
Paul-Marie Boulanger est sociologue. Il est le fondateur du bureau d’études
ADRASS spécialisé dans l’application de la dynamique des systèmes aux
questions démographiques, socio-économiques et écologiques. En 1997, il
fonde l’Institut pour un Développement Durable dont il est le président depuis
1999. Il est membre du Conseil scientifique du programme de recherche
dérateur français “Agriculture et Développement Durable” (ADD) ainsi
que du “Think Tank Développement Durable” du Conseil de l’Europe.
pm.boulanger@skynet.be
Comprendre les comportements de consommation
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et de lefficience de politiques qui visent à rien moins que de modifier des
comportements (parfois profondément ancrés), passe par lusage optimal
(offrant le meilleur rapport coût/efficacité) des moyens dont dispose lac-
tion publique. Ces moyens relèvent de trois catégories: la réglementation,
lincitation économique (ou la dés-incitation) et la persuasion.
Dans un domaine aussi crucial que celui de lénergie, il est illusoire
despérer obtenir l’inversion des tendances rendues inéluctables, tant par
la crise annoncée de lapprovisionnement en pétrole que par lintensi-
fication à venir de la lutte contre le réchauffement climatique, sans une
combinaison de réglementations, dincitations et de persuasion.
Evidemment, le mélange optimal à appliquer dépend de la cible visée:
les entreprises, les administrations publiques et les ménages obéissent à
des logiques différentes et doivent donc faire lobjet dapproches différen-
tes, adaptées à leur nature. Il est clair que les entreprises privées, fondées
sur la recherche du profit, seront plus sensibles aux incitants financiers
que les administrations pour lesquelles il faudra davantage compter sur
la réglementation et la persuasion. Quant aux ménages, ils sont, comme
les entreprises, sensibles aux prix de lénergie à telle enseigne quil suffi-
rait de laisser simplement grimper les prix (quitte à accélérer le proces-
sus au moyen des taxes et accises) pour obtenir automatiquement les ré-
ductions de consommation souhaitées. Sans doute, mais une régulation
par les prix seuls risque dentraîner des dégâts collatéraux en termes de
chômage, de pertes de revenu et dinégalités sociales dune telle ampleur
que le remède pourrait bien tuer le malade en même temps quil guérit la
maladie. Par ailleurs, s’il est vrai que les ménages sont sensibles aux prix,
ils sont également accessibles à dautres signaux, à dautres sollicitations.
C’est la raison pour laquelle ils sont la cible privilégiée des campagnes
dinformation et de sensibilisation. Encore faut-il que celles-ci soient ef-
ficaces, ce dont on peut douter à en juger par le gouffre qui sépare la prise
de conscience dun problème par la population et les changements de
comportements qui seraient nécessaires pour y faire face. Cest le cas en
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matière denvironnement comme dans bien dautres domaines, comme
la santé ou la sécurité routière.
Quand savoir n’est pas changer
Même si une grande partie du public est maintenant bien consciente
des risques environnementaux entraînés par la consommation d’énergie
et est convaincue qu’il importe dagir dans ce domaine, c’est une pro-
portion nettement moindre qui approuve les politiques mises en oeuvre
(taxation de lénergie, normes disolation, etc.) et une proportion encore
inférieure qui adopte effectivement les pratiques et les comportements
en conformité avec cette conviction. Cest ce qu’illustre avec éclat une
des expériences les plus anciennes et les plus convaincantes à propos de
gestion des chets1 : sur 500 personnes interrogées, 94% déclaraient se
sentir responsables en matière de propreté publique mais seulement 2%
ramassaient en passant le sac dordures stratégiquement placé par les ex-
périmentateurs sur leur chemin, au retour de linterview
Ces résultats, confirmés par de nombreuses expériences et analyses
postérieures, amènent à s’interroger sur la nature et la force du lien en-
tre nos états mentaux (opinions, croyances, attitudes, intentions) et nos
actes, nos comportements, nos pratiques… D’ la question : est-il né-
cessaire (ou simplement utile) de passer par les premiers pour obtenir
les seconds et si oui, comment expliquer cet hiatus si souvent obser
entre croyances et pratiques ? La question est cruciale pour toute politi-
que visant à modifier les comportements autrement que par la contrainte
(dailleurs souvent inefficace dans la durée) ou l’électrochoc.
La psychologie sociale, qui a éénormément sollicitée pour aider les
gouvernements à orienter les comportements des ménages en période de
crise, comme lors de la seconde guerre mondiale (dans le domaine de
lalimentation) ou lors du premier choc pétrolier (dans le domaine de la
consommation dénergie), reste partagée entre deux visions apparem-
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ment inconciliables des déterminants du comportement social et de la
façon de les influencer. Pour lune, le sens de la causalité va effectivement
des états mentaux sous-jacents (attitudes, intentions) aux actes. Pour
lautre, la cause dun acte est à chercher dans un autre acte qui la pcédé,
les états mentaux jouant un rôle somme toute secondaire de rationalisa-
tion après coup.
De l’intention aux actes : la théorie de l’action raisonnée
Une des théories les plus influentes en psychologie sociale2, et qui a
été mise maintes fois à contribution dans le cadre de campagnes visant
à modifier des comportements (arrêter de fumer, mettre sa ceinture de
sécurité, utiliser le préservatif, économiser lénergie, trier ses chets,
etc.), est la théorie dite « de laction raisonnée » (ou intentionnelle). Pour
celle-ci, les gens, agissent en général conformément à leurs intentions,
qui résultent elles-mêmes de la conjonction de deux grands facteurs : un
facteur individuel et un facteur social.
Le facteur personnel est lattitude de la personne, c’est-à-dire lappré-
ciation positive ou négative qu’elle porte sur ce comportement. Il est cru-
cial à cet égard de bien faire la différence entre lattitude vis-à-vis d’un
problème ou dune cible en général et lattitude vis-à-vis dun comporte-
ment. Ainsi, pour prédire si telle ou telle personne engagera du personnel
noir, il ne sert à rien de savoir si elle aime ou non les gens de couleur, ou
si elle est raciste ou pas, mais seulement si elle a une attitude favorable
ou non vis-à-vis de laction de recruter du personnel noir, ce qui peut
être tout à fait différent. En effet, quelqu’un de fondamentalement raciste
peut parfaitement avoir une attitude favorable vis-à-vis de lengagement
de personnel noir, comme le montre lexemple de M. Le Pen, qui se -
fend de laccusation de racisme en invoquant le fait que son personnel de
maison est constiten majeure partie de noirs… Dans le domaine qui
nous occupe, il est donc parfaitement possible davoir à la fois une atti-
tude favorable vis-à-vis de la défense de lenvironnement, et une attitude
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négative par rapport à certains comportements demandés au consom-
mateur en vue de celle-ci (acquitter une écotaxe, trier ses déchets, freiner
sa consommation d’essence…).
Le facteur social, c’est ce que les psychologues sociaux appellent la
norme subjective. Que feraient les autres à ma place ? Qu’attendent-ils de
moi ? Comment serai-je jugé ? Voice que recouvre la notion de norme
subjective. Les « autres » dont il est question ici ne sont évidemment pas
tout le monde et n’importe qui, mais les gens qui comptent pour moi,
ceux dont lopinion mimporte. En bref, la norme subjective résulte de la
perception par lacteur de ce que ceux « qui comptent » pour lui s’atten-
dent à ce qu’il fasse. Cest la pression sociale ressentie en faveur ou non
du comportement.
En règle générale, un sujet adoptera un comportement vis-à-vis du-
quel il manifeste une attitude favorable et dont il pense que les autres
s’attendent à ce qu’il l’adopte.
On peut considérer cette proposition comme triviale mais, toute évi-
dente qu’elle soit, elle permet déjà de formuler des questions intéressan-
tes, comme, par exemple : quel va être le comportement de quelquun qui
a une attitude favorable par rapport à un acte (par exemple, interrompre
volontairement une grossesse) mais dont la norme subjective (les pres-
sions ressenties de la part des autres) agit en sens inverse en lui enjoi-
gnant de s’en abstenir ? Comment ce conflit va-t-il être résolu ? On ne
peut le savoir a priori. Il est nécessaire, pour cela, de connaître les poids
relatifs attachés par le sujet à la composante personnelle (attitude) et à la
composante sociale (norme subjective). Ces poids seront variables dun
individu à lautre et pendront également du type de comportement
considéré.
Par exemple, un mandataire communal qui pense que les dirigeants de
son parti, ses collègues au Collège échevinal ou ses électeurs s’attendent
à ce qu’il prenne telle ou telle mesure (par exemple « faire changer les
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