08/03/2012
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Et si la Suisse était située dans le
Caucase?
Les voyages forment. Et pas seulement la jeunesse. Ils incitent à poser un regard plus distant sur ce qui, par
ailleurs, paraît normal, parce que quotidien. Une récente mission a été l’occasion de comparer la «normalité»
suisse avec celle de la Géorgie, pays au cœur du Caucase. Au-delà des similitudes de topographie et de
taille, tout distingue la «normalité» de la Géorgie et de la Suisse, à commencer par l’économique. Selon les
statistiques, le revenu par tête en Géorgie serait d’environ 1500 francs par an, soit 40 fois moins qu’en
Suisse. Pour ce qui est des populations rurales (plus de 50% en Géorgie), cet écart est compensé seulement
dans une petite mesure par le différentiel des pouvoirs d’achat.
Après la «révolution des roses», dès 2004, la Géorgie a clairement misé sur les Etats-Unis et l’Europe du
point de vue militaire, mais aussi économique. Un genre de thérapie de choc y a été appliqué: l’abolition de
l’essentiel de la sécurité sociale et l’extrême libéralisation de l’activité économique et du marché du travail
avec la défiscalisation totale de toute activité économique en dessous de 5000 francs. Toutefois, ces
«conditions cadres» si propices en théorie à l’activité économique peinent à tenir leurs promesses: moins de
30% de la population active a un emploi, dont deux tiers dans le secteur privé, alors que les 70% restants
(soit plus d’un million de personnes) sont officiellement considérés comme des indépendants et sont de fait
absents des radars économiques. Ils produiraient, selon les estimations, environ un quart du produit national.
A l’évidence, plus important que les conditions cadres, est le fait que la Géorgie se situe, depuis plus de mille
ans, sur une faille tectonique de la politique mondiale. Au confluent des intérêts culturels, géostratégiques et
énergétiques multiples, ce sont les grandes alliances qui depuis des siècles tirent les ficelles sur ce petit
territoire et tiraillent le quotidien des populations qui ont appris depuis longtemps à ne plus faire confiance au
premier venu. Il en résulte une économie en grande partie en jachère minée par une interdépendance
malsaine entre les alliances politiques mouvantes et les intérêts économiques. Cela est d’autant plus fort
aujourd’hui que les échéances électorales s’approchent et que se tend la situation politique dans la région.
Aux temps où l’Helvétie était une marche de l’Empire romain, le puissant royaume de Kartli, dans lequel la
fierté nationale et culturelle géorgienne toujours très vives puisent leurs racines, était, de fait, indépendant.
Christianisé très tôt, le royaume a survécu à l’empire de Rome. Mille ans plus tard, au moment où les cantons
primitifs posaient les jalons de la Suisse, les Mongols étaient sur le point de mettre à genoux le royaume.
Depuis, les pressions, invasions et guerres, notamment avec l’islam, n’ont pas cessé. Plus près de nous, au
milieu du XIXe siècle, alors que la Suisse moderne mettait au point ses institutions et proclamait sa neutralité,
la Géorgie avait depuis deux générations perdu son indépendance, colonisée par la Russie.
L’histoire a permis à la Suisse de poser les bases de sa réussite actuelle, alors qu’elle en a
systématiquement privé la Géorgie. Sachons reconnaître qu’il y a une grande part de chance à ne pas être
pris dans la tourmente de l’histoire et prenons avec humilité la «normalité» actuelle de la Suisse. Aujourd’hui,
et on doit s’en féliciter, la Suisse diplomatique est très présente en Géorgie. Par ses efforts politiques et
universitaires – impliquant fortement l’Université de Fribourg – notamment, elle contribue à pousser la roue de
l’histoire pour qu’elle sourie à nouveau à la Géorgie. I
*directeur de l’Observatoire de la finance et professeur à l’Université de Fribourg
paul dembinski*
http://www.laliberte.ch/info/et-si-la-suisse-etait-situee-dans-le-caucase
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