PB: Vous dites «définitivement»:
est-ce que, dans votre esprit, vous
attendiez toujours de retourner sur le
continent?
AL: Je constate que ça a été défini-
tif; à ce moment-là, je ne le savais
pas. D’ailleurs, comme j’aimais bien
les études, j’avais demandé à étudier
la psychologie. Pourquoi cette
matière? Probablement à cause des
bons souvenirs des cours de psycho-
logie que le P. Robert Picard nous
avait donnés à Montréal. Je pensais
faire ces études à Taïwan, mais un
jésuite français m’a suggéré que pour
cette matière, c’était préférable
d’aller aux États-Unis. Ça m’a été
accordé.
Je me préparais à partir quand, un
peu avant la Saint-Ignace, je reçois
une lettre du père Provincial me
disant: «André, je te demande de
faire un sacrifice. À Taichung, où tu
demeures, nous sommes à construi-
re un centre pour les étudiants, le
Gonzaga Student Centre. On a besoin
de quelqu’un pour vivre avec les étu-
diants et les accompagner.» Je me
suis dit: «J’étudierai plus tard!»
Ça a été une belle expérience, en
particulier parce que le collège de
médecine de l’université cherchait un
professeur de latin. À ce moment-là,
le latin était obligatoire dans tous les
collèges de médecine de Taïwan et,
partout, c’était des prêtres qui ensei-
gnaient. Je me suis offert et j’avais
une centaine d’étudiants. Trois ans
plus tard, en 1963, j’ai décidé de
publier un livre: Le latin de la méde-
cine, en chinois. Et c’est devenu le
manuel obligatoire dans tous les
collèges de médecine de Taïwan. J’en
ai vendu des dizaines de milliers. Ce
n’est pas de la littérature, c’est assez
technique: je présente plus de 700
racines qui viennent du latin ou du
grec, je donne le sens en chinois et je
donne des exemples, en tout plus de
3500 exemples. Les étudiants
aimaient ma méthode. Je leur disais:
«Si vous maîtrisez ces 700 unités de
base, vous pouvez deviner, compren-
dre et mémoriser plus facilement des
dizaines de milliers de termes liés à la
médecine, mais aussi à bien d’autres
choses, en anglais, en français, en
italien, en portugais.
PB: Ce fut pour vous une occasion
de devenir professeur, comme vous
l’aviez déjà espéré.
AL: Je l’ai fait durant six ans; j’ai
aussi enseigné le français durant ces
années. En 1966, 15 ans après mon
départ de Montréal, je suis retourné
sur le continent américain: un mois
dans ma famille et 2 ans pour faire
une maitrise en psychologie à
l’Université Columbia, à New York.
Devant mes résultats, le délégué du
Provincial pour la formation m’a
encouragé à faire un doctorat.
Pourtant, quand j’avais quitté Taïwan,
c’était avec l’idée de revenir le plus
vite possible. J’ai tout de même
continué les études, mais je me suis
abonné à deux revues chinoises,
pour continuer à lire en chinois, et
puis, une fois par mois, je partais
dans le quartier chinois, seul. Je
mangeais avec les Chinois, allais au
cinéma chinois, etc.
Dès que je suis revenu à Taïwan
avec mon diplôme en main, je suis
allé à l’Université Nationale et j’ai été
accepté comme professeur au dépar-
tement d’éducation et de psycholo-
gie. J’ai aussi travaillé depuis ce
temps comme professeur en coun-
selling aux niveaux de la maîtrise et
du doctorat à l’Université Normale
nationale, une université spécialisée
dans la formation des maîtres.
PB: Dans quel courant vous êtes-
vous situé, en psychologie?
AL: J’ai enseigné l’histoire de la
psychologie, la psychologie sociale,
le counselling, la psychologie du
développement, la psychosynthèse,
la psychologie de la religion, puis la
psychologie humaniste et transper-
sonnelle. Mais au cours des dix der-
nières années, je me suis concentré
sur la psychologie humaniste et
transpersonnelle.
PB: Parlez-nous de ça. Pourquoi
avoir choisi tout particulièrement
cette approche?
AL: Il y a beaucoup d’écoles en
psychologie et peu de points de ren-
contre entre les écoles! L’intérêt de la
psychologie humaniste, pour quel-
qu’un comme moi, c’est que, contrai-
rement à une psychologie behavioris-
te, mécaniciste, qui nie à l’être
humain une volonté libre et qui
insiste sur le conditionnement, la
psychologie humaniste propose une
conception de la personne humaine
qui me permettait de voir mon travail
comme un apostolat.
PB : Avec cette approche, vous
pouviez faire un lien avec votre
vocation jésuite?
AL: En effet, des liens avec les
humanités, la littérature. J’ai été
influencé par un certain Roberto
Assagioli. C’est un psychiatre italien
qui était disciple de Freud mais qui,
tout en acceptant les concepts de
base de Freud, affirmait que ceux-ci
ne suffisaient pas à expliquer la psy-
chologie humaine. Après avoir fait
l’analyse – ce que proposait Freud – il
fallait, disait Assagioli, faire la synthè-
se. Cela l’a mené à développer une
sorte de psychologie spirituelle, pas
nécessairement religieuse, mais sans
nier la place du religieux. Il a insisté
sur le fait que l’être humain trouve
aussi son sens dans le spirituel.
Ça m’a intéressé. C’était la
première fois que je rencontrais une
approche qui me permettait de faire
TA Ï WA N
6
MANUEL
LATIN-CHINOIS
POUR MÉDECINS
ET INFIRMIÈRES
AVEC DES ÉTUDIANTS, UNIVERSITÉ JÉSUITE FU JEN