GUIDE À LA PRISE DE DÉCISIONS MORALES DANS LE SPORT 1997 Centre canadien pour l’éthique dans le sport GUIDE À LA PRISE DE DÉCISIONS MORALES DANS LE SPORT Introduction La pratique d’un sport ou la participation à un sport est une expérience très enrichissante. Même si nous n’avons pas l’intention de démontrer, enseigner ou expliquer des valeurs dans le sport, nous finissons par en tirer des leçons de morale qui durent toute une vie. Le sport nous met à l’épreuve et forge notre caractère alors que nous nous mesurons aux autres. L’organisation d’événements sportifs, l’accueil de grands jeux et la participation à de tels événements est aussi une expérience de grande valeur. Peu importe l’endroit où le sport a lieu, la façon dont il est organisé ou pratiqué, le fait qu’on y participe à titre de joueur, d’organisateur, d’officiel ou même de spectateur, le sport exige que nous affichions nos valeurs et fait souvent appel à des réponses d’ordre moral. En raison de sa complexité et de son aspect compétitif, le sport soulève constamment des questions d’ordre moral – devrais-je faire ceci ou cela, est-ce bien ou mal, est-ce acceptable ou non – quelle est la bonne chose à faire dans telle circonstance. Les réponses à ces questions forment l’assise du caractère et de l’intégrité d’une personne ou d’une collectivité. Nous sommes littéralement façonnés comme personnes ou organismes par les choix que nous faisons. Dans le sport, nous devons interagir dans des situations intenses et très émotives avec toutes sortes de personnes : nos coéquipiers, nos adversaires, les entraîneurs, les officiels, les hôtes, les commanditaires et les spectateurs. En gros, l’éthique dans le sport consiste à bien nous entendre de façon juste et équitable avec ceux qui nous entourent. Ce guide a été conçu pour aider l’Association canadienne des jeux du Commonwealth dans sa prise de décisions morales dans les sports. Quand les problèmes d’ordre moral surviennent-ils? Dans le sport international, le potentiel de difficulté d’ordre moral est accentué. Les compétitions internationales rassemblent des athlètes de milieux et de traditions culturelles très variés dans une atmosphère très émotive. Les tensions sont fortes et les possibilités de malentendu et de conflit abondent. Malgré ces difficultés, le sport international recèle l’un des meilleurs outils possibles pour résoudre les conflits et les difficultés – le sport lui-même. Une compétition sportive doit être un concours entre deux personnes ou deux équipes qui accomplissent une même activité. Le jeu leur permet de « parler la même langue » et de partager une même expérience. Les athlètes, les officiels, le personnel de soutien, etc. peu importe leur pays d’origine, sont là pour accomplir la même chose – jouer et disputer une épreuve. De nombreux problèmes d’ordre moral se posent en raison de la compétition entre les intérêts ou les droits légitimes de différentes personnes. Des difficultés d’ordre moral se présentent souvent lorsque la poursuite de mes objectifs entre en conflit avec celle des vôtres. Chacun sait à quel point il est difficile de maintenir un équilibre entre des intérêts opposés, c’est pourquoi toute décision est habituellement fortement contestée par la ou les parties qui se voient refuser une demande. Toutefois, plutôt que de conceptualiser strictement dans ces termes les problèmes d’ordre moral dans les sports, il serait utile de chercher d’abord les solutions au sein de l’activité même. Dans le genre de situation dont il est question, c’est le sport qui rassemble les gens. Le sport est à la fois leur intérêt commun et l’arène de leur difficulté morale. Par conséquent, si nous arrivons à trouver des solutions fondées sur notre respect mutuel pour le sport et le résultat attendu de part et d’autre d’une activité sportive, nous avons alors la possibilité d’éviter des arguments opposés inutiles concernant la priorité des droits ou des intérêts personnels. Plutôt que de chercher à déterminer quels droits ou intérêts ont la priorité, il vaudrait peut-être mieux décider quelle action ou inaction sert le mieux l’intérêt du sport. Le texte qui suit est un cadre conçu pour la prise de décisions d’ordre moral dans le sport. Il est destiné à être utilisé comme un outil lorsque vous devez affronter, déterminer et expliquer des décisions d’ordre moral dans le sport. 2 L’identification de problèmes d’ordre moral Malheureusement, les problèmes d’ordre moral ne sont pas toujours évidents à prime abord. Trop souvent, nous les reconnaissons une fois que le tort a été fait. Par exemple, nous ne devrions pas avoir besoin de voir des larmes ou l’horreur dans les yeux de quelqu’un pour réaliser que nous faisons face à une question de nature délicate. Il existe certains indices auxquels nous devrions être attentifs : Tort : physique, mental, émotionnel, financier. Si vos gestes ou vos paroles risquent de causer l’un des torts énumérés ci-dessus, c’est une bonne indication qu’il vous faut penser à l’aspect moral. Si votre geste ou votre inaction risque de nuire, il vous faut pouvoir le justifier sur le plan moral. Justice : « Ce n’est pas juste! ». Voilà une plainte fréquente et fondamentale. Vos actions pourraient-elles vous attirer la réponse « Ce n’est pas juste! » Pouvez-vous les justifier sur le plan moral – toute réflexion faite, sont-elles justes? Dans le sport, l’accusation de manque de justice est particulièrement important. Le sport n’a aucun sens s’il n’est pas juste. Si nous gardons à l’esprit l’objectif de la justice dans le sport, nous pouvons nous demander si nous acceptons que chaque compétiteur ait le droit de faire ce que nous proposons. Soulignons que quelque chose peut être juste, mais contraire à l’éthique. Même si tous les athlètes peuvent être forcés à faire certaines choses (p. ex. se soumettre aux tests de contrôle de la féminité), cela peut quand même être contraire à l’éthique. 3 Le respect des intérêts et de l’autonomie des autres : Vos actions tiennent-elles compte des intérêts des autres (désirs, souhaits, espoirs)? Le respect des autres signifie que j’accepte que les autres, tout comme moi, ont des espoirs, des peurs et des rêves. Ils veulent, tout comme moi, faire des choix et pouvoir contrôler les choses qui ont la plus grande incidence sur leur vie. Être conscient des enjeux moraux signifie que je suis ou devrais être conscient des intérêts des autres et considérer ces intérêts lorsque je prends des décisions. Par respect pour les autres, je ne fais pas de choix à leur place et je ne les utilise pas pour arriver à mes fins; je les traite en égaux et comme des partenaires. Le respect des autres ne signifie pas que je suis forcément d’accord avec leurs opinions et leurs choix, mais plutôt que je prends leurs opinions et leurs choix au sérieux. Raisonnement moral et justification morale Le raisonnement moral est le processus à suivre pour décider comment résoudre une situation problématique sur le plan moral. Une solution à un problème d’ordre moral est acceptable (moralement justifiable) si l’on détermine que la solution est le meilleur dénouement d’un point de vue moral. En principe, vous pouvez vous appuyer sur le principe du RESPECT lorsque vous traitez de problèmes d’ordre moral. Le respect est un concept puissant; il englobe les notions d’honneur, de valorisation, de réflexion critique et de stricte obéissance. La notion de respect peut s’appliquer à divers domaines : LE RESPECT DU JEU 4 Le respect du jeu : signifie respecter les règles et reconnaître la valeur intrinsèque du jeu. Cela signifie faire de son mieux, rechercher l’excellence et apprécier le jeu bien exécuté. Entre autres, le respect du jeu comprend : S’amuser : le sport enrichit la vie des gens, il élève l’esprit. Le respect du jeu et le plaisir vont de pair. L’établissement et l’atteinte d’objectifs, les efforts déployés pour y arriver, la maîtrise de nouvelles aptitudes – toutes ces activités sont en soi agréables. Le sport enseigne aussi des valeurs, mais cela se produit seulement parce que le sport est tellement agréable. Le respect du jeu signifie que nous devons faire en sorte que le sport soit agréable pour tout le monde! Agir équitablement : pour avoir un sens, le sport doit être juste. La justice dans les sports commence sur le terrain. L’esprit sportif commence par notre respect pour le jeu et réunit un ensemble d’attitudes positives à l’égard du sport, des collègues, des adversaires et des officiels. Le respect du jeu signifie que le sport sans justice n’est pas un sport. 5 LE RESPECT DE SOI Le respect de soi est une question d’intégrité personnelle. Le respect signifie s’apprécier soi-même en tant que personne. Une personne consciente de sa dignité est capable de faire des choix et de prendre ses propres décisions; elle apprécie et honore son corps, son caractère et son intégrité. Le respect de soi signifie respecter nos ententes. Un grand nombre de nos interactions avec d’autres donnent lieu à des ententes ou des contrats tacites. Par exemple, un jeu suppose une entente de jouer, une vente, une entente de fournir des biens ou services en retour d’un paiement, une conversation suppose une entente de dire la vérité, etc. Nous devons être conscients de ces ententes tacites, et les honorer. Elles sont à la base des valeurs morales de l’honnêteté et de l’intégrité. Le respect de soi et l’intégrité exigent un raisonnement logique : une raison morale justifiant votre conduite est aussi une raison morale justifiant la même conduite d’une autre personne dans des circonstances semblables. Réciproquement, une raison morale justifiant la conduite de quelqu’un s’applique également à vous. 6 LE RESPECT DES AUTRES Ne pas nuire : nous devons éviter de poser des gestes qui pourraient nuire aux autres. Nous devons aussi voir à ce que le sport puisse être pratiqué en toute sécurité. La violence et l’agression n’améliorent pas le sport; au contraire, ils détruisent la démonstration, la maîtrise et l’effet des aptitudes. Qui plus est, il suffit d’un mauvais coup pour empêcher une personne d’exercer une activité physique pour le reste de sa vie. En plus du risque de ces blessures catastrophiques, des milliers d’enfants s’éloignent du sport à cause de la violence et de l’intimidation physique. La protection contre les dangers s’applique au terrain de jeu, au stade et aussi aux vestiaires. Récemment, des cas très médiatisés nous ont rappelé que le sport peut servir de couverture aux prédateurs sexuels. L’expérience du sport peut s’avérer intense sur les plans physiques et émotionnels pour les athlètes et les entraîneurs. La culture du sport exige la loyauté et le respect de l’autorité. Ce sont des conditions dans lesquelles les abus sexuels et autres abus peuvent se produire et rester secrets. Le respect des autres fait appel à la bienveillance : Dans le sport, nous avons non seulement le devoir de ne pas nuire aux autres mais aussi de veiller sur eux. Cela veut dire que nous sommes responsables de promouvoir le bien-être des autres. C’est particulièrement le cas dans le sport pour les enfants. Nous devons nous assurer que le sport permet aux jeunes de s’épanouir et les encourager à le faire – en tant qu’athlètes et êtres humains. Le respect des autres : signifie faire preuve de tolérance et valoriser la diversité. Le respect des autres signifie que nous voyons les autres 7 comme nous nous percevons nous mêmes, en tant que décideurs autonomes, nous efforçant d’atteindre ce que nous valorisons mutuellement. Cela est particulièrement vrai dans le cas des sports. Nous avons besoin des autres pour que le sport existe, nous avons besoin d’adversaires pour nous mesurer à eux, et nous avons besoin de buts mutuels afin de disputer une épreuve. 8 Conseils et stratégies Lorsque vous identifiez une situation où il vous faut considérer l’aspect moral, vous pouvez utiliser les stratégies suivantes pour vérifier votre raisonnement et le plan d’action proposé : Mettez-vous à la place de l’autre. Comment vous sentez-vous? Pourriez-vous expliquer à cette personne pourquoi la mesure que vous proposez est ce qu’il convient de faire? Le feriez-vous pour vousmême? Et si tout le monde agissait ainsi? Demandez-vous si vous pourriez encore proposer ce plan d’action si tout le monde était au courant et si tout le monde qui le voulait pouvait agir ainsi. Le test de la publicité. Comment expliqueriez-vous votre ligne de conduite si les médias vous posaient la question et présentaient votre réponse au public? Demandez-vous − le plan d’action est-il juste et bon pour toutes les personnes concernées? Résiste-t-il à l’examen du public? 9 Processus décisionnel moral 1) Problème Formulez une question claire. C’est une première étape extrêmement importante. L’activité/la pratique/l’action en question devrait être décrite, de même que la décision possible et le nom de la personne ou de l’agence responsable d’agir. Si le problème ou la question n’est pas claire, la solution ne le sera pas non plus. 2) Enjeux et personnes intéressées Posez les questions suivantes sur l’activité/la pratique/l’action en question. Cherchez et évaluez les arguments et les objections contraires. Le respect du jeu Est-ce que la pratique (respect) accentue la richesse et l’intégrité du sport? Est-ce que la pratique empêche le jeu? Le respect des participants Est-ce que la pratique traite tous les participants comme des personnes? Si les autres compétiteurs savaient ce que je propose, serait-ce encore efficace? Pourrais-je proposer ce que je suggère à tous les compétiteurs? L’activité diminue-t-elle les possibilités de développement personnel futur? Le risque de nuire est-il grand? Le sport pourrait-il encore être pratiqué si les dangers étaient allégés? 10 Le respect des autres Posez des questions semblables à celles énumérées ci-dessus au sujet des autres parties intéressées, des entraîneurs, des officiels, des spectateurs, etc. Le respect des valeurs sociales Quelles valeurs sont représentées par la pratique/l’activité en question? Quelles sont les valeurs sociales généralement reconnues pertinentes? Est-ce un cas où les valeurs sociales devraient être imposées - ou avoir la priorité sur le sport? 3) Options et évaluation Le sport nous met au défi d’énoncer clairement ce qui nous importe. Sommes-nous prêts à respecter le jeu – peu importe l’issue? Quelles sont les options et/ou les actions possibles et quels sont leurs mérites relatifs. Une solution est-elle plus facile à justifier que les autres? 4) Recommandation Les recommandations devraient être claires et précises. Indiquez qui est responsable de leur mise en application. 5) Justification 11 La justification devrait expliquer pourquoi la solution proposée est la meilleure disponible et pourquoi les autres solutions ne le sont pas. Expliquez comment elle sert l’intérêt du sport; reconnaissez s’il y a lieu les limites de la solution proposée dans les circonstance et/ou pourquoi les contre-arguments ne sont pas valables. 6) Mise en application Déterminez les prochaines étapes et indiquez qui en est responsable. Vous pourriez aussi indiquer qui est responsable et/ou quelques mesures peuvent être prises si l’étape de mise en application échoue ou soulève d’autres problèmes. 12