Branding Management

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Chapitre 4
La marque comme narration
Objectifs
1. Définir en quoi et sous quelle forme la marque se présente comme un contrat narratif.
2. Préciser les notions de cible marketing, de cible de communication et de cœur de cible de
la marque.
3. Développer le contenu des valeurs narratives et le rôle de l’histoire et de la géographie de
la marque.
4. Analyser les dernières tendances publicitaires.
5. Expliquer et développer le niveau narratif de la marque en analysant l’efficacité de son
schéma fondé sur les travaux des linguistes.
C
omme l’exprime J.-N. Kapferer1, « une marque qui resterait trop longtemps muette […]
serait déchue. Si la marque est discours […], elle peut donc être analysée comme tout
discours, toute communication ».
La marque, son identité et les éléments qui la composent sont autant de messages, de discours
condensés et représentés le plus synthétiquement possible.
Ces multiples discours nécessitent d’être mis en forme et surtout d’être hiérarchisés. La marque
deviendra alors le repère mental, le vecteur de sens souhaité, un principe général – concret et
abstrait – susceptible d’être décliné selon les objectifs de l’entreprise et les nécessités du marché.
1. J.-N. Kapferer, Les Marques, capital de l’entreprise, Éditions d’Organisation, 1998, p. 114.
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Le discours de la marque s’appuie sur un certain nombre de valeurs tangibles – les caractéristiques des produits, le savoir-faire de l’entreprise, son métier –, et de valeurs intangibles faisant
référence à l’univers mental de l’entreprise ou de la marque – l’histoire, la saga publicitaire, la
base line, les actions citoyennes, la sensorialité, les valeurs de l’entreprise.
La synthèse de cet ensemble de messages compose la narration de la marque qui est, avant
tout, dans l’esprit de nombre de clients, un être de discours. Un produit, même lorsque son
nom est connu, ne raconte pas d’histoire ; une marque est toujours narration.
1. La marque est narration
Cette narration est soumise à la « censure » – souvent sévère – de l’auditeur, qui jauge sa
crédibilité. Le risque de décalage entre le message émis et le message perçu est sérieux, d’où
la nécessité pour les entreprises de construire pour leurs marques un message qui doit être :
1. Légitime. Celui qui parle doit avoir l’autorité nécessaire pour le faire.
2. Crédible. Le message annoncé doit pouvoir être vérifié et être digne de confiance.
3. Cohérent. L’ensemble des messages doit concourir au même objectif : la compréhension et
la mémorisation d’un élément fort de distinction par rapport aux marques concurrentes.
4. Pertinent. Le message doit être « jugé » comme ayant un intérêt pour le consommateur ;
chacun des signes doit être approprié et perçu comme conforme aux besoins et aux
attentes des consommateurs.
5. Unifié. La marque est un ensemble discursif et tautologique où chaque élément est une
pièce du puzzle qui concourt à l’unité du tableau final.
Le premier talent d’un bon narrateur consiste à faire penser à son auditeur qu’il ne raconte
que pour lui.
Dans la relation émetteur/récepteur, seul le récepteur compte vraiment. Cette règle de la
communication est le fondement même de la marque. Chaque auditeur du discours de marque
est un consommateur unique : ce qu’il a entendu, retenu et compris individuellement fera de
lui un futur client ou non.
Avant de développer la façon dont la marque doit communiquer pour atteindre le maximum
d’efficacité, il convient de prendre conscience de l’exclusivité de la perception du discours de
marque, ce que l’on peut nommer les valeurs attributives de chaque marque.
Le packaging d’un produit de marque (voir application 4.1) est un véritable metteur en scène
du discours de la marque. C’est le packaging qui va hiérarchiser et théâtraliser les messages,
qui va organiser la « parade de séduction2 ».
2. C. Sordet, J. Paysant, C. Brosselin, Les Marques de distributeurs jouent dans la cour des grands, Éditions d’Organisation,
2002, p. 71.
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Les messages narratifs d’une boîte de Canderel
Canderel est la marque leader de l’aspartam, l’édulcorant sucré généralement appelé
« faux sucre ». La marque appartient à la société Merisant, société qui développe au
niveau international les marques « d’édulcorants de table », au premier rang desquelles
Equal et Canderel.
Le produit a été découvert par hasard par un scientifique du laboratoire Seanle, James
Schlatter, en 1965. Alors qu’il menait une étude sur les acides aminés, il lécha par inadvertance son doigt et s’aperçut du goût doux et sucré de la substance : il avait découvert par
hasard un sucre sans calories.
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Application 4.1
Chapitre 4 – La marque comme narration
Le texte au dos du packaging est le suivant :
« Canderel vous permet d’accéder au plaisir du goût sucré, tout en vous aidant à mieux
gérer vos apports caloriques, au quotidien, en toute légèreté ».
Équivalent à la saveur sucrée d’un morceau de sucre, un comprimé Canderel contient
60 fois moins de calories.
Tableau 4.1 : La valeur énergétique du sucre et de l’aspartam
Pouvoir édulcorant équivalent
1 Canderel
1 morceau de sucre
Poids
Valeur énergétique
0,085 g
0,3 Kcal
5 g
20 Kcal
Canderel peut être consommé par tous, y compris les femmes enceintes ou celles qui
allaitent.
Le conseil Canderel
Prenez le temps de prendre un petit déjeuner équilibré. Profitez-en pour faire le plein de
vitamines et bien démarrer la journée avec un fruit frais ou un jus de fruit, une boisson
chaude (thé ou café) avec 1 ou 2 comprimés de Canderel, une petite tartine et un yaourt
nature avec du Canderel en poudre (soit un petit déjeuner d’environ 275 Kcal).
Collectionnez les points Canderel (avec une icône à découper de 3 points) pour bénéficier
d’offres spéciales. Pour tout renseignement, appelez le numéro Azur ou connectez-vous
sur le site Internet Canderel. »
Comme nous le voyons, le nombre de messages d’une simple boîte de Canderel est
important :
• plaisir du goût ;
• gestion des apports caloriques ;
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Application 4.1 (suite)
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• légèreté ;
• caractéristiques concrètes de la valeur énergétique ;
• pas de contre-indication, en particulier pour les sujets les plus fragiles comme les
femmes enceintes ;
• le cœur de la narration avec la description du petit déjeuner idéal, à faire saliver à
n’importe quelle heure de la journée ;
• jeu et fidélisation.
Ces sept messages développent des valeurs tangibles (les valeurs énergétiques, la collection
de points, la non-contre-indication pour mamans et bébés), et des valeurs intangibles (le
goût, le bien-être, le plaisir gustatif).
La forme de la boîte et son logo sont mémorisables. Le nom de la marque vient de « candy »
(bonbon) et « airelles », ces petites myrtilles au goût sucré mais toujours légèrement
amer. Les publicités ont longtemps fait appel aux « Parisiennes » du dessinateur Kiraz,
ces « snobs filiformes » qui contemplaient le monde avec la distance d’une entomologiste
observant ses consœurs.
2. La marque est un contrat narratif
La construction de l’univers de la marque se fait par paliers, par hiérarchisation des messages,
par degré de lisibilité (c’est-à-dire de visibilité perçue).
À propos d’un texte littéraire, on utilise l’expression de « contrat de lecture » pour qualifier
l’échange sémiotique entre un auteur et son lecteur : l’échange n’est pas unilatéral, mais il
est le reflet d’interactions souvent implicites, d’une convention de coopération qui font du
lecteur le coauteur du texte.
De la même façon, le principe narratif de marque répond à une convention codifiée entre
l’entreprise et son consommateur, un contrat narratif reposant sur trois niveaux :
1. le niveau axiologique ;
2. le niveau discursif ;
3. le niveau narratif.
2.1 Le niveau axiologique ou les fondations de l’acte narratif
de la marque
Le niveau axiologique (la fondation des valeurs de la marque) repose sur un nombre limité
de valeurs fondamentales qui orientent et structurent la place de la marque dans la société :
la vie, la sécurité, la santé, la générosité, la confiance, la justice, l’humour, la force, la passion,
le futur…
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Comme nous l’avons vu, ce sont les valeurs fondatrices, qui structurent à jamais l’identité de
la marque, qui donnent du sens à la marque et la développent comme un projet à long terme.
Il s’agit de son noyau fondateur, fait d’imaginaire et de symbolique profonde. C’est ce qui
permet à tout un chacun de dire : Darty, c’est la confiance ; Coca-Cola, l’éternelle jeunesse ;
Levi’s, l’aventure ; Orange ou Sony, l’innovation et l’avenir, etc.
Ce niveau axiologique assure la continuité et la permanence de la marque dans le temps. La
légitimité, la crédibilité, la cohérence de la marque auprès de ses publics dépend du choix
initial de ces valeurs clés. Toucher à ce noyau axiologique est une opération délicate car cela
revient à remettre en cause les fondements du rayonnement initial, autrement dit de la réussite
de la marque.
Si Canderel devait porter atteinte à son discours sur les valeurs énergétiques, même au profit
du goût et du plaisir (on perçoit dans le discours cette tentation face au poids décroissant
des marques de distributeur dans les ventes du produit générique aspartam, la molécule de
Canderel), ce ne serait pas sans risque. La recette du petit déjeuner, notamment, est symptomatique du numéro d’équilibriste de la communication de la marque : du plaisir, bien encadré
par la présence non calorifique de Canderel.
2.2
Le niveau discursif ou la partie la plus visible de la marque
Tout récit met en scène, c’est-à-dire en discours, des éléments figuratifs, immédiatement
compréhensibles et identifiables. Il les dispose ensuite de façon particulière, les articule pour
développer le niveau discursif. Le discours de la marque est alors plus facile à « voir », à
imaginer et nous donne une impression référentielle.
Les valeurs de base sont souvent enrichies dans la communication de la marque par des figures
emblématiques (acteurs, personnages, objets, situations répétitives…) qui deviennent réalité
aux yeux du public et sont inséparables de la marque. Elles permettent souvent, grâce à leur
pouvoir de mémorisation et d’assimilation, une grande économie de moyens narratifs et
souvent de ressources.
Que serait Michelin sans son Bibendum, Marlboro sans son légendaire cow-boy, McDonald’s
sans Ronald, Disney sans Mickey, Darty sans la petite voiture de dépannage… ?
Mais la cristallisation des valeurs fondamentales d’une identité de marque et de la narration à
travers des symboles ou des personnages conduit quelquefois l’entreprise à des choix difficiles.
Ces éléments « adjuvants » de la marque peuvent être sujets au vieillissement, quelquefois à la
mort pour les personnages réels, ou au rejet de la part du public. Ils doivent alors faire l’objet
de changements, toujours difficiles à aborder.
Faut-il laisser apparaître Alain Afflelou comme personnage de chaque spot TV de la marque ?
Comment Vedette va-t-elle survivre à la mère Denis, icône publicitaire préférée des Français ?
Que devient la marque Marie sans Jean-Claude Dreyfus ? Faut-il supprimer définitivement le
personnage de Jean Mineur, symbole vieillissant de la publicité au cinéma ?
Panzani a des difficultés à maintenir ses parts de marché face à Barilla. Le personnage de Don
Patillo, si proche du bon Don Camillo, défenseur infatigable de ses paroissiens, ne fait-il pas
défaut à la marque ?
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L’abandon ou le renouvellement d’une figure emblématique représente toujours un passage
délicat dans le cycle de vie d’une marque.
En e-branding, la narration est souvent perçue comme plus complexe à mettre en œuvre. Certes,
l’utilisation de longs messages vidéo est possible, mais le public pressé va souvent immédiatement à l’essentiel : le produit, le service, le prix, le délai de livraison. L’identification humaine
est plus difficile, même si les marques parviennent à créer des « avatars » du consommateur,
comme K de Kellogg’s qui fait choisir au candidat à la minceur le coach qu’il souhaite.
Cependant, pour rester sur le marché de la minceur, des médecins, comme les docteurs Dukan
et Cohen, ont ainsi pu, grâce à Internet, faire de leur personne des marques et développer,
au-delà des visites de prise en charge, un business d’accompagnement sur le Web et de vente
de produits.
À l’instar d’Afflelou, Dukan et Cohen sont des marques sans point de vente, mais qui jouissent
d’une notoriété sans équivalent pour un investissement inexistant ! Internet possède cette
vertu de « faire du buzz » et d’accompagner un positionnement bien construit ainsi qu’une
narration bien menée, sans bourse délier et en un temps record.
Comme nous le verrons dans l’analyse des valeurs et du schéma narratif, le niveau narratif et
ses règles peuvent être comparés à la charpente du discours de la marque. Le niveau narratif
permet à la marque de mettre en scène ses valeurs en leur attribuant des fonctions et des
structures narratives, et en précisant quel type de narration la marque s’octroie.
Le niveau narratif permet de donner aux valeurs de la marque qui sont souvent implicites
une forme montrable, racontable, et par conséquent explicite. Les différentes agences de
publicité en charge de la communication de la marque s’approprieront au fil des ans cette
ligne directrice, tout en racontant la même histoire, mais adaptée aux nouvelles situations et
aux nouvelles cibles.
Ainsi, ces trois niveaux de contrat narratif – axiologique, discursif et narratif – vont permettre
de faire de chaque marque un « être de discours » et de déterminer une convention discursive
entre l’entreprise et son consommateur.
Même si la logique marketing de cibles – toujours massifiante – existe dans le marketing des
marques, la convention discursive émane toujours d’un dialogue « one-to-one », objet de
communication privilégiée, d’individualité et de préférence.
Comme nous le voyons à la figure 4.1, les trois niveaux d’un discours de marque se structurent
comme un « entonnoir de perception » en partant des matériaux les plus immédiatement
visibles jusqu’aux idées qui se laissent découvrir à la fin d’une vision d’ensemble.
Selon les auteurs qui développent l’approche de Jean-Marie Floch3 dans l’analyse sémiologique
des discours publicitaires, la marque, dans la perspective narratologique, est le fruit d’une
« pensée bricoleuse alliant éclectisme et syncrétisme ». Elle est, dans l’esprit du consommateur,
le résultat de ces trois niveaux qui représentent une expérience personnelle intime forte à
3. J.-M. Floch, Sémiotique, marketing et communication, PUF, 1990.
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travers un récit. Celui-ci concerne le « producteur » du récit, mais aussi son récepteur. Chaque
individu a un rapport intime, une « exigence intime » avec « ses » marques. Chacun interprète
« sa » marque dans un contexte évolutif qui résulte de l’orchestration de ces trois niveaux.
Niveau de surface (discours)
Niveau narratif
Niveau axiologique
Matériaux et couleurs
Forme des produits
Figures de représentation
de la marque
Mise en récit des valeurs profondes
Mode énonciatif
Thèmes de communication
Ton
Vision du monde
Mission
Éthique
Déontologie
Compétences et savoir-faire
Figure 4.1
La marque dans une perspective sémiotique.
Source : B. Heilbrunn et P. Hetzel, « La pensée bricoleuse ou le bonheur des signes », Décisions marketing, n˚ 29, janvier 2003.
3. Les valeurs attributives de la marque : le passage du
marketing à la communication, de la cible au cœur de cible
Une marque pour tous n’est une marque pour personne. Chaque marque doit viser une partie
définie de la population : son cœur de cible. Lorsque les valeurs, les qualités de la marque ont
une résonance forte auprès d’une catégorie de consommateurs, celle-ci forme le cœur de
cible de la marque. Il est nécessaire pour une marque de l’identifier et d’évaluer sa cohérence
avec la stratégie de la marque. Ces consommateurs sont par définition plus sensibles et donc
plus fidèles aux valeurs de la marque. Mais attention, cette sensibilité est à double tranchant ;
une déception, et ces « ambassadeurs » de la marque pourraient en devenir les pires détracteurs. Un fidèle déçu est une véritable tragédie pour une marque. On estime qu’il transmet
volontiers sa déception à plus de dix consommateurs, car la marque est d’abord un élément
de discours social.
Une marque, pour naître, s’adresse à une minorité – un cœur de cible – qui va se trouver
immédiatement et intuitivement en « fraternité » avec la marque. Pour s’imposer et croître,
la marque doit poursuivre son discours d’origine, ses relations très privilégiées avec sa cible
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initiale. Mais elle devra s’assurer que ses paroles sont suffisamment universelles pour que
de nombreux individus s’y reconnaissent. C’est pour cela que l’on différencie deux types de
cibles : la cible marketing et la cible de communication.
La cible marketing est beaucoup plus large que la cible de la marque, elle englobe l’ensemble
des consommateurs auxquels les produits de la marque sont destinés. En revanche, la cible
de la marque est l’ensemble des consommateurs auxquels s’adresse directement la communication (publicité, promotion…). Ce cœur de communication est étroit. Car il s’agit toujours
de dialoguer avec des individus, avec quelques « élus » qui porteront plus loin le sens profond
et le discours de la marque.
Application 4.2
Ainsi, la célèbre marque Coca-Cola s’adresse exclusivement dans ses communications aux
« jeunes » de 12 à 25 ans alors qu’il est établi aujourd’hui que cette boisson est consommée
par l’ensemble des générations de jeunes et de moins jeunes. Le positionnement marketing de
Coca-Cola est résolument familial, elle s’adresse aux jeunes de 7 à 77 ans. Le positionnement
de marque est volontairement « régressif » (voir application 4.2).
Cible de marque/cible marketing
La segmentation du cœur de cible s’opère très souvent au niveau du pôle aspirationnel :
aimer ou non l’American way of life, rechercher le goût unique de Coca-Cola, ou se suffire
d’un goût « cola » plus générique, voir sa vie comme une partie de plaisir ou être conscient
de toutes les incertitudes… Une partie du même segment sera Coca-Cola, une partie
pourra être anti-Coca-Cola, et une dernière partie indifférente à la marque du cola, voire
du soft drink consommé (voir figure 4.2).
Cœur de cible
Consommateurs partageant
fortement les valeurs :
américanité, jeunesse, rafraîchissement,
« Enjoy », goût unique
Cible marketing
Jeunes, familles, enfants
Population totale
Consommateurs de 7 à 77 ans
Figure 4.2
L’exemple Coca-Cola.
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Dans un autre domaine, Nespresso est un exemple de réussite de l’application de la théorie
du cœur de cible. Les campagnes de publicité se révèlent, chose rare pour un système de café,
plus féminines par la présence de George Clooney, mais les efforts marketing sont beaucoup
dirigés vers les hommes, qui conservent la « maîtrise » de ce produit aux arômes corsés, dont
le marketing de « connaisseurs » s’apparente à celui du vin.
En e-branding, les deux paramètres du prescripteur et du consommateur se rapprochent,
car la différence entre « user » et « shopper » est souvent moins marquée. L’internaute achète
souvent pour lui directement. Il y aura sans doute à terme un rapprochement entre ces deux
notions écartelées par la parole publicitaire. C’est pourquoi les nouveaux métiers de category
manager et de community manager travaillent souvent davantage ensemble que les anciens
métiers de direction marketing et de direction communication.
La marque fait le lien entre l’ensemble des paramètres et, ainsi, cette fonction de brand manager
peut-elle prétendre à devenir une fonction transverse et stratégique.
Pour « attribuer » une marque à une cible, encore faut-il avoir segmenté celle-ci en critères
marketing et en critères de marque.
3.1
La segmentation au cœur du marketing
Le premier concept clé analysé dans l’ouvrage de référence de Philippe Kotler4 est celui du
marché cible et de la segmentation :
Un responsable marketing ne peut satisfaire l’ensemble du marché. Tous les gens n’aiment
pas forcément les mêmes boissons, hôtels, automobiles… Il faut donc procéder à une segmentation du marché. Segmenter consiste à identifier des groupes distincts de clients… Les
segments peuvent être définis à partir des caractéristiques sociodémographiques, psychologiques ou comportementales de leurs membres.
Les approches classiques utilisées en segmentation marketing consistent à établir les matrices
produits/marchés afin d’estimer pour chaque segment les éléments distinctifs, l’intérêt offert
au groupe de consommateurs identifié et les avantages concurrentiels que l’entreprise peut
en tirer.
La plupart du temps, la segmentation marketing relève de deux types de critères :
Les critères sociodémographiques. On considère que les besoins et comportements des clients
sont liés à leur âge, leur sexe ; leur lieu d’habitation, leur catégorie socioprofessionnelle, leur
revenu. Ces critères factuels sont assez faciles à obtenir, ils se révèlent souvent suffisants. Les
femmes majoritairement achètent de la lingerie féminine, les cadres supérieurs utilisent plus
de pouvoir d’achat que le consommateur moyen, il faut avoir certains revenus pour s’acheter
une voiture haut de gamme…
Les critères d’achat et d’usage. Il s’agit non pas de définir les groupes par ce qu’ils sont, mais
par ce qu’ils font. La segmentation s’opère alors à partir d’un critère à spécifier : le nombre
4. P. Kotler, B. Dubois, édition française réalisée par Delphine Manceau, Marketing Management, 11e édition, Pearson
Education, 2004, p. 13.
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d’achats opérés dans le segment, le renouvellement de l’achat, la rentabilité du client… Ces
critères sont plus difficiles à obtenir car ils passent par des études précises sur la consommation
dans le segment analysé. Le choix du critère initial déterminera le type de segmentation : les
gros consommateurs, les clients rentables…
Mais, dans tous les cas, ces types d’études de segmentation marketing donneront une image
statique et ne pourront pas prévoir les évolutions comportementales, les tendances, et encore
moins les réactions devant l’innovation. Des études avaient ainsi déconseillé à Renault de
lancer son Espace, et à Chrysler son Voyager. Car le client futur ne pouvait, avant le lancement
de ces modèles, s’imaginer rouler dans une « fourgonnette », forme de voiture apparentée
aux véhicules utilitaires.
Les cibles marketing sont quantifiables mais assez statiques. Elles accompagnent un style de
vie, mais pas un projet de vie ni les tendances en constantes évolutions.
3.2
Le cœur de cible, outil stratégique de la marque
Selon une étude récente, « les entreprises n’exploiteraient que 10 % des données commerciales
et marketing qui sont stockées dans leur SIM (système d’information marketing). Quelles sont
les tendances des ventes, les comportements d’achat des clients, les raisons qui les fidélisent
à la marque ou les attirent vers la concurrence ?5 »
Il s’agit donc de mettre en place, à travers le data mining (la gestion de base de données), des
processus les plus automatisés possibles pour comprendre quels sont les moteurs en acquisition
clients, les produits de conquête, les zones et cibles à potentiels et de monter les stratégies
liées à cette connaissance. En fidélisation, les outils de « cœur de cible » issus du data mining
doivent permettre de déterminer des segmentations complexes, de vérifier la contribution de
chaque segment de clientèle à la rentabilité de l’entreprise… L’analyse du « cœur de cible »
est destinée à l’action. Au-delà de l’analyse statistique des données, elle permet d’en tirer les
enseignements pour anticiper les évolutions de comportements des consommateurs.
Le marché du luxe subit une évolution surprenante avec la concentration des acteurs, la fin
des « griffes » au profit des marques, et l’arrivée d’une nouvelle génération qui a les moyens
de s’acheter certains produits des marques de luxe, mais qui ne comprend plus les codes de
ce marché. Pour elle, luxe et grande marque se confondent aisément. Les études « cœur de
cible » ont permis de montrer à quel point cette cible était spécifique et combien les études
marketing classiques sur les clients existants étaient inopérantes (voir application 4.3).
Comme nous le montre l’étude cœur de cible menée par le cabinet Allegoria, la cible jeune
pour les marques de luxe offre quatre segments distincts. Ces segments sont indépendants du
pouvoir d’achat, du lieu de résidence ou de comportements d’achat antérieurs. Ces segments
résultent d’attitudes mentales qui peuvent inquiéter les maisons de luxe. Celles-ci, par leur
volonté fréquente de développer un marketing de marque, voire un marketing de masse, ont
montré à la jeune génération que luxe et marque sont des concepts équivalents et que, pour
5. Marketing Magazine, n˚ 79, juin 2003, « Data mining : pour une analyse intelligente des données », Catherine N. China.
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Les jeunes et le luxe : quatre clés à l’usage des marketeurs
Le luxe n’est pas une valeur. Le mot « luxe » ne correspond pas aux aspirations luxueuses
qui intéressent les jeunes (des moments, du plaisir intense, de l’argent pour que ça se voie).
La marque, c’est déjà du luxe. Les marques sont un ensemble de signes plus ou moins
identifiables, dont le dosage conditionne leur pouvoir d’attraction. Ces signes peuvent
être des signes de condition sociale, de niveau d’innovation reliés à un ancrage urbain,
à un style de vie…
Application 4.3
développer des concepts de luxe, les marques doivent développer un « marketing de la rareté
et de la pénurie ».
Le luxe, c’est posséder l’objet rare avant les autres. Pour les marques, des stratégies de
pénurie pour le lancement d’un produit, de séries limitées, de marketing viral ou street
marketing sont de véritables opportunités.
Le luxe « jeune » est le produit de plusieurs carambolages culturels. Avec l’univers
du sport : apparition de produits co-brandés : baskets Fila/Ferrari, Sketchers/Vuitton…
Avec la technologie : Nokia et ses coques, housses de portables Hermès… Avec le design :
nouvelle culture graphique des marques pour le packaging, la communication et les sites
Internet des marques cosmétiques destinées aux jeunes.
Source : A. Attia (directrice d’Allegoria) et A. Michalowska, « Comment mieux comprendre la cible jeune ? », Marketing
Magazine, n˚ 79, juin 2003.
Mais le vrai luxe pour le dernier de ces quatre segments est de « customiser » ses produits, c’està-dire, comme le font les bikers d’Harley-Davidson, de personnaliser son look et chacun de ses
produits en mélangeant plusieurs marques, en créant des segments presque individuels où le
consommateur recrée avec des « matériaux marque » un univers de référence qui lui est propre.
Cette nouvelle approche autorise certains spécialistes comme Gilles Marion à attribuer au
marketing un nouveau rôle de « co-construction » des offres entre les marketeurs et les consommateurs, dépassant ainsi la critique et la dialectique de la manipulation :
Le marketing déconstruit et reconstruit en permanence non seulement ses offres et leur
environnement, mais aussi le consommateur lui-même. La pratique de la segmentation
n’a cessé d’affiner les critères : des classes sociales au one-to-one en passant par les styles
de vie… Plus le client souhaite des offres personnalisées, plus le marketeur s’efforce de
construire des différences. Ce processus permet aux consommateurs plus d’opportunités pour
construire leur identité et aux marketeurs plus d’occasions de différencier leurs marques…
L’introduction des discontinuités issues des technosciences consiste à inventer en même
temps de nouveaux objets et de nouveaux clients, elle l’anticipe et la stimule6.
6. G. Marion, « Le marketing expérientiel : une nouvelle étape ? Non, de nouvelles lunettes », Décisions marketing, septembre
2003.
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L’interaction accrue entre l’analyse du cœur de cible de la marque et la segmentation marketing
souligne pour les entreprises le besoin de vigilance car, comme nous l’avons vu au chapitre
précédent, elles doivent désormais savoir marier les données quantitatives et la gestion du
symbolique.
Le concept clé de cette approche de très forte proximité entre la marque et son cœur de cible
est le « faire ensemble », la réalisation d’une co-construction et d’une nouvelle relation dont les
exemples les plus symboliques sont les réunions, les « concentrations » de possesseurs de HarleyDavidson où se retrouvent clients passionnés, salariés de la firme, dirigeants et aficionados de
toute origine désireux d’améliorer et de personnaliser sans cesse les motos de la marque.
Mais cette approche d’un cœur de cible, très préservé mais aussi très rentable chez HarleyDavidson, ne peut se développer qu’à partir de l’histoire de la marque, magnifiée par une
narration savamment entretenue.
4. Les valeurs narratives
Essayons de pénétrer au cœur même de la marque et d’analyser chacun de ses éléments
constitutifs. La qualité narrative de la marque est essentielle. Par narration de la marque, il
faut comprendre le récit de la marque, son origine, son histoire, sa géographie et sa « saga »
publicitaire. Ce sont tous ces éléments qui racontent la marque, éléments évidemment chargés
de vraisemblance, et qui accréditent l’histoire, la saga de la marque. Ces points clés développent
le niveau discursif de la marque, l’aspect le plus visible.
Le rôle du niveau discursif de la narration est de permettre au public de se relier à la marque,
de pénétrer dans son histoire et d’y participer. Elle représente le point de cristallisation d’une
relation marque/consommateur qu’il faut entretenir, enrichir, adapter et maintenir dans le
temps. Créativité, connivence et fidélité sont les maîtres mots de cette nouvelle relation.
Cette narration est développée à travers la publicité. C’est elle qui va différencier la marque,
la rendre pertinente et enrichir l’imaginaire de son histoire. Mais, avant de bâtir un niveau
discursif purement imaginaire, pourquoi ne pas utiliser les matériaux existant réellement :
l’origine, la géographie de la marque, et son histoire, présentée sans fard ou enjolivée ?
4.1
La géographie de la marque
La narration de la marque ne se limite pas à la saga publicitaire. Elle se construit autour de
plusieurs pôles : la grande et les petites histoires, la géographie. Sans histoire et sans géographie,
l’homme n’a plus de repères. La marque, comme son consommateur, possède une histoire et une
géographie : une origine familiale, nationale, ethnique. Elle doit toujours être de quelque part.
Le consommateur s’approprie un peu de ce « quelque part » en devenant fidèle à la marque.
La marque Reflets de France, création récente et très commerciale de Carrefour, affirme son
origine géographique et s’approprie ainsi les valeurs gastronomiques, de terroir et de qualité
attachées à notre pays. Ce nom prometteur a été renforcé par une stratégie de développement
de produits « terroir ». La marque Reflets de France signe ainsi un camembert de Normandie,
un kouign amann breton, une tartiflette au reblochon de Savoie, de la tapenade provençale…
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Chapitre 4 – La marque comme narration
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De nombreuses marques alimentaires tirent leur crédibilité de leurs origines géographiques
naturelles. La marque est située en un lieu, résultat de l’enracinement et d’un savoir-faire
collectif. De nombreuses marques ont inscrit une dimension géographique dans leur communication : l’huile d’olive Puget est le sud de la France, Martini et la « botte italienne », Neutrogena
et sa formule norvégienne ou encore Stimorol et son goût danois… On pourrait citer des
milliers de marques dont l’origine géographique est inscrite dans le nom : Badoit, Mont-SaintMichel, Volvic… mais aussi Rive Gauche, 124 Faubourg, etc.
Dans ce dernier exemple, on voit bien l’importance de l’essence géographique liée à l’artisanat
ou à la « fabrique », c’est-à-dire au métier et au savoir-faire à l’origine du concept même de
marque : empreinte du fabricant sur son produit, c’est ainsi que le philosophe Michel Serres
compare la marque à un éphémère pas sur le sable (voir lecture 4.1).
Marque d’essence géographique et AOC (Appellation d’origine contrôlée) entretiennent
d’ailleurs un rapport ambigu et intéressant. Les deux affirment les origines locales de leurs
produits. Une appellation d’origine contrôlée est un label officiel pour les produits agroalimentaires qui assure, juridiquement, la conformité d’un produit à un cahier des charges, local
ou régional, préalablement négocié entre les pouvoirs publics, les producteurs et les consommateurs. Pour une AOC, le premier critère est naturellement la provenance géographique
clairement et souvent étroitement limitée. Les vins d’appellation contrôlée Chablis et Nuits
Saint Georges correspondent à cet état d’esprit de respect de la tradition viticole locale. Les
producteurs défendent collectivement cet acquis de l’AOC. Le critère induit dans l’attribution
d’une AOC est le respect de la tradition. Il est généralement incompatible avec une stratégie
de marque, et d’extension vers d’autres produits et d’autres savoir-faire.
Dans les années 2010, naît la tendance dite « locavore » : manger des produits de proximité.
Les grands distributeurs, à commencer par Système U, se sont approprié cette proximité
sollicitée par les consommateurs. Ceux-ci, en effet, n’apprécient guère le grand écart proposé
entre des produits dits biologiques et provenant d’Amérique du Sud ou d’Afrique, générant
ainsi un impact carbone important, alors même qu’ils étaient censés par leur caractère « bio »
respecter les équilibres de Dame Nature.
Après des années de promesses multiples et souvent contradictoires, le consommateur retrouve
progressivement son bon sens ; ainsi, se développent de nouvelles logiques, comme les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), ces points de rencontre où les
producteurs locaux apportent leur production du moment où le consommateur accepte la
« cargaison » et s’en accommode.
Internet a facilité la multiplication de ces nouveaux comportements, avec un site national qui
renvoie aux sites régionaux et locaux. Voici la façon dont ce site (reseau-amap.org) décrit le
mode de fonctionnement de ce nouveau type de relation fondée sur la proximité :
Une AMAP naît en général de la rencontre d’un groupe de consommateurs et d’un
producteur prêts à entrer dans la démarche. Ils établissent entre eux un contrat pour une
saison (on distingue en général deux saisons de production : printemps/été et automne/
hiver), selon les modalités suivantes.
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Ensemble, ils définissent la diversité et la quantité de denrées à produire pour la saison.
Ces denrées peuvent être aussi bien des fruits, des légumes, des œufs, du fromage, de la
viande… La diversité est très importante, car elle permet aux partenaires de l’AMAP de
consommer une grande variété d’aliments, d’étendre la durée de la saison et de limiter les
risques dus aux aléas climatiques et aux éventuels problèmes sanitaires.
Pendant la saison, et ce de manière périodique (par exemple, une fois par semaine), le
producteur met les produits frais (par exemple, les fruits et légumes sont récoltés le matin
même de la distribution) à disposition des partenaires qui constituent leur panier. Le
contenu de ce dernier dépend des produits arrivés à maturité. Il est possible, dans une
certaine mesure, d’échanger les produits entre eux selon ses préférences. Contrairement à
la grande distribution, les consommateurs en AMAP accordent moins d’importance à la
standardisation des aliments ; tout ce qui est produit est consommé (alors que, dans l’autre
cas, ce peut être jusqu’à 60 % de la récolte qui reste au champ). Ce principe est d’une part
très valorisant pour le producteur et, d’autre part, il permet de diminuer le prix des denrées
en reportant les coûts sur la totalité de la production.
La marque a d’autres obligations : celle qui affirme sa géographie dans son nom se doit,
naturellement, d’être présente sur le site indiqué, mais elle n’est pas limitée par les critères
juridiques. Être présent dans la bataille marketing signifie structurer le marché et innover sans
cesse. Les contraintes juridiques sont naturellement moins pesantes.
En 2011, est lancé le label « Origine France garantie », présenté et décrit comme dans la
figure 4.3.
Figure 4.3
Le logo du label « Origine France garantie ».
La marque « Origine France garantie » a été dévoilée à l’Assemblée nationale le 19 mai 2011.
Elle s’appuie sur un cahier des charges clair : le produit labellisé a ses racines ou ses caractéristiques essentielles en France et au moins 50 % de sa valeur correspond à des activités
conduites en France.
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« Marquer ? Le plus vieux métier du monde » – Michel Serres, membre de
l’Académie française
Qu’est-ce que la marque ? C’est la trace d’un acte corporel vivant. Marche, démarcation…
là est l’origine du droit de propriété.
Lecture 4.1
La démarche est louable mais difficile à mettre en œuvre, car, comme on le voit, dans les toutes
premières entreprises éligibles, on trouve Coca-Cola, entreprise qui fabrique certes son célèbre
Cola proche de ses consommateurs (pour des raisons de coûts de transport), mais qui est loin
de faire l’unanimité sur la symbolique d’une marque « made in France ».
Les putains laissaient leurs initiales sur le sable de la plage. Leurs clients éventuels pouvaient
les suivre à la trace, car elles se chaussaient de sandales dont la semelle, imprimée, portait
en relief la marque de leur première entreprise. Cela se passait jadis sur les rives méditerranéennes d’Alexandrie, à la fin de l’Antiquité. Cette ancienne anecdote sur l’un des plus
vieux métiers du monde incite à remonter vers l’origine pour découvrir une réponse à la
question : qu’est-ce donc qu’une marque ?
De la ville vers le domicile où elles exerçaient leur art, ces péripatéticiennes marchaient.
Ce verbe marcher signifie moins que le déambulateur avance qu’il ne signe son passage de
la marque de son pas. Marche ou marque : la ressemblance des mots désigne une même
conduite, voilà l’origine de votre métier (de brand manager).
Ainsi mille mâles, en marchant, marquent leur niche. Quand vous dites, aujourd’hui,
« territoire de la marque », prenez-vous conscience que vous inversez ce que l’étymologie
nomme le « marquage du territoire », que ces animaux laissent derrière eux en urinant
ou par quelque autre déjection ?
Si certains marquent ainsi leur niche, tous, assurément, femelles ou petits, au moins ceux
qui jouissent de pieds, impriment leur pas, leur fuite, leur quête d’amour, sinon leur corps
dans le cas des reptiles, sur le sol ou le sentier de leur chasse.
La marque équivaut donc d’abord à la marche, racine, étymologie, origine de votre métier.
Je remonte à ses origines, dans la langue ou l’anthropologie, pour vous persuader que l’on
ne comprend une perspective globale, dans l’espace du monde, que si l’on a compris au
préalable une perspective aussi globale dans le temps.
Source : La Revue des marques ? n˚ 43, juillet 2003. Texte prononcé lors du colloque du 6 mars 2003 organisé par
l’association Prodimarques sur le thème « Quelles stratégies de marque pour une croissance pérenne ? »
À l’heure de la mondialisation et des problèmes endémiques de taux de chômage important,
ces initiatives se comprennent mais restent difficiles à mettre en pratique et surtout à crédibiliser, tant l’économie est désormais « globalisée ».
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Branding management
La Bretagne a lancé cependant avec un certain succès son « Produit en Bretagne », aux contours
plus nets que le label national « Origine France garantie ».
Le risque de confusion existe vraiment et chaque confusion éloigne davantage les consommateurs des objectifs initiaux.
Mais que se passe-t-il quand AOC et marque se croisent ? Roquefort Société, né en 1863,
premier producteur de roquefort AOC, fait aujourd’hui le lit de ses concurrents. L’appellation
AOC, décernée récemment, crée une contrainte supplémentaire à la marque. Le nom même
de la marque (Société) peut entraîner une image industrielle non compatible avec une AOC.
L’un de ses concurrents, le Roquefort Papillon, bénéficie a contrario d’une image champêtre
plus conforme à la valeur induite dans une AOC. La marque Roquefort Société tente de
renforcer son image authentique d’AOC, notamment grâce à une saga publicitaire fondée sur
le savoir-faire du maître affineur de Société.
Dans ce débat comme dans celui du vin français par rapport à ses concurrents, « règles
d’origine » et « règles marketing » peuvent s’opposer. Il est fait grief aux AOC françaises d’être
« illisibles », incompréhensibles pour un non-initié. C’est pourquoi les vins du nouveau monde
ont simplifié les codes autour de quelques cépages connus. Ils « font marque ». L’approche
marketing a développé des goûts bien identifiés que le consommateur retrouve au fil du temps
sous les noms de cépages. La constance de la qualité et du goût est le fait de cette approche.
De l’autre côté, le maintien de la revendication des AOC est lié à une authenticité, un terroir,
une origine, un château, un négociant. Mais, si la provenance est assurée, la pérennité de la
qualité et du goût ne l’est pas.
Certes, la narration sera plus facile à construire à partir d’une terre et d’un château, mais le
consommateur, surtout s’il est inexpérimenté, pourra avoir tendance à rechercher un produit
« sûr et stable ». Les vins du Sud sont particulièrement engagés dans cette démarche explicative
et narrative, avec de nouvelles approches comme « Mythique Languedoc » ou le « Sang des
Cailloux » près de Vacqueyras. Des organismes régionaux, comme le Comité économique des
vins du Sud-Est (CEVISE), ont été créés pour faire avec les vignerons ce travail de marque.
L’origine « France » et les origines géographiques n’en demeurent pas moins des atouts.
La collective des foires (FCSEF) a créé le label « Foires de France », en insistant sur plus de
80 critères de qualité, de sincérité et de sécurité pour aider à redonner du lustre aux foires,
manifestations commerciales, identitaires et festives qui viennent du haut Moyen Âge.
Appellations et marques « locales » pour apaiser l’anxiété des consommateurs
La création des labels locaux et régionaux a développé, dans l’esprit d’un public urbain
déboussolé et devenu attentif suite aux nombreux scandales alimentaires (vache folle, listériose, les poulets à la dioxine ou encore la fièvre aphteuse des moutons, les poissons sous
antibiotiques, les OGM…), une association d’idées du type « géographie prouvée = qualité »…
La logique de label s’est progressivement superposée à celle des marques.
De nombreux labels ont ainsi vu le jour dans le but de rassurer les consommateurs et de
pallier la chute des ventes : VF (Viande française), AB (Agriculture biologique), Spécialité
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Traditionnelle Contrôlée (cette mention ne fait pas référence à une origine mais a pour objet de
mettre en valeur une composition traditionnelle du produit ou un mode de production traditionnel), l’Appellation d’Origine Protégée (dénomination d’un produit dont la production,
la transformation et l’élaboration doivent avoir lieu dans une aire géographique déterminée
avec un savoir-faire reconnu et constaté)… Ces labels ont été créés par des organismes de
contrôle indépendants français ou encore par l’Union européenne.
Certaines entreprises n’hésitent pas à surfer sur cette vague anxiogène en adoptant des labels
comme par exemple Candia Grandlait et ses « fermes sélectionnées » certifiées par l’AFAQ.
Le texte de l’étiquette commence par ces mots : « Avez-vous franchi la porte d’une ferme
sélectionnée par Candia ? »
Marques et labels cohabitent généralement de façon harmonieuse, à condition que la marque
ne se laisse pas « évincer » par le label et que la superposition des signes n’encourage pas le
consommateur à douter encore plus. À trop vouloir prouver…
Ainsi, une grande marque, même quand elle n’est pas issue du monde agroalimentaire (où
la légitimité géographique s’impose), s’abstient rarement de faire référence à son origine,
symbole d’authenticité. La deuxième coopérative agricole de France, Terrena lance en 2012
son label « Nouvelle Agriculture » pour affirmer son exigence qualitative.
On n’insiste jamais suffisamment sur la géographie de la marque, élément de vérification de
l’authenticité de son savoir-faire. Mais, en l’absence de localisation identifiée, les marques
laissent quelquefois planer le doute sur leur origine.
Ainsi, Nivea, marque du groupe allemand Beiersdorf, ne communique absolument pas sur
son origine. Mais les consommateurs pensent généralement que cette marque est française
en France, américaine aux États-Unis… Bic, marque mondiale d’origine française, est perçue
comme américaine par 2/3 des Américains.
Une marque qui changerait de territoire géographique, sous un effet de mode, risquerait de
commettre une trahison aux yeux des consommateurs. Stimorol, en abandonnant les fjords
danois dans sa communication publicitaire, prendrait le risque de décevoir et de perdre une
partie de son sens. Le rajeunissement souhaité risquerait alors de se transformer en vieillissement accéléré. Imagine-t-on le cow-boy Marlboro en kimono ou revêtu d’une djellaba ?
L’image de Sony est indissociable de celle du Japon, Mercedes de celle de l’Allemagne et celle
Dior, Chanel ou Veuve Clicquot de la France.
Manquer de géographie est souvent perçu comme plus dramatique que manquer d’histoire.
Dans un univers où la distribution s’opère de plus en plus en linéaires d’hypermarchés que l’on
peut qualifier de « non-lieux », une marque sans géographie prend le risque de se désincarner !
Il semble qu’il y ait un réel besoin de connaissance de l’origine géographique chez les consommateurs. Le réflexe que nous avons de chercher l’origine géographique sur l’étiquette du
produit et le succès du concept de traçabilité en attestent, comme notre propension à attribuer
certaines qualités propres à des localisations géographiques. Ainsi a-t-on pu donner comme
synonyme de l’expression BCBG (bon chic, bon genre), définissant un style vestimentaire et
connotant une couche sociale, l’expression NAP (Neuilly Auteuil Passy), zone chic de l’Ouest
parisien.
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Branding management
4.2
L’histoire de la marque et son storytelling
L’histoire de la marque, autre composante de son origine, a souvent été plus travaillée, plus
respectée. Les inventeurs industriels ont pour la plupart conservé leur patronyme et créé des
dynasties, usant et quelquefois abusant de la mythologie d’origine.
Depuis les années 2000, la communication s’est enthousiasmée pour un nouveau mot : le
« storytelling », la façon à l’américaine de raconter la belle histoire de la marque ou de l’entreprise. Le storytelling repart du mythe fondateur des événements héroïques de la marque pour
tracer une ligne directrice pour le consommateur ou le client.
Empruntant aux travaux des mythologues et des linguistes, cette approche remet au goût du
jour la force de l’histoire dans la vie d’une marque.
En 2010, HP crée un film publicitaire mondial sur les débuts, mettant ainsi en valeur la
créativité originelle de la marque. Qui ne connaît, désormais, l’histoire des deux étudiants
ingénieurs William Hewlett et David Packard, cofondateurs de HP, qui ont inventé leur premier
produit, un oscillateur audio, dans leur garage ? Danone fête les quatre-vingt-dix ans de son
célèbre yaourt en rappelant son origine de vente en pharmacie et mettant par conséquent
l’accent sur l’intérêt de la société pour la santé de ses consommateurs depuis toujours et sans
doute pour toujours !
Les consommateurs connaissent bien les sagas familiales des Ford, Peugeot, Dassault, Ricard,
plus récemment Benetton… Ils admirent, derrière les « griffes », l’histoire des créateurs comme
Saint-Laurent, Christian Lacroix, Jacques Dessange. Karl Lagarfeld cultive toujours l’esprit de
« Coco » chez Chanel. Le temps fabrique de la notoriété au même titre que la publicité – dans
la vente de châteaux et l’immobilier de prestige, Mercure, 75 ans, est aussi connu que Sotheby’s.
On parle désormais de « corporate mythology », de mythologie d’entreprise, pour désigner cet
appel à l’histoire « mythique » des marques et des entreprises dans leur narration contemporaine.
Quand l’histoire n’existe pas, les consommateurs ne boudent pas les contes qui viennent
remplacer l’histoire inexistante. Une des dernières sagas du N˚ 5 de Chanel a revisité le conte
du Petit Chaperon rouge pour la plus grande joie des consommatrices.
De nombreuses marques ont récemment ressuscité ou recréé leur fondateur. Les consommateurs ont notamment fait la connaissance de Giovanni Panzani, de Charles Gervais, de
maître Rodolphe Lindt apparemment garants de la qualité de leurs produits. Danone déclare
que « toujours soucieuse de la qualité et de l’authenticité de ses produits7 », l’entreprise a
fait revivre en 1993 la marque Charles Gervais, née en 1850, symbole de tout un savoir-faire
historique dans l’élaboration de recettes, inspirées de traditions anciennes. Les ancêtres et
fondateurs de ces marques deviennent les porte-étendards des valeurs de tradition, de
savoir-faire et de qualité.
7. www.danone.fr.
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Chapitre 4 – La marque comme narration
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Les marques ont, structurellement, besoin d’inscrire leurs produits dans une origine. Elles
doivent pouvoir raconter leur origine géographique, historique et peuvent ainsi s’inscrire dans
une « nouvelle mythologie contemporaine ».
Après le niveau axiologique, celui des valeurs et de l’identité de la marque, le niveau discursif
de l’histoire, de la géographie et des personnages, nous allons voir comment développer le
troisième niveau, le niveau narratif et son schéma.
L’histoire de la marque, magnifiée par la magie des publicitaires et souvent relayée par les
journalistes, permet de construire patiemment ce contrat narratif.
Journalistes et publicitaires sont des « opérateurs mythiques », nous rappelle Baudrillard :
Ils mettent en scène, affabulent l’objet et l’événement. Ils le « livrent réinterprété » à la
limite, ils le construisent délibérément8.
Que serait Levi’s sans les chercheurs d’or qui avaient besoin de rivets aux poches, que serait
Coca-Cola sans le bon docteur Pemberton qui se trompe de mélange et les GI’s qui distribuaient ce breuvage curieux en Europe en 1945, Post-it sans l’erreur d’Arthur Fry qui n’avait
pas « réussi » sa colle, Carambar sans la machine qui se dérègle et sort un caramel dur ?
Il y a contrat narratif car, par le recours aux techniques du narrateur, la relation est rendue
intelligible entre l’entreprise et son consommateur. Sans discours, sans dialogue, il n’y a
pas de contrat. L’histoire de la marque relève de la sphère du logos, du discours et de la
raison. C’est en tant que narration historique que la marque va pouvoir engager une relation
contractuelle avec son consommateur, c’est-à-dire une relation de fidélité. Comme le montre
l’application 4.4 concernant le fameux « Maître Kanter », la distinction entre la vérité
historique et la réalité narrative de la marque n’est pas toujours facile à faire, tant les entreprises ont compris le pouvoir de la narration historique sur le développement de leurs
marques.
Quant aux marques sur Internet, elles sont fondées sur la logique de communauté, c’est-à-dire
sur la communication interactive. Cela soulève quelques questions de fond : la marque dont
on s’occupe fait-elle parler d’elle ? Suscite-t-elle des conversations ?
Or, la parole sur une marque n’est pas la parole d’une marque. Pour devenir une marque
narrative sur le Web, il faut de l’action. Les marques narratives sont des marques qui agissent
et suscitent de ce fait des réactions. Puis, devant les réactions, le community manager (l’animateur de ceux qui s’intéressent à sa marque) doit répondre ; le dialogue est alors engagé
comme il se fait encore heureusement sur la place du village ou du marché. Ne parlait-on
pas encore récemment d’un « village mondial » à propos de la toile et des nouveaux modes
de vie et de pensée internationaux ? Twitter est encore plus rapide que Facebook et ressemble
davantage à ces conversations hachées et lapidaires de la vie quotidienne. Plus que jamais,
on croit revenir à l’origine du commerce sur l’agora à Athènes ou le forum à Rome et on se
dit que « les marchés sont des conversations », selon l’expression des auteurs du Cluetrain
Manifesto.
8. J. Baudrillard, La Société de consommation, Denoël, 1970.
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Application 4.4
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Kanterbräu, bière créée par Hans Kanter (1874-1937)
« Kanterbräu, la bière de Maître Kanter ». Info ou intox ? Info car Kanter a bien existé.
Prénom : Hans. Docteur en chimie, il délaisse la cimenterie familiale pour la bière. Fort
d’une brasserie, la Walsheim, achetée dans la Sarre, il ouvre des cafés dans toutes les villes
d’Alsace, de Lorraine, de Belgique, à Paris et même en Algérie et au Maroc. En 1935, il
quitte la Sarre qui vient d’être rattachée à l’Allemagne nazie pour Charmes, dans les Vosges.
Il s’associe avec Jean Hanus, propriétaire de la Brasserie de Charmes.
C’est sous le nom de Kanterbräu qu’il dépose un brevet exploité par la société : KB
Kanterbräu pour la blonde et KB Kantator pour la brune. Mais il faut attendre 1971
pour que la marque Kanterbräu sans KB soit véritablement lancée. Un an auparavant,
le groupe BSN (Danone depuis 1994) avait racheté la Société européenne de brasserie,
propriétaire de la Brasserie de Charmes.
La signature « Kanterbräu, la bière de Maître Kanter » apparaît dans les années 70 et ce
pour célébrer la mémoire du fondateur. Son nom figure également sur les 57 Tavernes de
Maître Kanter (revendues depuis par les nouveaux propriétaires de la marque), dont la
première ouvrit ses portes en 1974, sur les Comptoirs du même nom ; nouveau concept
de petits restaurants rapides inaugurés, comme les deux Chalets du même nom, en 1999.
La marque utilise ses « comptoirs » également dans une campagne presse et affichage « Au
bar du soleil », orchestrée en 2000 par l’agence Devarrieuxvillaret. Ironie du sort, la même
année, la marque aux accents de terroir français entre dans le giron de l’anglais Scottish
& Newcastle, puis en 2008 dans celui du groupe danois Carlsberg.
Source : J. Watin-Augouard, Histoires de marques, Éditions d’Organisation & TM Ride, 2006.
Au-delà de l’histoire, pour qu’il y ait communication, la maîtrise commune d’un même code est
nécessaire. Sinon, il y a incompréhension, perte de signification. La marque sujet de discussion,
la marque relationnelle, c’est celle qui entre en résonance avec son cœur de cible. Le produit
entre dans le quotidien du consommateur par son usage. Au lien physique lié au produit vient
s’ajouter le lien symbolique de la marque et de sa narration.
On pourrait s’étonner du recours à l’analyse narratologique pour rendre compte de l’évolution
du discours de la marque. Pourtant, des histoires destinées à accompagner le sommeil des
enfants à celles qui occupent les adultes, des fictions littéraires aux paraboles religieuses, des
fables politiques à la publicité, les figures les plus diverses du récit ponctuent nos existences.
Il serait restrictif de limiter les théories narratives aux œuvres littéraires. Cette « fertilisation
croisée » nous permettra de poser un regard nouveau sur le rôle que joue la publicité pour
les marques.
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Chapitre 4 – La marque comme narration
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5. Les tendances publicitaires actuelles : la marque
apprend à parler
Nicolas Riou présente dans son ouvrage Pub Fiction9 l’évolution des tendances publicitaires. Les
années 60 ont été marquées par l’explosion de la consommation. Celle-ci répondait à un besoin
fonctionnel, l’équipement des ménages. Elle remplissait en parallèle une fonction sociétale :
témoigner de l’ascension sociale des consommateurs. La décennie a vu le débarquement en
force de la publicité, encore appelée réclame : elle annonçait le lancement de tel ou tel produit
ou innovation « révolutionnaire ». Les années 70 ont marqué la complexification de la société
de consommation avec une segmentation du consommateur toujours plus fine, correspondant
à un développement rapide de l’offre. La publicité commence à valoriser l’individu. Elle
sophistique ses scenarii et cherche à épouser les tendances sociologiques. Elle développe la
notion d’« aspirationnel », autrement dit, elle utilise des professions en vue, dans lesquelles
le consommateur se projette volontiers. Les années 80 poursuivent le mouvement. L’individu
n’était plus satisfait par une consommation de masse, il lui fallait des produits spécifiques,
correspondant à une tonalité plus individualiste. La publicité a alors souvent présenté des
modèles sociaux archétypaux. La mécanique était simple : « Regardez-les, ils sont beaux, ils
sont riches, ils sont jeunes. Même sans l’avouer, vous rêvez de leur ressembler. » En présentant
des situations, des activités ou des personnes idéalisées, les publicitaires cherchaient à créer
un phénomène d’identification du consommateur, flattant par là même son narcissisme. On
parle alors pour les marques de publicités modernes.
Les grandes marques ont changé de registre publicitaire. Elles ont abandonné les vieux
standards de la pub pour explorer une nouvelle dimension, celle de l’humour. Pas du spectaculaire, façon Séguéla années 80, mais du divertissement, de la créativité. Après s’être longtemps
contentées de proposer des modèles dans lesquels les consommateurs s’identifiaient, certaines
marquent fuient délibérément le réalisme. Elles composent leurs campagnes de petites scènes
originales et décalées visant à surprendre, divertir et donc séduire le consommateur. Pour ce
faire, elles n’hésitent pas à fragmenter leurs campagnes en multiples exécutions, abandonnant
les principes de cohérence formelle. Chaque nouveau film se différencie des autres. L’effet
de campagne est simplement assuré par le respect rigoureux d’un nombre limité de valeurs
centrales. Le discours central de la marque développant son identité doit donc être encore
plus fort.
Les marques ont compris que les consommateurs sont habitués aux médias. Ce constat sonne le
glas du modèle premier degré dans lequel le consommateur se projetait volontiers. Désormais,
les marques doivent faire évoluer leur discours vers plus de connivence. C’est en changeant
de ton, en n’hésitant pas à prendre le produit en autodérision ou encore en multipliant les
références à des émissions TV connues ou des magazines, que la marque va s’installer dans
l’air du temps. Il est alors question de publicités postmodernes.
9. N. Riou, Pub Fiction, société postmoderne et nouvelles tendances publicitaires, Éditions d’Organisation, 1998.
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Branding management
5.1
Expertise
La culture médiatique ne présente quasiment plus de secrets pour le grand public. Les publicitaires ne peuvent négliger ce fait. Comprenant le degré d’exigence de leurs cibles (qui
connaissent bien les mécanismes publicitaires et refusent de se laisser prendre par les vieux
schémas), ils décident de décaler le discours pour continuer à surprendre. Et ils n’hésitent
plus à puiser dans le merveilleux réservoir que constitue cette culture commune. Utiliser ce
qu’il y a en commun avec les consommateurs, partager les mêmes références, jouer avec ses
références pour créer une complicité, tel est le nouveau challenge des marques. À force de
baigner dans cette culture, le consommateur finit par les connaître à fond, sait l’analyser, la
décrypter, bref devient expert. Un nouveau type d’articles ou d’émissions apparaît, sur le
ton de l’autoréférenciation. On s’éloigne progressivement des référents réels pour entrer
dans un stade avancé de la culture médiatique : celui où les consommateurs développent
une expertise des médias eux-mêmes, leurs styles, leurs tons, leurs figures emblématiques.
La publicité est passée au crible devant des millions de téléspectateurs dans Culture Pub. Le
succès de l’émission souligne combien les spectateurs en ont assez d’être confinés au statut
peu valorisant de « ménagères de moins de 50 ans » et veulent en savoir plus sur les rouages
du monde marketing et de la publicité.
5.2
Communautés
L’ère moderne proposait une vision universelle de la société et un système de valeurs qui opérait
comme un fort ciment social. Les clivages sociaux étaient donc plutôt liés à une classique
division de la société en classes sociales qu’à des systèmes de valeurs différenciés. À ces logiques
de clivages verticaux succèdent de nouvelles logiques horizontales. Dans Le Temps des tribus 10,
le sociologue Michel Maffesoli explique que la société se divise en multiples communautés.
La vision moderne de la société était universelle et globalisante. Elle est remplacée par une
pluralité de micro-visions spécifiques à chacune de ces tribus. Ces dernières ne se constituent
plus en fonction d’éléments rationnels. La dimension affective est extrêmement importante
dans la formation des tribus. La logique rationnelle fait place à une logique émotionnelle. Ce
sont des aspirations communes, des centres d’intérêts partagés qui président à la formation
des nouvelles tribus. La société bourgeoise de l’ère moderne impliquait le développement de
l’individualisme. La postmodernité est, quant à elle, dominée par la notion de communauté,
par la recherche de lien social. Cette logique de rétrécissement sur le groupe a une contrepartie
positive, l’approfondissement des relations à l’intérieur de la communauté. Naissent alors de
nouveaux réseaux de solidarité. Ce point de vue est partagé par de nombreux acteurs de la
recherche marketing. Ainsi, Bernard Cova précise à la revue Futuribles11 que, si jusqu’alors
les produits servaient avant tout à se forger une identité (« je suis ce que je consomme »), on
leur demande aujourd’hui de créer du lien social. Il constate le retour du désir de se relier aux
autres, de participer à des communautés diverses. Et la consommation est un des théâtres de
cette évolution. Les marques « postmodernes » mettent en lumière une nouvelle facette du
10. M. Maffesoli, Le Temps des tribus : le déclin de l’individualisme dans les sociétés de masse, Éditions Méridiens Klincksieck,
1988.
11. Futuribles, n˚ 214, novembre 1996.
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Chapitre 4 – La marque comme narration
157
marketing qui consiste à créer du lien (clubs d’utilisateurs, soirée d’échange…), intégrer de
nouvelles tribus.
Quels sont les nouveaux ressorts narratifs derrière ces nouvelles stratégies de marque ?
1. L’éloignement du produit. Le fait qu’on ne vende pas un bénéfice est un point de différenciation importante par rapport aux anciennes campagnes issues des « copy-strategies »
traditionnelles. Si l’on en croit Calvin Klein, les promesses de sentir bon, de se sentir bien,
la fraîcheur ou la séduction ne semblent plus suffire à faire vendre un parfum.
2. On ne vend pas non plus une image de marque. De nombreux parfums des années 80
et 90 se sont vendus sur leur image. Ils construisaient une image aspirationnelle, dans
laquelle les gens avaient envie de se projeter : le monde de la nuit, du jazz, de la fascination
de l’Orient, le mystère… Plus de 1 000 parfums sont lancés et font appel à la notoriété de
telle ou telle marque depuis la fin des années 2000, chaque année avec très peu de succès !
En 2007, Loana, la première héroïne d’un jeu de téléréalité en France, lance son parfum. À la suite
de cette annonce, une blogueuse, sans doute marketeuse, déclare sur le site Beauté-test.com :
Je l’imagine d’abord chez Auchan, mais le problème c’est que la cible (les jeunes filles de
12 ans) ne doit pas forcément se rappeler Loana. Elles avaient 5 ans à l’époque du Loft.
Donc, il finira certainement chez Tati.
3. Après le produit, puis l’image, on vend désormais des idées. Cela implique un changement
d’interlocuteur : on ne parle plus dorénavant à un consommateur pour le convaincre de
la supériorité du produit. On s’adresse désormais à une personne, dont on cherche à
partager le système de valeurs. La relation entre la marque et la personne se densifie. La
notion de partage implique l’appropriation par les cibles des valeurs de la marque. Une
fois que le consommateur a adopté ses valeurs, la marque qui les diffuse devient plus
qu’une marque, un véritable emblème. La mécanique marketing travaille à la communion
avec son consommateur. Il ne s’agit pas de faire venir occasionnellement l’individu à la
marque, mais de devenir une de ses marques cultes. Il ne se trouve plus dans les institutions, les systèmes politiques, les débats de société, il partage en revanche les valeurs de
quelques marques. Et il construit avec elles, à travers leur structure narrative complexe,
une relation privilégiée.
En proposant des visions de l’individu, des systèmes de valeurs, nombre de marques cherchent
avant tout à créer une relation privilégiée avec leurs consommateurs. Plutôt que de proposer
leur produit et de décrire ses avantages, elles cherchent à faire partager des valeurs fondamentales. Quel meilleur moyen de fidéliser et de créer une relation de proximité que d’avoir des
valeurs communes et de partager des points de vue ?
La fonction même de conviction de la marque est fondée sur l’enchaînement problème/solution/
résultat. Autrement dit, pour reprendre la terminologie du récit mythique, dégradation/
amélioration possible/amélioration obtenue/coda ou morale. La rhétorique traditionnelle
est donc réadaptée au discours de marque à travers ses trois niveaux axiologique, discursif et
narratif. Mais la force de la marque, issue de sa narration, n’est possible qu’à travers le respect
des règles du récit analysées par les linguistes et les mythologues.
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Branding management
6. Structure comparée du récit légendaire et du récit de la
marque
Le schéma narratif proposé par les linguistes est un modèle logique de l’action racontée, action
d’un personnage dans le récit ou action de la marque sur un marché.
6.1
Ordre binaire du récit mythique
C. Brémont, dans La Logique du récit12, propose un schéma narratif repris par les spécialistes
de l’analyse des récits, des contes et des légendes anciennes et de la mythologie classique. Le
récit « classique » se réduit à une double relation qui constitue les deux solutions possibles
d’un même problème. Deux perspectives s’affrontent, celle du héros et celle de l’agresseur.
La méthode d’analyse de C. Lévi-Strauss consiste à ramener tous les ingrédients du récit
mythique à un nombre relativement restreint d’oppositions binaires. Cette logique binaire
est peut-être ce qui contribue à maintenir actuelles ces antiques légendes si lointaines dans
les faits, si présentes dans les esprits.
Depuis notre plus jeune âge, en fait, « on » nous raconte la même histoire : celui du héros qui
lutte contre un méchant pour une bonne cause.
Le schéma narratif (voir figure 4.4) se fonde sur une succession d’états et de transformations
opérées au cours d’une histoire. Toute narration ainsi organisée révèle le caractère du récit et
maintient le « suspens » jusqu’à la sanction finale.
Destinateur
(émetteur - le narrateur)
Destinataire
(récepteur - le consommateur)
Sujet
(héros - la marque)
Objet
(action - le positionnement de marque)
Adjuvant
(aide du héros)
Opposant
(le méchant)
Figure 4.4
Les phases du schéma (ou programme) narratif d’un récit.
Ce schéma est naturellement une évaluation générale fondamentale d’un récit. Mais ce n’est
pas un plan type comme le montre le récit de l’Iliade, plus complexe, aux héros plus nombreux
et aux intentions moins évidentes que dans la narration des marques où tout est tourné vers
la conviction à obtenir du futur consommateur (voir lecture 4.2).
12. C. Brémont, La Logique du récit, Seuil, 1973.
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La structure narrative de l’Iliade in Les Marques, mythologie du quotidien *
Depuis les années 70, avec Vladimir Propp **, Lévi-Strauss, Greimas, Brémont… ont
mis en évidence une structure linéaire, quasi unique, de l’écriture du mythe à travers les
continents et les âges. Le déroulement discursif des personnages principaux se révèle être
le maillon fondamental de l’histoire, avec une succession de dégradations et d’améliorations jusqu’au dénouement.
159
Lecture 4.2
Chapitre 4 – La marque comme narration
L’Iliade, à la base des récits mythiques occidentaux, est un ensemble de constructions
binaires où le héros est tour à tour doux, humain ou agressif. Cette écriture moderne
accrédite la thèse de la suprématie de la structure du récit sur la cohérence même des
personnages. Le mythe est d’abord un récit à la structure fixe, binaire.
L’Iliade raconte en vingt-quatre chants les deux derniers mois d’une guerre qui a duré
près de dix ans L’action tient pour l’essentiel en quatre jours, tendant à l’unité de temps
chère aux classiques.
Agamemnon, chef de l’expédition, plutôt mal engagée, doit vaincre la colère d’Achille
pour le ramener au combat. Les dieux l’ont dit : seul Achille peut battre le héros troyen
Hector. Sinon, dix ans de guerre auront été inutiles, et la Grèce sera défaite. Première
amélioration à obtenir.
Patrocle, ami d’Achille, obtient l’autorisation de partir au combat à sa place. Amélioration.
Hector tue Patrocle. Dégradation.
Achille doit venger Patrocle. Il retourne au combat. Amélioration possible. La Grèce sera
peut-être sauvée.
Achille tue Hector. Première amélioration obtenue.
Achille ne veut pas restituer le corps d’Hector. Les dieux grondent. Deuxième dégradation
possible.
Priam, roi de Troie et père d’Hector, se présente devant le vainqueur. Amélioration possible.
Achille accepte de restituer le cadavre de son fils à Priam. Amélioration obtenue.
L’Iliade se clôt sur les funérailles d’Hector. Les Grecs, vainqueurs, peuvent rentrer chez eux
après avoir incendié Troie, emmenant les vaincus en esclavage. Coda ou morale : l’ordre
des dieux et des hommes est sauf !
La fonction même de conviction publicitaire, celle de la marque, est fondée sur l’enchaînement Problème – Solution – Résultat. Autrement dit, pour reprendre la terminologie
du récit mythique : Dégradation – Amélioration possible – Coda ou morale, c’est-à-dire
réaffirmation finale de la confiance en la marque.
* G. Lewi, Les Marques, mythologie du quotidien, Village mondial, 2003.
** V. Propp, La Morphologie du conte, Le Seuil, 1970.
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Branding management
6.2 Les fonctions clés de la constitution des récits mythiques
et des marques-mythes
Dans la composition d’un récit « qui veut durer », deux impératifs doivent être honorés :
l’ordre de la narration et les fonctions de la narration, autrement dit le rôle de chacun. Sans
l’observation de ces structures élémentaires de narration, le bilan de la perception narrative
risque d’être décevant. Trop de marques croient communiquer pour améliorer leur image
et ne comprennent pas les résultats négatifs de leurs campagnes. Trop de publicitaires, dont
la fonction est précisément d’être des conteurs, ne se sont jamais intéressés à la structure du
récit. L’école structuraliste qui a travaillé sur la structure idéale (définie à partir de l’analyse
de centaines de récits) a mis en évidence quelques règles intangibles.
En premier lieu, le cadre chronologique doit être respecté :
1. d’abord l’orientation (le décor est planté dans tous ses aspects) ;
2. la complication ;
3. l’action ;
4. la résolution ;
5. le résultat.
C. Brémont, dans sa Logique du récit, demande aux auteurs de récit de « ne jamais poser une
fonction sans poser en même temps la possibilité d’une option contradictoire ». Il n’y a pas
de récit crédible linéaire. Sans opposition, sans crainte pour l’issue positive de l’histoire, il
n’y a pas d’histoire. C’est encore une des grandes différences entre la communication d’un
produit et celle d’une marque. D’un côté, une simple démonstration efficace suffit ; de l’autre,
un récit structuré, souvent complexe doit être construit.
Mais le récit se définit surtout par six fonctions précises pour faire aboutir la vérité, « six
pôles actanciels » selon la formule des linguistes. Ceux-ci ont été frappés par la récurrence de
personnages identiques. Ces fonctions semblent être au centre du déroulement de toutes les
intrigues, notamment celles qui « marchent » depuis longtemps, au premier rang desquelles
nous trouvons mythes et marques.
Dans le schéma type issu des recherches sémiotiques narratives, le modèle intègre six pôles
actanciels, six fonctions, combinant trois relations :
1. Une relation de désir à la base des énoncés narratifs. Le vouloir du sujet, du héros et de
son « aide magique », l’adjuvant.
2. Une relation de communication. C’est l’objet du contrat. Ce qui doit être réalisé.
3. Une relation de lutte. L’opposant tente d’empêcher la relation de désir de se réaliser.
De façon simplifiée : un conteur raconte pour un public l’histoire d’un héros qui a une mission
à accomplir. Un opposant, un « méchant », va tenter de l’en empêcher et un auxiliaire, une
« aide magique », va aider le héros à réussir. Après de nombreuses péripéties…
Comme le montre la figure 4.5, il est possible de mettre l’accent sur l’action de la marque
en faveur de ses consommateurs. Les linguistes ont ainsi parlé de « schéma actanciel » ou de
« sujet actant ».
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Chapitre 4 – La marque comme narration
Destinateur
Destinataire
(émetteur - le narrateur)
(récepteur - le consommateur)
Sujet
(héros - la marque)
161
Objet
(action - le positionnement de marque)
Adjuvant
Opposant
(aide du héros)
(le méchant)
Figure 4.5
L’enchaînement des fonctions du récit mythique.
Source : G. Lewi, Mythologie des marques, Pearson Education, 2009.
Il n’y a pas de récit, et encore moins de récit universel pouvant conduire à une fonction de
mythe structurant nos pensées et nos relations, sans intention. Le héros – ou la marque – a une
mission à accomplir. C’est en cela – et les publicitaires l’ont bien compris en proposant aux
entreprises de travailler sur la plate-forme de marque (voir chapitre 12), sa mission, sa vision
du monde, ses valeurs, son ambition – que la marque est souvent placée dans une position
anthropomorphique. La réussite de la mission du héros ou de la marque est contrariée par un
opposant. Généralement un adjuvant moins héroïque, plus proche de l’auditeur du récit, plus
incarné ou plus visible, quelqu’un du peuple, un enfant, un don ou encore une fée viennent
« donner un coup de main au héros au moment difficile ». Il y a, bien sûr, le narrateur et le
récepteur du récit.
Ce schéma typique des épisodes de westerns s’applique à la lettre au feuilleton Zorro avec :
1. Un héros qui a toutes les qualités : le sens de la justice, l’intelligence, la bravoure, la
courtoisie, l’humour, la beauté…
2. Une mission ou un objet : l’amélioration de la justice sociale en Amérique latine.
3. Un opposant : le sergent Garcia représentant la bêtise au service de gouvernants corrompus ;
4. Un adjuvant : Bernardo, sourd, muet et dévoué, qui ne peut et ne veut voler la vedette au
héros Zorro.
5. Un émetteur : une présentation objective, quasi datée de chaque épisode, comme si c’était
le récit d’un historien.
6. Des récepteurs : les spectateurs, mais, au-delà, le message semble être dédicacé sous forme
d’avertissement à tous les despotes.
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Branding management
Tous les contes de notre enfance sont fondés sur le même schéma actanciel, celui d’une
narration en action : le Petit Chaperon rouge, le loup et le chasseur, Blanche-Neige, la sorcière
et les sept nains, Cendrillon, la marâtre et la marraine…
Dans toute grande marque, la mission est possible grâce à un adjuvant bien identifié. La
raison du succès de Coca-Cola, élixir de jeunesse et de mieux-être (pour donner un coup de
fouet ou pour mieux digérer) repose sur sa formule inventée par Pemberton, le pharmacien.
Le marketing a fait le reste…
Décortiquons deux exemples mis en parallèle avec le schéma narratif de Zorro : le premier
infocommercial de la lessive Ariel, avec Christine Bravo et Patrick Hamelle, président de
Jacadi (spot de 1997), et l’agresseur des petits hommes contre Germaine de Lustucru (voir
tableau 4.2).
Tableau 4.2 : Tableau narratif des spots Lustucru et Ariel/Jacadi comparé au récit des épisodes de Zorro
Déroulement
de l’histoire
Ariel/Jacadi
Lustucru
Zorro
Problème :
amélioration à
obtenir.
Les « bouloches » dégradent Les Martiens enlèvent
les vêtements après le lavage. Germaine.
Une meilleure justice
sociale.
Processus
d’amélioration.
Jacadi, une bonne marque
apparaît.
On sait ce qu’ils
veulent : ils ont faim
des excellentes pâtes
Lustucru
Les impôts vont être
assouplis.
Dégradation
possible.
Ch. Bravo questionne
« directement » le P-DG de
Jacadi.
Ils « embarquent »
Germaine.
Un nouveau gouverneur
et une nouvelle garnison
arrivent.
Processus de
dégradation.
On imagine l’action des
On imagine le pire.
« bouloches » sur le vêtement
de « Petit Paul ».
Zorro va être démasqué.
Dégradation
obtenue.
Le P-DG de Jacadi est un
mauvais orateur.
Germaine est sans doute Les soldats sont dans la
perdue.
maison de Zorro.
Processus
d’amélioration.
Ch. Bravo, la « méchante »,
devient défenseur d’Ariel. Retournement de situation,
deus ex machina.
Les pâtes Lustucru aux
œufs entiers non fêlés
faites par Germaine les
satisfont.
Bernardo a préparé un
cheval sur le toit.
Amélioration
obtenue.
Les « bouloches » sont
vaincues.
Ils relâchent Germaine.
Le méchant gouverneur
est muté.
Coda ou morale.
Innovation Ariel.
Bonheur.
La vie peut être plus
paisible jusqu’au
prochain épisode.
Les agressifs Martiens rentrent chez eux et redeviennent de « gentils petits hommes verts »
grâce aux pâtes Lustucru et au savoir-faire de Germaine.
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Chapitre 4 – La marque comme narration
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Les agresseurs des vêtements d’enfants Jacadi, « les bouloches », sont vaincus grâce à Ariel et
à son détective virulent et astucieux, la journaliste Christine Bravo.
Les ventes de Lustucru (dont le nom créé en 1947 rappelle le récit incroyable « l’eusses-tu
cru ») s’envolent. La marque avec 1 milliard de chiffres d’affaires et 40 % de parts de marché
en France se félicite d’avoir adopté cette structure de récit mythique.
Six mois après, les ventes d’Ariel, lessive qui a trouvé son combat avec la « technologie antibouloches », selon les termes du dossier de presse, vont bien. Mais ça va mal pour Jacadi. Six
mois après cette saga télévisée, l’entreprise en faillite et la marque doivent être cédées. On peut
s’interroger sur cette mauvaise coïncidence. Certes, il ne s’agit pas de dire que l’entreprise a
été « coulée » par une campagne de publicité réalisée en co-branding avec une lessive. Encore
que ce « mariage » de deux marques entraîne généralement un vainqueur et un vaincu. Du
moins aurait-on pu penser qu’une campagne publicitaire de quelques dizaines de millions
d’euros (payée entièrement par Procter & Gamble) avec une formule innovante, aurait pu
enrayer la chute de la marque Jacadi, à défaut de la relancer.
Quelle erreur a donc commise Jacadi ? La marque s’est retrouvée en position d’« opposant »,
de fabricant de mauvais vêtements qui « boulochent » au premier lavage.
Les schémas qui suivent présentent les deux terminologies : celle des structuralistes du langage
et celle de la communication. Les termes d’émetteur pour destinateur, de récepteur-consommateur pour destinataire, de marque ou de héros pour sujet, de positionnement ou mission
pour objet sont plus appropriés à l’étude des marques. L’analyse poursuit et prolonge le
parallèle établi entre les récits de l’Iliade, de Zorro, de Lustucru et de Jacadi.
1. L’émetteur. Porte-parole de la société, il émet le problème, c’est le narrateur. Pour l’Iliade,
il s’agit d’Agamemnon qui exprime le souhait général. « En finir avec la guerre de Troie. »
• La situation : les petits hommes verts envahissent l’espace Lustucru.
• Christine Bravo narre un « problème de société » : l’attaque des vêtements Jacadi par
les « bouloches ».
2. Le héros. Achille.
• Ariel.
• Lustucru.
• Zorro.
3. L’adjuvant. The reason why. Celui qui aide le héros. Patrocle, l’ami d’Achille.
• Germaine pour Lustucru.
• La « technologie anti-bouloches » d’Ariel.
• Bernardo.
4. L’objet. Le positionnement. Ce qu’il faut faire, obtenir, réussir.
• La victoire des Grecs.
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Branding management
• La réussite du projet de la marque : repousser les Martiens ou détruire les bouloches.
• L’injustice en Amérique latine.
5. L’opposant. Hector, le Troyen à abattre.
• Les Martiens.
• Un « générateur » des bouloches. – Tiens, c’est Jacadi ! Bizarre !
• Le gouverneur local.
6. Le récepteur. Le bénéficiaire de toute cette action qui reconnaît que le héros ou la marque
a bien rempli son contrat.
• Agamemnon et les Grecs.
• Les consommateurs, les téléspectateurs, les clients ou, du moins, le cœur de cible des
clients qui sont en « résonance » avec la marque.
• Le spectateur.
La chute, Coda, est généralement représentée par la gratitude du destinataire envers le sujet.
Pour les marques, la morale est généralement représentée par la « base line », seconde signature
et prise de position de la marque.
En se trouvant, bien malgré elle, dans la « mauvaise position », Jacadi en a payé le prix fort.
On analyse aisément tout l’intérêt de cette narratologie comparée. Le respect de la structure
du récit n’exclut pas la créativité. On l’a vu pour Lustucru. On le voit en 2003 pour Chocosui’s
avec Maurice et son petit poisson rouge, ou Spontex et son hérisson, adjuvants surprenants
mais efficaces du message narratologique des marques.
Lorsqu’une série de spots publicitaires d’une même marque respectent sans créativité la
structure nécessaire du récit, ils demeurent efficaces. Mais la marque ne deviendra pas un
mythe, faute d’histoire et de « contenu humain ». Lorsque, au nom de la créativité ou de
l’ignorance, ne sont pas respectées la structure et les fonctions du récit, ce sera l’échec. Le
message de la marque sera rapidement brouillé et les ventes ne seront pas au rendez-vous.
Pour que le renversement de situation soit possible, le héros du mythe n’est jamais seul. Il est
représenté par une « force positive » plus humble, plus proche, plus visible. La marque comme
le héros sont des « montages complexes ». L’adjuvant qui représente l’essence de son pouvoir
et de la valeur fondamentale (les points bleus des enzymes, le contrat de confiance, la formule
Coca, Germaine ou Bibendum) est une unité simple, presque archétypique.
6.3
Marque-sujet et marque-narrateur : schémas narratifs
Voyons maintenant comment la marque vient prendre place dans un schéma où le destinateurnarrateur est un personnage, comme c’est le cas dans la publicité Ariel déjà citée. Christine
Bravo narre le problème de consommation : avec les lessives traditionnelles, il y a, après passage
à la machine à laver, des « bouloches » sur les vêtements.
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Chapitre 4 – La marque comme narration
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La résolution du problème est généralement du ressort de la marque. Le développement du
programme narratif s’articule autour de la mise en place, dans un premier temps, du sujet
opérateur, de la réalisation, dans un second temps du programme et enfin de l’évaluation des
états transformés et des performances réalisées. De ces phases de transformation dépend la
conformité au contrat de marque. C’est dans la transformation d’une situation que la marque
éprouve son action.
Les pôles actanciels de l’adjuvant, de l’opposant et de l’objet du récit sont tenus respectivement
par le produit, le problème et l’objet de la quête. Il n’existe pas de héros sans adjuvant, sans
aide, qui permette au héros, au moment le plus désespéré, de s’en sortir et de remplir sa
mission ou son objectif. C’est l’auxiliaire magique. Les contes, les récits mythiques regorgent
de ces petits auxiliaires. Ces adjuvants sont la symbolisation du fait que le héros n’est pas seul.
Il faut ici examiner les rapports entre les objets magiques et les auxiliaires magiques. Les
objets agissent comme des êtres vivants. Une qualité fonctionne comme un être vivant. Par
conséquent, les êtres vivants, les objets et les qualités doivent être considérés comme des valeurs
équivalentes du point de vue d’une morphologie fondée sur les fonctions des personnages13.
L’objet, le produit « fonctionne » comme cet être vivant fait à l’image du héros, de la marque.
Il acquiert ses qualités en endossant son marquage, sa marque.
Objet et opposant vont de pair. L’opposant, c’est le tracas lié à la situation problématique.
L’objet, ce que cherche à obtenir le destinateur-consommateur grâce à la marque, c’est la
satisfaction de ses attentes. Les principales propriétés qui caractérisent ces attentes sont une
tension qui résulte d’un état de déséquilibre, et le sentiment de manque ou de privation
(recherche d’une homéostasie, d’un équilibre).
L’opposant cherchera à contrarier cette « quête du bonheur ». Tout ce qui complique la vie en
constitue un formidable vivier. C’est aussi pour cela que les marques sont tellement inscrites
dans notre quotidien. En prenant appui sur des situations que chacun a pu expérimenter et
dont il se souvient, le publicitaire trouve le moyen d’impliquer directement le lecteur-auditeur.
Pour modéliser, l’acteur-consommateur (destinateur) porte au grand jour un problème lié
à une situation de la vie quotidienne. Ce problème entraîne un manque (objet). Le consommateur fait appel à la marque (sujet) pour résoudre ce problème. Celle-ci se fait aider par
son adjuvant. Bien sûr, pour mettre fin au manque, il faut combattre tous les tracas de la vie
quotidienne (opposant). Une fois que la marque a fait son travail, il reste au principal intéressé,
ce même consommateur, instigateur et bénéficiaire de la quête (donc destinataire), à évaluer
la situation (respect du contrat de marque). C’est le sujet qui va exercer un acte persuasif
auprès du destinateur pour obtenir la reconnaissance de la bonne réalisation de son action et
c’est ce destinateur qui va exercer un acte interprétatif, qui va examiner si la mission est bien
remplie. Bref, quand nous parlons de consommateur, il s’agit, bien sûr, du personnage idéal
tel qu’il est imaginé par l’agence et l’annonceur.
Dans l’exemple d’Ariel, le rôle de destinateur, de narrateur, est tenu par Christine Bravo.
Personnage-énoncé-publicitaire, mais aussi personnage-signe, existant en « réalité ». A priori,
13. Ibid.
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Branding management
son rôle de « détective virulent et astucieux », de journaliste, brouille les pistes, elle accéderait
au statut de destinateur grâce à son aptitude à parler en public. D’un point de vue actanciel,
Christine Bravo incarne également une mère de famille et, en définitive, une consommatrice
comme une autre.
Adjuvant et opposant entrent dans une lutte dont l’issue décidera du succès (ou non) de la
marque. La valeur de la marque dépend donc pour beaucoup de l’innovation produit. Celui-ci
doit mettre en œuvre une technique efficace pour résoudre le problème. Les marques sont
ainsi extrêmement liées à leurs produits.
On comprend ainsi comment ce type de narration publicitaire s’adapte surtout aux marques
pouvant, visiblement, mettre en avant les bénéfices produits. Le rôle de la communication est
alors de valoriser, généralement par le biais de démonstrations à caractère technologique ou
scientifique, cet avantage tangible. Ainsi, la supériorité de la lessive Ariel sur ses concurrents
passe par une animation de synthèse dans laquelle on voit comment, au contraire, des lessives
traditionnelles endommagent les fragiles tissus des fabricants de vêtements, là où la marque
Procter & Gamble respecte la nature du linge.
Lecture 4.3
L’adjuvant du récit est l’expression d’une « raison de croire » à la mission de la marque et à sa
capacité à agir avec efficacité selon les attentes des consommateurs. Il est de différentes natures
et se retrouve même dans les marques de luxe, comme le démontre la lecture 4.3.
Finish tout en 1
• « Nettoyant : la tablette est une association d’un nettoyant puissant et de substances
de trempage qui aident à éliminer même les salissures tenaces, séchées et incrustées.
• Rinçage : Finish tout en 1 avec la technologie Powerball contient une fonction rinçage
et des agents actifs brillants pour un éclat rayonnant sans rayures.
• Fonction sel : la fonction sel est intégrée dans la phase blanche de la tablette et aide à
prévenir les dépôts calcaires…
• Protection du verre : la substance protectrice du verre Protector spécialement conçue
aide à prévenir l’apparition d’opacités du verre (corrosion du verre).
• Action Powerboost : les incrustations tenaces d’amidon, comme le riz séché ou les
restes de plats de pâtes ou de pommes de terre, sont efficacement éliminées par l’action
Powerboost.
• Éclat de l’acier inoxydable : la nouvelle fonction éclat de l’acier inoxydable rend
superflu le polissage ennuyeux des couverts – pour des couverts éclatants de propreté
après chaque lavage. »
Comme on le voit, la narration dite « lessivielle » veille au luxe de « preuves » et de détails
technologico-scientifiques pour assurer le consommateur de l’efficacité supérieure de la
marque.
Source : site Internet de la marque, www.calgonit.fr, janvier 2012.
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Chapitre 4 – La marque comme narration
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Actimel, une histoire de science
Un ferment exclusif
« Des années de recherche ont permis aux scientifiques de Danone d’identifier un ferment
prometteur parmi la souchothèque de Danone : le L. casei Danone.
Ce ferment exclusif et breveté L. casei Danone est associé aux deux ferments traditionnels
du yaourt, le Lactobacillius bulgaricus et le Streptococcus thermophilus, pour offrir un
produit novateur : Actimel.
Application 4.5
En e-branding, l’usage d’un adjuvant est simplifié par la place narrative. La marque Actimel
du groupe Danone en fait un usage complet sur le site www.actimel.fr.
Chaque bouteille d’Actimel contient plus de 10 milliards de ferments actifs L. casei Danone.
Depuis son lancement, Actimel et son ferment L. casei Danone ont fait l’objet de 49 études
scientifiques. 27 publications d’études cliniques, parues dans des revues scientifiques
internationales, ont mis en avant les effets de la consommation quotidienne d’Actimel,
contenant le ferment L. casei Danone. »
Actimel et l’Institut Pasteur
« Depuis 2004, Danone Research mène de nouveaux projets de recherche avec l’Institut
Pasteur de Paris, afin d’étudier les mécanismes d’action des ferments en interaction avec la
flore intestinale dans trois domaines liés au fonctionnement du système immunitaire : la
résistance aux infections virales et bactériennes, la prévention des allergies et les modulations de l’inflammation. Autant de connaissances mises ensuite au service de l’innovation.
Actimel, depuis 2007, est un partenaire privilégié du Pasteurdon, événement annuel de
sensibilisation et d’appels aux dons pour soutenir la recherche. »
Source : site Internet de la marque, www.actimel.fr.
Comme on le voit, la marque insiste sur le caractère scientifique de son adjuvant, le ferment
L. casei en citant le nombre d’études scientifiques, les milliards de ferments actifs, l’Institut
Pasteur…
Pour ce géant de l’industrie agroalimentaire, la narration de la marque Danone (marque portée
vers la santé) est le fer de lance de sa réussite. Comme la promesse de la marque est de nature
« médicale », elle doit être prouvée. La marque-produit Actimel du groupe Danone apporte
non seulement une rentabilité exceptionnelle pour le secteur des produits lactés, mais elle
renforce aussi la crédibilité du groupe dans sa promesse santé en démontrant que celui-ci a
su développer des produits reconnus pour leurs caractéristiques d’alicaments.
Par ailleurs, dans le domaine des lessives, l’adaptation « 2010 » d’Ariel et ses adjuvants est
faite par la marque de produits pour vaisselle Calgonit et, plus globalement, par Calgon,
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Branding management
Lecture 4.4
dont le héros est depuis des décennies un réparateur désolé de l’encrassement des machines
à cause du calcaire. La marque qui définit son action comme « la perfection du diamant »
touche ainsi à la pensée magique, appuyée sur de « solides » preuves scientifiques : « technologie Powerball », « action Powerboost », etc., comme preuves de l’efficacité des adjuvants
du récit de la marque.
Le rôle de l’adjuvant
Il n’existe pas de héros mythique sans adjuvant, sans aide, sans « gadget » qui permette
au héros, au moment le plus désespéré, de s’en sortir et de remplir sa mission ou son
objectif. C’est l’auxiliaire magique. Il s’agit de Patrocle qui dénoue la situation, sauve la
face d’Achille et y laissera la vie. Les contes, les récits mythiques par excellence regorgent de
ces « petits auxiliaires ». Ce sont les nains de Blanche-Neige ou des Trois Nains dans la forêt
de Grimm ; les fées déguisées en indigentes… Ces adjuvants sont la symbolisation du fait
que le héros n’est pas seul, ce qui serait la négation du rôle fédérateur du héros mythique.
Les marques-mythes ont su trouver leurs adjuvants. Si l’on admet – le contraire paraît
difficile – que le héros est automatiquement la marque, il faut bien admettre que les
« autres » ont simplement fonction d’adjuvant : Michael Jordan ou Carl Lewis pour
Nike, Tina Turner pour Pepsi Cola, Germaine pour Lustucru, Ronald pour McDonald’s,
Bibendum pour Michelin, mais aussi les stars de Lux, de Marlène Dietrich à Brigitte Bardot
en passant par Michèle Morgan et Mathilda May (2 000 stars pour Lux). L’adjuvant est
interchangeable. Ces adjuvants de la marque, ces aides ou ces stars ne sont que des fairevaloir de la marque ! Interchangeables, mais indispensables. Les « enzymes gloutons » et
les « anti-bouloches » sont d’aussi efficaces faire-valoir que telle ou telle star dont la seule
présence est déjà une preuve de l’efficacité de la marque.
L’analyse de la structure du récit conduit à voir le rôle que jouent les top models pour les
marques de luxe. On imagine quelles économies réalise l’entreprise quand son P-DG, son
créateur, son directeur artistique peuvent jouer avec humilité ce rôle d’adjuvant et s’en
contenter. Il n’y a pas de grandes sagas de marques sans ces « auxiliaires magiques », ces
« gadgets », les cadeaux Bonux, les petits berlingots Dop, les enzymes gloutons d’Ariel
avant les « anti-bouloches », les singes d’Omo, le Monsieur Marie, le Monsieur Plus de
Bahlsen, ou… Jacques Maillot de Nouvelles Frontières, Bill Gates pour Microsoft, Alain
Afflelou pour sa marque…
Mais attention, le « héros » du mythe doit demeurer la marque ! Quelquefois, l’« auxiliaire
magique », si pratique dans les périodes de rajeunissement d’une marque, se prend pour
la marque elle-même. Karl Lagerfeld travaille-t-il pour Chanel ou pour lui-même ? Avec
le mannequin Inès de la Fressange devenue créatrice, on peut avoir l’impression qu’il y a
confusion entre la marque-mythe et ses serviteurs qui l’incarnent un temps et se prennent à
rêver aussi à l’immortalité. Quelquefois, la marque a la chance d’avoir inventé dès l’origine
un Bibendum ou un Monsieur Plus… Cela a si peu coûté !
Source : Extrait de G. Lewi, Mythologie des marques, Pearson Education, 2009.
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Bibliographie du chapitre
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Résumé
La marque est narration ; une marque muette serait rapidement déchue. Mais cette fonction
narrative est soumise à la « censure » sévère du consommateur pour qui chaque élément du
discours doit être perçu comme légitime, crédible, cohérent, pertinent et unifié. Le discours de
marque ressemble à un puzzle dont toutes les pièces s’emboîtent parfaitement, à commencer
par le packaging des produits de la marque. Ce support nécessite un réel travail de hiérarchisation des niveaux discursifs entre le niveau axiologique (la fondation des valeurs de la
marque), le niveau discursif (la scénarisation des éléments emblématiques et figuratifs) et le
niveau narratif (la structure du récit).
Tout narrateur s’exprime pour quelques oreilles privilégiées. Une marque qui serait censée
parler à tout le monde serait, sans doute, une marque pour personne, mal attribuée, et sans
cœur de cible. La segmentation est au cœur du marketing ; l’analyse des bases de données (le
data mining) est une préoccupation permanente pour les gestionnaires de marques.
L’attribution géographique de la marque et son origine constituent un des moyens les
plus efficaces de séduire un cœur de cible sensible « au terroir » ou du moins aux valeurs
locales, comme le montrent les AOC, les labels et l’utilisation du terroir dans la narration
de nombreuses marques, surtout agroalimentaires. La proximité géographique apporte une
réponse à l’angoisse des consommateurs quant à la qualité des produits. L’histoire de la marque,
surtout quand elle est vraie, participe à la force de celle-ci, à sa crédibilité ou à son mystère,
lorsque l’histoire a été tourmentée.
La publicité est le haut-parleur naturel de la fonction narrative de la marque. Même si les publicitaires feignent, au nom de la créativité, de s’en éloigner, ils retrouvent souvent la structure
des récits légendaires fondés sur un ordre binaire et une organisation logique et fondamentale
du récit.
Tel un héros, la marque a pour son consommateur une mission à accomplir, une bataille à
mener, un « job à réaliser ». Le schéma narratif doit déterminer précisément la mission de la
marque, le fléau ou les difficultés à combattre, la raison objective et rationnelle de croire en
la réussite de cette mission. Car les erreurs de narration peuvent se payer très cher.
Bibliographie du chapitre
Ouvrages cités
Baudrillard (Jean), La Société de consommation, Denoël, 1970.
Brémont Claude, La Logique du récit, Le Seuil, 1973.
Floch (Jean-Marie), Sémiotique, marketing et communication, PUF, 1990.
Kapferer (Jean-Noël), Les Marques, capital de l’entreprise, Éditions d’Organisation, 1998.
Kotler (Philip) et Dubois (Bernard), édition française réalisée par Manceau (Delphine), Marketing
Management, 11e édition, Pearson Education, 2004.
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Branding management
Lewi (Georges), Mythologie des marques, Pearson Education, 2009.
Maffesoli (Michel), Le Temps des tribus : le déclin de l’individualisme dans les sociétés de masse,
Éditions Méridiens Klincksieck, 1988.
Propp (Vladimir), La Morphologie du conte, Le Seuil, 1970.
Riou (Nicolas), Pub Fiction, société postmoderne et nouvelles tendances publicitaires, Éditions d’Organisation, 1998.
Sordet (Claude), Paysant (Judas), Brosselin (Claude), Les marques de distributeurs jouent dans
la cour des grands, Éditions d’Organisation, 2002.
Ouvrages complémentaires
Galey (Bernard Claude), De mémoire de marques ; dictionnaire de l’origine des noms de marques,
Tallandier, 1997.
Le Figaro Entreprises, 60 cas d’école en stratégie et marketing, Dunod, 2004.
Kapferer (Jean-Noël), Remarques, les marques à l’épreuve de la pratique, Éditions d’Organisation,
2000.
Montigneaux (Nicolas), Les marques parlent aux enfants grâce aux personnages imaginaires, Éditions
d’Organisation, 2002.
Watin-Augouard (Jean), Petites histoires de marques, Éditions d’Organisation et TM Ride, 2006.
Articles de presse
China (Catherine N.), « Data mining : pour une analyse intelligente des données », Marketing
Magazine, n˚ 79, juin 2003.
Cova (Bernard), Futuribles, n˚ 214, novembre 1996.
Heilbrunn (Benoît), Hetzel (Patrick), « La pensée bricoleuse ou le bonheur des signes », Décisions
marketing, n˚ 29, janvier 2003.
Marion (Gilles), « Le marketing expérientiel : une nouvelle étape ? Non, de nouvelles lunettes »,
Décisions marketing, septembre 2003.
La Revue des marques, n˚ 43, juillet 2003, Texte prononcé lors du colloque du 6 mars 2003 organisé
par l’association Prodimarques sur le thème « Quelles stratégies de marque pour une croissance
pérenne ? ».
Publicité Liérac, Le Figaro Madame, 24 juillet 2004.
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Activités
Questions
1. Développez un autre exemple que Canderel démontrant les cinq critères d’un discours
de marque : légitimité, crédibilité, cohérence, pertinence, unicité.
2. Recherchez une marque développant de façon harmonieuse les trois niveaux axiologique,
discursif et narratif du contrat narratif. Mettez chaque niveau en évidence et en perspective
avec les autres.
3. Recherchez une marque où vous percevez des incohérences dans le contrat narratif.
4. Recherchez trois marques attributives. Expliquez, pour chacune d’entre elles, la raison de
ce choix marketing.
5. Réalisez trois schémas narratifs :
• Un pour une marque de lessive,
• Un pour un modèle automobile,
• Un pour une marque de luxe.
6. Que constatez-vous ?
7. Imaginez une publicité avec un schéma narratif pour le relancement de la Twingo de
Renault.
Étude de cas
Bleu, orange et blanc : les tonalités de la publicité Liérac
Illustration : une jeune femme assise de profil, très bronzée, les seins nus, au grand sourire
sur un fond bleu « piscine ». Elle occupe toute la page et « sort même du cadre ».
En bas, à droite, au premier plan, 3 flacons de Liérac solaire.
Texte : dans un carré de couleur orange : Liérac soleil couleur épice.
Texte en lettres blanches sur fond bleu : Un bronzage de rêve, une peau sublime [signature].
Pour que notre peau se laisse séduire cet été par le soleil, les Ultra-Solaires Liérac conjuguent
filtre high-tech, auto-réparation et bronzage couleur épice.
ULTRA-PROTECTION assurée par le Tinosorb M, issu des dernières recherches dermocosmétiques, qui s’impose comme un des meilleurs filtres UVA/UVB.
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Activités
ULTRA-PROTECTION avec l’opuntia G, extrait de la figue de Barbarie, qui active la
production d’HSP, protéines de défense et de réparation naturelle de la peau.
ULTRA-SÉDUCTION grâce à la présence de 3 épices qui accélèrent le bronzage et subliment
la peau au soleil : le safran d’Océanie, la cannelle et la vanille.
Les Solaires, Après-Solaires et Auto-Bronzants Liérac sont disponibles en pharmacie et
parapharmacie.
Coordonnées de Liérac.
Source : Le Figaro Madame, 24 juillet 2004.
Questions
1. Recherchez l’histoire de la marque et les autres produits de la marque : cette publicité
répond-elle à des critères de légitimité, de crédibilité, de cohérence, de pertinence et
d’unicité ?
2. Pouvez-vous identifier et développer les niveaux axiologique, discursif et narratif de cette
publicité des produits solaires de Liérac ?
3. Y a-t-il un ou plusieurs schémas narratifs dans cette publicité ? Pouvez-vous faire le(s)
schéma(s) et le(s) décrire ?
4. Faites une analyse critique de cette publicité et faites une proposition d’une marque
concurrentielle. Montrez en quoi son schéma narratif est différent de celui de Liérac
Solaire.
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