Chapitre 4
La marque comme narration
Objectifs
1. Définir en quoi et sous quelle forme la marque se présente comme un contrat narratif.
2. Préciser les notions de cible marketing, de cible de communication et de cœur de cible de
la marque.
3. Développer le contenu des valeurs narratives et le rôle de l’histoire et de la géographie de
la marque.
4. Analyser les dernières tendances publicitaires.
5. Expliquer et développer le niveau narratif de la marque en analysant l’efficacité de son
schéma fondé sur les travaux des linguistes.
Comme l’exprime J.-N. Kapferer1, « une marque qui resterait trop longtemps muette […]
serait déchue. Si la marque est discours […], elle peut donc être analysée comme tout
discours, toute communication ».
La marque, son identité et les éléments qui la composent sont autant de messages, de discours
condensés et représentés le plus synthétiquement possible.
Ces multiples discours cessitent d’être mis en forme et surtout d’être hiérarchisés. La marque
deviendra alors le repère mental, le vecteur de sens souhaité, un principe général – concret et
abstrait susceptible d’être décliné selon les objectifs de l’entreprise et les nécessités du marché.
1. J.-N. Kapferer, Les Marques, capital de l’entreprise, Éditions d’Organisation, 1998, p. 114.
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Le discours de la marque s’appuie sur un certain nombre de valeurs tangibles – les caractéris-
tiques des produits, le savoir-faire de l’entreprise, son métier –, et de valeurs intangibles faisant
référence à l’univers mental de l’entreprise ou de la marque – l’histoire, la saga publicitaire, la
base line, les actions citoyennes, la sensorialité, les valeurs de l’entreprise.
La synthèse de cet ensemble de messages compose la narration de la marque qui est, avant
tout, dans l’esprit de nombre de clients, un être de discours. Un produit, même lorsque son
nom est connu, ne raconte pas d’histoire ; une marque est toujours narration.
1. La marque est narration
Cette narration est soumise à la « censure » souvent sévère de l’auditeur, qui jauge sa
crédibilité. Le risque de décalage entre le message émis et le message perçu est sérieux, d’où
la nécessité pour les entreprises de construire pour leurs marques un message qui doit être :
1. Légitime. Celui qui parle doit avoir l’autorité nécessaire pour le faire.
2. Crédible. Le message annoncé doit pouvoir être vérifié et être digne de confiance.
3. Cohérent. L’ensemble des messages doit concourir au même objectif : la compréhension et
la mémorisation d’un élément fort de distinction par rapport aux marques concurrentes.
4. Pertinent. Le message doit être « jugé » comme ayant un intérêt pour le consommateur ;
chacun des signes doit être appropr et perçu comme conforme aux besoins et aux
attentes des consommateurs.
5. Unié. La marque est un ensemble discursif et tautologique chaque élément est une
pièce du puzzle qui concourt à l’unité du tableau final.
Le premier talent d’un bon narrateur consiste à faire penser à son auditeur qu’il ne raconte
que pour lui.
Dans la relation émetteur/récepteur, seul le récepteur compte vraiment. Cette gle de la
communication est le fondement même de la marque. Chaque auditeur du discours de marque
est un consommateur unique : ce qu’il a entendu, retenu et compris individuellement fera de
lui un futur client ou non.
Avant de développer la façon dont la marque doit communiquer pour atteindre le maximum
d’efficacité, il convient de prendre conscience de l’exclusivité de la perception du discours de
marque, ce que l’on peut nommer les valeurs attributives de chaque marque.
Le packaging d’un produit de marque (voir application 4.1) est un véritable metteur en scène
du discours de la marque. C’est le packaging qui va hiérarchiser et théâtraliser les messages,
qui va organiser la « parade de séduction2 ».
2. C. Sordet, J. Paysant, C. Brosselin, Les Marques de distributeurs jouent dans la cour des grands, Éditions d’Organisation,
2002, p. 71.
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137Chapitre 4 – La marque comme narration
Les messages narratifs dune boîte de Canderel
Canderel est la marque leader de l’aspartam, l’édulcorant sucré généralement appelé
« faux sucre ». La marque appartient à la société Merisant, société qui développe au
niveau international les marques « d’édulcorants de table », au premier rang desquelles
Equal et Canderel.
Le produit a été découvert par hasard par un scientifique du laboratoire Seanle, James
Schlatter, en 1965. Alors qu’il menait une étude sur les acides aminés, il lécha par inadver-
tance son doigt et s’aperçut du goût doux et sucré de la substance : il avait découvert par
hasard un sucre sans calories.
Le texte au dos du packaging est le suivant :
« Canderel vous permet d’accéder au plaisir du goût sucré, tout en vous aidant à mieux
gérer vos apports caloriques, au quotidien, en toute légèreté ».
Équivalent à la saveur sucrée d’un morceau de sucre, un comprimé Canderel contient
60 fois moins de calories.
Tableau 4.1: La valeur énergétique du sucre et de l’aspartam
Pouvoir édulcorant équivalent Poids Valeur énergétique
1 Canderel 0,085g 0,3 Kcal
1 morceau de sucre 5g 20Kcal
Canderel peut être consommé par tous, y compris les femmes enceintes ou celles qui
allaitent.
Le conseil Canderel
Prenez le temps de prendre un petit déjeuner équilibré. Profitez-en pour faire le plein de
vitamines et bien démarrer la journée avec un fruit frais ou un jus de fruit, une boisson
chaude (thé ou café) avec 1 ou 2 comprimés de Canderel, une petite tartine et un yaourt
nature avec du Canderel en poudre (soit un petit déjeuner d’environ 275 Kcal).
Collectionnez les points Canderel (avec une icône à découper de 3 points) pour bénéficier
d’offres spéciales. Pour tout renseignement, appelez le numéro Azur ou connectez-vous
sur le site Internet Canderel. »
Comme nous le voyons, le nombre de messages d’une simple boîte de Canderel est
important :
plaisir du goût ;
gestion des apports caloriques ;
Application 4.1
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138 Branding management
Application 4.1 (suite)
légèreté ;
caractéristiques concrètes de la valeur énergétique ;
pas de contre-indication, en particulier pour les sujets les plus fragiles comme les
femmes enceintes ;
le cœur de la narration avec la description du petit déjeuner idéal, à faire saliver à
n’importe quelle heure de la journée ;
jeu et fidélisation.
Ces sept messages développent des valeurs tangibles (les valeurs énergétiques, la collection
de points, la non-contre-indication pour mamans et bébés), et des valeurs intangibles (le
goût, le bien-être, le plaisir gustatif).
La forme de la boîte et son logo sont mémorisables. Le nom de la marque vient de « candy »
(bonbon) et « airelles », ces petites myrtilles au goût sucré mais toujours légèrement
amer. Les publicités ont longtemps fait appel aux « Parisiennes » du dessinateur Kiraz,
ces « snobs filiformes » qui contemplaient le monde avec la distance d’une entomologiste
observant ses consœurs.
2. La marque est un contrat narratif
La construction de l’univers de la marque se fait par paliers, par hiérarchisation des messages,
par degré de lisibilité (c’est-à-dire de visibilité perçue).
À propos d’un texte littéraire, on utilise l’expression de « contrat de lecture » pour qualifier
l’échange sémiotique entre un auteur et son lecteur : l’échange n’est pas unilatéral, mais il
est le reflet d’interactions souvent implicites, d’une convention de coopération qui font du
lecteur le coauteur du texte.
De la même façon, le principe narratif de marque répond à une convention codifiée entre
l’entreprise et son consommateur, un contrat narratif reposant sur trois niveaux :
1. le niveau axiologique ;
2. le niveau discursif ;
3. le niveau narratif.
2.1 Le niveau axiologique ou les fondations de l’acte narratif
de la marque
Le niveau axiologique (la fondation des valeurs de la marque) repose sur un nombre limité
de valeurs fondamentales qui orientent et structurent la place de la marque dans la société :
la vie, la sécurité, la santé, la générosité, la confiance, la justice, l’humour, la force, la passion,
le futur…
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139Chapitre 4 – La marque comme narration
Comme nous l’avons vu, ce sont les valeurs fondatrices, qui structurent à jamais l’identité de
la marque, qui donnent du sens à la marque et la développent comme un projet à long terme.
Il s’agit de son noyau fondateur, fait d’imaginaire et de symbolique profonde. C’est ce qui
permet à tout un chacun de dire : Darty, c’est la confiance ; Coca-Cola, l’éternelle jeunesse ;
Levi’s, l’aventure ; Orange ou Sony, l’innovation et l’avenir, etc.
Ce niveau axiologique assure la continuité et la permanence de la marque dans le temps. La
légitimité, la crédibilité, la cohérence de la marque auprès de ses publics dépend du choix
initial de ces valeurs clés. Toucher à ce noyau axiologique est une opération délicate car cela
revient à remettre en cause les fondements du rayonnement initial, autrement dit de la réussite
de la marque.
Si Canderel devait porter atteinte à son discours sur les valeurs énergétiques, même au profit
du goût et du plaisir (on perçoit dans le discours cette tentation face au poids décroissant
des marques de distributeur dans les ventes du produit générique aspartam, la molécule de
Canderel), ce ne serait pas sans risque. La recette du petit déjeuner, notamment, est sympto-
matique du numéro d’équilibriste de la communication de la marque : du plaisir, bien encadré
par la présence non calorifique de Canderel.
2.2 Le niveau discursif ou la partie la plus visible de la marque
Tout cit met en scène, c’est-à-dire en discours, des éléments figuratifs, immédiatement
compréhensibles et identifiables. Il les dispose ensuite de façon particulière, les articule pour
développer le niveau discursif. Le discours de la marque est alors plus facile à « voir », à
imaginer et nous donne une impression référentielle.
Les valeurs de base sont souvent enrichies dans la communication de la marque par des figures
emblématiques (acteurs, personnages, objets, situations répétitives…) qui deviennent réalité
aux yeux du public et sont inséparables de la marque. Elles permettent souvent, grâce à leur
pouvoir de mémorisation et d’assimilation, une grande économie de moyens narratifs et
souvent de ressources.
Que serait Michelin sans son Bibendum, Marlboro sans son légendaire cow-boy, McDonald’s
sans Ronald, Disney sans Mickey, Darty sans la petite voiture de dépannage… ?
Mais la cristallisation des valeurs fondamentales d’une identité de marque et de la narration à
travers des symboles ou des personnages conduit quelquefois l’entreprise à des choix difficiles.
Ces éléments « adjuvants » de la marque peuvent être sujets au vieillissement, quelquefois à la
mort pour les personnages réels, ou au rejet de la part du public. Ils doivent alors faire l’objet
de changements, toujours difficiles à aborder.
Faut-il laisser apparaître Alain Afflelou comme personnage de chaque spot TV de la marque ?
Comment Vedette va-t-elle survivre à la mère Denis, icône publicitaire préférée des Français ?
Que devient la marque Marie sans Jean-Claude Dreyfus ? Faut-il supprimer définitivement le
personnage de Jean Mineur, symbole vieillissant de la publicité au cinéma ?
Panzani a des difficultés à maintenir ses parts de marché face à Barilla. Le personnage de Don
Patillo, si proche du bon Don Camillo, défenseur infatigable de ses paroissiens, ne fait-il pas
défaut à la marque ?
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