IDENTITÉ, REPRÉSENTATIONS SOCIALES ET HANDICAP 49
L’expérience d’un handicap n’échappe pas à la psychologie populaire qui
l’interprète, en envisage les conséquences sur l’individu, sa vie, sa personnalité,
ainsi que les différentes façons d’y réagir. Au début des années quatre-vingt, Pai-
cheler et ses collaborateurs ont étudié la façon dont le grand public se représente
les personnes handicapées. Leurs résultats montrent deux représentations diver-
gentes des personnes se déplaçant en fauteuil roulant. L’une, majoritairement ex-
primée, leur attribue anxiété et introversion ; l’autre, au contraire, associe à la dé-
ficience un type de « personnalité » calme, contrôlée, rationnelle… Analysant ces
représentations en regard de représentations plus générales véhiculées dans la
psychologie populaire, les auteurs constatent que la représentation majoritaire
coïncide avec celle de la « personne inadaptée », tandis que l’autre représentation
correspond à la personne-type qui aurait « réussi sa vie sociale et professionnelle ».
Une autre représentation, celle de la personne « bien dans sa peau », spontanée,
confiante et insouciante, utilisée pour décrire des valides, n’est quasiment jamais
attribuée aux personnes en fauteuil roulant.
Une autre étude, réalisée à la même époque auprès de professionnels de la ré-
adaptation (médecins, kinésithérapeutes, ergothérapeutes), fait émerger des re-
présentations très proches des précédentes pour décrire cette fois les personnes
handicapées qui ont « surmonté leur handicap » et celles qui n’ont « pas surmonté
leur handicap ». Ainsi, pour les professionnels comme pour les profanes, il
n’existe qu’un mode d’adaptation, qu’une façon de « surmonter son handicap »,
se traduisant par le fait de posséder un moi fort, caractérisé par le contrôle de soi,
la stabilité et la persévérance.
Ces résultats viennent étayer les « théories de l’étiquetage » (labelling) qui
mettent en évidence les effets préjudiciables du processus de stigmatisation.
Pour les tenants de ces théories, étiqueter une personne comme handicapée ce
n’est pas seulement décrire un type de déficience, c’est lui attribuer un ensemble
de caractéristiques qui sont culturellement associées à cette déficience. C’est la
personne entière, sa « personnalité », qui sera interprétée à la lumière du handi-
cap. En se conformant aux attentes inhérentes au stigmate, la personne entre alors
dans une « carrière » de déviant et, à la déficience initiale, s’ajoute un handicap
psychologique. Le fait que ce dernier soit considéré comme directement associé
à la déficience vient entériner le processus. Dans cette perspective, la stigmatisa-
tion souvent reliée à l’institutionnalisation contribue à renforcer les stéréotypes et
génère l’incompétence et la dépendance des personnes handicapées.
PRATIQUES ET TRAITEMENT SOCIAL DES DÉFICIENCES
Les représentations véhiculées par la psychologie populaire prennent leurs ra-
cines dans un contexte historique et socio-économique qui détermine des pra-
tiques. Ainsi, Stiker (1982) montre comment la culpabilité et l’obligation morale
à l’égard des victimes de la première guerre mondiale fait émerger une nouvelle
conception de l’infirmité : l’assistance cède le pas à la réadaptation. Il s’agit
désormais de remplacer ce qui manque, de faire « comme si » il n’y avait pas de
différence. L’infirme qui indiquait l’exceptionnel, l’altérité, doit retourner à la vie
ordinaire, être replacé dans le système du travail et de la consommation. Progres-
sivement, le sort des mutilés de guerre va s’étendre à tous les types d’infirmité,